jeudi 9 août 2012

au milieu de la nuit, un cri se fait entendre - textes du jour

Jeudi 9 Août 2012

Un homme en blanc, aide-soignant, passe, ne sachant que faire de ses mains, la gauche pendue, pendant comme celle des quadrumanes, dos en avant, doigts un peu en crochet vers la paume. L’armée en Afghanistan, nos soldats, nos blessés, la médicalisation de l’avant. Les récits de vie dont je suis rempli à pouvoir composer d’autres Mille et une nuits. Le conseil de notre fille que je me repose, prenne des vacances. Ces trois jours seuls ensemble, parcs d’attractions (le Jardin d’acclimatation, kippas et femmes voilées dont des Françaises « de souche » encore plus costumées de la tête aux pieds que leurs coreligionnaires d’outre-Méditerranée), routes, soirées et nuits, elle se dit sur elle, sur moi, sur nous ses parents, sur ses amis. Il n’y a pas, à l’écouter, cette frontière adute entre l’aveu,  l’exposition de soi et le parler courant. Elle me met à jour sur ma relation avec elle telle qu’elle la vit plus que sur sa relation avec moi. La relation l’emporte sur la personne. Ce n’est pas inapproprié, la vie éternelle, la relation à Dieu l’emporte dans notre désir et dans notre expérience sur la personne de Dieu-même, que nous ne pourrons jamais saisir, sauf à être en Lui, absorbé. L’enfant telle que Marguerite me l’apprend chaque jour sait que l’autre est inconnaissable et que chacun, pour lui-même, est aussi un certain mystère : pourquoi les autres enfants aiment cette attraction (des sièges que la force centrifuge fait s’envoler à une allure par hypothèse vraiment vive, et en hauteur) alors que moi j’ai peur. Expliquer qu’ils aiment avoir peur ou le vertige, que le courage n’est pas de n’avoir pas peur, mais de dominer la peur. Elle s’est assise, d’autres enfants l’avaient précédée, elle a peur, elle renonce, revient. Le tour des autres commence, effectivement vertigineux rien qu’à le voir. Elle veut quand même essayer, je l’y pousse, une victoire sur elle-même. Elle y consent mais en détresse, fin de journée, pour son tour, elle est seule dans les airs, m’appelle, qu’elle est loin et que d’elle je suis loin, plus encore. Elle se détache et revient, tremblante, pleurant. Dialogue alors sur les autres et sur elle, conclusion bien plus tard : tu veux ne pas me protéger, Maman ne m’aurait jamais fait y aller…  je souhaite qu’elle ne se sente pas rétrospectivement avoir été obligée. Pour presque tout, je suis habité par la responsabilité des souvenirs d’enfance que je lui donne ou que je contrbue à lui donner, et qui me semblent plus importer que l’éducation « comportementale » au sens classique. Pourtant, ce qui la marquera ou ce dont elle se souviendra répond à des cribles et à des mécanismes que je ne sais pas, et il est probable que je ne suis pas le rédacteur de sa mémoire. Mais mes lectures d’adolescence, des couples ratés à leur origine par une maladresse du fiancé ou du jeune mari me disent qu’il peut y avoir du grave et du très dommageable. A l’inverse, mes souvenirs d’enfance que je n’ai pas assez dit à mes/nos parents, sont tous beaux et sécurisants encore aujourd’hui : ils ont périmé par avance des relents dont, me semble-t-il, ma fratrie souffre encore ou qu’elle ne soigne que par amnésie organisée et vulnérable. Ce que je dis importe cependant beaucoup, et ce qu’elle me dit est toujours d’un retentissement nouveau en moi, car il est souvent question de nous, de moi plus que d’elle. Oui, elle m’éduque, m’élève, m’enlève de moi … A Eurodisney, au Jardin d’acclimatation, elle nous dirige, jamais grave, jamais irrésolue mais changeante brusquement. Dialogues inépuisables parce que lapidaires de sa part. Lui téléphonant souvent, elle y associe sa mère systématiquement d’émotions en aventures, en compte-rendu aussi de ma propre attitude comparée à celle de sa mère si ma chère femme avait été là. En trinité, nous sommes tous trois différents.
Oubli de mon fascicule Prions en Eglise, parabole des vierges folles et des vierges sages [1]. Le Royaume des cieux le plus souvent comparé à un repas de noces. De la liturgie de celles-ci ou de la consommation intime, charnelle, d’âme il n’est jamais question. Le détail des élans et sentiments est donné dans l’Ancien Testament. En psychologie et en textes, Jésus suppose que les éléments de sa parabole sont très familiers à ses auditeurs. Le point de vue est soit celui de l’organisateur, déçu, soit celui des invités. Toujours, la morale est que le banquet n’est pas une improvisation et que le comportement des invités conditionne leur admission. Manichéisme des dénouements, on y est ou l’on n’y est pas. Ici, les invitées sont plutôt des accompagnantes, des servantes. Elles doivent remplir des règles d’admission, mais elles ne sont pas des participantes au sens plein, elles sont cependant très désireuses d’être de cette noce. On les réveille, on les convoque, elles sont entraînées par l’époux quand il arrive, pourtant elles sortent à sa rencontre. Elles étaient donc à l’intérieur mais dans une autre salle que celle du repas. L’appel au réveil et à la fête, à l’accueil du cortège – d’où arrive l’époux, est-il seul, accompagné ? l’épouse l’attend-elle, sont-ils ensemble ? rien n’en est dit, le tête-à-tête qui sera manqué, est schématisé, meme l’ordonnateur qui a signalé l’arrivée de l’époux n’est qu’une voix « off » et ce n’est pas lui qui tiendra la porte fermée. Jésus conclut par une moralité : l’événement attendu se produit certainement, mais veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Même leçon pour le maître de maison dont le mur est percé nuitamment par le voleur. Observations habituelles : la vigilance, la matérialité et le concret des préparatifs, le sérieux de l’enjeu. Comme il s’agit du Royaume, l’enjeu est vital. La bonne volonté ne suffit pas. Mystère des exclus. Il ne m’obsède pas, je le crois – fermement – résolu dans une autre dimension, et pas seulement par une miséricorde paternaliste. Pourquoi deux fois cinq, le nombre, la symétrie, mais on se passe finalement de la moitié de l’éclairage prévu. Il y prévision dans l’ordonnance de la fête et prévision (ou pas) chez les jeunes filles. – Ma prière toute simple est que je suis des dix, que je suis là. A Dieu de faire le reste de mes préparatifs à son appel et à l’ouverture des portes. La continuité entre notre vie et celle de l’éternité du Royaume, sous-jacente déjà à chacune de nos existences, aussi loin que je puisse reconstituer les éléments psychologiques de ma foi, n’a jamais été, pour moi, douteuse.


[1] - Matthieu  XXV 1 à 13

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