mardi 23 septembre 2008

la mort, une vie : un moine + Dom Gaston Le Nézet


après-midi du dimanche 21 septembre 2008

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Sent: Sunday, September 21, 2008 3:51 PM
Subject: dom le nézet

+Notre très aimé Père et Frère
Dom GASTON LE NÉZET
est entré dans son éternité aujourd'hui vers 12 h 30.
Il fut maître des novices 16 ans à Kergonan et 11 ans au prieuré de Terreville en Martinique.
Il fut prieur de Kergonan et il était sous-prieur de Terreville.
Il fut aussi maître de choeur et maître des oblats.
Il sera enterré mardi 23 septembre à 14 h 30.
Merci de votre prière pour lui.
"Celui qui a soif, qu'il reçoive l'eau de la vie, gratuitement"
(Apocalypse 22, lu au réfectoire juste après son décès)


après midi du mardi 23 septembre 2008 – Sainte-Anne de Kergonan


roulant vers le monastère de sa vocation

la mort le rend plus vivant en moi
plus disponible
plus personnel
la relation peut être la plus intime
elle devient à notre mesure
pour nous donner la sienne

La dialogue possible.

Le nôtre ultra-simple et sobre – historiquement pauvre, au point que j’ai de lui depuis la première rencontre qui ne fut pas même un entretien ou un moment substantiel ensemble d’échange voulu, seulement le regard et la sensation que les quelques mots que je reçus de lui, sans provocation, étaient d’une extrême pertinence, d’une extrême originalité et cependant je ne les ai pas mémorisés, quitte à ce que je les retrouve dans mes notes de l’époque : mes premiers passages ou séjours dans ce monastère, relativement voisin de ce port d’attache qui sera peut-être le définitif ancrage.

Symétrique, l’instant sur le goudron d’été devant la clinique Océane tandis que ma chère femme et notre fille, ensemble, nous allions tous trois visiter un de ses frères cadets en religion (et en « grade » d’Eglise). Il est là avec l’infirmier et un troisième moine, je crois, cannes anglaises, très vieilli de silhouette mais pas de visage, le front est grand sans excès, les joues, le nez, le menton sont fermes et pleins mais de contours doux, l’homme n’est pas glabre, il « fait » très terrien

Pas davantage le souvenir de ce qu’il me dit, encore moins de ce que je lui dis, mais le souvenir certain de mon bonheur de le revoir, la permanence de cette mémoire d’un religieux, d’une âme particulière simple au point que sa richesse, sa densité n’étonnaient pas et n’étaient que don quand on venait à lui,
la sensation que j’étais, de mon côté, demeuré en lui

Le voilà en exemple – une vie linéaire et droite,
un goût de Dieu, un état de vie, un choix sans débat, une fidélité sans aspérité
pas d’appétit de gloire, d’emploi
autant que je puisse deviner, pas d’anxiété
nature nativement monastique sans les tourments du sexe, de l’affectivité, de al dispersion intellectuelle, sans les problèmes nés de la promiscuité ou de l’obéissance quand on a un caractère autre
pas de problème, donc, je crois, d’emploi de soi
choix de vie judicieux : intelligence humaine ? grâce de Dieu ?

Le bonheur et la disponibilité au bonheur, par tranquille présence à autrui,
aptitude à se donner, mais aussi à se bien gérer
démonstration que la vie monastique
perçue en adolescent comme le chemin ou l’état de perfection
suppose pour ne pas perdre énergie, temps et chances de bonheur
à se « corriger » et sculpter humainement pour ressembler à qui ?
ce qui n’est pas forcément une proximité au Christ et à Son être
– une certaine nature
je la crois, aujourd’hui, assez rare : surtout dans les monastères.
Y être heureux

Un autre moine – cistercien celui-là
m’a montré ce qu’est une personnalité d’écoûte
devenant d’exemple parce que le disciple ou l’ami,
à un tel contact, retrouve ses propres vertus d’attention

Tous deux font – par leur biographie simple, leur stabilité d’âme
cultivée tranquillement, sans que le secret d’une lutte ou d’une angoisse,
d’une attente qui furent peut-être permanente,
soit jamais exposé : secret avec Dieu – l’éloge vêcu de la vie religieuse



14 heures 50

homélie de Dom Philippe, abbé – qui l’eut comme Père-maître
à ses propres débuts
phrases que je prends au vol

comme à son insu

au service de Jésus auquel il a consacré sa vie
évangile des ouriers et de la vigne lu à l'instant de sa mort

né à Betz, à dix kilomètres
aîné de trois enfants, comme au petit jour de la parabole, déjà appelé
petit séminaire à Sainte Anne d'Auray
grand séminaire à Vannes
service dans la marine
à Toulon, l'aumônier sans le connaître lui dit : tu seras moine bénédictin
appel si net au grand séminaire : à haute voix : oui, Seigneur, avec joie
risque d'être pris pour un fou
il exulte intérieurement
Sainte Anne de nouveau, mais à Kergonan
ordonné à la cathédrale faute d'église au monastère : 22 juin 1963
fils du pays
part à 64 ans à la Martinique
s'acclimate avec facilité au climat, à la mentalité

humilité, bonté : il est accepté, aimé
a toujours été heureux là où les circonstances le conduisait ;
là où le Seigneur le mettait
avec une grande sagesse, a su fleurir là où il se trouvait

rentré, il y a dix mois
chimiothérapie, Juin, la décision de repartir
grande fatigue, fin de l’été
prévenu il y a douze jours : ne vivra pas plus de quinze jours
ah bon ! je vais mourir
je voudrais mourir d’amour
à quoi il s’est employé pendant ce court laps de temps

rayonnant de simplicité, d’abandon à la volonté de Dieu, humanité et sainteté
à la fois : quel homme ! quel moine !

tout simplement bon de travailler dans la vigne
le fait d’être appelé est déjà en soi
la première récompense

toute sa vie : immergé dans le beau
l’incomparable rivière d’Etel
la vie familiale
la grande musique et le grégorien qu’il aimait tant

dans la vie communautaire, inévitable de rencontrer des difficultés, parfois même des oppositions : regarder au-delà
mes petits enfants, aimez vous les uns les autres
puisque l’amour vient de Dieu (st Jean)

sa sœur me dit que le samedi après-midi il lui a dit
jamais je n‘ai été aussi heureux qu’en ce moment
il a bien dormi jusqu’au bout
le Seigneur est venu le chercher rapidement
presque furtivement à Sainte-Anne

enthousiasme, dynamisme, joie que nous lui connaissons


16 heures

procession d’Eglise, ligne des silhouettes en chasuble violette,
croix en tête, les dos droits des moines quand ils sont jeunes
le sous-prieur sans tenue liturgique, plus jeune que jamais,
manifestement saisi
paroles inaudibles de l’Abbé
rite bouleversant du dernier regard à la tête achevée et définitive,
que je n’ai pas vue – pour la voiler, puis tout le corps
auparavant avec autant de soin qu’on baigne un enfant,
l’encensement de ce corps, cloîtré dans son cercueil
plusieurs à visser le couvercle, les plus jeunes et le sous-prieur
les croix aussi sobres que dans les cimetières militaires, l’inscription aussi
puis la pierre roulée, on s’en va, c’est le sabbat
c’est le début du chemin vers Emmaüs pour le retour à notre ciel d’origine

témoignage de vie d’homme

télécopié à sa communauté ce soir

je représentais ma chère femme et notre fille, cet après-midi parmi vous.
Vivement ému par la beauté de votre liturgie, ce qui a été confié sur notre cher Gaston au cours de l’homélie, et par l’allée vers le cimetière, le voile blanc et le vissage du cercueil.
Mais évidemment c’est votre frère si clair et enfant d’âme, si ferme dans sa foi d’homme, si attentif à qui arrive dans sa vie pour quelques instants ou pour longtemps qui nous a présidés et inspirés tous, qui nous habite vraiment. Une mémoire du cœur, des mots que je rassemble, la chance d’un long regard devant la clinique Océane cet été. Ma femme et notre fille se trouvaient là, et Edith en est restée vraiment pénétrée tant la bonté et la sérénité de Dom Gaston lui ont été personnellement évidentes.
Nous sommes donc en communion avec lui et dans le même deuil humain. Et désormais dans cette transmission de tout que permet le mort en libérant toute notre disponibilité et nos forces d’amour de part et d’autre de ce lieu-moment-esprit par où nous passons. Vers notre Dieu et Seigneur.
Quelle belle vie !
Merci à lui et à Dieu pour tout ce qui nous a été donné par lui et va continuer de nous être donné.


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