dimanche 26 décembre 2021

lettre du pape François aux époux

 

LETTRE DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS
AUX ÉPOUX
À L’OCCASION DE L’ANNÉE “FAMILLE AMORIS LAETITIA”

Chers époux du monde entier,

à l'occasion de l’Année “Famille Amoris laetitia”, je me tourne vers vous pour vous exprimer toute mon affection et ma proximité en ce moment très particulier que nous vivons. J'ai toujours pensé aux familles dans mes prières, mais plus encore pendant la pandémie qui a mis tout le monde à rude épreuve, surtout les plus vulnérables. Le moment que nous traversons me pousse à m'approcher avec humilité, affection et en accueillant chaque personne, chaque couple marié et chaque famille, dans les situations qui sont les vôtres.

Ce contexte particulier nous invite à vivre les paroles par lesquelles le Seigneur appela Abraham à quitter sa patrie et la maison de son père pour une terre inconnue qu’il lui a montrée (cf. Gn 12, 1). Nous aussi, nous avons vécu plus que jamais l'incertitude, la solitude, la perte d'êtres chers, et nous avons été poussés à sortir de nos sécurités, de nos « zones de confort » de nos façons de faire, de nos ambitions, pour nous soucier non seulement du bien de notre famille mais aussi de celui de la société, qui dépend également de nos comportements personnels.

Notre relation avec Dieu nous façonne, nous accompagne et nous met en mouvement en tant que personnes et nous aide en fin de compte à “quitter notre terre”, avec souvent une certaine crainte et même la peur de l'inconnu. Cependant nous savons, grâce à notre foi chrétienne, que nous ne sommes pas seuls car Dieu est en nous, avec nous et parmi nous : dans la famille, dans le quartier, sur le lieu de travail ou d'étude, dans la ville où nous vivons.

Comme Abraham, chaque époux quitte sa terre dès qu’il entend l'appel à l'amour conjugal et qu’il décide de se donner à l'autre sans réserve. De même, les fiançailles impliquent déjà de quitter sa terre, car elles supposent de parcourir ensemble le chemin qui mène au mariage. Les différentes situations de la vie, les jours qui passent, l'arrivée des enfants, le travail, les maladies, sont les circonstances dans lesquelles l'engagement pris l'un envers l'autre implique pour chacun le devoir d’abandonner ses inerties, ses certitudes, ses zones de confort, et de sortir vers la terre que Dieu promet : être deux dans le Christ, deux en un. Une seule vie, un seul “nous” dans la communion de l'amour avec Jésus, vivant et présent à chaque instant de votre existence. Dieu vous accompagne, il vous aime inconditionnellement. Vous n'êtes pas seuls !

Chers époux, sachez que vos enfants - surtout les plus jeunes - vous observent attentivement et cherchent en vous le témoignage d'un amour fort et crédible. « Comme il est important, pour les jeunes, de voir de leurs propres yeux l’amour du Christ vivant et présent dans l’amour des époux, qui témoignent à travers leur vie concrète que l’amour pour toujours est possible» ! [1] Les enfants sont un cadeau, toujours. Ils changent l'histoire de la famille. Ils ont soif d'amour, de reconnaissance, d'estime et de confiance. La paternité et la maternité vous appellent à être géniteurs pour donner à vos enfants la joie de se découvrir enfants de Dieu, enfants d'un Père qui, dès le premier instant, les aime tendrement et les prend chaque jour par la main. Cette découverte peut donner à vos enfants la foi et la capacité de faire confiance à Dieu.

Bien sûr, élever des enfants n'est en rien facile. Mais n'oublions pas qu'ils nous éduquent aussi. Le premier environnement éducatif reste toujours la famille, à travers de petits gestes qui sont plus éloquents que les mots. Éduquer, c'est avant tout accompagner les processus de croissance, c’est être présent de multiples façons de telle sorte que les enfants puissent compter sur leurs parents à tout moment. L'éducateur est une personne qui “engendre” au sens spirituel, et surtout qui “se met en jeu” en entrant en relation. En tant que père et mère, il est important d'établir des relations avec vos enfants à partir d'une autorité acquise jour après jour. Ils ont besoin d'une sécurité qui les aide à avoir confiance en vous, en la beauté de votre vie, en la certitude de n’être jamais seuls, quoiqu'il arrive.

D'autre part, comme je l'ai déjà souligné, la conscience de l'identité et de la mission des laïcs dans l'Église et dans la société s’est accrue. Vous avez pour mission de transformer la société par votre présence dans le monde du travail et faire en sorte que les besoins des familles soient pris en compte. Les conjoints doivent aussi « primerear » [2] – prendre l’initiative - au sein de la communauté paroissiale et diocésaine avec leurs propositions et leur créativité, en recherchant la complémentarité des charismes et des vocations comme expression de la communion ecclésiale ; en particulier, la communion des « époux aux côtés des pasteurs, pour marcher avec d’autres familles, pour aider les plus faibles, pour annoncer que, même dans les difficultés, le Christ se rend présent » [3].

C'est pourquoi je vous exhorte, chers époux, à participer à la vie de l'Église, en particulier à la pastorale familiale. En effet, « la coresponsabilité à l’égard de la mission appelle les époux et les ministres ordonnés, en particulier les évêques, à coopérer de façon féconde dans le soin et la sauvegarde des Églises domestiques » [4].N'oubliez pas que la famille est « la cellule fondamentale de la société » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 66).Le mariage est vraiment un projet de construction de la« culture de la rencontre » (Enc. Fratelli tutti, n. 216).C'est pourquoi les familles sont appelées à jeter des ponts entre les générations pour transmettre les valeurs qui construisent l'humanité. Face aux défis actuels, une nouvelle créativité est nécessaire pour exprimer les valeurs qui nous constituent en tant que peuple dans nos sociétés et dans l'Église, le Peuple de Dieu.

La vocation au mariage est un appel à gouverner une barque instable - mais sûre, grâce à la réalité du sacrement - sur une mer parfois agitée. Combien de fois, comme les apôtres, avez-vous eu envie de dire, ou plutôt, de crier : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (Mc 4, 38).N'oublions pas qu'à travers le sacrement du mariage, Jésus est présent dans cette barque. Il prend soin de vous, il reste avec vous à tout moment, dans les hauts et les bas lorsque la barque est ballottée par les eaux. Dans un autre passage de l'Évangile, au milieu des difficultés, les disciples voient Jésus s'approcher dans la tempête et ils l'accueillent dans leur barque. Alors vous aussi, quand la tempête fait rage, laissez Jésus monter dans votre barque, car lorsqu’ « il monta avec eux, le vent tomba » (Mc 6, 51). Il est important que vous gardiez ensemble les yeux fixés sur Jésus. Ce n'est que de cette manière que vous aurez la paix, que vous surmonterez les conflits et que vous trouverez des solutions à bon nombre de vos problèmes. Ils ne disparaîtront pas pour autant, mais vous serez en mesure de les voir d’une autre manière.

Ce n'est qu'en vous abandonnant entre les mains du Seigneur que vous pourrez vivre ce qui semble impossible. Il s’agit de reconnaître votre fragilité et l'impuissance que vous ressentez face à des situations qui vous entourent, avec la certitude que la force du Christ se manifeste dans votre faiblesse (cf. 2 Co 12, 9). C'est au milieu d'une tempête que les apôtres ont pu découvrir la royauté et la divinité de Jésus et qu’ils ont appris à lui faire confiance.

À la lumière de ces passages bibliques, je voudrais profiter de l’occasion pour réfléchir à certaines difficultés et opportunités que les familles ont vécues en cette période de pandémie. Par exemple, le temps passé ensemble a été plus long, ce qui a été une occasion unique de cultiver le dialogue en famille. Bien sûr, cela a demandé un exercice particulier de patience. Il n'est pas facile d'être ensemble toute la journée quand on doit travailler, étudier, se divertir et se reposer dans la même maison. Ne vous laissez pas vaincre par la fatigue. Que la force de l'amour vous rende capable de vous concentrer plus sur l'autre - votre conjoint, vos enfants - que sur votre propre fatigue. Rappelez-vous ce que j'ai écrit dans Amoris laetitia, en reprenant l'hymne paulinien à la charité (cf. 1 Co 13, 1-13). Demandez ce don à la Sainte Famille avec insistance. Relisez cet éloge de la charité afin qu'il inspire vos décisions et vos actions (cf. Rm 8, 15 ; Ga 4, 6).

Ainsi vivre ensemble ne sera pas une pénitence mais au contraire un refuge au milieu des tempêtes. Que votre foyer soit un lieu d'accueil et de compréhension. Gardez dans votre cœur le conseil que j'ai donné aux époux avec ces trois mots : « S’il te plaît, merci, pardon » [5]. Et quand un conflit survient, « ne finissez jamais la journée sans faire la paix » [6]. N'ayez pas honte de vous agenouiller ensemble devant Jésus présent dans l’Eucharistie pour trouver un moment de paix, ainsi qu’un regard mutuel fait de tendresse et de bonté. Ou bien de prendre la main de l'autre, quand il est un peu en colère, pour lui faire un sourire complice. Faites éventuellement une courte prière, récitée ensemble à haute voix, le soir avant de vous endormir, avec Jésus présent au milieu de vous.

Cependant, pour certains couples, la cohabitation à laquelle ils ont été contraints pendant la quarantaine a été particulièrement difficile. Les problèmes qui existaient déjà se sont aggravés, générant des conflits qui sont souvent devenus insupportables. Beaucoup ont même connu la rupture de la relation qui traversait une crise qu'ils ne pouvaient ou ne savaient pas surmonter. Je tiens également à exprimer ma proximité et mon affection à ces personnes.

La rupture d'une relation conjugale crée beaucoup de souffrances car de nombreuses illusions s’évanouissent. La mésentente entraîne des discussions et des blessures qu’il n’est pas facile de guérir. Il n’est pas possible non plus d’épargner aux enfants la douleur de voir que leurs parents ne sont plus ensemble. Ne cessez pas, cependant, de chercher de l'aide pour que les conflits puissent être surmontés d'une manière ou d'une autre et ne causent encore plus de souffrance entre vous et à vos enfants. Le Seigneur Jésus, en sa miséricorde infinie, vous inspirera la juste manière d’avancer au milieu de toutes ces difficultés et afflictions. Ne cessez pas de l'invoquer et de chercher en lui un refuge, une lumière pour le chemin et, dans la communauté ecclésiale, « une maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 47).

N'oubliez pas que le pardon guérit toutes les blessures. Se pardonner mutuellement naît d'une décision intérieure qui mûrit dans la prière, dans la relation avec Dieu, comme un don qui découle de la grâce dont le Christ comble le couple lorsque les deux le laissent agir, lorsqu'ils se tournent vers lui. Le Christ “habite” votre mariage et attend que vous lui ouvriez votre cœur pour vous soutenir par la puissance de son amour, comme les disciples dans la barque. Notre amour humain est faible, il a besoin de la force de l'amour fidèle de Jésus. Avec lui vous pouvez vraiment construire une « maison sur le roc » (Mt 7, 24).

À ce propos, permettez-moi d'adresser un mot aux jeunes qui se préparent au mariage. Si avant la pandémie les fiancés peinaient à projeter un avenir parce qu'il était difficile de trouver un emploi stable, l'incertitude professionnelle est encore plus grande aujourd'hui. J'invite donc les fiancés à ne pas se décourager, à avoir le “courage créatif” qu'avait saint Joseph dont j'ai voulu honorer la mémoire en cette année qui lui a été consacrée. De même pour vous lorsqu'il s'agit d'affronter le chemin vers le mariage, faites toujours confiance à la Providence même si vous avez peu de moyens, car « ce sont parfois les difficultés qui tirent de nous des ressources que nous ne pensions même pas avoir » (Lett. ap. Patris corde, n. 5). N'hésitez pas à vous appuyer sur vos familles et vos amis, la communauté ecclésiale, la paroisse, pour vivre votre future vie conjugale et familiale en apprenant de ceux qui ont déjà parcouru le chemin que vous entamez.

Avant de conclure, je voudrais adresser un salut particulier aux grands-pères et aux grands-mères qui, pendant la période d'isolement, se sont trouvés dans l'impossibilité de voir leurs petits-enfants et d'être avec eux, et aux personnes âgées qui ont souffert encore plus fortement de la solitude. La famille ne peut pas se passer des grands-parents, ils sont la mémoire vivante de l'humanité, « cette mémoire peut aider à construire un monde plus humain et plus accueillant » [7].

Que Saint Joseph inspire à toutes les familles le courage créatif qui est si nécessaire en ce changement d’époque où nous vivons, et que, dans votre vie conjugale, la Vierge accompagne la gestation de la “culture de la rencontre” si urgente pour surmonter les adversités et les conflits qui assombrissent notre époque. Les multiples défis ne peuvent pas voler la joie de ceux qui savent qu'ils marchent avec le Seigneur. Vivez intensément votre vocation. Ne laissez pas un regard triste assombrir vos visages. Votre conjoint a besoin de votre sourire. Vos enfants ont besoin de vos regards qui les encouragent. Les pasteurs et les autres familles ont besoin de votre présence et de votre joie : la joie qui vient du Seigneur !

Je vous salue avec affection, en vous exhortant à continuer à vivre la mission que Jésus nous a confiée, en persévérant dans la prière et « à la fraction du pain » (Ac 2, 42).

Et, s’il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi, je le fais chaque jour pour vous.

Fraternellement,

François

 

 

Rome, Saint Jean de Latran, 26 décembre 2021, Fête de la Sainte Famille.

 


[1] Message vidéo aux participants du Forum « Amoris laetitia » (9 juin 2021)

[2] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 24.

[3] Message vidéo aux participants du Forum « Amoris laetitia » (9 juin 2021).

[4] Ibid.

[5] Discours aux familles en pèlerinage à Rome en l’Année de la Foi (26 octobre 2013) ; cf. Exhort. ap. Amoris laetitia, n. 133.

[6] Audience générale (13 mai 2015) cf. Exhort. ap. Amoris laetitia, n. 104.

[7] Message pour la 1ère Journée Mondiale des Grands-parents et des Personnes âgées (25 juillet 2021).



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vendredi 24 décembre 2021

 

 

le pape François, la nuit de Noël

 

MESSE DE LA NUIT

SOLENNITÉ DE LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR

HOMELIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Vendredi 24 décembre 2021

[Multimédia]


Dans la nuit se lève une lumière. Un ange apparaît, la gloire du Seigneur enveloppe les bergers et, enfin, arrive l'annonce attendue depuis des siècles : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11). Ce que l'ange ajoute est toutefois surprenant. Il indique aux bergers comment trouver Dieu descendu sur terre : « Voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (v. 12). Voici le signe : un enfant. Tout est là : un enfant dans la pauvreté crue d'une mangeoire. Il n'y a plus de lumières, de splendeur, de chœurs angéliques. Seulement un enfant. Rien d'autre, comme l'avait prédit Isaïe : « Un enfant nous est né » (Is 9, 5).

L'Évangile insiste sur ce contraste. Il raconte la naissance de Jésus en commençant par César Auguste qui recense la terre entière : il montre le premier empereur dans sa grandeur. Mais, tout de suite après, il nous emmène à Bethléem, où il n'y a rien de grand : juste un pauvre enfant emmailloté, entouré de bergers. Et C’est là qu’est Dieu, dans la petitesse. Voici le message : Dieu ne chevauche pas dans la grandeur, mais descend dans la petitesse. La petitesse est la voie qu'il a choisie pour nous rejoindre, pour toucher notre cœur, pour nous sauver et nous ramener à ce qui compte.

Frères et sœurs, alors que nous nous tenons devant la crèche, regardons-en le centre : allons au-delà des lumières et des ornements, qui sont beaux, et contemplons l'Enfant. Dans sa petitesse, il y a Dieu tout entier. Reconnaissons-le : “Enfant, tu es Dieu, Dieu-enfant”. Laissons-nous traverser par cet étonnement scandaleux. Celui qui embrasse l'univers a besoin d'être tenu dans les bras. Lui, qui a fait le soleil, a besoin d'être réchauffé. La tendresse en personne a besoin d'être choyée. L'amour infini a un cœur minuscule, aux faibles battements. La Parole éternelle est enfantine, c'est-à-dire incapable de parler. Le Pain de Vie doit être nourri. Le Créateur du monde est sans demeure. Aujourd'hui, tout est renversé : Dieu vient petit dans le monde. Sa grandeur s’offre dans la petitesse.

Et nous - demandons-nous - savons-nous accueillir ce chemin de Dieu ? C'est le défi de Noël : Dieu se révèle, mais les hommes ne le comprennent pas. Il se fait petit aux yeux du monde et nous continuons à chercher la grandeur selon le monde, peut-être même parfois en son nom. Dieu s'abaisse et nous voulons monter sur un piédestal. Le Très-Haut indique l'humilité et nous voulons paraître. Dieu part à la recherche des bergers, des invisibles ; nous recherchons la visibilité, à nous faire voir. Jésus naît pour servir, et nous passons notre temps à courir après le succès. Dieu ne cherche pas la force et le pouvoir, il demande la tendresse et la petitesse intérieure.

Voilà ce que nous pouvons demander à Jésus pour Noël : la grâce de la petitesse. “Seigneur, apprends-nous à aimer la petitesse. Aidez-nous à comprendre que c'est la voie de la vraie grandeur”. Mais qu'est-ce que cela signifie, concrètement, accueillir la petitesse ? Tout d'abord, cela signifie croire que Dieu veut venir dans les petites choses de nos vies, il veut habiter les réalités quotidiennes, les gestes simples que nous accomplissons à la maison, en famille, à l'école, au travail. C'est dans nos vies ordinaires qu'il veut réaliser des choses extraordinaires. Et c'est un message de grande espérance : Jésus nous invite à valoriser et à redécouvrir les petites choses de la vie. S'il est là avec nous, que nous manque-t-il ? Laissons alors derrière nous les regrets de cette grandeur que nous n'avons pas. Renonçons aux plaintes et aux visages tristes, à l'avidité qui nous laisse insatisfaits !La petitesse, l’émerveillement de ce petit enfant : tel est le message.

Mais il y a plus. Jésus ne veut pas seulement venir dans les petites choses de notre vie, mais aussi dans notre petitesse : dans ce qui fait nous sentir faibles, fragiles, inadéquats, peut-être même ratés. Ma sœur et mon frère, si, comme à Bethléem, les ténèbres de la nuit t'entourent, si tu sens une froide indifférence autour de toi, si les blessures que tu portes en toi crient : “Tu ne comptes pas, tu ne vaux rien, tu ne seras jamais aimé comme tu le voudrais”, ce soir, si tu sens cela, Dieu te répond et il te dit : “Je t'aime comme tu es. Ta petitesse ne m'effraie pas, tes fragilités ne m'inquiètent pas. Je me suis fait petit pour toi. Pour être ton Dieu, je suis devenu ton frère. Frère bien-aimé, sœur bien-aimée, n'aie pas peur de moi, mais retrouve en moi ta grandeur. Je suis proche de toi et je te demande seulement cela : fais-moi confiance et ouvre-moi ton cœur”.

Accueillir la petitesse signifie une chose de plus : étreindre Jésus dans les petits d'aujourd'hui. C’est-à-dire l'aimer dans les derniers, le servir dans les pauvres. Ce sont eux qui sont les plus semblables à Jésus, né pauvre. Et c'est en eux qu'il veut être honoré. En cette nuit d'amour, qu’une seule peur nous saisisse : celle de blesser l'amour de Dieu, le blesser en méprisant les pauvres par notre indifférence. Ils sont les préférés de Jésus, et ils nous accueilleront un jour au Ciel. Une poétesse a écrit : « Celui qui n'a pas trouvé le Ciel ici-bas le manquera là-haut » (E. Dickinson, Poems, p. 96-17). Ne perdons pas de vue le Ciel, prenons soin de Jésus dès maintenant, en le choyant dans les personnes démunies, parce qu'il s'est identifié à eux.

Regardons une fois encore la crèche et constatons que Jésus, à sa naissance, est entouré de petits, de pauvres. Ce sont les bergers. Ils étaient les plus simples, et ils ont été les plus proches du Seigneur. Ils l'ont trouvé parce qu’ils « vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux » (Lc 2, 8). Ils étaient là pour travailler car ils étaient pauvres ; leur vie n'avait pas d'horaire mais dépendait du troupeau. Ils ne pouvaient pas vivre comme et où ils le voulaient, mais ils s'adaptaient aux besoins des brebis qu'ils gardaient. Et Jésus naît là, près d'eux, près des oubliés des périphéries. Il vient là où la dignité humaine est mise à l'épreuve. Il vient ennoblir les exclus et se révèle d'abord à eux : non pas à des personnes cultivées et importantes, mais à des personnes pauvres qui travaillent. Ce soir, Dieu vient remplir de dignité la dureté du travail. Il nous rappelle combien il est important de donner une dignité à l'homme par le travail, mais aussi de donner une dignité au travail de l'homme, car l'homme est seigneur et non esclave du travail. En ce jour de la Vie, nous répétons : plus de morts au travail ! Et engageons-nous à cela.

Regardons une dernière fois la crèche en élargissant notre regard jusqu'à ses limites, où nous apercevons les Mages, en pèlerinage pour adorer le Seigneur. Regardons et comprenons que tout ce qui entoure Jésus est recomposé dans l'unité : il n'y a pas seulement les derniers, les bergers, mais aussi les savants et les riches, les Mages. À Bethléem, pauvres et riches sont ensemble, ceux qui adorent comme les Mages et ceux qui travaillent comme les bergers. Tout se recompose lorsque Jésus est au centre : non pas nos idées sur Jésus, mais lui, le Vivant. Alors, chers frères et sœurs, retournons à Bethléem, retournons aux origines : à l’essentiel de la foi, au premier amour, à l'adoration et à la charité. Regardons les mages en pèlerinage et, en tant qu'Église synodale, en chemin, allons à Bethléem, là où Dieu est en l'homme et l'homme en Dieu ; où le Seigneur est à la première place et adoré ; où les derniers occupent la place la plus proche de lui ; où bergers et mages se tiennent ensemble dans une fraternité plus forte que toutes les catégories. Que Dieu nous accorde d'être une Église adoratrice, pauvre, fraternelle. Voilà l'essentiel. Retournons à Bethléem.

Il nous est bon d'y aller, dociles à l'Évangile de Noël qui présente la Sainte Famille, les bergers et les Mages : tout un peuple en chemin. Frères et sœurs, mettons-nous en route, car la vie est un pèlerinage. Levons-nous, réveillons-nous car cette nuit une lumière s'est levée. C'est une lumière douce qui nous rappelle que, dans notre petitesse, nous sommes des enfants bien-aimés, des fils de la lumière (cf. 1 Th 5, 5). Frères et sœurs, réjouissons-nous ensemble car personne n'éteindra jamais cette lumière, la lumière de Jésus qui depuis cette nuit brille dans le monde.



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jeudi 23 décembre 2021

voeux du pape François à la Curie romaine

 

Le pape François a invité ses collaborateurs à se « laisser évangéliser par l’humilité de l’Enfant Jésus », dans son discours à la curie romaine de ce 23 décembre 2021, à l’occasion d’échange des voeux.

Le pape a longuement commenté la guérison du Syrien Naaman, malade de la lèpre, pour conclure: « Chers frères et sœurs, en nous souvenant de notre lèpre, en fuyant les logiques de la mondanité qui nous prive de racines et de bourgeons, laissons-nous évangéliser par l’humilité de l’Enfant Jésus. Ce n’est qu’en servant et en considérant notre travail comme un service que nous pouvons vraiment être utiles à tous.

Humilité et synodalité

Le pape voit dans l’humilité la condition de la synodalité dans l’Eglise: « Si l’Église parcourt la voie de la synodalité, nous devons les premiers nous convertir à un style de travail, de collaboration, de communion différent. Et cela n’est possible qu’à travers le chemin de l’humilité. bLors de l’ouverture de l’assemblée synodale, j’ai utilisé trois mots-clés : participation, communion et mission. Ces mots sont les trois exigences que je voudrais indiquer comme style d’humilité auquel il faut tendre, ici, à la Curie. Trois façons pour faire du chemin de l’humilité, un chemin concret à mettre en pratique. »

Le pape a cité deux auteurs français: le cardinal Henri de Lubac et Georges Bernanos.

De de Lubac, le pape cite ce passage de Méditation sur l’Eglise : « Participation, mission et communion sont les caractéristiques d’une Église humble qui se met à l’écoute de l’Esprit et place son centre en dehors d’elle-même. Henri de Lubac disait : « Aux yeux du monde, l’Église, comme son Seigneur, a toujours l’aspect d’une esclave. Elle existe ici-bas sous la forme d’une servante. […] Elle n’est ni une académie de scientifiques, ni un cénacle de spirituels raffinés, ni une assemblée de surhommes. Elle est exactement le contraire. Les infirmes, les difformes, les misérables de toute sorte s’y assemblent, les médiocres s’y bousculent […] ; il est difficile, ou plutôt impossible, pour l’homme naturel, tant qu’une transformation radicale ne s’est pas opérée en lui, de reconnaître dans ce fait l’accomplissement de la kénose salvifique, la trace adorable de l’humilité de Dieu » (p. 352). »

De Bernanos il cite une expression, à propos d’une forme de tristesse orgueilleuse: « L’orgueilleux, enfermé dans son petit monde n’a plus ni passé ni avenir, il n’a plus ni racines ni bourgeons, il vit avec le goût amer de la tristesse stérile qui envahit le cœur comme « le plus riche des élixirs du démon » (Bernanos, ndlr). Au contraire, la personne humble vit constamment guidée par deux verbes : se souvenir et engendrer, fruit des racines et des bourgeons, et elle vit ainsi l’ouverture joyeuse de la fécondité. »

Trois cadeaux à ses collaborateurs

Le pape François a aussi offert trois livres à ses collaborateurs.

Un livre du nonce apostolique originaire du Nigeria, Mgr Fortunatus Nwachukwu, 61 ans, récemment nommé Observateur permanent du Saint-Siège aux Nations unies à Genève: « Parole abusée. Le commérage dans l’enseignement du pape François » (« Parola abusata. Il chiacchiericcio nell’insegnamento di Papa Francesco »).

Mgr Nwachukwu, Parola abusata © Salle de Presse du Vatican

Mgr Nwachukwu, Parola abusata © Salle de Presse du Vatican

Un livre du prêtre italien Luigi Maria Epicoco, assistant ecclésiastique du Dicastère pour la communication: « La pierre rejetée. Lorsque les oubliés sont sauvés » (« La pietra scartata. Quando i dimenticati si salvano » éd. San Paolo).

P. Epicoco, La Pietra scartata © Paoline

P. Epicoco, La Pietra scartata © San Paolo

En décembre 2019, le pape avait déjà offert à ses collaborateur un livre du p. Epicoco: le texte d’une retraite prêchée à des prêtres publié sous le titre « Quelqu’un vers qui regarder ».

Théologien italien de 41 ans, le p. Epicoco est l’auteur de plusieurs livres dont, en dialogue avec le pape François,  « Saint Jean-Paul le Grand » (« San Giovanni Paolo Magno », 2020).

Et un livre du prêtre italien de 51 ans, Armando Matteo, sous-secrétaire adjoint de la Congrégation pour la doctrine de la foi: « Convertir Peter Pan. Le destin de la foi dans la société de l’éternelle jeunesse » (« Convertire Peter Pan. Il destino della fede nella società dell’eterna giovinezza », éd. Ancora).

P. Matteo, Convertire Peter Pan © Ancora

P. Matteo, Convertire Peter Pan © Ancora

 

Voici les paroles du pape François, dans une traduction officielle provisoire où quelques ajoutés improvisés doivent encore être intégrés.

AB

Discours du pape François

Chers frères et sœurs, bonjour !

Comme chaque année, nous avons l’occasion de nous réunir quelques jours avant la fête de Noël. C’est une façon de dire “à haute voix” notre fraternité à travers l’échange des vœux, mais c’est aussi un temps de réflexion et de vérification pour chacun d’entre nous afin que la lumière du Verbe fait chair nous montre toujours mieux qui nous sommes et quelle est notre mission.

Nous le savons tous : le mystère de Noël c’est le mystère de Dieu qui vient dans le monde par le chemin de l’humilité. Il s’est fait chair : cette grande synkatabasis. Cette époque semble avoir oublié l’humilité, ou bien semble l’avoir simplement reléguée à une forme de moralisme, en la vidant de la force dérangeante dont elle est dotée.

Mais si nous devions exprimer tout le mystère de Noël en un seul mot, je crois que le mot humilité serait celui qui pourrait nous aider le plus. Les Évangiles évoquent un cadre pauvre et sobre, peu propice à l’accueil d’une femme sur le point de donner naissance. Et cependant le Roi des rois vient dans le monde non pas en attirant l’attention, mais en suscitant une mystérieuse attraction dans le cœur de ceux qui ressentent la présence bouleversante d’une nouveauté sur le point de changer l’histoire. C’est pourquoi il me plaît de penser et de dire que l’humilité a été sa porte d’entrée et il nous invite, nous tous, à la franchir.Ce passage des Exercices me vient à l’esprit : on ne peut aller de l’avant sans humilité, et on ne peut aller de l’avant, dans l’humilité, sans humiliations. Et saint Ignace nous dit de demander les humiliations.

Il n’est pas facile de comprendre ce qu’est l’humilité. Elle est le résultat d’un changement que l’Esprit lui-même opère en nous à travers l’histoire que nous vivons, comme cela est arrivé par exemple à Naaman le Syrien (cf. 2 R, 5). À l’époque du prophète Élisée, cette personne jouissait d’une grande réputation. C’était un valeureux général de l’armée araméenne, qui avait montré sa vaillance et son courage à plusieurs reprises. Mais à côté de la célébrité, de la force, de l’estime, des honneurs et de la gloire, cet homme est contraint de vivre avec un terrible drame : il est lépreux. Son armure, celle-là même qui lui apporte la gloire, recouvre en réalité une humanité fragile, blessée, malade. Nous trouvons souvent cette contradiction dans nos propres vies : parfois, les grands dons sont une armure qui couvrent de grandes fragilités.

Naaman comprend une vérité fondamentale : on ne peut pas passer sa vie à se cacher derrière une charge, un rôle, une reconnaissance sociale : en fin de compte, ça fait mal. Il arrive un moment dans l’existence où chacun a le désir de ne plus vivre sous couvert de la gloire de ce monde, mais dans la plénitude d’une vie sincère, sans plus avoir besoin d’armures ni de masques. Ce désir pousse le vaillant général Naaman à partir à la recherche de quelqu’un qui puisse l’aider, et il le fait sur la suggestion d’une esclave, une juive prisonnière de guerre qui parle d’un Dieu capable de guérir de telles contradictions.

Après avoir fait des provisions d’argent et d’or, Naaman se met en route et se présente devant le prophète Elisée. Celui-ci demande à Naaman, comme seule condition à sa guérison, le simple geste de se dévêtir et de se laver sept fois dans le Jourdain. Ni gloire, ni honneur, ni or, ni argent ! La grâce qui sauve est gratuite, elle ne se réduit pas au prix des choses de ce monde.

Naaman résiste à cette demande, elle lui paraît trop banale, trop simple, trop accessible. Il semble que la force de la simplicité n’ait pas de place dans son imaginaire. Mais les paroles de ses serviteurs le font changer d’avis : « Si le prophète t’avait ordonné quelque chose de difficile, tu l’aurais fait, n’est-ce pas ? Combien plus, lorsqu’il te dit : “Baigne-toi, et tu seras purifié” » (2 R 5, 13). Naaman capitule et, dans un geste d’humilité, il “descend”, enlève son armure et entre dans les eaux du Jourdain, « alors sa chair redevient semblable à celle d’un petit enfant : il est purifié ! » (2 R 5, 14). La leçon est grande ! L’humilité de mettre à nu son humanité, selon la parole du Seigneur, apporte la guérison à Naaman.

L’histoire de Naaman nous rappelle que Noël est un moment où chacun de nous doit avoir le courage d’enlever son armure, de se débarrasser des vêtements de sa charge, de la reconnaissance sociale, de l’éclat de la gloire de ce monde, et d’assumer sa propre humilité. Nous pouvons le faire à partir d’un exemple plus fort, plus convaincant encore et faisant davantage autorité : celui du Fils de Dieu qui ne se dérobe pas à l’humilité de “descendre” dans l’histoire en se faisant homme, en devenant un enfant fragile, emmailloté et couché dans une mangeoire (cf. Lc 2, 16). Débarrassés de nos vêtements, de nos prérogatives, de nos rôles et de nos titres, nous sommes tous des lépreux, nous tous, ayant besoin d’être guéris. Noël est la mémoire vivante de cette prise de conscience et il nous aide à la comprendre plus profondément.

Chers frères et sœurs, si nous oublions notre humanité nous ne vivons que par les honneurs de nos armures. Or Jésus nous rappelle une vérité inconfortable et déconcertante : « Quel avantage, en effet, un homme a-t-il à gagner le monde entier si c’est au prix de sa vie ? » (Mc 8, 36).

C’est là la dangereuse tentation – je l’ai rappelée en d’autres occasions – de la mondanité spirituelle qui, à la différence de toutes les autres tentations, est difficile à démasquer parce qu’elle est recouverte de tout ce qui habituellement nous rassure : notre charge, la liturgie, la doctrine, la religiosité. J’écrivais dans Evangelii gaudium : « Dans ce contexte, se nourrit la vaine gloire de ceux qui se contentent d’avoir quelque pouvoir et qui préfèrent être des généraux d’armées défaites plutôt que de simples soldats d’un escadron qui continue à combattre. Combien de fois rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits ! Ainsi nous renions notre histoire d’Église qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la “sueur de notre front”. À l’inverse, nous nous attardons comme des vaniteux qui disent ce “qu’on devrait faire” – le péché du “on devrait faire” – comme des maîtres spirituels et des experts en pastorale qui donnent des instructions tout en restant en dehors. Nous entretenons sans fin notre imagination et nous perdons le contact avec la réalité douloureuse de notre peuple fidèle » (n. 96).

L’humilité est la capacité de savoir habiter sans désespoir, avec réalisme, joie et espérance notre humanité ; cette humanité aimée et bénie par le Seigneur. L’humilité consiste à comprendre que nous ne devons pas avoir honte de notre fragilité. Jésus nous apprend à regarder notre misère avec le même amour et la même tendresse que l’on porte à un petit enfant fragile qui a besoin de tout. Sans humilité, nous chercherons à nous rassurer, et nous y arriverons peut-être, mais nous ne trouverons certainement pas ce qui nous sauve, ce qui peut nous guérir. Vouloir se rassurer est le fruit le plus pervers de la mondanité spirituelle qui révèle un manque de foi, d’espérance et de charité, et devient une incapacité à discerner la vérité des choses. Si Naaman s’était contenté de continuer à accumuler des médailles pour les mettre sur son armure, il aurait fini par être dévoré par la lèpre : vivant en apparence, oui, mais enfermé et isolé dans sa maladie. Il recherche courageusement ce qui peut le sauver et non pas ce qui le gratifie dans l’immédiat.

Nous savons tous que le contraire de l’humilité est l’orgueil. Un verset du prophète Malachie, qui m’a beaucoup touché, nous aide à comprendre, par contraste, la différence entre la voie de l’humilité et celle de l’orgueil : « Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, – dit le Seigneur de l’univers –, il ne leur laissera ni racine ni branche. » (3, 19).

Le Prophète utilise une image évocatrice qui décrit bien l’orgueil : il est, dit-il, comme la paille. Quand le feu arrive, la paille devient cendre, elle brûle, elle disparaît. Et il nous dit également que ceux qui vivent en s’appuyant sur l’orgueil se retrouvent privés de ce que nous avons de plus important : les racines et les bourgeons. Les racines évoquent notre lien vital avec le passé dont nous tirons la sève pour pouvoir vivre le présent. Les bourgeons sont le présent qui ne meurt pas mais qui devient lendemain, avenir. Être dans un présent qui n’a plus ni racines ni bourgeons, c’est vivre la fin. Ainsi, l’orgueilleux, enfermé dans son petit monde n’a plus ni passé ni avenir, il n’a plus ni racines ni bourgeons, il vit avec le goût amer de la tristesse stérile qui envahit le cœur comme « le plus riche des élixirs du démon » [1]. Au contraire, la personne humble vit constamment guidée par deux verbes : se souvenir – les racines – et engendrer, fruit des racines et des bourgeons, et elle vit ainsi l’ouverture joyeuse de la fécondité.

Se souvenir signifie étymologiquement “ramener au cœur”, [ri-cordare]. La mémoire vitale que nous avons de la Tradition, de nos racines, n’est pas un culte du passé mais un mouvement intérieur par lequel nous ramenons constamment au cœur ce qui nous a précédés, ce qui a traversé notre histoire, ce qui nous a conduits jusqu’à aujourd’hui. Se souvenir ne signifie pas répéter, mais tirer leçon, raviver et, avec gratitude, laisser la force de l’Esprit Saint enflammer notre cœur, comme les premiers disciples (cf. Lc 24, 32).

Mais pour que le souvenir ne devienne pas une prison du passé, nous avons besoin d’un autre verbe : engendrer. L’humble – l’homme humble, la femme humble – se soucie également de l’avenir, et non seulement du passé, parce qu’elle sait regarder en avant, elle sait voir les bourgeons, avec une mémoire pleine de gratitude. La personne humble engendre, invite et pousse vers ce qui est inconnu. L’orgueilleux, en revanche, se répète, se raidit – la rigidité est une perversion, c’est une perversion qui est d’actualité – et s’enferme dans sa répétition, il se sent sûr de ce qu’il connaît et craint la nouveauté parce qu’il ne peut pas la maîtriser. Il se sent déstabilisé par elle… parce qu’il a perdu la mémoire.

La personne humble accepte d’être remise en cause, elle s’ouvre à la nouveauté, et elle le fait parce qu’elle se sent forte de ce qui la précède, de ses racines, de son appartenance. Son présent est habité par un passé qui l’ouvre à l’avenir avec espérance. Contrairement à l’orgueilleux, elle sait que ni ses mérites ni ses “bonnes habitudes” ne sont le principe et le fondement de son existence ; elle est donc capable de faire confiance ; le superbe n’en a pas.

Nous sommes tous appelés à l’humilité car nous sommes appelés à nous souvenir et à engendrer, nous sommes appelés à redécouvrir notre juste relation avec les racines et les bourgeons. Sans eux, nous sommes malades et voués à disparaître.

Jésus, en venant dans le monde par la voie de l’humilité, ouvre un chemin. Il nous indique une manière de faire, il nous montre un but.

Chers frères et sœurs, s’il est vrai que sans humilité on ne peut rencontrer Dieu ni faire l’expérience du salut, il est également vrai que sans humilité on ne peut rencontrer le prochain, le frère et la sœur qui vivent à côté de nous.

Le 17 octobre dernier, nous avons entamé le parcours synodal qui nous engage pour les deux prochaines années. Là encore, seule l’humilité peut nous mettre en juste condition pour nous rencontrer et nous écouter, pour dialoguer et discerner, pour prier ensemble, comme l’indiquait le Cardinal Doyen. Si chacun reste enfermé dans ses propres convictions, dans son propre vécu, dans la coquille de son seul ressenti et de ses idées personnelles, il sera difficile de faire place à cette expérience de l’Esprit qui, comme le dit l’Apôtre, est liée à la conviction que nous sommes tous les enfants d’« un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous » (Ep 4, 6).

“Tous” n’est pas un mot difficile à comprendre ! Le cléricalisme, tel une tentation – perverse – qui s’insinue quotidiennement parmi nous, nous fait toujours penser à un Dieu qui parle seulement à certains, tandis que les autres doivent seulement écouter et exécuter. Le Synode cherche à être l’expérience de se sentir tous membres d’un peuple plus grand : le Saint Peuple fidèle de Dieu, et donc des disciples qui écoutent et, précisément en vertu de cette écoute, peuvent aussi comprendre la volonté de Dieu qui se manifeste toujours de manière imprévisible. Ce serait toutefois une erreur de penser que le Synode serait un événement réservé à l’Église comme entité abstraite et éloignée de nous. La synodalité est un style auquel nous devons nous convertir, surtout nous qui sommes ici et qui vivons l’expérience du service de l’Église universelle par le travail à la Curie romaine.

Et la Curie – ne l’oublions pas – n’est pas seulement un instrument logistique et bureaucratique pour les nécessités de l’Église universelle, mais elle est le premier organisme appelé au témoignage. C’est précisément pour cela qu’elle acquiert toujours plus d’autorité et d’efficacité lorsqu’elle assume elle-même les défis de la conversion synodale à laquelle elle est aussi appelée. L’organisation que nous devons mettre en place n’est pas sur le modèle de l’entreprise, mais sur un modèle évangélique.

C’est pourquoi, si la Parole de Dieu rappelle au monde entier la valeur de la pauvreté, nous, membres de la Curie, nous devons, les premiers, nous engager dans une conversion à la sobriété. Si l’Évangile annonce la justice, nous devons, les premiers, chercher à vivre avec transparence, sans favoritismes et sans copinages. Si l’Église parcourt la voie de la synodalité, nous devons les premiers nous convertir à un style de travail, de collaboration, de communion différent. Et cela n’est possible qu’à travers le chemin de l’humilité. Sans humilité nous ne pourrons pas faire cela.

Lors de l’ouverture de l’assemblée synodale, j’ai utilisé trois mots-clés : participation, communion et mission. Et ils naissent d’un cœur humble : sans humilité on ne peut faire ni participation, ni communion, ni mission. Ces mots sont les trois exigences que je voudrais indiquer comme style d’humilité auquel il faut tendre, ici, à la Curie. Trois façons pour faire du chemin de l’humilité, un chemin concret à mettre en pratique.

Tout d’abord, la participation. Elle devrait s’exprimer par un style de coresponsabilité. Certes, dans la diversité des rôles et des ministères, les responsabilités sont différentes, mais il serait important que chacun se sente impliqué, coresponsable du travail, sans vivre la seule expérience dépersonnalisante de l’exécution d’un programme établi par quelqu’un d’autre. Je suis toujours touché quand je rencontre au sein de la Curie de la créativité – j’aime vraiment – elle se manifeste souvent, surtout là où on laisse et où on trouve de la place pour chacun, même à ceux qui, hiérarchiquement, semblent occuper un poste marginal. Je vous remercie pour ces exemples – je les trouve, et j’aime ça– et je vous encourage à travailler pour que nous soyons capables de générer des dynamiques concrètes dans lesquelles tous sentent avoir une participation active dans la mission à accomplir. L’autorité devient service quand elle partage, implique et aide à grandir.

Le second mot est communion. Elle ne s’exprime pas en termes de majorités ou de minorités, mais elle naît fondamentalement de la relation avec le Christ. Nous n’aurons jamais un style évangélique dans nos milieux si ce n’est en remettant le Christ au centre et non ce parti ou cet autre, cette opinion ou cette autre: le Christ au centre.Nous sommes nombreux à travailler ensemble, mais ce qui fortifie la communion c’est de pouvoir aussi prier ensemble, d’écouter la Parole ensemble, de construire des relations qui ne relèvent pas du simple travail et qui renforcent de bons liens, de bons liens entre nous, en nous aidant les uns les autres. Sans cela, nous risquons de n’être que des étrangers qui collaborent, des concurrents cherchant à mieux se positionner. Pire encore, là où s’établissent des relations, celle-ci semblent prendre davantage la forme d’une complicité fondée sur des intérêts personnels, oubliant la raison commune qui nous rassemble. La complicité crée des divisions, crée des factions, crée des ennemis ; la collaboration exige la grandeur d’accepter notre partialité, ainsi que l’ouverture au travail en groupe même avec ceux qui ne pensent pas comme nous. Dans la complicité, on est ensemble en vue d’obtenir un résultat extérieur. Dans la collaboration, on est ensemble parce qu’on porte à cœur le bien de l’autre et, par conséquent, de tout le Peuple de Dieu que nous sommes appelés à servir : n’oublions pas le visage concret des personnes, n’oublions pas nos racines, le visage concret de ceux qui ont été nos premiers maîtres dans la foi. Paul disait à Timothée : “Souviens-toi de ta mère, souviens-toi de ta grand-mère ”.

La perspective de la communion implique, en même temps, de reconnaître la diversité qui nous habite comme un don de l’Esprit Saint. Chaque fois que nous nous écartons de cette voie et que nous confondons communion et uniformité, nous affaiblissons et réduisons au silence la force vivifiante de l’Esprit Saint au milieu de nous. L’attitude de service nous demande, je dirais même exige, la magnanimité et la générosité de reconnaître et de vivre joyeusement la richesse multiforme du peuple de Dieu ; et sans humilité, ce n’est pas possible. Ça me fait du bien de relire le début du Lumen gentium, ces numéros 8, 12… : le saint peuple fidèle de Dieu. Reprendre ces vérités est de l’oxygène pour l’âme.

Le troisième mot est mission. Elle est ce qui nous évite de nous replier sur nous-mêmes. Celui qui est replié sur lui-même « regarde de haut et de loin, il refuse la prophétie des frères, il élimine celui qui lui fait une demande, il fait ressortir continuellement les erreurs des autres et est obsédé par l’apparence. Il a réduit la référence du cœur à l’horizon fermé de son immanence et de ses intérêts et, en conséquence, il n’apprend rien de ses propres péchés et n’est pas authentiquement ouvert au pardon. Ce sont les deux signes d’une personne “fermée” : elle n’apprend pas de ses péchés et elle n’est pas ouverte au pardon. C’est une terrible corruption sous l’apparence du bien. Il faut l’éviter en mettant l’Église en mouvement de sortie de soi, de mission centrée en Jésus Christ, d’engagement envers les pauvres » (Evangelii gaudium, n. 97). Seul un cœur ouvert à la mission garantit que tout ce que nous faisons ad intra et ad extra est toujours marqué par la force régénératrice de l’appel du Seigneur. Et la mission implique toujours une passion pour les pauvres, c’est-à-dire pour ceux qui sont « en manque » : ceux qui « manquent » de quelque chose, non seulement en termes matériels, mais aussi spirituels, affectifs et moraux. Qui a faim de pain et qui a faim de sens est également pauvre. L’Église est invitée à aller à la rencontre de toutes les pauvretés, elle est appelée à annoncer l’Évangile à tous parce que tous, d’une manière ou d’une autre, nous sommes pauvres, nous sommes en manque. Mais l’Église va aussi à leur rencontre parce que eux nous manquent : leur voix, leur présence, leurs questions et leurs discussions nous manquent. Celui qui a un cœur missionnaire sent que son frère lui manque et, avec l’attitude du mendiant, il va à sa rencontre. La mission nous rend vulnérables, – c’est beau, la mission nous rend vulnérables – elle nous aide à nous rappeler notre condition de disciples et nous permet toujours de redécouvrir la joie de l’Évangile.

Participation, mission et communion sont les caractéristiques d’une Église humble qui se met à l’écoute de l’Esprit et place son centre en dehors d’elle-même. Henri de Lubac disait : « Aux yeux du monde, l’Église, comme son Seigneur, a toujours l’aspect d’une esclave. Elle existe ici-bas sous la forme d’une servante. […] Elle n’est ni une académie de scientifiques, ni un cénacle de spirituels raffinés, ni une assemblée de surhommes. Elle est exactement le contraire. Les infirmes, les difformes, les misérables de toute sorte s’y assemblent, les médiocres s’y bousculent […] ; il est difficile, ou plutôt impossible, pour l’homme naturel, tant qu’une transformation radicale ne s’est pas opérée en lui, de reconnaître dans ce fait l’accomplissement de la kénose salvifique, la trace adorable de l’humilité de Dieu » (Méditation sur l’Église, p. 352).

En conclusion, je voudrais vous souhaiter, et à moi en premier, de nous laisser évangéliser par l’humilité, par l’humilité de Noël, par l’humilité de la crèche, de la pauvreté et de l’essentialité par lesquelles le Fils de Dieu est entré dans le monde. Même les Mages, dont on peut penser qu’ils étaient de condition plus aisée que Marie et Joseph ou que les bergers de Bethléem, se prosternent lorsqu’ils se trouvent devant l’Enfant (cf. Mt 2,11). Ils se prosternent. Ce n’est pas seulement un geste d’adoration, c’est un geste d’humilité. Les mages se mettent au niveau de Dieu en se prosternant sur la terre nue. Et cette kénose, cette descente, cette synkatabasis est la même que celle accomplie par Jésus au dernier soir de sa vie terrestre, quand il « se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il a à la ceinture » (Jn 13, 4-5). L’effarement causé par ce geste provoque la réaction de Pierre, mais à la fin Jésus lui-même donne à ses disciples la juste clé de lecture : « Vous m’appelez « Maître » et « Seigneur », et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 13-15).

Chers frères et sœurs, en nous souvenant de notre lèpre, en fuyant les logiques de la mondanité qui nous prive de racines et de bourgeons, laissons-nous évangéliser par l’humilité de l’Enfant Jésus. Ce n’est qu’en servant et en considérant notre travail comme un service que nous pouvons vraiment être utiles à tous. Nous sommes ici – moi le premier – pour apprendre à nous agenouiller et à adorer le Seigneur dans son humilité, et non d’autres seigneurs dans leur opulence vide. Nous sommes comme les bergers, nous sommes comme les Mages, nous sommes comme Jésus. Voilà la leçon de Noël : l’humilité est la grande condition de la foi, de la vie spirituelle, de la sainteté. Puisse le Seigneur nous en faire le don, à partir de la manifestation première de l’Esprit en nous : le désir. Ce que nous n’avons pas, nous pouvons au moins commencer à le désirer. Et demander au Seigneur la grâce de pouvoir désirer, de devenir des hommes et des femmes de grands désirs. Et le désir c’est déjà l’Esprit à l’œuvre en chacun de nous.

Joyeux Noël à tous ! Et je vous demande de prier pour moi. Merci !

En souvenir de ce Noël, j’aimerais laisser quelques livres… Mais pour les lire, pas pour les laisser dans la bibliothèque, pour nos proches qui recevront l’héritage ! Tout d’abord, celui d’un grand théologien, inconnu car trop humble, sous-secrétaire de la Doctrine de la Foi, Mgr. Armando Matteo, qui réfléchit un peu sur un phénomène social et à la manière dont il implique à la pastorale. Il s’appelle Convertir Peter Pan. Sur le sort de la foi dans cette société de l’éternelle jeunesse. C’est provocateur, cela fait du bien. Le second est un livre sur les personnages secondaires ou oubliés de la Bible, du Père Luigi Maria Epicoco : La pierre rejetée, et en sous-titre Quand les oubliés se sauvent. C’est beau. C’est pour la méditation, pour la prière. En le lisant, cela m’a rappelé l’histoire de Naaman le Syrien dont j’ai parlé. Et le troisième est d’un Nonce Apostolique, Mgr. Fortunatus Nwachukwu, que vous connaissez bien. Il a réfléchi aux ragots, et j’aime ce qu’il a présenté : que les ragots font « fondre » l’identité. Je vous laisse ces trois livres, et j’espère qu’ils nous aideront tous à avancer. Merci ! Merci pour votre travail et votre collaboration. Merci.

Et nous demandons à la Mère de l’humilité de nous apprendre à être humbles : « Je vous salue Marie… »

[Bénédiction]

[1] G. Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Paris 1974, p. 135.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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jeudi 9 décembre 2021

​ Juan Diego Cuauhtlatoatzin . 1474 + 1548

 uan Diego



Statue de Juan Diego dans l'église
San Juan Bautista (Saint-Jean-Baptiste),
Coyoacán, Mexico.

Saint, voyant

Naissance

1474
Cuautitlán, Empire aztèque (aujourd'hui dans l'État de Mexico)

Décès

30 mai 1548  (73 ans)
Mexico,  Empire espagnol

Nom de naissance

Cuauhtlatoatzin

Vénérée à

Basilique Notre-Dame-de-Guadalupe de Mexico

Béatification

9 avril 1990 Basilique Notre-Dame de Guadalupe, à Mexico
par Jean-Paul II

Canonisation

31 juillet 2002 Mexico
par Jean-Paul II

Fête

9 décembre

Attributs

Tilma (tunique avec l'image de la Vierge imprimée)

modifier 

Notre-Dame de Guadalupe.

Juan Diego Cuauhtlatoatzin, né en 1474 et décédé le 30 mai 1548 à Mexico, également connu sous le nom de Juan Diego ou saint Juean Diego est le premier chrétien Amérindien déclaré saint par l'Église catholique. Il est canonisé par le pape Jean-Paul II en 2002, et sa fête est liturgiquement commémorée le 9 décembre par l'Église. La tradition en fait un Indien mexicain de la tribu des Nahuas qui aurait assisté en 1531 à l'apparition de la Vierge Marie sous la représentation de la Vierge de Guadalupe.

La basilique Notre-Dame-de-Guadalupe de Mexico, située au pied de la colline de Tepeyac, possède le manteau ou cape de Juan Diego (connu sous le nom de tilma) sur lequel une image de la Vierge aurait été imprimée par un miracle comme « un gage d'authenticité des apparitions ». Ces apparitions et la transmission de l'image miraculeuse sont à la base de la vénération de Notre-Dame de Guadalupe, qui est omniprésente au Mexique et qui prévaut dans toute l'Amérique latine. En conséquence, la basilique de Guadalupe est devenue le principal centre de pèlerinage pour les catholiques dans le monde, avec 20 millions de visiteurs par an.

La première contestation de l'historicité du personnage remonte à la toute fin du XVIIIe siècle, par l'historien Juan Bautista Muñoz (es). Ce débat a été rouvert à l'occasion du projet de béatification et de canonisation de Juan Diego par l’Église catholique à la fin du XXe siècle. Une opposition est même apparue parmi certains ecclésiastiques mexicains qui contestaient l'historicité des événements (l'apparition de la Vierge à Juan Diego). Ce conflit, qui s'est étalé dans le presse, a poussé la Congrégation pour la cause des saints a revalider l'historicité du futur saint, avant de valider sa canonisation.

Depuis le XVIIe siècle, la figure de Juan Diego (et la Vierge de Guadalupe), est vue comme un « pont unificateur » entre les différentes populations du Mexique, et par extension, de toute l'Amérique. L'image « indigène » de la Vierge sur sa tilma, le message transmis par la Vierge et répercuté par l’Église, sont interprétés et relus comme une passerelle entre les colons espagnols et européens, les populations autochtones du pays, et les populations métisses. Depuis la fin du XXe siècle, l’Église a développé « un message et un rôle d'évangélisation » affecté à Juan Diego envers les populations américaines. Enfin, depuis les années 1980, l'épiscopat sud-américain a développé dans sa pastorale le thème de « la défense des droits des peuples autochtones ». Le pape Jean-Paul II, à l'occasion de la béatification de Juan Diego, a placé l'Indien comme « protecteur et défenseur des peuples autochtones ».

​Biographie

Selon la tradition, Juan Diego est né en 1474 dans l'État de Mexico, à Cuautitlán, une ville aztèque à 20 km au nord de Tenochtitlan (aujourd'hui Mexico). Le nom donné à sa naissance - Cuauhtlatohuac - signifie « celui qui parle en aigle », en langue nahuatl1.

Lors de l'arrivée des conquistadors espagnols et de la chute de l'empire aztèque, il se convertit au catholicisme vers 1524 ou 1525 et prend le nom de Juan Diego. Il se retire alors dans une mission catholique de frères franciscains à Tolpetlac.

Au pied de la colline de Tepeyac.

Article détaillé : apparitions mariales de Notre-Dame de Guadalupe.

Alors qu'il se rend à pied à Mexico, le 9 décembre 1531, une vision de la Vierge Marie lui serait apparue sur la colline de Tepeyac, et lui aurait parlé en langue nahuatl. La Vierge lui aurait alors demandé de faire construire une église en ce lieu, et pour cela, d'aller voir l'évêque de la ville. Juan Diego va voir l'évêque espagnol, Juan de Zumárraga, pour lui transmettre la requête, mais celui-ci ne le croit pas, et lui demande un signe probant de la demande mariale. Le 12 décembre, la Vierge Marie apparaît alors une nouvelle fois à Juan Diego et, pour répondre à la demande de l'évêque, elle invite l'Indien à aller cueillir des roses sur la colline (alors que l'on était en plein hiver). Juan Diego trouve les roses et les présente à l'évêque. Lorsque les fleurs tombent de la tunique, une icône de la Vierge reste imprimée sur le tissu. L'évêque est alors convaincu de l'authenticité de la démarche de l'Amérindien2,3.

Une première chapelle est édifiée, au pied de cette colline pour accueillir la précieuse relique (l'image de Notre-Dame de Guadalupe restée imprimée sur la tilma de Juan Diego). Juan Diego s'installe sur place dans un ermitage et accueille les pèlerins indigènes, favorisant le mouvement de conversions religieuses au catholicisme, encouragé par les missionnaires espagnols4.

Juan Diego meurt à Mexico, le 30 mai 1548, à l'âge de 74 ans5.

​Historicité du personnage

​Sources historiques

Copie du Nican mopohua conservé à la bibliothèque de New-York.

Article détaillé : Premiers écrits des apparitions mariales de Guadalupe.

Les plus importantes documents approuvés par l'Église Catholique lors du procès en canonisation de Juan Diego sont :

  • Le Nican mopohua, le récit des apparitions écrit en nahuatl, la langue parlée par les Indiens de la vallée de l’Anahuac (Mexico) écrit vers 1545-15486 par Antonio Valeriano. Élève brillant du Collège de Santa Cruz de Tlatelolco, où il apprit l’espagnol et le latin, il fut nommé professeur à 21 ans, puis vice-recteur du collège et informateur de l'historien Fray Bernardino de Sahagún. Son manuscrit fut publié pour la première fois en 1649. Une des copies originales de l'époque de ce très précieux document se trouve à la Bibliothèque Publique de New York7, et a fait l’objet d’une multitude d’études par un grand nombre d’historiens.

  • Les témoignages recueillis lors des informations juridiques de 1666 (en)8.

  • Le Codex Escalada, découvert durant les phases d'enquêtes de canonisation.

Nican mopohua

Ce document manuscrit, publié en 1649, mais dont il existe plusieurs copies (à la bibliothèque d'Espagne, à la BNF, ou à la bibliothèque de New-York), est daté de 15569. Attribué par de nombreux historiens spécialistes en langue nahuatl à Antonio Valeriano (consensus assez large dans le milieu scientifique, malgré une critique toujours présente)10,11.

Codex Escalada

Le Codex Escalada, daté du milieu du XVIe siècle.

Ce Codex (ou Codex 1548) est une feuille de parchemin sur laquelle ont été dessinées, à l'encre et dans le style européen, des images (accompagnées d'un texte en nahuatl) illustrant l'apparition mariale de Notre-Dame de Guadalupe à Juan Diego sur la colline de Tepeyac, au nord du centre de Mexico. Le parchemin a été découvert pour la première fois en 1995 et daté de l'année 1550 (environ)12,13,14,15.

Le livre-dossier (El encuentro de la Virgen de Guadalupe y Juan Diego)8 dont les auteurs, Fidel González Fernández, Eduardo Chávez Sánchez et José Luis Guerrero Rosado, postulateurs pour la cause de Juan Diego, présentent les événements vécus par le Mexique au XVIe siècle, est le fruit des années de longues recherches dans le but de démontrer historiquement la vérité sur la vie de Juan Diego.

​Contestations et critiques

Article connexe : Contestations de l'image de Notre-Dame de Guadalupe.

​Chez les historiens

L'historicité de Juan Diego a soulevé un débat historiographique car les premiers documents publiés faisant référence à ce personnage remontent à 1648 (publication du livre Imagen de la Virgen María par Miguel Sánchez (en))16 et 1649 (publication du Huei tlamahuiçoltica par Luis Lasso de la Vega), soit plus d'un siècle après sa mort. Certains historiens restent ainsi sceptiques quant à l'existence réelle de Juan Diego14.

La première contestation historique remonte à la toute fin du XVIIIe siècle avec la rédaction par Juan Bautista Muñoz (es) de son « Mémoire sur les apparitions et le culte de Notre-Dame de Guadalupe de Mexico »17. L'historien espagnol rejetant les écrits indigènes conclut que les apparitions mariales de 1531 sont un mythe construit par le clergé18,19. Ses écrits amènent de vives réactions au Mexique20.

Dans les années 1990, avec le projet de béatification, puis de canonisation, les historiens ont ravivé les doutes quant à la qualité des preuves concernant « l'historicité » de Juan Diego. Les écrits (qui nous sont parvenus) de Mgr Zumárraga, entre les mains duquel Juan aurait remis l'image miraculeuse, ne font référence ni à lui ni à cet événement. Le compte rendu de l'enquête ecclésiastique de 1556 l'a omis et il n'a pas été mentionné dans la documentation (du clergé espagnol) avant le milieu du XVIIe siècle21.

En 1995, le père jésuite Xavier Escalada, annonce la découverte fortuite d'une feuille de parchemin (connue sous le nom de Codex Escalada), qui contient un compte rendu illustré de la vision et quelques notations en nahuatl concernant la vie et la mort de Juan Diego. Cette annonce qui se situe presque à mi-chemin entre la béatification et la canonisation de Juan Diego en 1990 et 2002 respectivement, et le parchemin daté du milieu du XVIe siècle (soit quelques années après la mort de Juan Diego) amène de nouvelles critiques « sur l'authenticité de la découverte, et du document »N 1. Avant la découverte du parchemin, la première publication évoquant Juan Diego était Imagen de la Virgen María de Miguel Sánchez (es), publiée au Mexique en 164822. Si le parchemin ne contient pas de faits nouveaux alors inconnus et relatifs à Juan Diego ou aux apparitions (son nom d'origine et l'année de sa mort étaient déjà connus via d'autres sources, et le rôle d'Antonio Valeriano dans la promotion du culte de Notre-Dame de Guadalupe était déjà connu via le Nican mopohua), ce codex atteste de l'ancienneté du culte de Notre-Dame de Guadalupe, mais aussi de l’existence de Juan Diego, et de sa mort. Si, bien sûr, le Nican mopohua est bien attribué à Antonio Valeriano, comme cela a toujours été le cas, malgré les récentes critiques12,13,14,15.

Selon une étude anthropologique d'Hilda Chávez, il faudra revoir l'idée que Juan Diego ait été un Indien d'origine pauvre car les traditions orales laissent penser qu'il s´agissait au contraire d´un noble23.

​Dans le clergé catholique

En 1996, un abbé de la basilique de Guadalupe, Guillermo Schulenburg (en), âgé de 83 ans, a été contraint de démissionner à la suite d'un entretien publié dans le magazine catholique Ixthus, dans lequel il citait Juan Diego comme étant « un symbole, pas une réalité », et que sa canonisation serait « la reconnaissance d'un culte. Ce n'est pas une reconnaissance de l'existence physique et réelle d'une personne »24. En 1883, Joaquín García Icazbalceta, historien et biographe de Mgr Zumárraga, dans un rapport confidentiel sur la Vierge de Guadalupe pour Mgr Labastida, avait hésité à soutenir l'histoire de la vision. Il a conclu que Juan Diego n'avait pas existé21.

Dès l'annonce de la canonisation de Juan Diego en janvier 2002, un groupe de cinq hauts dignitaires de l'Église mexicaine mené par l'abbé de la basilique de Guadalupe Guillermo Schulenburg, ose critiquer, selon leur expression, ce que « bon nombre d'universitaires et de gens cultivés préfèrent taire tant le sujet est passionnel ». Selon le récent ouvrage publié par Guillermo Schulenburg (en), l'existence de Juan Diego n'en est pas moins douteuse, car il n'existe aucun témoignage direct concernant sa vie, les premiers écrits lui faisant référence datant de la moitié du XVIIe siècle25.

Des courriers furent envoyés à Rome, aux autorités du Vatican (pour contester le travail de la Congrégation pour la cause des saints )N 2, et même diffusés dans la presse, ce qui aggrava la polémiqueN 3.

En partie pour répondre à ces questions, ainsi qu'à d’autres, la Congrégation pour la cause des saints a rouvert la phase historique de l’enquête en 1998. En novembre de la même année, la congrégation s'est déclarée satisfaite des résultats obtenus26. Après la canonisation de Juan Diego en 2002, l’Église catholique considère la question comme close.

​Importance et reconnaissance dans l’Église catholique

​Béatification et canonisation

​Béatification

Intérieur de la basilique Notre-Dame-de-Guadalupe où s'est déroulée la béatification en 1990.

Le mouvement moderne de canonisation de Juan Diego (à distinguer du processus d’obtention de l’approbation officielle du culte de Guadalupe, commencé en 1663 et réalisé en 1754)27, a pris naissance en 1974, au cours de célébrations marquant le 500e anniversaire de sa naissance, mais ce n’est qu’en janvier 1984 que l’archevêque de Mexico, le cardinal Ernest Corripio Ahumada, a nommé un postulateur chargé de superviser et de coordonner le processus de canonisation28,29,N 4. La procédure pour cette première étape (aussi désignée comme étape diocésaine) du processus de canonisation avait récemment été réformée et simplifiée par le pape Jean-Paul IIN 5.

L’enquête diocésaine a été officiellement clôturée en mars 198629 et le décret ouvrant la phase romaine de la procédure a été obtenu le 7 avril 1986. Lorsque le décret de validité de l’enquête diocésaine a été rendu le 9 janvier 1987 (permettant de poursuivre), le candidat est devenu officiellement « vénérable ». Le Positio a été publié en 1989, année où tous les évêques du Mexique ont présenté une pétition au Saint-Siège pour soutenir la cause de béatification30. Par la suite, la Positio a été examinée minutieusement par des consultants en histoire (étude achevée en janvier 1990) et par des experts en théologie (examen conclu en mars 1990), à la suite de quoi la Congrégation pour la cause des saints a officiellement approuvé la Positio et le pape Jean-Paul II a signé le décret le 9 avril 1990. Le processus s'est achevé lors de la cérémonie de béatification présidée par le pape Jean-Paul II à la basilique Notre-Dame de Guadalupe de Mexico le 6 mai 1990. Le 9 décembre a été déclaré jour de la fête du « Bienheureux Juan Diego Cuauthlatoatzin »31,32,33. Conformément aux cas exceptionnels prévus par Urbain VIII (1625-1634) pour réglementer les procédures de béatification et de canonisation, l'exigence d'un miracle préalable à la béatification a été supprimée (pour Juan Diego), en raison de l'antiquité du culteN 6.

​Le miracle

Bien que la béatification ait été déclarée « équipollente », il était normalement exigé qu'au moins un miracle soit obtenu à l'intercession du futur saint avant que sa cause de canonisation puisse être menée à son terme. Les événements considérés « comme satisfaisants » à cette exigence se sont déroulés du 3 au 9 mai 1990 à Querétaro au Mexique (et précisément durant la période de béatification) lorsqu'un toxicomane de 20 ans nommé Juan José Barragán Silva est tombé d'un appartement balcon situé à 10 mètres de haut, sur la tête, sur une surface en ciment (apparemment dans une tentative de suicide). Sa mère Esperanza, témoin de la chute, a fait appel à Juan Diego pour sauver son fils gravement blessé à la colonne vertébrale, au cou et au crâne (avec une hémorragie intra-crânienne). Barragán a été emmené à l'hôpital où il est entré dans le coma. Le jeune homme est soudainement sorti du coma le 6 mai 1990. Une semaine plus tard, il était suffisamment rétabli pour rentré chez lui34.

Le miracle présumé a fait l'objet d'une enquête conformément à la procédure habituelle de la Congrégation pour la Causes des saints : d’abord, les faits de la cause (y compris les dossiers médicaux et six dépositions de témoins oculaires, dont ceux de Barragán et de sa mère) ont été rassemblés à Mexico et transmis à Rome pour approbation quant à la suffisance, ce qui a été accordé en novembre 1994. Ensuite, le rapport unanime de cinq conseillers médicaux (sur la gravité des blessures, leur probabilité d'être fatales, l'impossibilité de toute intervention médicale pour sauver le patient, son rétablissement complet et durable, et son incapacité à l'attribuer à une maladie connue, le processus de guérison) a été reçu et approuvé par la Congrégation en février 1998. De là, le dossier a été transmis aux conseillers en théologie qui ont examiné le lien entre :

  • (i) la chute et les blessures,

  • (ii) la foi de la mère en le « Bienheureux Juan Diego » et l'invocation de celui-ci,

  • (iii) le rétablissement, inexplicable sur le plan médical.

Leur approbation unanime a été signifiée en mai 200135. Enfin, en septembre 2001, la Congrégation pour les causes des saints a voté en faveur du miracle. Le décret relatif à la reconnaissance officielle des événements comme miraculeux a été signé par le pape Jean-Paul II le 20 décembre 200136,N 7.

​Canonisation

Le processus de canonisation a été soumis à des retards et à des obstacles de différentes natures. En l’espèce, certaines interventions ont été lancées début 1998 par un petit groupe d’ecclésiastiques mexicains (jadis rattachés à la basilique de Guadalupe), qui demandaient que l’on procède à un réexamen du caractère suffisant de l’enquête historique. Cette révision, qui se produit fréquemment dans les cas de béatifications équipollentes37, a été confiée par la Congrégation pour la cause des saints (agissant de concert avec l’archidiocèse de Mexico) à une commission historique spéciale présidée par les historiens ecclésiastiques mexicains Fidel González, Eduardo Chávez Sánchez et José Guerrero. Les résultats de cet examen ont été présentés à la Congrégation pour la cause des saints le 28 octobre 1998, qui les a approuvés à l'unanimité30,38,N 8.

L'année suivante, le résultat des travaux de la Commission est publié dans un livre par González, Chávez Sánchez et José Luis Guerrero: « El encuentro de la Virgen de Guadalupe y Juan Diego »8. Cette publication a amené une intensifications des protestations de ceux qui tentaient de retarder ou d'empêcher la canonisation, et les débats sur la qualité de la recherche présentée dans l'ouvrage, se déroulèrent d'abord en privé, puis en publicN 2. L'objection principale contre le livre8 était que celui-ci « ne réussissait pas à faire la distinction entre l'antiquité du culte et l'antiquité de la tradition des apparitions ». À l'opposé, l’argument (des défenseurs de la canonisation) était que chaque tradition comportait une phase orale initiale au cours de laquelle la documentation écrite ferait défaut. L’authenticité du Codex Escalada et la datation du Nican mopohua soit au XVIe siècle, soit au XVIIe siècle ont une incidence importante sur la durée de la phase orale de la transmissionN 3,N 9 (et donc dans leur pertinence en tant que preuve écrite). L’approbation finale du décret de canonisation a été signifiée dans un consistoire tenu le 26 février 2002, date à laquelle le pape Jean-Paul II a annoncé que le rite de la canonisation aurait lieu au Mexique, dans la basilique de Notre-Dame de Guadalupe, le 31 juillet 200239. La célébration s'est tenue à la date annoncée40,41,42.

​Saint patron

Lors de l'homélie de béatification de Juan Diego en 1990, le pape Jean-Paul II nomme Juan Diego « protecteur et défenseur du peuple autochtone »43.

Juan Diego est aussi choisi comme patron des JMJ 2019 au Panama44.

​Signification pastorale dans l’Église du Mexique

​L'évangélisation du nouveau monde

La conversion des Indiens. Felipe Gutiérrez, 1894.

L'auteur du Nican MopectanaN 10 ainsi que Miguel SánchezN 11 expliquent que le but immédiat de la Vierge en se présentant à Juan DiegoN 12 était évangélique : attirer les peuples du Nouveau Monde à croire en Jésus-Christ : « Au début, lorsque la foi chrétienne venait d'arriver ici, dans le pays que nous appelons aujourd'hui la Nouvelle-Espagne, la dame céleste, la Sainte Vierge Marie, chérie, aida et défendit à maints égards la population locale pour qu'elle puisse se donner entièrement à adhérer à la foi [...] afin de pouvoir l'invoquer avec ferveur et avoir pleinement confiance en elle, elle a jugé bon de se révéler pour la première fois à deux Indiens d'ici »45.

L'importance de ce thème a été soulignée au cours des années qui ont précédé la canonisation de Juan Diego. Cette thématique a reçu une nouvelle impulsion dans la lettre pastorale publiée par le cardinal Rivera en février 2002 à la veille de la canonisation et a été affirmé par Jean-Paul II dans son homélie lors de la cérémonie de canonisation lorsqu'il a qualifié Juan Diego de « modèle d'évangélisation parfaitement inculturé », une allusion à l'implantation de l'Église catholique dans la culture autochtone par le biais de l'événement de Guadalupe40,46.

​Réconcilier deux mondes

Gravure du XVIIe siècle du « miracle de la tilma ».

Au XVIIe siècle, Miguel Sánchez interpréta la Vierge comme s’adressant spécifiquement aux Indiens, tout en notant que Juan Diego lui-même considérait tous les habitants de la Nouvelle-Espagne comme ses héritiers spirituels, les héritiers de la « sainte image »47. Les propres paroles de la Vierge à Juan Diego, rapportées par Sánchez, étaient (sur ce point) équivoques : elle cherchait un endroit à Tepeyac où elle pourrait se montrer : « en tant que mère compatissante envers vous et les vôtres, envers mes dévots, envers ceux qui devraient me chercher pour obtenir le soulagement de leurs besoins. »48.

En revanche, les mots du message initial de la Vierge tels qu'ils sont rapportés dans Nican mopohua s'adressent, en termes spécifiques, à tous les résidents de la Nouvelle-Espagne sans distinction, tout en étant également ouverts d'autres peuples : « Je suis la mère compatissante de vous et de tout le monde, ici dans ce pays, et des divers autres peuples qui m'aiment et me réclament »49.

L'introduction de Lasso de la Vega met en lumière la faveur spéciale mais non exclusive de la Vierge envers les peuples autochtones : « vous souhaitez que nous, vos enfants, [vous] implorions, en particulier les habitants, les humbles roturiers à qui vous vous êtes révélés »50.

À la fin du cycle de miracles du Nican Mopectana, il existe un vaste résumé qui englobe les différents éléments de la nouvelle société émergente « les populations locales et les Espagnols [Caxtileca] ainsi que tous les peuples différents qui l'ont appelée et suivie »51.

Le rôle de Juan Diego, à la fois représentant et confirmant la dignité humaine des populations indiennes autochtones et revendiquant leur droit de revendiquer une place d’honneur dans le Nouveau Monde, est donc inscrit dans les récits les plus anciens, et il n’est cependant pas par la suite devenu latent, mais a attendu sa redécouverte au XXe siècle. L'archevêque Lorenzana, dans un sermon de 1770, a applaudi le fait évident que la Vierge a honoré les Espagnols (en stipulant le titre « Guadalupe »), les Indiens (en choisissant Juan Diego) et ceux métis (dans la couleur de son visage). Dans un autre passage de ce sermon, l'archevêque a noté une figure représentant « un huit » sur la robe de la Vierge et a déclaré que celle-ci représentait les deux mondes qu'elle protégeait (l'ancien et le nouveau)52. Cet objectif d'harmonisation et de reconnaissance des différentes cultures au Mexique plutôt que de les homogénéiser se reflétait également dans l'iconographie de la Vierge de Guadalupe au XVIIIe siècle, ainsi que dans les célébrations du couronnement de l'image de Guadalupe en 1895, où une place d'honneur a été donné à 28 Indiens de Cuautitlán (village de naissance de Juan Diego), Indiens venus vêtus d'un costume traditionnel53. Le rôle éminent accordé aux participants autochtones lors de la cérémonie de canonisation en 2002, non sans critiques de la part des puristes liturgiques, constituait l’un des traits les plus frappants de cette célébration54,55.

​Droit des populations indigènes

À la signification spirituelle et sociale de Juan Diego dans l’événement de Guadalupe, on peut ajouter un troisième aspect qui n’a commencé à être explicitement reconnu que récemment, bien qu’il soit implicite dans les deux aspects déjà évoqués : le droit des peuples autochtones à conserver leurs traditions culturelles, et leur mode de vie honorés et protégés contre les empiétements. Les trois thèmes étaient pleinement présents dans l'homélie du pape Jean-Paul II lors de la canonisation de Juan Diego le 31 juillet 2002, mais c'est le troisième qui a trouvé son expression la plus frappante dans son appel rassembleur : « Le Mexique a besoin des peuples autochtones. Les peuples autochtones ont besoin du Mexique »40. Lors de la cérémonie de béatification de 1990, Juan Diego avait déjà été salué comme représentant de tout un peuple - tous les autochtones qui avaient accepté l'Évangile chrétien en Nouvelle-Espagne - et même comme « protecteur et défenseur du peuple autochtone »43.

Dans le processus de développement industriel et économique observé dans de nombreuses régions du monde après la Seconde Guerre mondiale, les droits des peuples autochtones sur leur terre et sur l’expression sans obstruction de leur langue, de leur culture et de leurs traditions ont été sous pression, ou au mieux ignorés. L'industrialisation (menée par l'industrie du pétrole) a rendu le problème aussi aigu au Mexique qu'ailleurs. L’Église avait commencé à mettre en garde contre l’érosion des cultures autochtones dans les années 1960, mais c’était généralement dans le contexte des « pauvres », des « défavorisés » et des « minorités ethniques », souvent liés à la réforme agraire56.

L’épiscopat latino-américain, lors de ses deuxième et troisième conférences générales tenues à Medellín (Colombie) en novembre 1968, puis à Puebla (Mexique) en janvier 1979, a cessé de traiter les populations autochtones comme des personnes nécessitant une attention particulière, pour reconnaitre un devoir de promouvoir et de défendre la dignité des cultures autochtones57. C'est dans ce contexte que le pape Jean-Paul II, commençant par un discours adressé aux peuples autochtones du Mexique en 1979, a élevé la reconnaissance des droits des peuples autochtones au rang de thème majeur distinct de la pauvreté et de la réforme agraire. La première fois qu'il associa Juan Diego à ce thème, cependant, ce n'était pas lors de son premier voyage apostolique au Mexique en 1979, mais lors d'une homélie lors d'une messe à Popayán, en Colombie, le 4 juillet 1986. De nombreux voyages papaux en Amérique latine à cette période ont été marqués par des réunions avec les peuples autochtones au cours desquelles ce thème a été présenté et développé 58.

​Source

​Notes et références

​Notes

  • Pour certains auteurs, cette découverte était « trop miraculeuse » pour que le document ne soit pas un faux.

  • Un nouveau courrier fut envoyé à Rome, celui-ci fut divulgué à la presse et finalement publié en entier (avec d'autres) par le Père Manuel Olimón Nolasco : les lettres du 27 septembre 1999 au cardinal Sodano, alors secrétaire d'État (des trois ecclésiastiques mexicains à l'origine de la correspondance), celles du 14 mai 2000 à Mgr Tarcisio Bertone, Archevêque (aujourd'hui Cardinal), alors secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ces lettres étaient signées par ces trois ecclésiastiques, ainsi que par les trois historiens qui ont cosigné la lettre du 9 mars 1998 ; et, enfin, une dernière lettre au cardinal Sodano du 4 décembre 2001 des trois mêmes ecclésiastiques mexicains, ainsi que du père Olimón Nolasco, dont le but principal était de critiquer le cardinal Rivera pour avoir « diabolisé » ceux qui étaient opposés à la canonisation. Sur toute cette correspondance. Voir (es) Rodrigo Martínez Baracs, « La querella por Juan Diego », La Jornada Semanal, no 390,‎ 25 août 2002 (lire en ligne [archive], consulté le 29 août 2019).

  • Lorsque le premier postulateur, le père Antonio Cairoli (OFM) est décédé, le père Paolo Molinari (sj) lui a succédé en 1989. Il s’agissait de postulateurs généraux des ordres religieux auxquels ils appartenaient (franciscains et jésuites, respectivement) et résidaient tous deux à Rome. Mgr Oscar Sánchez Barba est nommé postulateur en 1999, puis en 2001, le père Chávez Sánchez est nommé à son tour postulateur de la cause de la canonisation de Juan Diego. Voir Chávez Sánchez 2001.

  • Un cas similaire de « béatification équipollente », comme on l'appelle, s'est produit dans le cas de onze des quarante martyrs d'Angleterre et du pays de Galles, qui ont été béatifiés (avec de nombreux autres martyrs) par étapes entre 1888 et 1929, mais qui ont été canonisés ensemble en 1970. Voir (en) Paolo Molinari, S.J., « Canonization of 40 English and Welsh Martyrs », Global Catholic Network,‎ 29 octobre 1970 (lire en ligne [archive], consulté le 27 août 2019).

  • L’Église catholique considère « un miracle approuvé » comme une « validation des résultats » obtenus par le processus humain d’investigation qui constitue la cause de canonisation.

  • Rodrigo Baracs cite également l'éminent guadalupaniste Xavier Escalada s.j. (qui avait publié le Codex Escalada pour la première fois en 1995) et l'historien mexicain et érudit nahuatl Miguel León-Portilla, comme ayant participé, avec d'autres, aux travaux de la Commission.

  • À noter que les deux documents manuscrits, Codex Escalada et Nican mopohua, ont été datés du milieu du XVIe siècle, soit proches à une vingtaine d'années des apparitions. Voir les articles en question.

  • Le Nican Mopectana est un des « livres » (un chapitre en fait) du Huei tlamahuiçoltica publié en 1649.

  • Miguel Sanchez est l'auteur de la publication Imagen de la Virgen María en 1648 à Mexico.

  1. Les auteurs font un parallèle avec la Virgen de los Remedios (es) qui serait apparue à Don Juan, d'après une antique tradition orale espagnol, et qui aurait, lui aussi, été chargé d'une mission d'évangélisation (d'après eux).

​Références

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  • Les circonstances de la chute, les détails des blessures, la prière de la mère et l'assistance médicale fournie à son fils, le pronostic et son rétablissement soudain inexplicable sont détaillés dans (es) Fidel González Fernández, Guadalupe : Pulso y Corazon de un Pueblo, Mexico, Encuentro Ediciones, 2005, 552 p. (ISBN 978-84-7490-759-9, lire en ligne [archive]), annexe 5.

  • (la) Jean-Paul II, « Canonizationis Beati Ioannis Didaci Cuauhtlatoatzin viri laici (1474-1548) », ACTA APOSTOLICAE SEDIS, no 94,‎ 2002, p. 488 (lire en ligne [archive], consulté le 27 août 2019).

  • (en) Paolo Molinari, S.J., « Canonization of 40 English and Welsh Martyrs », L'Osservatore Romano,‎ 29 octobre 1970 (lire en ligne [archive], consulté le 28 août 2019).

  • (la) Jean-Paul II, « quibus beato Ioanni Didaco Cuauhtlatoatzin Sanctorum honores decernuntur », ACTA APOSTOLICAE SEDIS, vol. 95,‎ 2003, p. 801–803 (lire en ligne [archive], consulté le 27 août 2019).

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  • Brading 2001, p. 178,297. Voir aussi les planches 16 et 20.

  • (en) Jr. John L. Allen, « Inculturation at papal Masses; Maciel gets front-row seat; next, Poland and St. Faustina », National Catholic Reporter, vol. 1, no 50,‎ 9 août 2002 (lire en ligne [archive], consulté le 29 août 2019).

  • (en) Jr. John L. Allen, « The papal liturgist; The Phoenix bishop; Methodists in Rome; Catholics in Israel; The 8th of May Movement calls it quits », National Catholic Reporter, vol. 2, no 43,‎ 20 juin 2003 (lire en ligne [archive], consulté le 29 août 2019).

  • The Medellin Document, Introduction, § 2,3,14 ; The Puebla Document § 19.

  1. Voir la réunion avec les Indiens mexicain à Cuilapan le 29 janvier 1979 (lire en ligne [archive]) ; le discours aux Indiens amazoniens à Manaus au Brésil le 10 juillet 1980 ((es) lire en ligne [archive]) ; discours aux populations indigènes à Guatemala le 7 mars 1983 ((es) lire en ligne [archive]) ; rencontre avec les populations indigènes à l'aéroport de Latacunga le 31 janvier 1985 ((es) lire en ligne [archive]) ; discours aux Indiens amazoniens à Iquitos le 5 février 1985 ; homélie de la messe avec les peuples indigènes à Popayán le 4 juillet 1986 ((es) lire en ligne [archive]) ; rencontre avec les Indiens de la mission Sainte Thérèse à Mariscal Estigarribia (Paraguay) le 17 mai 1988 ((es) lire en ligne [archive]) ; message aux peuples indigènes d'Amérique pour le 5e centenaire du début de l'évangélisation du continent le 12 octobre 1992 ((es) lire en ligne [archive]) ; message aux communautés indigènes du sanctuaire Notre-Dame d'Izamal (Mexique) le 11 août 1993 ((es) lire en ligne [archive]) ; homélie de la messe aux fidèles et aux populations indigènes à Xoclán-Muslay, Mérida le 11 août 1993 ((es) lire en ligne [archive]).

​Voir aussi

​Bibliographie

Controverse
  • (es) Fidel González Fernández, Eduardo Chávez Sánchez et José Luis Guerrero Rosado, El encuentro de la Virgen de Guadalupe y Juan Diego, Libreria De Porrua Hermanos Y, 2001, 608 p. (ISBN 978-970-07-3005-9, lire en ligne [archive]).

  • (es) Rodrigo Baracs, « Querella por Juan Diego », La Jornada Semanal, no 390,‎ 25 août 2002.

  • (es) Luis Martínez Ferrer, « reseña de "El encuentro de la Virgen de Guadalupe y Juan Diego" », Anuario de Historia de la Iglesia, Pamplona, University of Navarre, vol. 9,‎ 2000, p. 597–600.

  • (en) Stafford Poole, Did Juan Diego Exist? Questions on the eve of canonization, Commonwealth, 2002.

  • (es) Olimón Nolasco, La Búsqueda de Juan Diego, Mexico, Plaza y Janés, 2002 (lire en ligne [archive]).

  • (en) Stafford Poole, « History versus Juan Diego », The Americas, vol. 62, no 1,‎ 2005, p. 1–16.

Études
Ouvrages apologétiques
  • François Brune, La Vierge du Mexique ou le miracle le plus spectaculaire de Marie, Le jardin des livres, 1998, 285 p. (ISBN 978-2-914569-09-5).

  • Jean Mathiot, Juan Diego : l'humble indien de Notre-Dame de Guadalupe, Fidélité, coll. « Sur la route des Saints », 2002, 72 p. (ISBN 978-2-87356-217-5).

  • Dante Alimenti, Jean-Paul II apôtre de la paix : Lourdes, Fatima, Guadalupe : les apparitions de la vierge, Simoni, 199 p. (ASIN B01M07QMTY), p. 193-199.

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