samedi 10 mai 2008

regards regardés - prendre nous lie

Samedi 10 Mai 2008



Visage du bonheur, malgré tant d’angoisses et aussi de fatigue : ma chère femme de profil, en imperméable, assise sur le muret tournant à demi autour du manège, avec notre fille sur ses genoux. Peu auparavant, tête posée sur l’oreiller, notre fille entre nous pendant notre courte sieste, un regard mi-endormi mi-rêveur répondant au mien… Appelé avant que nous passions à table, le Frère C.. Récit de sa journée... Le parc désert, la marche tranquille, quelques pas de danse lancés selon sa musique (religieuse juive). La sainte qui l’habite : son conseil ? je ne peux rien dire, sinon que je suis heureux d’y aller, heureux d’y prier : devant sa tombe. Rencontré fortuitement l’évêque, présent à M., pour la confirmation de près de 180 professants. Comme toujours quand je rencontre quelqu’un qui me dépasse, je confie la conversation à l’Esprit-Saint et cela se passe très bien. Simplicité – signe constant de vérité dans le cas de ce cher frère d’âme et d’attente (je n’écrirai pas de recherche : il baigne dans ce que d’autres ne savent ni demander ni chercher). Mercredi dernier, les pas au-dessus de sa cellule, alors qu’il n’y a personne, le démon… mais il ne décrit pas quoique je le lui demande ces pas, il répond : c’était surnaturel. Ce genre de réponse est saisissant à deux points de vue : aucune recherche d’affabulation, sens spirituel et discernement des phénomènes très assuré. J’ai déjà ressenti, pour le moment encore confusément, qu’il est tout à fait capable de diriger, au sens de remettre dans ses axes, quelqu’un qui aurait perdu tout repère à long terme comme dans l’instant d’un entretien spirituel, d’une visite à quelque père en expérience de la vie, c’est-à-dire de Dieu. Il a le don, manifestement, de la simplicité.

Il y a quelques jours, quittant l’école après y avoir déposé notre enfant, une jeune fille, yeux clairs, front pur, cheveux en bandeau du moins j’ajoutais cela, peut-être en imagination, je la regarde et l’ai aussitôt désiré, intensément, violemment, la silhouette était un peu épaisse, ces pantalons de toile comme si c’était du sac de couchage faisant les jambes en élépgant, le buste ne donnait aucune forme à voir ou deviner, c’était l’image d’une certaine tranquillité copieuse, enveloppante, solide. A l’écrire maintenant, une forme de la maternité mais propice à l’étreinte sexuelle et aux échanges de regards dans la nudité et la pénombre. Heureusement, et combien de fois l’ai-je expérimenté, ces désirs sans prénom à qui les dédier, sont sans prise, parce que cela « passe », s’oublie en quelques minutes, une totalité intense se défait, s’évanouit. Il n’y a d’ailleurs rencontre que de soi-même, précaire, vulnérable et providentiellement gardé – de soi, précisément, car céder, courir, rechercher, tenter serait aller à l’addiction et l’ivresse et si la vie est déjà ordonnée, faite, si les responsabilités, les acquis – à la vérité, tout le cycle de la confiance – sont là, en nous, ce serait folie et pis que mort que d’aller à la poursuite d’un papillon. Il m’a fallu une vie pour comprendre que prendre me faisait tout perdre.

Aujourd’hui, à la messe de Pentecôte que je viens célébrer à la chapelle de P., notre fille installant son oreiller puis son petit corps, pouce entre les lèvres, sur deux chaises à touche-touche de notre cher recteur D., prêchant et lisant en rouge-sang (martyrs et Esprit-Saint, même témoignage), j’ai vis-à-vis, de l’autre côté de l’autel, deux adolescentes, l’une s’ennuie et évalue tout dédaigneusement, le visage un peu lourd et rectangulauire d’une Catherine Deneuve résolument brune, noire de jais, les yeux trop grands, l’autre paraît moins présente d’abord, mais haussant soudainement un tout petit peu le menton, elle me donne à regarder un visage qui m’apparaît alors parfait quoique sans modèle, le nez a la même épaisseur tout à son long, il n’a pas de racine, prolonge un front qui est pur et réfléchi, les traits sont peu nombreux, les volumes sont des traits, il n’y a pas de masse, tout est simple, les yeux clairs, cette jeune fille a une âme, elle prie aux grands moments de ces trois quarts d’heure, elle est transparente pour l’essentiel en ce sens que je me mets à souhaiter éperdûment son bonheur et que je ressens avec certitude qu’elle le mérite. Netteté grave du regard, du visage cohérent et simple. Elle m’a souri un moment, sans savoir sourire, une sorte de grimace et de masque un instant, était-ce une offrande ou un signe ténu de gratitude, le seul que chacune de nos vies nous permette à jamais. Elle a quitté l’église avant que je puisse bouger, elle et sa sœur dont je n’ai pu comparer les silhouettes, le visage qu’il me reste à regarder de mémoire se simplifie encore, un contour, pas de traits intermédiaires, des yeux clairs mais sans insistance.

Avant-hier, la messe républicaine (notre recteur dixit)… deux ou trois femmes, que des hommes, tous ayant passé au moins la soixantaine, le rapport masculin-féminin inverse des dimanches. La messe des anciens combattants. Rite… je découvre des profils perdus, non loin de moi, ces hommes sont pieux, graves, accueillant sérieusement ce que la liturgie dispense même si – en dehors des sacrements qui se reçoivent en famille et donnent lieu à repas – ils ne viennent à l’église que pour sortir derrière le drapeau et aller au monuments aux morts écoûter le maire, la sonnerie quand il y en a une, le message du secrétaire à la Défense préposé à la commémoration.

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