vendredi 10 avril 2009

vous tous qui espérez - textes du jour

Vendredi Saint - 10 Avril 2009

Denis M. fait simple. Une petite centaine de personnes dans l’église qui n’est pas belle, chemin de croix devant des tableaux d’époque incertaine et moche, lecture simple des notices de Prions en Eglise qui, ingénieusement et utilement, distingue les stations inspirées des évangiles et celles tenant aux dévotions des XIIème et XIIIème siècles, les pélerinages en Terre Sainte. La lecture de saint Jean est irrésistible [1]. Denis m’apprend que l’Eglise primitive a condamné dès le IVème siècle une tentative de faire un aggloméré des quatre évangiles, préférant cette proposition apparemment plus complexe mais d’un relief et d’une portée tant factuelle, historique que spirituelle et parfois affective, décisifs. Ecoutant la lecture du grand texte – que depuis mon adolescence je crois n’avoir jamais manqué une seule année, grâce insigne qui m’est maintenue – je suis arrêté, comme jamais auparavant, d’une part par le détail et l’étendue du compte-rendu par Jean, témoin oculaire, et sans doute le seul des quatre évangélistes, des dialogues entre Pilate et Jésus, sérénité du Fils de l’homme, tentatives désespérées du procurateur de sauver cet accusé qui manifestement lui en impose et, davantage, lui est profondément sympathique : on est tout proche de la rencontre spirituelle, et un apocryphe attribué au Romain a sa valeur. Il a été magnifiquement et ingénieusement actualisé par Eric-Emmanuel Schmitt. Et d’autre part, par cette sorte de cri du « disciple que Jésus aimait », attestant aussitôt la mort du condamné. Sans doute se déduit-elle de ce qui est factuellement rapporté, mais Jean devance l’objection d’une semi-mort, d’une catalepsie et de beaucoup des ingéniosités contemporaines du Christ ou modernes : aujourd’hui. Accessoirement, enfin, l’Eglise à naître est absente : ses fondateurs, Pierre, les Douze moins Judas, ne sont pas au pied de la croix ni à la mise au tombeau. L’Eglise n’est alors que le lien d’amour entre Marie et son fils, entre Jésus et son disciple, entre Jésus et sa mère de l’avenir de qui il est soucieux. Et hors « hiérarchie », les « têtes mitrées » de mon cher JL, il y a ces deux disciples en secret : l’Eglise du seuil, dirait-on en pastorale d’aujourd’hui, Joseph d’Arimathie et Nicodème. Pas grand monde, mais de qualité extrême. Jean ne retient pas le cri du centurion, mais peut-être est-il tombé dans ses bras en entendant sa profession de foi… – Je veux revenir, ces temps-ci, sur ces dialogues du Christ avec des contemporains, pas des dialogues donnant à l’écrivain sacré l’occasion d’un discours de Jésus, mais ces échanges de quelques mots, questions-réponses, constats-actes de foi ou actions de grâce, qui sont signés : le Christ et tel disciple, telle rencontre, telle femme. On est alors si proche de nous. – Ce soir, revenu au silence d’une solitude relative, ma femme se reposant, notre fille à son lecteur de DVD, tandis que la pluie entoure tout et que sur le ciel noir luisent les glycines maintenant ouvertes, je prends les deux lectures [2] : en Jésus, le Fils de Dieu… avançons-nous donc avec pleine assurance… il a connu l’épreuve comme nous, et il n’a pas péché. C’est en soi miraculeux, notre condition, totalement, y compris la mort et pourtant un lien avec Dieu le Père, que ne défait pas l’humanité, l’incarnation du Fils, Dieu qui pouvait le sauver de la mort. Une mort que le Christ a, toute sa vie humaine, regardée, appréhendée et assumée : il intercédait pour les pécheurs. En fait, se jouait là et continue de se jouer dans l’actualité de la Passion : Mort et Résurrection, tout le mystère de notre liberté, totale et dont pourtant les errances et errements sont rattrapables, rattrapés. Mon serviteur réussira, dit le Seigneur, il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! Prodige spirituel et littéraire qu’Isaïe : à juste titre, les derniers chapitres de son texte sont considérés comme un évangile, déjà entrevu par le prophète. Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à cause des péchés de son peuple. On l’a enterré avec les mécréants, son tombeau est avec ceux des enrichis. – Ces offices sont un memento autant du Seigneur que de ceux qui ont croisé ma route ou même l’ont inspirée, ces prêtres et religieux, ces curés de campagne de nos « camps de Semaine sainte », ces moines d’autrefois ou d’hier soir, dans la blancheur de leurs vêtements liturgiques et de leur église monastique, tous ceux avec qui j’ai partagé prière et émotion du grand moment de notre itinéraire chrétien. Annuel. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Et nous voici, morts ou terrestrement vivants, réunis pour ces jours et nuits. Porteuses et mystérieuses. Mon serviteur justifuiera les multitudes, il se chargera de leurs péchés. C’est pourquoi je lui donnerai la multitude en partage. Suivons notre héros-héraut ces quelques heures-ci. Soyez forts, prenez courage, vous tous qui espérez le Seigneur !

[1] - évangile selon saint Jean XVIII 1 à XIX 42


[2] - Isaïe LII 13 à LIII 12 ; psaume XXXI ; lettre aux Hébreux IV 14 à 16 & V 7 à 9




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