jeudi 28 février 2013

en lisant Tariq Ramadan pour son bilan de Benoît XVI


Je crois plus à la critique interne, au jugement d’une chose, d’un événement et surtout d’une personne, sans l’a priori de soi, en perdant autant que possible son point de vue d’observateur situé, contingent, précaire. Je crois à une évaluation des personnes selon ce qu’elles veulent être plus que selon ce qu’elles nous apparaissent. Le factuel pour l’humain ne se découvre que dans les conséquences et que dans le cœur des autres – haineux ou aimant.

Je ne crois donc pas au jugement de la foi des autres selon la foi de soi – qui a cependant été tellement la manière de l’Eglise, de l’Eglise humaine en ses expressions datées et contingentes, en ce sens Josef Ratzinger n’y manqua pas, notamment pour ses lectures de la « théologie de la libération » ou sa reprise du dialogue d’un empereur byzantin avec un musulman sans doute renommé (le dialogue d’époque fut certainement de qualité et n’a pas été le fond du pape régnant dans son discours si mal rçu, celui de Ratisbonne) – je crois à l’empathie qui fait comprendre, découvrir, exprimer les questions, prolonger les réponses. L’agnostique quand il est en défense de son agnosticisme en faisant du doute ou de son apathie intellectuelle, l’un estimable, l’autre regrettable, est aussi totalitaire que l’Islam jugeant le christianisme, que l’Eglise affirmant qu’hors elle, il n’y a point de salut, que les Juifs ne cherchant plus même à dialoguer mais pouvant convertir par présence, et donnant là d’ailleurs un chemin que les musulmans pratiquent mais les chrétiens, au moins selon ce que je cotoie ou entend en France, ne savent pas ou plus.

Bilan d’un pape ? par rapport à ce qu’il voulut ? Réputation antérieure à son élection, selon Tarik Ramadan. Un pape affirmatif, à qui est dénié tout rayonnement mais seulement concédé des qualités personnelles, il est vrai impressionnantes. Résumé cinglant de Tarif, à qui je reconnais – pour ne l’avoir vaguement, évasivement vu et écouté à la télévision – un talent de plume et une vigueur de pensée… « le Pape a ainsi incarné la cohérence fermée, et troublante, de l’esprit dogmatique ». Soit… mais aux chrétiens fermés et dogmatiques que je rencontre, je ne reconnais nullement une cohérence puisque le maître et fondateur dont se réclame le chrétien est au contraire un Dieu su ouvert, qu’il s’incarne, prend notre condition et même nos manières de parler et de réfléchir. Benoît XVI est christo-centré, il cherche et trouvé le Vchrist dans l’histoire, il excelle à donner le portrait et l’apport de chacun de nos pères, docteurs et saints de l’Eglise. Sa théologie est une théologie fo,ndée sur la connaissance des personnes, à commencer évidemment par celle de Jésus. Jean Paul II canonisait presque les vivants, en tout cas les contemporains, ce qui était une autre manière de prêcher par l’exemple, l’œuvre de Dieu chez son saint, ou vis-à-vis du sceptique le résultat du spirituel dans une vie humaine. Pie XII, Jean XXIII, Paul VI eurent surtout affaire à une époque historique, événementielle : la guerre mondiale, la guerre froide, la décolonisation, le développement économique, donc de la doctrine et de l’analyse du temps. Textes et présence inégaux de rayonnement mais obligation du contemporain. Jean Paul II ferma cette ère, et excellemment car il devint lui-même l’événement, rien que son élection du fait de sa nationalité, d’un pays particulièremenr symbolique du nazisme et du communisme. Mais quand s’ouvrit une tout autre étape de l’humanité – peut-être avec le 11-Septembre fondant ce manichéisme islamophobe et raciste dont on cherchait depuis l’implosion soviétique, l’intitulé sinon le fait, le besoin d’ennemi pour expliquer le monde et se justifier soi-même – étape d’une recherche mentale, morale avec les théories sur la fin de l’histoire et avec l’apparition d’une nouvelle dogmatique totalitaire : le libéralisme mondialiste, Jean Paul II fut moins sûr et moins reçu. Benoît XVI sut éviter la succession et choisit une autre voie, mais les questions éthiques, le poison manichéen, l’agression mutuelle à propos du sexe, de la famille, de la procréation, les péchés du prêcheur l’assaillirent et aucun des papes récents n’avait préparé l’Eglise à cet assaut dont – jusqu’à présent – les autres grandes religions, et les chefs spirituels ont été dispensés.

Pour moi, Benoît XVI c’est celui qui adresse la grande lettre au clergé et aux fidèles d’Irlande. Il ne s’agit pas de foi mais de monstruosité, et la monstruosité – chacun devrait en revivre l’exemple dans sa propre vie quand la tentation quel qu’en soit la matière ou le thème est là si astreignante et insidieuse, si démembrante – est évidemment que ce soit le prêcheur qui ait péché, et qui se soit ingénié, protégé par le système et par ses congénères, à le cacher.

Principe de Benoît de Nursie, hoc sit quod dicitur. Qu’il soit ce qu’il dit être, ce qu’il prétend être. Evaluer quelqu’un selon lui-même, mais que cette personne-là corresponde vraiment à ce qu’elle veut d’elle-même.

Un pape doit-il être celui des médias ? peut-être quand celles-ci furent à leurs débuts mais quand – incapables de discernement selon leur propre mécanique – elles imposent un déferlement continuel, sont un lieu de carrière et d’assouvissement de soi dans des rôles publics, à l’instar des politiques, sans la formation de l’acteur, de l’enseignant, du prêcheur, faut-il que le pape entre dans la cohorte des objets du journalisme et du commentaire simpliste ? Certainement pas. Un pape sans bureau,n cloîtré, homme de prière et de rareté, aurait un rayonnement plus aisé à produire et plus universel à recevoir que ces gens environnés de perches à son et de micros, que ces baladins du pupitre dialoguant impudiquement entre eux devant tout le monde et proférant des banalités sentencieuses qui atterrent.

Les racines religieuses de l’Europe, donc judaisme et Islam ? Il y a l’histoire, elle est à écrire entre peuples comme entre idées et entre religions, entre mouvements de l’esprit, entre guerres et paix. Les faits compartimentés par les nationalités ou les idéologies (les histoires marxistes ou le providentialisme chrétien ou l’obsession rétrospective de la persécution des juifs ou l’esprit de conquête déferlante des sarrasins… et des maures) ne permettent pas de lire l’actualité alors que celle-ci est de plus en plus confluante et mélangeante. Il faut écrire les échanges et le mouvement des relations entre des blocs que nos intelligences ont façonné mais que les populations et plus encore les idées n’ont pas vécu. Ecrire ces racines, les proclamer ? on en a discuté pour la Constitution en projet au début des années 2000, sous la présidence efficace et intelligence de Valéry Giscard d’Estaing. Il me semble qu’il faut laisser à chaque matière sa logique propre et son domaine. Une Constsitution n’est pas la construction d’une histoire ou d’une identité, elle est un mode de fonctionnement, une hiérarchie des normes, elle traduit une identité mais seule sa pratique peut marquer cette identité. L’Europe est mélange, recherche, elle aurait dû rester un accueil. Elle est chrétienne autant que gréco-latine, elle a incontestablement attiré les envahisseurs, elle a accueilli des diasporas. On peut énumérer, c’est peu utile, l’essentiel est de constater qu’elle est revenue à l’origine de toute ambition politique, elle cherche les moyens de se vouloir et de se gérer, et n’y arrive pas actuellement puisqu’elle est dominée par des dogmes et des usages qui la minorent, alors qu’il y a peu encore c’est elle qui donnait le la. Ne se trouvant pas elle-même, elle n’est plus guère accueillante, elle se communautarise, l’Allemagne a su faire avec son passé et se fonder nationalement une seconde fois, mais nous ne savons que faire de ce qui est conscience de soi plus encore que race ou religion : les Juifs, les Arabes, tels que ressentis par les Européens,l’Islam et le judaisme étant d’ailleurs dans leur rapport à la personne, à l’histoire, à l’actualité extrêmement différents de nature et de comportement. Dans cette complexité d’une Europe mourante et à renaître, dans ces différences de nature entre les grandes confessions, dans cette émergence d’obsessions qui sont toutes, à la réflexion, sécuritaires (sécurité pour lire l’histoire, sécurité pour vivre dans son quartier, sécurité des émoluments en fin de mois, sécurité du vieil âge et des premiers temps de la vie, sécurité d’une transmission et des communications), le chef nominal de l’Eglise doit-il être chef d’idées et même pourvoyeur de rencontres. C’est physiquement et mentalement impossible. Le point de vue en hauteur qu’il soit celui du service, ou qu’il soit celui d’une supériorité systémique peut permettre un discours général, mais cela ne le rend pas acceptable ni vivable. Benoît XVI a eu la prudence de ne pas s’y essayer et les reproches de Tarik Ramadan sur le tronqué d’une lecture ecclésiale des grands facteurs de l’Europe s’adressent davantage à l’ensemble d’une génération, bouleversée par l’après-guerre, l’après-communisme, l’après-impéralismes coloniaux et auquel aucune succession n’a été apportée qu’un mondialisme déviant, et non à un pape quelconque. Que les rencontres inter-religieuses – je n’ai pas étudié ni même vraiment su celles d’Assise – ou que les réflexions propres à l’Eglise sur elle-même : les synodes dont le dernier sur la ré-évangélisation, soient gâtées par des recensions de pratiques, et donc par des compétitions de comportements, voire de recettes, c’est évident, mais le même mal ronge les travaux constitutionnels des pays émergents ou du printemps arabe, ronge les rapports qui pleuvent pour la reconquête de la France par elle-même. Benoît XVI en est plus victime qu’auteur.

Problème avec la jeunesse ? Quelle institution au monde – et Benoît XVI a démontré que tout n’était pas le fait du charisme de Jean Paul II – peut assembler des centaines de milliers de gens de toutes origines comme au J.M.J ? qui pour des homélies ou apparitions d’adieux peut mettre place Saint-Pierre, deux fois à quinze jours d’intervalle, deux-cent mille, cent-mille personnes. Les régimes totalitaires naguère : oui ! La recette catholique est d’ailleurs telle, si c’en est une, que l’on en a abuse, ainsi les démonstrations purement politiques et très instrumentées contre le projet de loi sur le mariage et l’adoption ouverts aux personnes de même sexe. Dévoiement de la piété et de la foi, entraînement à la haine. Les croisades ont tellement eu cette ambiguité qu’elles marquent encore les populations qui en ont subi l’assaut, il y a dix siècles. Faut-il préciser un problème par les statistiques. Certes, peu d’enfants à la messe dominicale, pas d’adolescents, mais il y a de jeunes couples fréquemment dont la piété, parfois de posture excessive, est bien plus apparente que celle des vieillards. Il y a certainement aujourd’hui plus d’incroyance en fin de vie, alors que les débuts avaient été encore sociologiquement chrériens, que je n’en vois chez les dix-huit-vingt ans.

L’énumération des questions ou problèmes – irrésolus par les papes précédents le successeur de Benoît XVI (les questions du célibat des prêtres, de l’exclusion des femmes de la hiérarchie cléricale, de la reconnaissance du divorce, de l’usage possible des moyens contraceptifs) – est classique. Tout à mon sens se résoudra par un sens des réalités et une redécouverte des sources, y compris pour de qui est plus des habitudes que du fond, auxquels fait accéder la prière. Car ce que je retiens de Benoît XVI, plus explicite en cela que ses prédécesseurs, c’est l’exhortation et la conviction, l’expérience de la prière. Ses vertus pas seulement psychologiques et théologiques, la prière concourant à l’équilibre intime de al personne et à la connaissance de Dieu, non ! sa vertu fondamentale qui est le discernement, l’élan, la force. Les dons du Saint Esprit, chacun de ces dons. Je suis convaincus que ce qui passe pour des défis se règlera le plus simplement du monde. De même que Benoît XVI a contribué en banaliser la fonction pontificale par sa renonciation. La jurisprudence forcera sans doute la suite des papes à abandonner ce qui faisait, psychologiquement et sociologiquement, mais non en termes de foi, une sorte de supériorité et de disposition à quelque idolâtrie : le mandat viager. Pape serviteur, le Christ a créé le précédent.

Tarik Ramadan a une conclusion juste. Le monde entier, et toutes confessions, toute âme attendent quelque chose du Souverain Pontife, du chef de cette Eglise catholique romaine. Rester objet d’attente et d’espérance – il n’y a guère que les présidents américains qui incarnent cela quand ils sont candidats pour la première fois, les engouements pour Kennedy et pour Obama… c’est beaucoup et cela demeure intact. Mais pourquoi ? parce que l’on prête au pape un pouvoir sur une immensité de fidèles. Un pouvoir mental sur une statistique respectable : autant de catholiques aujourd’hui que de Chinois… ou à peu près. Je crois que le fondement du possible rayonnement pontifical est tout autre. L’Eglise ne vaut – en sus, bien évidemment de son fondateur – que par ses fidèles, leur assemblée, leur prière. La solution de tous les problèmes tant pratiques que missionnaires, tant de contagion que de compassion dans le monde tel qu’il devient, que l’on pose à l’Eglise, plus d’ailleurs qu’elle ne se les pose, est dans la vie de chacun des chrétiens.

Pour moi, Benoît XVI, différent de ses prédécesseurs comme chacun le fut du sien et des siens, est l’homme-cible qui a su demeurer volontaire, garder la parole et poser des questions, les bonnes.

L’avenir immédiat va être passionnant. Deux autorités religieuses et morales vont coexister pendant quelques années ou quelque temps. C’est le « pape émérite » qui a à construire, pour le bien commun, cette coexistence selon son comportement et sa communication. Je ne doute ni de l’un ni de l’autre. Je réitère mon vœu d’une habitation désormais à Jérusalem, lieu de tous, et non d’une institution.

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