lundi 29 juillet 2013

Jean Laplace . 2006

Jean Laplace…
un rayonnement inattendu
méditation cinq mois après sa mort


Reniac, mardi 3 Octobre 2006

Matrice de circulaire vers ceux qui ont laissé leurs nom et adresse à la sortie de la chapelle Saint-Ignace, et aussi vers les congrégations, centres spirituels et monastères dont le calendrier annuedl des ministères du Père donnent les coordonnées.

Depuis le samedi 29 Juillet – que je n’ai appris que le mardi 1er Août – je suis passé par trois phases. La première du souvenir personnel. La seconde et dont vous êtes intensément est celle d’une prise de conscience de l’immense rayonnement, et si précis, de notre ami dans un très grand nombre de vies personnelles, qui ne sont pas la miennes, qui ont comme analogie avec la mienne la solidité et la chaleur de cette rencontre. La troisième est donné par la messe du vendredi 22 et dont j’avais l’intuition depuis longtemps, mais pas aussi nettement : le secours et la re-fondation qu’il a apportés à des prêtres et religieux, et non des moindres, en un sens tel qu’il est l’un des piliers de l’Eglise contemporaine.

Donc, tenter quelque chose qui maintienne vivante sa mémoire et actif son message. Peut-être une association, sans doute un appel à témoignage et à documents. Je n’ai pas sollicité de prendre pour une phrase la parole l’autre vendredi afin d’indiquer que des feuilles recueillaient à la sortie des noms et adresses de ceux intéressés à cette tentative, et le regrette : une trentaine de noms seulement, mais je vais propager l’appel par les divers lieux où Jean Laplace exerçait son ministère, à commencer naturellement par Manrèse.

Créteil, mardi 19 Décembre 2006

06 heures 08 + Je m’éveille à l’avance pour rédiger sur JL avant le nouvel éveil que va constituer mon entrée dans ses papiers. Ecrit ainsi une petite heure, débroussaillant et schématisant, je continuerai dans le métro, je tiens beaucoup à ce point des choses, à ce propos d’étape avant de le rencontrer dans une troisième manière, la trace ou l’appel que constituent ses papiers. Ce qu’il gardait par devers lui. Sans probablement s’arrêter à la destination de cette mise en réserve.
. . . dans le métro Créteil-Vanves, 08 heures 17 + Continué, malgré de fréquentes interruptions à me remettre debout pour la presse des voyageurs aux grandes stations, mes notations sur JL ; j’en veux le maximum avant la nouvelle phase de mon chemin avec lui.


Je m’attendais à plus et à moins. Je suis embarqué, emmené vers autre chose, vers un secret. Vers la vie humaine d’un homme qui a été religieux, que son ordre a gratifié et qu’il a illustré. L’importance de la Compagnie de Jésus dans la manière de vivre et d’exercer une activité professionnelle n’apparaissait pas telle de son vivant. Dans quel métier et selon quelle organisation, hiérarchisée ou libertaire, aurait-il été aussi libre, aussi respecté ? d’emploi du temps et de manière d’être ?
Je perdais à sa mort un guide mais un homme d’enseignement auquel il est peu question d’accéder personnellement. Une relation où la réciprocité n’est pas première, où l’un est sauvé, demandeur, et l’autre sauveur, accompagnateur, explicatif. Sans doute, les conversations, et surtout les entretiens en retraite notamment, étaient-ils des mises au point dont la dialectique et l’effet m’ont paru – quand j’ai par ailleurs commencé d’en être bénéficiaire pour des raisons et selon un parcours imposés par des circonstances inutiles à évoquer ici – très proche de la psychothérapie et de la pratique lacanienne : le patient, le retraitant se construit par son propre dire. Le dire n’étant pas un aveu mais une découverte de soi et du monde, de la relation redevenue possible entre soi et le monde, sans bienveillance de l’un, sans culpabilité ou insuffisance de l’autre. Jean Laplace a donc excellé à cette rencontre d’autrui, du prochain pour sa guérison, sa remise en route, l’inventaire de soi. Son ministère tel qu’il l’a pratiqué
L’a-t-il voulu posément ? A-t-il été discerné par les supérieurs de son premier âge religieux après les années de préfet dans les collèges et au juvénat jésuite de Laval ? Le fait est qu’à reprendre l’ensemble de son œuvre écrite – les livres – on a la sensation très précise de deux époques, celle des préalables, elle-même en deux phases, une phase silencieuse où l’homme a appris à donner les Exercices, toutes les années 1950, et une phase dans laquelle sont produits les livres de base sur la culture et l’apostolat, la conscience de soi du prêtre à la recherche de lui-même, le dialogue spirituel, la femme et la vie consacrée. La seconde époque, la plus longue sera de contenu mais aussi d’approfondissement d’une dialectique : un travail par l’Ecriture sur ce qui nous met en chemin de Dieu. Les livres se répèteront apparemment, mais s’apureront aussi. Ils auront chacun l’invocation d’un certain patronage, saint Jean l’évangéliste, la Vierge Marie, l’Esprit.

Donc la première découverte est l’importance aussi bien dans sa vie propre, dans le travail au long des années, de l’écriture et de la composition écrite, que dans sa manière de rayonner. Je ne pensais pas qu’il allait valoir de plus en plus en plus par une œuvre. Je croyais avoir affaire à un homme dont allaient rester – seulement – la voix, le regard, la manière, et partant à la recherche de sa mémoire, j’étais en quête de témoignages. Des anecdotes, non… et je n’en trouve toujours pas, quoique je pressente des événements, dont il est probable que ce sont des rencontres et des rencontres, non de bouleversement ni pour lui, chaque fois confirmé dans ce qu’il a à continuer et à être, ni pour la personnalité rencontrée qui sera mise dans son chemin mais jamais violentée ni désorientée pour etre réorientée. Présence et non choc, quoique parfois les premiers moments soient rudes.
L’homme de rencontre m’a été donné par les confidences de quelques disciples déjà. Deux femmes au moins.
Elles m’ont fait découvrir toutes les deux ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Non pas des changements de vie opérés par une sorte d’ouverture décisive à Dieu qu’aurait procurée notre ami par une intervention ayant des composantes et du savoir-faire humain. Tel prédicateur, tel devin interrompant un mauvais cours et poussant vers une ascension ou une autre pente, la bonne ? Il y a une clientèle chrétienne, humaine qui comme dans les évangiles accourt en interrogeant : bon maître que dois-je faire ? La quête de l’orientation, de l’état de vie. En ce sens, mes deux confidentes – parmi d’autres – me confirment ce que j’ai vêcu avec le Père.
Elles m’apprennent un élément qui n’est pas de supériorité et de maintien d’un dialogue maïeutique. JL écrivait beaucoup, pas seulement pour prier ou pour aider à la prière des autres, mais à des correspondants, en quoi il était véritablement accompagnateur. Je ne suis encore entré dans aucune de ces véritables collections de vie, et je compte n’y aller qu’avec un intense respect pour ce qui doit être pris comme une intrusion dans la relation intime entre deux êtres, à égalité l’un devant l’autre, parce que tous deux devant le mystère de l’homme (de la femme, en l’occurrence, dimension suppémentaire si j’ose écrire, de l’humanité en capacité certes, mais aussi en contradiction et complexité).
Il apparaît donc que Jean Laplace n’exerçait pas seulement un ministère ayant codes, matière et instruments et lui procurant une existence réglée et rythmée, apparemment très mobile, mais en réalité d’une grande stabilité puisque partout il emmené le même discours, le même regard et sans doute des horaires et des méditations analogues. Il donnait de lui-même, jamais de la même façon, mais il payait intensément de sa personne. Il était ouvert au partage parce qu’il donnait à voir, ce qui n’est pas évident pour le laïc, ou – je le crois – pour le religieux débutant, ou même pour le consacré, la consacrée déjà éprouvés et depuis longtemps dans une vocation devenue plus difficile à vivre qu’aux premiers jours, il donnait à voir que personne, dans l’existence terrestre, n’a le fin mot, n’est dans le secret ni n’acquiert une surnature. Il n’imposait pas, ce qui aurait gêné et ce qui gêne parfois chez certains religieux ou prêtres, l’évocation de son propre cheminement, a fortiori de difficultés vêcues ou en cours d’être subies

A tout cela, je ne m’attendais pas. Je croyais qu’allait survivre un enseignement, je m’aperçois qu’il s’agit d’une vie particulière et d’une façon – probablement courante – de rayonner, d’exercer le rôle d’évangélisateur. Ce qui aide à préciser – utilement…– le religieux contemporain, en quoi cela consiste, en quoi dans l’Eglise et dans la vie courante, il y a une fonction qui peut être tenue par les uns pour les autres, et peut-être même assez réciproquement. Car ce que j’ai entrevu parfois, mais sans le peser, est la sensibilité du Père à la chaleur humaine, à la gratitude. Il n’était pas enfermé en lui-même, donnant mais ne recevant pas. Le mystère, puisque jusqu’à présent je ne sais pas s’il a souffert et en quoi ou de quoi, est le besoin qu’il avait ou n’avait pas de l’affection et de la gratitude de ceux et celles qu’il avait rencontrés, qui s’étaient rencontrés en lui.
Jean Laplace est donc d’abord relationnel. Il n’a pas créé un réseau, les retraitants et accompagnés, pour la plupart, une fois clos l’exercice au cours duquel s’opérait la première rencontre et avaient lieu les premiers entretiens, ne se revoyaient plus entre eux. Parfois, ils ou elles se sont évoquées, sans doute pas à l’instigation du Père lui-même, mais en se croisant (parfois en se jalousant) autour du Père.

Dans ces conditions, je m’attendais à plus de mouvements et d’échos que je n’en perçois. Comme si un signe était donné que l’essentiel ne se voit pas, ne se dira pas et demeurera le propre de chacun, de chacune de celles qui ont bénéficié de sa rencontre et de sa fidélité. Car une correspondance est bien la fidélité. Manifestement, dans les toutes dernières années de sa vie, les derniers mois-mêmes, dont personne et pas lui ne soupçonnait, malgré l’âge auquel je n’ai jamais été sensible tant le rapport restait d’une personnalité à la fois secrète, simple au sens de pas complexe ni nouée, mais surtout majestueuse, qu’ils étaient très comptés, dans ce temps donc, l’homme qui n’était plus requis par des interventions publiques, était sans doute aussi occupé que jamais : les visites, la correspondance, l’écriture d’un livre. Cette activité avait ses destinataires, tout me laisse sentir qu’elle continue son rayonnement, mais celui-ci reste impalpable. Des communautés religieuses entières – sans doute y a-t-il le filtre de la discrétion spirituelle et de la hiérarchie des supérieurs – soit ne répondent pas à ma demande, aussi motivée et simple que j’ai pu, de recueillir quelques témoignages d’un passage, d’un ministère situé et daté, soit ne donnent en quelques mots sobres que ce qui peut se dire : au poids, presque rien. Du bien a été fait. Laconisme. On en reste là. Service fait ! Pudeur ou difficulté d’expression d’un milieu qui a pourtant l’un des plus importants dans la vie du jésuite. Aider l’état religieux à ne plus être clos pour ceux qui l’ont embrassé, le plus souvent dans des circonstances assez ambivalentes – comme je l’ai expérimenté moi-même autant par ma recherche propre que par l’itinéraire de trois amis d’enfance très chers. Ce qui fait ressortir son don. Il savait parler de ce dont on a de la peine à parler, surtout en Eglise, surtout dans le domaine des choses ou des événements spirituels, là où la langue de convention, le mimétisme et la récitation gâchent les jaillissements, font oublier que la spontanéité et le jaillissement sont à la fois une nécessité et la vérité. Il savait s’adresser à la peur. Et là s’applique une des formulations qui lui est la plus fréquente : la justesse, la mise en place, l’ajustement, en fait l’équilibre par destination à condition de ne pas regarder ou chercher le compliqué et l’ailleurs.



*
*   *


Ainsi, l’homme et le religieux, s’exposant l’un l’autre, acteurs ensemble d’une vie probablement très cohérente. La reconnaissance – pour eux-mêmes – des contraires, leur conciliation qui est la responsabilité et l’art de chacun vis-à-vis de soi-même. Le préalable de la liberté pour tout accueil et d’abord pour une vie spiriuelle qui ne soit ni sentiment ni imagination ni repliement. Il semble que JL l’ai vêcu lui-même et peut-être d’un coup, sans combat, selon une nature simple où la passion n’était pas désordre ou emportement ou débordement de soi sur les circonstances ou sur les autres, comme tant d’autres qui ont le don paradoxal de se gâcher eux-même et de gêner les autres.
Le religieux, parce que’il était statutaire pour qui allait à lui, avait cessé d’être premier, évident, apparent. On allait chez l’enseigneur. Le prêtre était même oublié. Il était l’outilleur. Ce qui suppose chez celui qui est ainsi regardé un certain consentement à être instrumentalisé. JL, parce qu’il écoûtait en tête-à-tête et répétait en public, n’était pas à proprement écrire, un parleur. Il n’y avait en lui aucune redondance, il cherchait toujours l’expression et la situation justes. La note d’ambiance dans les conférences appelées entretiens, la situation présente dans les tête-à-tête. Pas de débat d’idées ni de méthode. Une position qui n’était que la sienne, mais à laquelle les prêtres et les religieux, les religieuses de rayonnement parviennent sans que ceux qui ont recours à eux, à elles, aient à savoir ou comprendre comment : autrement que religieux et que prête, une fonction dans l’humanité, dans la société pourrait-on même dire, qui emportait une façon d’être.
Mais justement – aurait-il dit – il n’était ainsi que parce qu’il était un homme, et un homme particulier. Je ne crois pas que ce soit sa biographie qui le distingue ou le caractérise, que ce soit un parcours qui l’ait formé, non plus ses lectures et ses rencontres. Il semble nativement doté de tout ce qui va le constituer opendant sa vie, en sorte qu’il semble n’avoir pas eu à se chercher lui-même pour se trouver. Il est donc tout à fait libre de s’administrer. Œuvre de Dieu. Pas de témoignage donné ni en entretiens publics des retraites, ni en tête à tête sur sa propre relation à Dieu, mais de celle-ci tout découle. Car son comportement d’homme avec ceux qui sont venus à lui et qui manifestent le besoin (le goût) de son accompagnement (de sa présence récurrente) dans leur vie, est très caractérisé. Ce n’est pas un homme cyclique et il n’encourage pas son correspondant ou son exercitant – exercitante – à une explication de personne cyclique et donc fataliste. Il observe et valide un chemin linéaire, dialectique, l’inspiration de l’Esprit ; même si rien de spectaculaire ne s’opère, même si la vie à suivre, le parcours au total sont visibles et explicables, racontables – témoignages des premières disciples que j’ai à mon tour rencontrées – en termes banaux et humains, rien de surnaturel. Ce qu’il apporte quant à lui, c’est une participation, mais elle est multiforme jamais la même selon les personnes affectionnées. Car ce religieux réservé sur lui-même, ne se disant pratiquement pas ou si sobrement que ce semble n’être qu’un rappel de l’évidence et du plus simple, cet homme raisonnable et qui semblerait faire de la modération, voire d’une certains circonspection, une garde de vie, est aimant. Il n’a pas pitié de « ces foules », il a égard pour la personne en demande. Et généralement la demande est d’équilibre et plus généralement l’équilibre ne se retrouve ou ne s’acquiert que parmi les autres, donc en bonne partie par eux. Il le sait et le vit. Le conseil, il le donne. L’avis sur ce qui est exposé, il l’a aussi, le produit à l’heure voulue et souvent très abrutement, définitivement. Je ne l’ai jamais entendu prononcer l’aveu de s’être trompé. On ne se trompe pas sur Dieu, on regarde, on guette.


*
*  *

Ainsi, ai-je peut-être dessiné quelques traits du religieux aujourd’hui, celui-celle qu’on attend à notre époque. Manifestement accompli comme homme, comme femme, sans ostentation pour sa propre réussite humaine, et assez libre de soi et des interrogations habituelles de toute existence terrestre pour accueillir la demande du monde contemporain. Sans pour autant afficher la détention de quelque secret ou dogme d’une réussite à modéliser et reproduire. Entrer dans le vrai sujet qui devait occuper nos vies, comment aller à Dieu, être en Dieu pour Lui-même, quitte à découvrir les conséquences heureuses d’une telle démarche, d’une telle situation : l’équilibre et la fécondité personnels, la présence entière du vivant et de tous les legs et espoirs humains à longueur de la vie qu’il nous est donné de mener. Le religieux, non plus donneur de leçons, de prêches, de conseils, mais exemplaire du bonheur possible. Et qui est selon Dieu.
Le don final de Jean Laplace me semble être là. Ce qui justifie une recherche mettant au jour ce qui le constituait, en sorte que l’exemple de sa vie et de son minuistère, plus précsiément caractérisés, prolonge son ministère par delà la mort dont il a dit lui-même qu’elle est une autre forme de présence, probablement la plus libérante pour toute rencontre. Assez universel pour être particulier. Assez particulier pour correspondre à beaucoup, à chacun, mais universel pour n’enfermer personne, et ne pas s’enfermer soi.



De Créteil à Vanves en métro, mardi 19 Décembre 2006

Avant d’entrerMatrice de circulaire vers ceux qui ont laissé leurs nom et adresse à la sortie de la chapelle Saint-Ignace, et aussi vers les congrégations, centres spirituels et monastères dont le calendrier annuedl des ministères du Père donnent les coordonnées.





Jean Laplace - de la Compagnie de Jésus

La mémoire du Père Laplace…
puissante, équilibrante, généreuse et pudique,
le don de la présence totale à autrui
+ samedi 29 juillet 2006
évoquée par un de ses accompagnés, orphelin décisivement


Reniac, mardi 1er Août 2006

10 heures 59 + Téléphoner à JL, savoir où il est, comment il se porte.

11 heures 38 + … décédé samedi. Obsèques rue de Grenelle tout à l’heure à 15 heures, même partant maintenant, je n’y serai pas. J’aurais pu le revoir la semaine dernière, j’avais été alerté de ce qu’il n’était pas bien du tout, par le prédicateur de Sainte-Anne Grappon, une fois encore j’ai été négligent.


J’écris cette première méditation-évocation, me mettant mentalement à genoux, en communion avec lui, en action de grâces pour une telle œuvre de Dieu en un homme.
Une personnalité, les circonstances d’une rencontre et d’un accompagnement, une parole donnée.

L’homme avait grande réputation. Au temps des soutanes, je fis une retraite dite d’élection avec Jean Gouvernaire à Manrèse, on disait « la villa Manrèse » ; c’était en juin 1963, le Jésuite, pas encore aveugle, mais parlant le plus souvent les yeux fermés, avait pour message principal, celui que je retenais et dont j’ai longtemps vêcu, mais dont l’inachèvement (ou bien mon incompréhension de fond du propos) m’a ensuite marqué : laisser monter ce qui vient en vous, etc… Il a plus tard écrit Quand Dieu entre à l’improviste, traité simple et aisé à lire de l’irruption de la présence divine en nous, je m’étais attendu à un témoignage spirituel ou à la mise en œuvre des entretiens tenus avec des pénitents ou des retraitants, ce fut une dissertation et des commentaires de l’expérience que relate Ignace de Loyola dans ses écrits personnels. Tandis que d’autres – quelques-uns – sortaient de la retraite, exaltés, heureux, ayant « trouvé » leur vocation, c’est-à-dire entrant avec le bon label en religion, je repartis sans sentiments et avec une expérience mitigée : la vocation que je souhaitais et reherchais ne se manifestait toujours pas, j’étais incapable de cette simplicité que m’a dit il y a quelques mois un prêtre séculier, de mes amis : je n’ai pas choisi,mais j’ai pris la plus belle. La vocation religieuse est d’abord un choix humain, même si elle est – en bon enseignement et en bonne dogmatique, la réponse à un appel, mais l’appel de Samuel, antan, s’est adressé, moyenannt un accompagnateur qui avait du discernement, à quelqu’un de déjà placé, et même consacré dès sa conception (la prière d’Anne, sa mère).

Je commence ainsi car une des plus belles images de Jean Laplace, encore vert, imposant et détendu (détendu comme je l’ai toujours connu), qu’il me reste et que j’eusse voulu fixer en photographie, image décisive de fraternité, est à la fin d’une messe à la chapelle bleue de Manrèse, il y a dix ou quinze ans. Jean Gouvernaire venait à la messe de fin de matinée, après sa promenade tatonnante, grand béret alpin, ample veston gris, et fine canne blanche téléscopique de l’aveugle qu’il était devenu (la dédicace de son livre, en aveugle…), il arrivait, se plaçait au premier rang par force, plus simple. Il était d’une telle humilité, un sourire très léger sur le visage qui avait la morphologie de la bonté, je l’ai au total très peu connu, il inspirait la communauté des Jésuites, faiseuse de retraites, adossée au bois de Clamart et de la ligne à haute tension qui le tranche. Et cette fin de matinée-là, JL vint lui prendre le bras, et ils sortirent lentement, mais les vingt mètres de la chapelle les firent processionner, les deux religieux, manifestement frères, se tutoyant et tranquillement mon ami entretenant l’aîné, c’était un propos de communion et de compassion pour un accident de santé qu’avait eu l’autre retour d’hospitalisation. Une aura se dégageait d’eux. Rétrospectivement, c’est l’image sacrée, qu’auraient aimé les orthodoxes de deux Pères de l’Eglise, fondateur de quelque chose d’important, d’intime et d’universel, une grande et vraie proposition. J’étais déjà en connaissance avec JL.

Dans les années 1960, les Exercices et leur spécialiste étaient entourés, pour le jeune homme en manque d’appel que j’étais, d’une grande sévérité ; ils n’étaient pas pour les débutants, me semblait-il… avais-je tort. Je n’ai pas entrevu le Père à cette époque, et ne l’ai jamais vu « jeune » et en soutane. Je crois avoir acheté un fascicule relatant quelque dire de lui, j’avais – après un débat insignifiant mais qui m’avait occupé, débat intérieur sur la dépense à faire ou ne pas faire, dépense que je croyais alternativement de complaisance ou de réelle utilité – acheté en collection blanche IHS le livre des Exercices et le oparcourant, m’étais cru aussitôt dans chacune des dispositions indiquées et recommandées, puis le livre s’endormit, et Manrèse passa dans mon oubli. FOUCAULD, dont à beaucoup d’égards je me réclame et dont l’évocation me trouble chaque fois qu’elle vient du dehors ou du dedans, y est passé vers 1896, je crois. L’appellation rappelle aussi Ignace en Catalogne, la retraite qu’il se donne à lui-même. Leçon d’énergie ? voie de Dieu ? je ne décidais pas.

Une personnalité – pour qui vient à lui – semble seulement recevoir, alors qu’on s’attendait à ce qu’il donne. On réalise que le mouvement n’est pas celui de l’apparence ; c’est lui qui arrive, et conduit, sans convention ni discours, à une relation nouvelle, si naturelle qu’elle ne paraît pas même un accompagnement, si simple qu’elle semble ne rien requérir de celui qui va en bénéficier presque à son insu. Jean Laplace entre ainsi, sans rien investir ni imposer, dans des circonstances de lieu et de vie, précise et incarnée. La manière est diverse mais la sobriété est la même, le tête à tête est concis, l’enseignement et la prédication sans fioriture ; s’il devait y avoir des fleurs, ce pourrait être l poésie, tant on est dans le sujet : pas de prolégomène, pas de prétention à la conclusion ; pas d’instructions, on n’est jamais à un carrefour, l’exhortation, même elle n’en a pas la forme, est de continuer ; peu de geste, une parole qui écoute, qui écoute – non Dieu, ce qui serait prétentieux – mais l’attente de l’autre et précisément l’autre attend Dieu, qu’il se l’explicite ou non à lui-même. Assis devant le retraitant ou le visiteur, le scenario et le décor sont toujours les mêmes, une table à écrire, parfois, rarement un téléphone pris sans divagation ni longueur. Il est intensément là, sans aucun tic, remuements de jambes ou de bras, sans interrompre, baillant parfois mais parce qu’il a, de longue date, des maux d’estomac, des problèmes de digestion (il suit un régime alimentaire, ce qui dans les retraites, fait une table à part, pour être à la sienne, il faut accepter son régime ou en avoir un, sans sel principalement). Il ne rayonne aucune puissance particulière, il n’a aucune magie, il ne témoigne d’aucune expérience personnelle ou de celle d’un tiers. Il est entièrement dans la psychologie qu’il reçoit, mais il la structure et la simplifie, il résume le dire qu’il entend, il en tire parfois une conclusion ou un conseil, en fait, il a fait que le visiteur, le pénitent, le retraitant se trouve. Il est presque explicitement un instrument à la disposition de celui-ci.

Dès la première retraite suivie, vêcue – avec lui (les Trente jours au milieu de l’été de 1986, alors qu’une première fois capotait ma carrière professionnelle, que je croyais avoir à décider d’une liaison amoureuse, et cela en termes de vocation, qui peut-être se re-découvrirait et se conclurait religieuse), j’eus conscience, conviction qu’un trésor était là, se délivrait. Je crus d’abord à un trésor d’Eglise – c’en est un certainement, mais il n’est accessible qu’accompagné, les Exercices sont « donnés » -  c’est ici que je reprends, sans en marquer la date, ma rédaction, à partir de midi, le mercredi 9 Août – sans avoir encore appelé non plus rue de Grenelle pour connaître mieux les circonstances de sa maladie, de sa mort, de son combat, car toute mort est un combat, le dernier, pour la foi, dans l’espérance, contre la peur et le doute, pour la continuité ou pour l’ultime conversion. Je crois que dans une vie de foi, l’on reçoit la grâce d’une mort intimement apaisée, en fait la force et la docilité pour passer de ceci à cela : j’en suis sûr, et me l’imagine assez bien, la plongée en apnée, tandis qu’ensuite, aucune imagination ne peut nous le dire, sinon évidemment que là est notre accomplissement, déjà acquis d’ailleurs par l’éternité qui est notre milieu de vocation et de nature, de rachat aussi, et j’y ajoute au-delà du dogme mais c’est implicite dans notre foi quoique beaucoup de chrétiens en désespèrent – pas moi, j’espère au contraire et je crois – j’y ajoute les retrouvailles définitives et l’entente parfois, précisément accomplie, avec tous ceux auxquels nous aurons « tenu » dans notre vie terrestre… sens de toute affection, de tout désir-même que Dieu nous prodigue à longueur d’existence humaine, puis commençai de voir combien le « coefficient personnel » de celui qui, précisément, les donne, est important. J’ai commencé par évoquer les entretiens personnels avec lui, mais je n’ai connus ceux-ci que par les Exercices, à leur occasion et dans leur cadre. Ils ont été moins nombreux et ils sont différents, quand ils sont détachés d’une retraite, plus discursif, moins précis.

Les entretiens donc faisaient et ne faisaient pas l’ossature des retraites. Le secret du Père, s’il y en a un, au point de vue de la pédagogie des Exercices, et en somme de la « direction spirituelle », était un acte de foi, un double acte de foi en un seul élan pédagogique. Foi en l’Esprit saint, pas seulement pour inspirer son dire public ou privé, particulier ou magistral, mais pour faire ce que Dieu veut faire du retraitant à terme, certes, mais pendant les Exercices surtout, la suite et l’effet de ceux-ci dans une vie étant quasiment mécaniques, un apprentissage dont il vérifiait l’exactitude par le tête-à-tête de quelques minutes, si possible chaque jour, cela n’étant pas détachable des entretiens ni non plus des interventions pendant la liturgie, à l’occasion de celle-ci et des textes alors proposés. Le cœur paraissait donc être ce qu’il appelait les entretiens ; il récusait fortement, souvent explicitement en exorde de la retraite, les concepts et pratiques de conférences ou de sessions, ce ne serait ni la méthode ni l’objet de notre venue. Il n’appelait pas aux colnversations et commentaires entre exercitants, les déconseillait implicitement. En ce sens, il n’y avait pas de partage, pas même avec lui, nous n’avions pas à réciter ou restituer ce que nous avions compris  mais à dire ce que nous avions fait, ce que nous devenions et en rendre compte. On était sans doute en groupe dans l’aventure, mais celle-ci était personnelle, individuelle, elle était vitale, elle se vivait dans une ambiance de vie précise, généralement celle d’un  carrefour, d’une oprientation à prendre, à vérifier ou à reprendre. Investissement de temps, d’argent pour certains, ce ne fut pas mon cas pendant longtemps, repos aussi puisque le snuits pouvaient être longues, la sieste possible, les obligations réduites aux repas, à la messe en fin de matinée, à l’entretien en fin d’après-midi. Promenades, lectures, prières étaient recommandées, allaient de soi mais ne dépendent que du retraitant où qu’aient lieu les Exercices. L’entretien devant parterre – donné à une estrade où étaient tolérés les poses d’enregistreur, et même leurs ajustements en cours de parole – était toujours de même structure ; il n’était pas un enseignement, il était un mode d’emploi. Des lectures bibliques étaient conseillées par écrit avec leurs seules références. Sans avouer le plus souvent le texte, le Père donne la méditation du jour, elle est toujours trinitaire et avec l’appui de Marie, qui est la caution et le modèle d’Eglise ; il la fait précèder d’un point d’ambiance, ce qu’il ressent de la somme commune des prières et de la marche des personnes, des retraitants que nous sommes devant lui, avec lui. Il fait d’ailleurs retraite avec nous, réécrit le plus souvent ses notes, peu abondantes, il ne dactylographie pas, sa plume est très claire, elle le reflète très bien, douceur et force, précision sans ostentation, l’équilibre fluide sans accident. Sa parole est ainsi, pas de répétition, pas de recherche de mots, quelques gestes mais peu, parfois un instant de mime, des têtes de Turc, la religieuse recroquevillée, la belle et jeune pénitente ivre de la liberté qu’elle se croit (et qu’allez-vous en faire ? lui réplique-t-il en brève conclusion d’un exposé en règle et en enthousiaste…), quelque prêtre en manque, rarement le laïc ou le futur converti, en fait des types humains que spirituellement nous sommes tous. Ce qui est dit est simple, constamment c’est un appel à l’approfondissement de cœur et dans le même mouvement à sortir de soi.

J’ai enregistré la plupart des retraites auxquelles j’ai participé de 1986 à 1999, une bonne part à la Villa Manrèse environs de Paris au sud, une autre à Rezé sur la rive méridionale de la Loire en faubourg de Nantes. J’aurais voulu connaître d’autres lieux, les derniers temps, les propositions s’étaient faites rares et certaines même ne purent être honorées faute de quorum. J’ai tout autant pris abondamment des notes, pendant les entretiens, doublant ainsi le verbatim magnétique, e témoignant de ce que je vivais en l’écoutant, le plus souvent dans une grande émotion, tant ce qui était dit tombait juste, fouillait bien, ordonnait adéquatement et surtout projetait et envoyait complètement tout mon être, j’ai su en écoutant Jean Laplace ce que Pascal veut écrire quand il rend compte de ses pleurs de joie. La joie de la correspondance, de la communion, d’être reconnu et saisi. Pas par le Jésuite, mais par le Père céleste avec son Fils dans l’Esprit saint. Ce genre de conclusion en signe de croix était le rite pour chaque entretien. On sortait de ces cinquante minutes, rarement moins, très exceptionnellement plus, épuisé. Le spirituel est décisif physiquement, tous les psychiâtres et psychologues le savent et la dépression est la plus forte expérience de la faiblesse du corps et de la défaillance des sens. Les Exercices le font vivre et Jean Laplace ne manquait jamais, à plusieurs reprises dans une seule retraite, de conseiller le recours au psychologue à ceux/celles qui avaient des préalables mentaux, physiologiques manifestes à résoudre. La recommandation de manger une bonne viande et d’avoir bien dormi, de s’aérer. Le ressort était spirituel, mais le bon sens, l’examen tranquille étaient partout.

Ce n’était possible qu’à deux conditions que le Père – à force d’expérience et aussi de longévité, expérience des pénitents et retraitants, des effets de la méthode, longévité dans un tel ministère – avait réunies depuis longtemps quand  je le rencontrai. Une non-mise de soi en avant. Le « je » était aussi fréquent que le « tu » en parole publique, c’était sa manière – assez proche de celle des Pères du désert, je crois – de mettre en dialogue un discours qui, direct, aurait moins porté, nous étions ainsi invités à une attitude, à des mots, à une implication intime, à la première personne, la nôtre, et nous étions contrôlés, souvent corrigés, morigénés par le tutoiement. Jean Laplace ne parlait pas de lui-même, se laissait rarement interroger sur lui-même, sa vie, sa vocation et exposant un point, ou participant à l’élucidation d’un problème – une affaire, auraient dit ses contemporains dans la Compagnie, explique-nous ton affaire – il répondait en termes de fond et de généralité, bien sûr appliqués, mais sans référence ni à une expérience, ni non plus à l’Ecriture ou à un enseignement d’Eglise. Ceux-ci toujours supposés fréquentés, acquis, admis mais par une personnalité équilibrée et une intelligence capable d’évaluation. J’ai suivi, par fragments, d’autres retraites après lui, presque par hasard d’ailleurs, car ce qu’il me donnait et donnait suffisait largement ; très généralement, et c’étaient aussi des Jésuites, il y avait de l’égotisme. Chez lui, non. Il n’était cependant indifférent à aucune affection, à aucune attache et souffrait explicitement des ingratitudes, quoique sans s’appesantir. Il était attentif, mais ne réclamait rien. En ce sens, il était professionnel, voué religieusement. J’ai eu la chance – je suppose que d’autres l’ont eue aussi, et pressens que ce fut davantage le cas de femmes, encore jeunes, que de jeunes gens ou d’hommes installés – d’avoir des réponses à quelques provocations de confidences au moins factuelles, ses parents, sa vocation, tel moment de ses affectations religieuses. J’ai déjà dit que le poussant à écrire, parallèlement à la retraite qu’il donnait, ce qu’il priait et recevait lui-même, il m’a confié quelques pages, sans renouveler le geste, continuait-il par lui-même. A-t-il tenu un journal, régulièrement ou pas ? C’est possible et même dans la logique de sa recommandation aux exercitants de prendre quelques notes, sobres mais retenant la grâce ou le point d’une journée, mais ce n’est pas certain. D’ailleurs, ces notes – utiles pour lui – je crois bien qu’elles n’ajouteraient que peu ou rien à ce que son rayonnement fait déduire et savoir de lui. Il se savait efficient, il n’avait pas la fausse modestie de se croire indifférent ou interchangeable avec un confrère, il acceptait la personnalisation du lien avec le retraitant, puis avec l’ami d’une vie continuée et susceptible même d’être partagée. La réciprocité, d’une certaine manière, n’était pas possible parce qu’elle n’aurait pas eu de contenu. Le mouvement de l’affection – c’était un affectif contrôlé, mais un affectif et un affectueux – valait davantage que des récits de vie intimistes, s’il en donnait, c’était un calendrier ou les nouvelles de relations communes, des retraitants rencontrés ensemble. Du moins, est-ce ce que j’ai vêcu avec lui, le recevant chez moi en Bretagne, ayant des trajets en voiture parfois long, mais ces moments ont été exceptionnels au sens qu’ils ne se sont pas beaucoup produits, pas au sens où ils apportaient quelque chose de plus sur ce qu’il y a à connaître d’une personnalité, d’une âme pour se laisser, plus efficacement, plus profondément, conduire par elle. Sa biographie sera donc difficile à faire, le journal de l’âme d’une certaine manière ne pouvait être écrit par lui, malgré qu’il s’y connaisse. Spécialiste d’une typologie des âmes qu’il n’a cependant ni systématisée et exposée publiquement, ni tenté de donner – à ma connaissance, mais il peut y avoir des posthumes, dont ce qu’il était en train de composer ces derniers mois – il ne cherchait rien qui soit de l’ordre de la documentation, tout était dirigé vers le pratique, et le pratique était de porter les gens à Dieu, ou plus exactement de les déverser en Dieu, et de les assurer – une fois là – qu’ils y étaient véritablement et sauraient alors se débrouiller par eux-mêmes avec l’Esprit, et sans doute sans père spirituel. Il l’a parfois dit publiquement, le moment où la direction spirituelle est à quitter, le vêtement n’étant plus de mise. Il préférait qualifier la chose d’entretien ou d’animation pour ce qui était collectif et d’accompagnement pour ce qui était particulier.

La fidélité textuelle et en dialectique plus encore aux Exercices rendait sa transparence naturelle, aisée, pas choquante. Il n’était que celui qui reçoit le retraitant, l’ami, que celui qui accompagne. Religieux davantage que prêtre. Confessant rarement, ne le proposant jamais – du moins à moi – et n’officiant le plus souvent qu’en concélébrant, sans être « président » (ce terme, assez nouveau, de présidence d’une messe, d’une célébration, d’une liturgie, me répugne, sorte de laicisation du sacré et de transfert des hiérarchies d’Etat ou d’entreprises bien superflu alors que l’Eglise est déjà trop pleine de ces révérences, grades et positions), il tenait cependant à ce que les textes du jour concourent aux Exercices. Deux moments, quelques phrases, deux ou trois, à l’accueil, et une homélie très courte. En ce sens, c’est un poète qui prend la parole, car il va droit au sujet, au but en fait, sans introduction ni fioriture, dire uniquement ce qu’il y a à dire et le plus fortement, le plus nettement, visuellement possible. Le sertissement liturgique lui importe, ce qu’on fait comprendre et réfléchir là, à ce moment, ne serait pas dicible ailleurs et autrement. Ainsi, disant la messe devant moi seul avant que nous quittions un monastère où il avait prêché une retraite de carême, il me donne, nous donne une courte homélie. En voiture ou sur le chemin de la rejoindre, nous aurions eu physiquement la possibilité d’en parler, mais certainement pas – selon lui – le lieu ni le moment. Il croyait donc à la vêture sacerdotale pour certains enseignements. J’y adhère.

Leur ensemble dans une retraite était peu. A peine plus d’une heure en totalisant entretien du soir, accueil et homélie de midi. C’est dire par là deux choses qui sont la manière de Jean Laplace. Il ne s’imposait donc pas dans le temps de la retraite. D’autres, et lui-même à ses propres débuts dans les années 1950, convient à de nombreux entretiens magistraux, jusqu’à trois par jour… l’exercitant de Jean Laplace au contraire est invité à la solitude et à la prière, une prière guidée, accompagnée, presque vérifiée, une prière personnelle cependant et qui n’est pas que simple lecture de textes, prier est acte de nudité. Il croyait surtout à une mise en présence, que trop de paroles d’un prédicateur peut gêner, empêcher. Acte de foi dans l’Esprit, et non dans son propre talent.

La seconde condition qu’a remplie le Père Laplace, c’est la maturité humaine, un équilibre vrai, profond, plénier sans ostentation ni réticence. Tous ces mots pourraient être prononcés par lui. Quoiqu’il ne se soit jamais défini publiquement, ni – je crois – par écrit, alors qu’il a beaucoup réféchi et composé sur le rôle à jouer par un directeur spirituel, par un accompagnateur dans les Exercices, notamment, notre ami se voulait d’abord serviteur d’un ministère reçu et appris, qui suppose, en sus de l’oubli de soi et du décentrement, des qualités précises. Il les avait. La Compagnie, où il était entré si jeune, lui avait donné le goût et la possibilité d’une forte culture en lettres classiques, dont il tirait plus les Pères de l’Eglise que des aphorismes ou des exégèses qui prouvent mais n’ajoutent rien. Il croyait en la pédagogie du théâtre et donc à la diction, au par-cœur (celui du psaume CXXXV ou du « dernier évangile » d’antan, le Prologue de saint Jean). Il a manifestement beaucoup lu, et pas seulement des auteurs religieux dans les années 1940.1950 et s’est tenu à jour dans les années 1960. Si j’ai un reproche à lui faire, un seul, c’est de n’avoir pas senti qu’il importerait pour la suite qu’il continue ce travail de lecture, si fondamentaux puissent rester les auteurs de ces premières années. Claudel certes, appelé en illustration et en confortement de la plupart de ses intuitions notamment sur la part féminine de l’humanité et de tout homme, mais ensuite. D’autres contemporains et de plus récents. Au total, cela importe peu car dans les entretiens magistraux, les retraitants ne sont pas atteints, d’ordinaire, parce qu’ils ne connaissent pas ou ne savent pas connaître en termes profanes, le spirituel est plus universel et communicable, à un certain niveau et en un certain sens, que le profane qui suppose des affinités et des soubassements. Dieu est l’attirance-même, surtout pour qui arrive en retraite ignatienne. Et ce qui pouvait paraître – pour moi – un peu daté plus par lacunes que positivement, a probablement le charme de situer un homme et son enseignement qui, par ailleurs, sont tellement posés et immanents, qu’ils risqueraient d’être un peu en l’air. Jean Laplace est d’une époque mais il introduit à toutes – ainsi qu’à tous les milieux sociaux et à des mentalités étrangères – pas seulement parce qu’il s’agit du spirituel : il a rangé en bons et fidèles outils le fond de l’honnête homme classique, celui qu’ont, après Ignace, produit longtemps les fameux collèges. En fait, il était resté surtout à jour de l’enseignement de nos Papes, se l’appropriait complètement et le diffusait en termes et à usage spirituels et non doctrinaux.

Il ne rebutait pas, ni par sa culture donc un peu datée si l’on est superficiel, ni par un parcours de vie où les aléas politiques – l’Occupation et la Résistance notamment, les cas de conscience de nos guerres coloniales – avaient peu ou pas pesé, au contraire d’autres dans la Compagnie. Et ailleurs. Il ne captivait pas non plus, il proposait, montrait, suggérait, assurait. Le diagnostic a été son point fort et sans doute a fait reconnaître en lui, un médiateur des cas difficiles dans la vie religieuse, un interlocuteur qualifié pour des personnalités déjà notoires, dans l’Eglise ou dans la société politique, artistique, économique. Les noms sont son secret, j’en ai su par hasard, ceux des attentes dans un coin de couloir pour le tête-à-tête avec l’accompagnateur. Il n’attirait pas par des accessoires mais parce qu’on savait et cela se disait, y compris parmi des confrères dont la généralité n’est pas naturellement admirative… qu’il était un homme sûr. Mais aller à lui ne signifiait jamais – du moins dans mon expérience et dans ce que j’ai entendu de quelques-uns – s’en remettre à lui. Il mettait en Dieu, il remettait en soi, et malgré diagnostics et préalables parfois énoncés avec rugosité, il faisait désirer la liberté, la montrait possible, à portée. Beaucoup ont dit – de lui – qu’il libérait.

Cet équilibre, cette maturité qui étaient les siens et qu’il voulait à tout religieux surtout, qu’il souhaitait – en préalable, parfois non dit, souvent suggéré, mais très délicatement – à tout retraitant ou visiteur avide de don de soi ou d’une orientation radicale, d’où les tenait-il ? D’une enfance ? de la formation dispensée par la Compagnie ? des débuts de son ministère ? de l’enseignement qui avait été une de ses premières affectations ? D’un peu tout cela, je crois, mais d’un autre secret, encore – il y en a beaucoup dans la vie du Père, non en termes d’événements ou même de rencontres, je crois, mais en termes d’âme, de vie intérieure. Ce secret est celui de sa prière personnelle, de son rapport à Dieu. Il était debout devant Dieu, tranquille, il avait beaucoup de féminin dans sa personnalité, beaucoup de virilité dans sa façon de couper court quand le risque apparaissait de la dispersion. Il était ainsi concentré et disponible, à la fois. Présent, pas distrait, pas à se prendre personnellement au sérieux non plus. Oui, il était tranquille, devant Dieu et devant les hommes. C’est l’inquiétude qui déséquilibre. Il restait dans son registre, à sa place, et de là, il exerçait, et sans doute priait. Comme tous les grands penseurs, écrivains, philosophes, il parlait et a écrit très simple, au point que mot à mot on croit à la banalité. Un peu de temps, quelques pages, quelques minutes, à avancer ainsi avec lui et grâce à lui, l’évidence arrive, ce qui est exposé et donné, l’est d’une façon exceptionnelle et inimitable. Et durable.




*
*   *





Reniac, mercredi 9 Août 2006

11 heures 45 + Je ne peux reprendre que maintenant ma méditation. Un papier court pour La Croix a été refusé, une proposition d’étude pour Etudes justement a été écartée, avec révérence mais selon une jurisprudence établie. Je pense écrire – mais quand ? – ce que j’ai vu et reçu de certains religieux, maintenant morts. Pour le moment trois, d’égale influence dans ma vie mais de portée différente : le matriciant (pour reprendre les traductions de Chouraqui), Gilbert Lamande, père spirituel du Petit Collège, l’époque puis les derniers mois de sa vie, diminué – l’ami, l’écouteur plus encore que l’opinant, le témoin de l’Esprit, des effets du consentement dans une vie d’homme, et aussi de religieux, Amédée Hallier, moine cistercien, lieu Bricquebec – enfin, le maître mais bon, intuitif autant qu’intelligent, éminemment solide et accueillant, Jean Laplace, un ministère visible, un réseau, pour les deux précédents une réputation autant que la sienne, mais sans doute moins de témoins et plus de durée probablement. Les caractériser chacun, dire par là ce qu’est l’apostolat et combien – quand il est vrai et fécond – il efface en première apparence l’acteur. Celui-ci ne se rejoint que dans la communion, la reconnaissance et post mortem. Je crois ce travail utile, mais quand vais-je le produire, et comment ? certes à main levée pour bonne partie et en relisant pour le moins les œuvres quand il y en a, elles sont très différentes pour chacun mais significatives, mais devrai-je enquêter ? l’accès aux papiers, je ne l’aurai pas. Les témoignages, je peux encore en recueillir, ils ne seront pas exahustifs pour aucun d’eux. Je laisserai l’Esprit me faire écrire, et je crois que le résultat conviendra.
 Donc, je reprends cette esquisse immédiate, pour – comme l’aurait dit le Père lui-même – fixer au moins les choses, et les sentiments du moment en l’affaire sont précis. Ils passeront mais ils constituent un témoignage par eux-mêmes, les mettre sous ce pli….



voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu'à moi - textes du jour

Lundi 29 Juillet 2013

                         Rentrés vermoulus de la veille et moi épuisé des neuf-dix heures de route. Etat physique inchangé.  Image d’une vie à reprendre « en mains ». Les actualités aussi dépenaillées que moi, après le train de Brétigny et celui de Saint-Jacques de Compostelle, voici l’autocar d’Italie. Titre du Monde sur l’UMP, JUPPE en arbitre et SARKOZY reste dans le jeu. Quelques phrases du pape à Rio, la voix est bien, du texte je saurai sur le site du Vatican, l’exercice prochain à Cracovie, chacun comprend pour uoi. Zenit annonce un » discernement du pape sur l’Amérique latine ». Là est le sujet, la doctrine de la libération du Père BOFF a été un signe, l’Eglise doit répondre l’évangile en étant dans le monde et pas seulement : dans ses luttes. Elle y est par beaucoup de ses fidèles et une partie de son clergé, dans certains pays, elle paraît tout autrement en Europe et dans le « magistère », je lirai tout cela de près. Pour l’heure, amour et devoir m’appellent à de nouveaux moments de retrouvailles de ma chère femme. – Prier… j’ai inversé les textes liturgiques hier matin dans ma hâte, méditant la profession de foi de Marthe. Je prends ceux de dimanche matin maintenant [1]. L’enseignement majeur du Notre Père. Dialogues en suspension avec François L. évoquant des lectres de l’ancien de Boquen, n’entrant chez les Cisterciens que pour y trouver ou et comment méditer et atteindre ou saisir l’absolu (la perfection, disent d’autres), et déposé après une dizaine d’abbatiat ou de prieuré, parti en Chine six ou sept ans pour étudier le taoisme. Tands que le Père MOIGNT dont je ne lis depuis des ans que des choses simples et bien aurait affirmé – avec la tranquillité de Lucif – que l’ère ou le temps des religions monothéismes est terminé. Comment quelqu’un, parti dans la vie, ayant commencé selon la révélation évangélique et l’accompagnement d’une personne divine certes, mais précise, incarnée, temporelle, aux paroles notées et mémorisé, peut-il aller s’égarer vers la beauté, l’abislu, le silence, la perfection, etc… tous les attirbus d’un soi potentiel ou putatif, tournant le dos à Dieu et probablement sans plus de prière. Je ne sais le comprendre, c’est sans doute le grand scandale de l’intelligence, pire en cela que la beauté, mirage des adolescences longtemps persistantes en nous… que de se prendre pour repère, crible de tout, et surtout du sens de la marche, dans toutes els acceptions de ce mot…  Que ton nom, soit sanctifié, que ton règne arrive. La version de Luc – vérifier chez les autres synoptiques – omet la prière : que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Paul explique peut-être ce qui m’accable parfois quand j’essaie de rendre à ceux qui contre-témoignent de l’intelligence humaine : la perfection, l’absolu, la recherche-même, la méditatxion pour elle-même. Le rite. A regarder l’Eglise et la vie chrétienne comme un rite et un attachement aux dévotions et à la psychologie du pééché, à l’échangisme apeuré et orgueilleux avec Dieu, peut-être ont-ils eu une envire – alors compréhensible – d’aller ailleurs… Dieu vous a donné la vie avec le Christ. Il nous a pardonné tous nos péchés. Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait depuis que les commandements pensaient sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix du Christ.  Mais Jéssus ces chercheurs un moment égarés puisqu’il reprend leur démarche même (il faudra que je lise plus à fond les livres de référebce anciens ou de maintenant, de ces deux religieux) : cherchez, vous trouverez. Mais pas quelque chose, si consdérable ou honorable que ce soir, chez quelqu’un puis : frappez, la porte vous sera ouverte. Quelqu’un l’ouvre que l’entrant, le chercheur, le marcheur ne voit pas d’abord. Il a cherché. Pour celui qui frappe, la porte s’ouvre….combien plus le Père Céleste donnera-t-il l’Epsir Saint à ceux qui le demandent. Et comme pour la prière qu’Il nous a enseignée, Jésus a la délicatesse répétitive de prendre l’image de nous, les hommes, pour nous donner quelque idée de la bonté de Dieu, envers nous tous. Geste des hommes entraînant et redoublant la sollicitude de Dieu, le plaidoyer d’Abraham pour Sodome. Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore… Le péché de Sodome et de Gomorrhe, allusions lourdes des catéchismes et manuels pas anciens : la sodomie, les mœurs et orientations sexuelles. La bonté, la pitié de Dieu et les exhortations d’Abraham ont aujourd’hui pour écho la passion haineuse des théoriciens anti-mariage homosexuel, et anti-homosexualité. Qui écoutons-nous ? Qui chechons-nous ? Ces questions décisives : Jésus au jardin des Oliviers, entrant dans sa passion… Jésus proche de son tombeau, ressuscité… qui cherchez-vous ? que cherches-tu ? Pas quoi ? qui !


[1] - Genèse XVIII 20 à 32 ; psaume CXXXVIII ; Paul aux Colossiens II 12 à 14 ; évangile selon saint Luc XI 1 à 13
 

vendredi 26 juillet 2013

heureux vos yeux parce qu'ils voient et vos oreilles parce qu'elles entendent

Vendredi 26 Juillet 2013

… tandis qu’à la saint François de Sales, évêque d’Annecy mais visant constamment Genève, à pied ou à cheval, le Père Pascal V. de col en col marche vers Rome, non pour lui-même quoique la cure de marche et de solitude va certainement opérer une mûe, bien plus que les péripéties de quatre-cinq ans de ce qui a été malheureusement perçu et présenté comme une double appartenance (Eglise et franc-maçonnerie), prier… montagne, silence, peuplement plus épars et sans doute naturel que celui de la ville et même des campagnes. Le repère est décisivement le relief. A vous, il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux [1] . Disciples qui ne seront pas à ses côtés pour le Golgotha, qui demandent des places, qui au moment de l’Ascension attendent encore l’éviction des Romains et quelque proclamation au pouvoir de leur Maître. Jésus parle plus substantiellement qu’eux-mêmes, et nous-mêmes avec eux, ne le pensent et le pensons. Nos sens, nos vocabulaires, nos capacités intellectuelles sont incapables de saisir ce Royaume et l’annonce de celui-ci n’est perceptible que d’âme. Le sage Ben Sirac évoque ces ascendances de justice et d’espérance, d’attente. Notre dignité et notre responsabilité sont égales à ce don de la foi qui nous est prodigué. Nous ne sommes pas en recherche ou sur quelque seuil, nous sommes arrivés à la connaissance de Dieu, même si ce n’est – dans notre condition sensorielle actuelle – qu’une minuscule entrée en matière, mais le contact, la relation sont nouées. Nous réalisons ce que nos ascendants dans l’espérance et l’attente ont voulu connaître et vivre, et ensemble nous le vivrons. Notre foi est l’agent de propagation pour notre génération et le vœu exaucé de ceux qui nous ont précédé.


[1] - Siracide XLIV 1 à 15 passim ; passim CXXXII ; évangile selon saint Matthieu XIII 11 à 17 passim

jeudi 25 juillet 2013

ma coupe, vous y boirez - textes du jour

Jeudi 25 Juillet 2013

Les petits miracles des vies quotidiennes : quelques pistes peut-être pour contrer ce dont nous sommes victimes avec d’autres dans notre propriété à temps partagée ici, ma messagerie réception désembouteillée grâce à l’espace wifi gratuit de l’office du tourisme et la reprise des émissions sans raison, un dépannage nocturne en moyenne montagne à la nuit noire car le téléphone portable porte et l’abonnement était en règle ainsi que l’assurance à jour, enfin la serrure récalcitrante pour rentrer chez nous ne l’était que par confusion de clés. – Deux merveilles : le curé de Megève « débarqué » pour appartenance à la franc-maçonnerie, dans sa propre tristesse et celle de son évêque, a résolu d’en appeler au pape, donnant à l’Eglise une occasion majeure de s’examiner envers tout ce qui n’est pas elle mais a autorité morale « quand même ». Témoignages de co-équpières rencontrés à l’église puis sollicitée au presbytère. Le prêtre, réaffirmant sa foi entière, s’est mis en route à pied par les cols alpins et arrivera dans la Ville éternelle à la fin d’Août, après avoir dans un premier mouvement penser marcher jusqu’à Compostelle. La direction qui lui a été inspirée et surtout le mode de « locomotion », accompagné de quelques ouailles pour les premiers jours, est plus qu’excellent : ce devient une geste exemplaire. Je vais essayer de le soutenir pour qu’il soit au mieux accueilli à Rome. C’est vraiment beau : des imprudences et sans doute le défaut de dialogue avec son évêque, préalablement à son initiative et à son affiliation, vont peut-être contribuer à des mouvementations dans l’Eglise. Nous devons marcher avec toute l’humanité et non pas célébrer à huis clos Celui qu’à force de récitations et d’apologétique impersonnalisée, nous travestissons aux yeux et à l’intelligence de nos contemporains. Et l’autre, toute spectaculaire, le Mont Blanc depuis le Jaillet au coucher du soleil et au lever de lune, le soleil dans notre dos, les sonnailles d’alpage, la date de 1934 pour la première installation de ces remontées mécaniques, nous sommes venus par une route caillasseuse et au hasard, montant à pied pour la dernière demi-heure entre les sapins énormes, les mâts de la flotte française aux XVIIème et au XVIIIème siècle, puis la lune surgissant de derrière la barrière de nos sommets. Cela en imagination partielle car nous étions déjà en contre-bas de nouveau dans les sapinières à attendre – quelques minutes – le dépanneur, anglais immigré en Ardèche et installé en homme à tout-faire à Praz sur Arly. Notre fille merveilleuse d’enfance et de sang-froid. Enfin, Megève comme vue d'avion, ses avenues et ses châlets en cheminements de lumière jaune depuis nos hauteurs en virages.

Prier… [1] Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes. Le fond psychologique du chrétien, quotidiennement, c’est sa lecture des événements, le discernement que son espérance et sa foi lui permettent constamment d’opérer. Il constate ainsi qu’il a raison en logique et en spirituel de se confier sans cesse à Dieu. Pas de déterminisme, pas de fatalité mais la liberté humaine – individiduelle comme celle du genre humain – de se mouvoir à travers tout. Les sentiments sensations de bonheur et de malheur, sont superficiels. La vie a un sens, celle d’un accès à la Vie. Elle a une dialectique, l’accompagnement par Dieu. Et tout ce qui nous arrive, c’est pour vous, afin que la grâce plus abondante, en vous rendant plus nombreux, fasse monter une immense action de grâce pour la gloire de Dieu. En regard, nos demandes sint tout simplement hors de proortion et hors sujet, telle celle de la mère de Jacques et de Jean, fils de Zébédée … voici les deux fils : ordonne qu’ils siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. Certes la foi, mais bien mal placée, encore en recherche de rétribution. Réponse…  celui qui veut être le premier sera votre esclave. Ainsi le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Confiance accrue puisqu’il n’y a pas même à se soucier des hiérarchies et des places. Servir…


[1] - 2ème lettre de Paul aux Corinthiens IV 7 à 15 ; psaume CXXVI ; évangile selon saint Matthieu XX 20 à 28

mercredi 24 juillet 2013

Dieu peut-il apprêter une table au désert ?... Dieu contentait leur envie - textes du jour

Mercredi 24 Juillet 2013

Hier
 

23 heures 32 + La promenade, la première qu’ait faite notre fille en « montagne ». Un kilomètre ou à peine plus de semi-goudron, d’herbages, mais à mi-pente de la montée des prés d’alpage au bas de la falaise et des sapins de Rochebrune, quelques deux fermes encore, l’une affichant son année de commencement : 1886, altitude 1203 mètres. – Plus tard, revenus de chez les L., promenade qu’elle souhaite faire, la descente du pré devant « chez nous », passé le rideau de sapins et de bouleaux. A nouveau les limaces, mais récit d’un cauchemar sans doute initiateur de cette peur maintenant : jambes et pieds nus, assaillis de limaces dont une très grosse sous sa main. Un étang ou une retenue d'eau pour les roseaux, des grenouilles, si c'en sont ? plus petites qu'un ongle d'enfant. Rencontres ? peu. Voisins en villégiature comme nous, mais sans aucun échange de parole, sauf par chance le nom du chien : Gordon, de la race des Ric et Rac, taille crayon. Deux maçons et conducteurs d'engin, construction en contrebas, assainissement et terres-plains : on ne compte pas chez ces anonymes absents. Un éleveur, le lait est pour le reblochon, nous ne pouvons dépasser la simple articulation des deux syllabes du "bon jour". Le paysage pour son ensemble, avec les châlets, tous posés, immobiles et cette façon de regard tranquille, canins, des niches d'où l'on voit et où l'on dort, semble une miniature, celle que parcourent répétivement les petits trains électriques d'antan. Sensation de petitesse de tout sauf l'immuable et la grandeur de "la" montagne ,e le peuple vivant de ses reliefs, de ses inventions. Et puis il y les saisons. A plus de mille mètres, c'est la sensibilité décisive.
Certains de ces châlets, neufs ou très récents, impressionnent. Assortis aux anciens mais dédaignant la route, cherchant la vue qui est ici celle du Charvin comme nous l’avions à notre 3 S 17. Succession de plans, variétés des arbres, peu de fleurs, traitement en gazon ou en prairie, quelques vaches plus haut. Deux réflexions, l’une morose : je n’ai pas de bien, ni en héritage ni par investissement et les biens de ma femme, fruits de son travail, ont été engloutis… je n’aurai donc jamais ce dont je rêve, un endroit ici en propre, un appartement parisien., nous léguerons quand même pas mal de bien à notre fille alors qu’en fratrie nous n’avons hérité que des personnalités de nos parents, le spirituel, le souvenir, l’histoire, des meubles mais ni lieux, ni murs, ni relation avec l’investissement (celle que je n’ai d’ailleurs jamais su bâtir et n’ai pas souhaitée à temps… l’autre de certitude : la montagne… la mer… puissantes à nous faire nous arrêter à leur seuil, en leur sein presque et nous y asseoir, reposer. Contemplation mais habitat ? trop vovantes par l’ensemble cohérent et dominant qu’elles forment chacune, elles nous échappent, elles sont trop fortes pour nous. La ville, la campagne, l’ambiance parisienne, notre maison de Reniac, au contraire sont construits par nous, à nos échelles donc. C’est du moins ce que je ressens. Marguerite n’est que joie, petit sac au dos, signe que nous nous asseyons sur un banc, elle a amené bouteille d’eau et biscuits, elle photographie. Elle itinère et vit manifestement une première. Je suis intensément à l'accompagner, la suivre, elle m'appelle de toute son enfance, de tout son avenir, de tout le bonheur dont nous sommes sûrement capables puisque nous le vivons. Sur ce banc, l'émancipation vis-à-vis de tout, et il y a quelsues minutes le chox d'images qu'elle faisait, si juste.

Quelques thèmes m’habitent et se développent en moi.

Le masculin/féminin n’est ni fondateur social, ni identité personnelle. Suis-je à rejoindre la « théorie du genre »  ou du « gender » (je ne sais comment on dit) que je ne connais toujours pas même si j’ai collationné quelques articles sur internet ? non, car je ne crois pas non plus à un genre choisi. Ce qui met d’ailleurs en porte-à-faux, je crois, les porteurs de cette thèse quand il faut l’appliquer au mariage des homosexuels. Celui-ci se justifie selon moi par justice et parce que personne ne peut être pénalisé pour une origine sociale ou une inclination sexuelle de naissance. Je le relie et le développe selon une sensation que j’ai de plus en plus forte : ne pas être défini par mon corps ni mon parcours existentiel, même et surtout si j’en suis responsable. Je ne suis pas la copie d’un auteur et l’auteur que je suis censé être peut mal réussir sa copie et surtout ne pas se connaître vraiment, d’autant qu’en réalité je ne me sens pas mon auteur du tout. Je ne coincide avec aucune de mes apparences ni aucun de mes traits de caractèren et pourtant j’existe et puis être connu – par les autres, principalement par Dieu, mon créateur, mon « auteur », mon aimant – et guère par moi. Il me semble qu’en sociologie, c’est l’aboutissement de la pétition féministe, de la revendication d’égalité et des politiques de parité : des mouvements collectifs forts frappant d’interdit les contestataires ou les quant-à-soi. Mais sil le résultat est l’auto-création à tous égards, nous n’avons que le destin de Prométhée. L’identité est reçue, consentie et alors cultivée. Le sexe et la procréation sont effets de l’amour, non créateurs par eux-mêmes de l’union par attrait des âmes, des personnes, des visages et corps d’éternité. A creuser et développer… un couple, d’amants ? elle plus baraquée que lui, tous deux sertis de collants, buste et bassins qui montaient et descendaient notre route, plus semblabvles que différents, au moins dans leur course et leurs goûts. J’ai raisonné à partir d’eux. Avec aussi cette expérience récurrente en relations intimes des sexes masculin et féminin, qu’au tréfonds la relation au plaisir, la relation de dépendance et d’attention à l’autre est bien la même pour l’homme, pour la femme, chez l’un.et chez l’autre. Ce qui compte et comble est bien l’union, des prémices et du goût de commencer à tous achèvements de repos, de sourire, de reconnaissance et des mains qui tâtonnant se reprennent pour des suites qui ne sont plus l’acmée mais l’éternité gratifiée.
L’Eglise doit se vivre et s’organiser tout autrement. La logorrhée à tous niveaux du clergé, la liturgie ne signifient plus même – dans nos vies, nos cultures, nos civilisations – la louange et la reconnaissance fondamental du Créateur et Rédempteur. Nous récitons un passé qui fut inventif mais dont nous n’avons plus ni les circonstances ni la sève. Innover complètement en institutions, en modes de vie, en engagement pour que le monde change et que justice soit faite, n’est rien trahir mais tout approfondir. Certainement, la liberté de se marier pour le clergé, et plus encore de travailler, d’être rémunéré pas seulement et plus ou moins « honteusement » en honoraires pour certains sacrements ou services, ce qui nous a fait vivre pendant des siècles en simonie (me semble-t-il). Un clergé inséré et en fait un magistère et un ministère bien plus diffusé dans le « peuple » et exercé collectivement. Evidemment, les femmes – s’il est un cas non de parité mais d’égalité pour la vocation et le suivi d’une inspiration, de goûts profonds, cf. Thérèse de Lisieux et le ministère sacerdotal explicitement revendiqué, c’est bien celui-là… En revanche, toutes les grandes identifications des deux derniers siècles en dogmatique sont d’heureux acquis et de bonnes explicitations, y compris l’infaillibilité pontificale puisqu’elle exprime, selon l’Esprit, une constatation collective, un approfondissement de génération en génération de la richesse de ce qui nous a été textuellement et exemplairement donné, montré il y a deux mille ans et plus, en aboutissement d’autres temps spirituels mais dont la répétition ailleurs se fait peut-être (énigme historique mais non spirituelle de l’Islam, parce qu’il est a-chronologique). Le circonstanciel n’est pas notre maître ni pour relire le passé en textes et en événements, ni pour nous donner de nouvelles institutions. Il est notre pied d’œuvre, du matériau. L’Eglise au regard des siècles à venir, des millénaires peut-être, est sans doute encore en train de naître. Naturellement, en organisation concrète entre liberté, nécessité et civilisqtion du moment, les Actes des Apôtres, lus et travaillés, sereinement dans l’optique d’y trouver nos chemins et manières pour aujourd’hui, ni pour demain ni pour hie, sont évidemment un creuset.Le creuset. Pour le moment, sauf en pensée et en prière, chacun, et parfois tous en tel moment de la planète (Rio…) ou d’une institution, d’une géographie, nous en sommes ensemble bien loin. Mais rien que la certitude d’être ensemble, d’avoir responsabilité et devoir dans ce monde-ci, et que l’Esprit nous habite et nous parle si nous nous taisons… nous mènera où il faut pour notre temps et nos vies particulières.

De plus en plus notre époque se caractérise par un désarroi fondamental tenant à l’absence d’autorités morales, de grandes œuvres, et par un refus de la démocratie, aussi bien par les dirigeants et tous les cooptés. Je « tombe » ici sur MARCUSE, il y a eu HUTTINGTON, émule pour les débuts de notre temps de GOBINEAU pour ceux dont nous ne sommes cependant pas sortis. Françoise L. mentionne BEAUVOIR après m’avoir exposé de façon évocatrice « la théorie du genre ». Les grands littérateurs, même les agitateurs ou fondateurs politiques, manquent. Ou bien les empêchons-nous aussi efficacement que nos tolérances et résignations légitiment les oppressions ? ou bien est-ce moi qui n'écoute ni ne vois plus, et ne lis pas assez en essais et en romans ? Mes années 50 à 70, forts des années 30 et même des débuts du XXème, étaient mouvementées en passion écrite ou plastique d'une Pleïade aussi fantastique qu'attirante et accueillante. J'y fus avec bonheur tandis que tant de dialectiques nationales et internationales suscitaient des journalistes et des politiques qui paraissaient normaux et quotidiens, et dont nous reconnaissons aujourd'hui que c'étaient des géants. Une époque et son expression, là est le mélange : abattement ou insurrection. Le moutonnement ne serait pas négatif et n’est pas destructeur ni empêchement en soi. Je crois plutôt que c’est l’enfermement dans des dogmes économiques et des abandons d’acquis sociaux, érigés par calcul ou par tolérance du fait d’un petit nombre qui nous asphyxie. Il n’y a pas de révolution mondiale, il y a un piétinement et une occultation mondiale, une exhortation à la docilité et au mimétisme sous l’apparence de volontarisme, d’ambition : ces individualismes et ces réussites pour le regard des autres produisent de la copie, de la langue de bois, pas du bonheur. Les médias ne sont pas des outils mais une propagande pour l’aboulie. – A développer, éventuellement, quoique ce soit si banal.

0 heure 49 + Notre fille (à table) ce soir… raconte-moi une histoire : inventée. Sec ? toujours ta réponse ! Invente, commence sans savoir la suite. Quand je danse ou que je compose une histoire, c’est comme çà que je fais, je ne sais pas ce que je vais faire. Tu vois ? Je vois.
 
Ce matin
 
08 heures 12 + Eveillé depuis deux heures. Sonnailles se rapprochant, me suis levé : une vingtaine de vaches descendant notre route, sans doute celles de nos alentours, si agréables et vivantes à entendre depuis notre arrivée. Abri en cas de pluie, car l’hiver est encore bien loin ? Envie de me m… sexe qui revient, envie de ma chère femme. Je le lui courielle. Problème encore de messagerie. Tandis que Marguerite continue sa nuit et que j’ai tiré les rideaux : le troupeau ne l’a pas éveillée par son passage mais moi à mon second lever, son salut doux puis son rendormissement. Elle avait été blottie toute la nuit contre moi. Je n’aime pas ces visages angéliques du sommeil, il me semble ceux de la mort d’un ange, d’un gisant, la mort et l’extrême jeunesse ont une étrange parenté. – Programme d’aujourd’hui, les buts de notre venue : la prospection immobilière et une enquête sur nos deux affaires, le Père VESIN et surtout Club-Hôtel. Du journal, celui de notre fille, celui d’un septuagénaire.
Prier… chaque matin, sortir du tombeau, secouer la cendre dont je serai fait ? retrouver (recevoir à nouveau comme le souffle et l’esprit) le sens de la vie, le goût de la vie, le bonheur de vivre : seul socle, rocher, prise de pied, de main, seul sourire possible pour le visage qui est celui que j’ai… l’amour, ma femme, notre fille, d’autres très proches et intérieurs aussi mais moins dépendants de moi, et cet amour, je le sais donné par Dieu, issu de Lui et signe que nous participons déjà à Sa propre vie, Lui qui est la Vie. VieDieu contentait leur envie… Ils s’en prenaient à Dieu et demandaient : « Dieu peut-il apprêter une table au désert ? » Car ils n’avaient pas foi en Dieu, ils ne croyaient pas qu’ils les sauveraient… Ils mangèrent, ils se sont rassasiés. Dieu contentait leur envie. … Sur eux il fit pleuvoir la manne, il leur donna le froment du ciel… Sur eux, il fit pleuvoir une nuée d’oiseaux, autant de viande que de sable au bord de la mer… Dieu contentait leur envie. [1] Récit : des récriminations à la récolte naturelle mais de venue miraculeuse. Israël au désert. Nous, moi, au désert, mais je ne récrimine pas, ou plutôt la récrimination qui pour le peuple hébreu est encore acte de foi en une existence de Dieu, qui est encore dialogue mais déjà doute sur la nature et le caractère de Dieu, tandis que la nôtre est de céder à nos pentes dépressives et mortifères, à notre préférence pour la mort contre la vie qui nous insupporte. Ils se tournèrent du côté du désert, et voici que la Gloire du Seigneur apparut dans la nuée.  … Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord du lac. Une foule immense se rassembla auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Parabole du semeur. Est-elle prédestination de chacun ? est-elle la revue des comportements et accueils possibles. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! Prier.

08 heures 54 + De plus en plus nettement (grâce !), Dieu m’appelle, me protège. Tous mes projets, tout mon souhait de fécondité intellectuelle et phsyiologque sont archi-secondaires et même dérisoires. Ceux de Dieu les surpassent tant pour moi et pour mes aimées. A fortiori pour un monde que je crois bien plus en attente et en disponibilité que beaucoup de générations avant les nôtres.



[1] - Exode XVI 1 à 15 ; psaume LXXVIII ; évangile selon saint Matthieu XIII 1 à 9