lundi 2 mai 2011

Dom Jacques Meugniot - moine de Solesmes et aussi ermite en Mauritanie . 14 Juillet 1927 + 25 Avril 2011


le Père Yacoub,
un Mauritanien d’adoption, un compagnon des musulmans




Puissè-je être compris en faisant partager le deuil que je ressens à la mort de Dom Jacques Meugniot, moine de Solesmes – retourné à Dieu à l’issue de la grande fête chrétienne de Pâques, le 25 Avril 2011 – dans son monastère de l’ouest de la France. Et en le dédiant à celui – au monde – qui le pleure le plus et le mieux, son familier dont va naître le quatrième enfant, déjà prénommé Yacoub

Il a vécu trente ans en Mauritanie (1975-2005), d’abord à Atar, puis à Kaédi, et enfin à Toujounine au début de la route de l’Espoir : seul, ermite. Pourquoi ? Quand il comprit la nécessité d’une certaine distance avec une très prestigieuse abbaye bénédictine dont il était certainement l’un des grands esprits en philosophie, en théologie morale et surtout en formation des novices et en accueil tout venant des hôtes, il hésita : le désert, sa spiritualité, sa psychologie, oui ! mais où et comment ? le sud algérien où il remplaça deux hivernages un aumônier ne coincidait pas avec ce qu’il était. De la Mauritanie comme le désert le plus transparent à la foi de tous et le plus respectueux de la vie de chacun, je lui parlais, après l’avoir rencontré en Avril 1963, puis être parti effectuer mon service national dans la future Ecole nationale d’administration de Nouakchott (1965-1966).

Il rencontra Ali Cheikh à Atar, donna de la philosophie sur le Fleuve. Quittant à Nice Moktar Ould Daddah qui l’avait déjà reçu avant le putsch, il s’interrogea (sa lettre du 26 Juin 2001) : « Ici on attend le retour de M.o.D. Sa maison est prête, vidée de son occupant provisoire, l’éphèmère et face Président Lulli. Comment retrouvera-t-il son pays ? Il semble avoir tourné le dos à la sage politique d’union raciale et de lutte contre le tribalisme. Celui-ci triomphe et le fossé entre beïdanes et Négro-Africains se transforme en abîme. Certains voyaient en Moktar le Nelson Mandela de la Mauritanie. Quant à la religion, elle sert de paravent à tous les abus, de l’esclavage à l’enrichissement illégal jusqu’au SIDA, via la polygamie successive ».

Il avait su témoigner de l’apport religieux à toute gestion lors de réunions d’experts de la finance éthique et solidaire, ou lors de débats à huis clos entre communistes français : le bien commun, critère de tout discernement économique et aussi d’un gouvernement juste. Il parlait alors sans référence ni évocation de maîtres ou d’auteurs.

Ce n’était pas un prosélyte mais il laissait voir, et vibrait à tout ce que l’Islam et le christianisme se savent débiteurs l’un de l’autre. A Toujounine, son petit oratoire n’était qu’africain, maure, l’autel avec un coffre de Mederdra, le cœur du sanctuaire (le tabernacle), un autre : petit de Boutilimit. Priant selon les heures monastiques, donc le rythme musulman, ou disant la messe, seul en communion universelle, il laissait la porte ouverte pas tant pour le courant d’air que … oui, pour laisser voir. Un chrétien priant en pays musulman prie pour les musulmans et devant eux. Ce qui est si rare, alors que le musulman sait prier devant les autres. La vie monastique, toujours au péril de la solitude, l’avait au contraire préparé à l’Islam qui pour tant d’autres est un péril. Définissant sa vocation de solitaire par « une certaine fascination de l’UN », lui-même savait ce qu’il en recevait : l’Islam mauritanien est le meilleur ermitage qu’un moine bénédictin puisse trouver. A quelques semaines de sa mort, il me confia ce constat et sa reconnaissance de dette. Il l’avait exprimé auparavant, à son ami, le Père Paul Grasser, atrocement mûtilé dans la cathédrale de Nouakchott, en 1993, par un agresseur imprévisible et en complet contre-sens du partage religieux. Il a aimé les Mauritaniens encore plus que leur désert.

A Ousmane Ould Bah, qui lui fut, à Toujounine, le plus familier et aimant, il téléphona son « à Dieu » cinq jours avant sa mort : « tu es un homme courageux, tu dois être un homme responsable ».


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