mercredi 20 février 2013

carême et conclave 2013 - 4 -


soir du mercredi 20 Février 2013

Jonas III 1 à 10 ; psaume LI ; évangile selon saint Luc XI 29 à 32



Le signe de Jonas et la leçon de Ninive.

L’offre de l’Eglise : les sacrements, le salut, offre critiquable ou refusée, si elle est hors la foi. Test de foi des ministres, l’efficacité ou le ressenti de l’administré malgré l’absence de la foi, la leçon des miracles opérés par le Christ pendant son ministère public : il y faut d’abord la foi du demandeur. L’offre de l’Eglise est-elle la foi ? ou un contenu de foi, appelant la foi, ou la faisant ?

Exemple, le sacrement dit aujourd’hui de la réconciliation, autrefois communément appelé et vécu : confession, ou plus spirituellement : pénitence. Que dit-il aujourd’hui ? que fait-il ? comment est-il donné ? appelé par le chrétien, le catholique romain ? Quelques évidences vécues. Le fondement d’une « direction spirituelle » dans mon enfance, la répétivité dans le calendrier (mensuel ou à peu près n’empêchait pas la forte sensation d’une rencontre et d’une exceptionnalité. Qui étaient d’un autre ordre que la communion fréquente. La confession était un nouveau départ, clairement obtenu de résolution et de discernement, promis pas au succès mais à la bienveillance. La communion était un moment qui ne décidait rien mais donnait tout : l’intime, l’univers, la connaissance d’un moi dépouillé, ce moi illuminé auparavant par la grâce d’être pardonné, compris. Les deux sacrements étaient solidaires dans une vie d’enfance pieuse. La recommandation de l’Eglise d’alors ne paraissait pas rituelle mais prenait la vie au sérieux, elle pariait sur une dialectique de l’amélioration du chrétien, d’une avancée personnelle et collective.

Le débat pastoral, dont je suis les bribes dans les deux paroisses ou communautés de paroisses auxquelles nous appartenons en famille, porte sur l’efficacité d’un rite – le sacrement fait cependant du rite le signe tangible d’une réalité que la foi fait pleinement percevoir – un rite que le ministre administre sans s’inquiéter du point où se trouve son administré pourvu qu’il soit de passage, qu’il se présente. Le baptême, le mariage sont donnés ainsi avec plus d’espérance du pasteur dans la grâce efficiente que celui qui les demande, pour lui-même, son conjoint, son enfant sans forcément en être instruit. L’Eglise, du moins dans mon environnement immédiat, est moins soucieuse de la présence sacramentelle et de son clergé pour la fin de vie : plus d’extrême-onction, plus de détection par le pasteur des foyers où l’on va mourir, plus de messes d’enterrement, plus de bénédiction du prêtre au bord de la tombe. Prétexte : le manque de ressources humaines. C’est pourtant autant qu’au jour du baptême et à celui du mariage, le moment de grande disponibilité du cœur, de l’affectivité et par là d’une conscience qui cherche et s’interroge sur le sens, le secours dans la vie, ce qui est aujourd’hui – explicitement – rare. L’Eglise fait donc mauvais ménage avec une des offres résiduelles, la plus voyante pour ses ouailles et pour les tiers : le rite, le sacrement, l’administration de gestes qui appellent une réponse, y croire, croire ce que cela dévoile et qui ne se cache qu’à l’âme ne cherchant plus rien ou pas encore.

L’épisode de la conversion de Ninive, dont je ne crois pas que l’histoire et ses monuments gravés – ceux de la terrible Assyrie d’Assurbanipal et autres – l’aient enregistré, montre, à mon sens, une distance paradoxale entre le prophère rechignant à faire son office, et une population qui se retourne au premier avertissement et plus à l’appel de ses pouvoirs publics que d’un clergé venu d’ailleurs. Jonas a tout fait pour ne pas venir, il s’acquitte de ce que Dieu lui demande, à la va-vite. La ville d’ordinaire traversée en trois jours, il la parcourt en un seul. Du moins est-il sur place. Je reproche – mais mon expression exigeante, quoique simple, est systématiquement éludée quand je m’en ouvre aux prêtres que je fréquente ou rencontre – au clergé d’aujourd’hui de n’être pas inlassable, de ne pas aller à la rencontre, de ne pas passer de maison en maison, quitte à y demeurer selon l’accueil. Le recteur, bon vieux breton : Ange Le Rohallec, peut-être une maîtresse, présentée comme sa cousine, avec une jeune fille d’alors qui m’a rapporté ensuite la chose, et tenait la chandelle, cousine institutrice fort cultivée et fine, lui… passait tous les ans dans chacune des habitations de sa paroisse. La journée se terminait, panier chargé d’offrandes en nature, dans l’ébriété aussi, mais le témoignage était clair. Comme le clocher de l’église, érigé plusieurs siècles après le corps du bâtiment, le curé était la chose de ses villageois, vivant avec eux et comme eux depuis vingt-cinq ans, mourant aussitôt que l’évêque – malgré ma supplication et celle d’autres – le plaça en maison de retraite, Saint-Joachim au chevet de Sainte-Anne d’Auray. La parabole biblique et l’exemple d’une vie sacerdotale – Ange, tandis que nous attendions en famille le convoi funéraire de ma mère, les croque-morts s’étant trompés de bourgade, murmurait chapelet et constat : c’est chrétien tout çà. L’hommage de l’Eglise à ses fidèles, aux fidèles de son Dieu, l’annonce par la présence, non par les bureaux, les imprimés, la délégation des laïcs, la splendeur relative des défilés, processions, manifestations…

Il y a des formes à trouver, retrouver, inventer et donner. Elles sont toutes des manifestations de cœur et d’insertion psychologique, sociale et politique. Sans ménagement pour soi, le clergé n’a pas tant à enseigner ou asséner qu’à accueillir, comprendre et chercher. L’offre de l’Eglise est à chacun de ses enfants tous les autres. Le pardon, la charité sont mutuels sans hiérarchie entre celui qui donne et celui qui reçoit, car les rôles peuvent constamment s’inverser selon la vie, les circonstances, la grâce. Je dois reconnaître qu’une des offres majeures de l’Eglise – mais qu’elle ne sait pas signifier au monde – est son clergé, malgré écarts et péchés, forcément scandaleux puisque rapportés à sa mission et à sa prétention pastorales, alors que le chef d’entreprise ou l’élu politique sont rarement mis en face de la justification théorique de l’économie libérale ou des professions de foi de leurs mentors ou d’eux-mêmes à l’instant du scrutin. Il existe un socle de rites, de vocations, de recrutement, d’outils pour la mission mais ce socle nous ne savons plus assez – en Eglise – quoi placer dessus, et surtout nous ne savons où le mettre, où ? au cœur de quoi ? dans la cité ? ou au désert ? au ciel ou sur terre. Je crois que c’est au monde, aux tiers, aux incroyants, aux attentifs, aux démunis de pointer du doigt, de héler de la main, du regard, du visage cette Eglise de passage comme tout humain sur cette terre : eux, le monde dont nous faisons partie si consciemment ou si négligemment, tout chrétiens que nous sommes, tout croyant que nous sommes ou parce que nous le sommes, sauront nous signifier cet endroit – d’évidence – où l’Eglise est attendu.

L’apprentissage d’une expression, d’une langue, la venue au monde sont d’abord une écoute. Le monde parle aujourd’hui et il est bon que carême et conclave imposent à l’Eglise du silence. De l’écoûte. C’est dans le monde qu’elle doit trouver Dieu, qu’elle ne le cherche pas en elle-même mais en autrui. Il y a plus à être qu’à faire. De la moisson, ce n’est pas elle la maîtresse.

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