mercredi 12 novembre 2014

ce que je reçois



Petite histoire de la communion dans la main

                                   Reportons-nous aux années 1970 et suivantes. Quelques mois auparavant, le nouveau Rituel de la messe a été promulgué par le pape Paul VI. Il est demandé à tous les prêtres de l’utiliser à l’exception des prêtres âgés qui célèbrent seul. L’ancien rituel dit « de saint Pie V » devient pratiquement interdit. Nous n’entrerons pas dans ce problème résolu par Benoit XVI.
 
En France, un vent de renouveau liturgique souffle mais il va s’accompagner dans de nombreuses paroisses d’une entreprise systématique de désacralisation de l’action liturgique et des églises. « Mai 68 » s’impose ! On abandonne le latin et le chant grégorien, les chorales qui le chantent disparaissent rapidement. Des curés zélés vont vider les églises paroissiales de tout ce qui leur semble rappeler un passé désormais révolu : on supprime les tables de communion, les chemins de croix, les agenouillards, les bénitiers et la plupart des statues ; clochette, encens et chasuble disparaissent…on supprime ou on gomme tous les éléments symboliques de la liturgie ; cette tourmente iconoclaste, méprisant tout ce qui concerne les traditions de l’Eglise catholique et la « piété populaire », va profondément scandaliser les fidèles. Mais on leur assure que c’est le « Concile » qui a exigé ces réformes…Il n’est pas étonnant que de nombreux fidèles aient déserté ces « lieux » banalisés et tristement défigurés !
Mais ces prêtres progressistes et hélas mal formés en liturgie, ne vont pas s’arrêter là : non, c’est dépassé de se mettre à genoux et de recevoir l’Eucharistie ainsi ; on va lancer une nouvelle « mode » : recevoir la communion debout et dans la main. Selon le principe bien connu « faites-le, on le fera », la mode se propage rapidement d’autant qu’elle est souvent imposée sans ménagement ni explication, si ce n’est par ces mots péremptoires : « C’est le Concile… ! ». Précisons que cette manière de faire ne se trouve recommandée dans aucun texte du « Concile » ni dans les lettres ou encycliques des pontifes romains qui ont suivi. Redisons-le, la communion dans la main a été inventée et souvent imposée par une large frange du clergé français à partir de 1965 environ et elle s’est propagée peu à peu en France et hélas à l’étranger. Cela ne leur a pas réussi… car c’est à cette sombre époque que des milliers de prêtres séculiers et religieux ont abandonné leur sacerdoce. Et ce n’est pas un hasard que le courant dit « traditionnaliste » est né en France à cette époque en réaction à ces divers excès.
Par principe, la liturgie n’a jamais été figée au cours de l’histoire, et ne doit pas l’être. Il n’y a aucune raison, par principe à un développement ou à un changement des rites liturgiques pourvu que cela soit fondé et proposé légitimement par l’Eglise. En particulier, l’histoire nous apprend que les rites de communion ont évolué au cours du temps selon les lieux et les coutumes locales. Il ne convient pas de taxer la communion dans la main de pratique indigne en soi, puisque les sources historiques nous enseignent qu’elle a été usitée dans l’Eglise jusqu’au IXe siècle environ. Mais cet aspect historique n’est pas suffisant pour valider la pratique actuelle de la communion dans la main : ce serait tomber dans un « archéologisme » irréfléchi. Si elle a été abandonnée, ce n’est pas sans raisons.
Depuis plus d’un millénaire, l’Eglise a modifié sa façon de donner la communion, il y a là un fait objectif qui doit faire réfléchir tout fidèle raisonnable. Notons que là où la communion est donnée par intinction, aussi bien en Occident qu’en Orient, dès le VIIe siècle, le pain consacré est donné dans la bouche. La communion dans la bouche est posée en règle générale par le Concile de Rouen vers 878 : « Qu’on ne pose pas l’Eucharistie dans les mains des laïcs ou des femmes, mais uniquement dans leur bouche. » Aujourd’hui encore dans les Eglises orientales, le rite met le pain et le vin consacrés directement dans la bouche du communiant.
Cette évolution dans la manière de recevoir le saint Sacrement s’explique par le constat de certains abus et dangers de profanation, mais surtout par la conscience d’un respect croissant pour ce Sacrement : « Plus encore que la crainte d’abus éventuels, ce dut être le respect croissant à l’égard du Sacrement qui conduisit à placer l’hostie sur les lèvres » (Joseph-André Jungmann, Liturgia III, p. 314). 
Il existe aujourd’hui un indult pour communier dans la main, mais nous allons voir que l’esprit de cet indult est celui d’une simple tolérance : ce n’est pas parce qu’une pratique est tolérée qu’elle devient bonne et opportune. Il existe des raisons objectives, fondées et toujours valables qui expliquent pourquoi depuis plus d’un millénaire, l’Eglise a opté définitivement pour une certaine façon de donner la communion, la sainte Eucharistie n’étant plus touchée que par les mains des ministres consacrés. Examinons ces raisons.
1/ Assurer au mieux le respect du Saint Sacrement. Les textes des Pères et des Conciles insistent très fortement sur la nécessité de veiller à la moindre parcelle, d’éviter tous les sacrilèges involontaires et plus encore volontaires. Or la remise de l’hostie dans la main du fidèle multiplie à l‘évidence les risques de perte de fragments d’hostie. Comme prêtre, nous avons tous été témoin, notamment avec les enfants, d’hostie retrouvée dans les poches ou sous le banc. Le risque de sacrilège est réel : « Des tamouls non baptisés communient à Lourdes. J’ai vu un jour un homme mettre l’hostie dans sa poche. Il m’a dit ‘’ Je suis hindouiste, mais je la prends pour l’amener à ma mère qui est malade, car c’est une nourriture divine… » (Libération, 15 août 2009). Par ailleurs, le risque de profanation volontaire est de plus en plus grand avec les vols d’hosties. Le témoignage de Michaela qui a fait tout un parcours dans une secte satanique en Italie est accablant : « Pour prouver ma bonne volonté, je devais aller voler des hosties consacrées…j’allais communier et la plupart du temps, le prêtre me mettait l’hostie dans la main comme s’il s’agissait d’une pièce de juke-box…sans se soucier de ce que j’en faisais (…) pour les sectes sataniques, la possibilité de recevoir la communion dans la main a vraiment représenté un tournant capital (…) en Italie, l’innovation fut introduites dans les églises à partir du 3 décembre 1989, et, à partir de cette date, le vol des hosties fut un jeu d’enfant » (« J’ai quitté Satan » Editions Bénédictines 2009).
2/ Exprimer la présence réelle et la révérence due au sacrement. Cette présence du plus sacré des Mystères, la personne même de notre Seigneur Jésus-Christ, corps, sang, âme et divinité, est bien exprimée symboliquement lorsque seuls les ministres sacrés, consacrés par le sacrement de l’Ordre, touchent de leurs mains les saintes espèces : l’évêque consacre très spécialement leurs mains par l’onction du saint chrême dans le rite d’ordination. Cela souligne remarquablement la différence entre le pain ordinaire, que tous ont l’habitude de toucher, et le pain eucharistié, le pain sacré, que les ministres consacrés touchent seuls.
3/ Manifester symboliquement le caractère « reçu » et non « dû » du sacrement : « Il appartient à la forme essentielle du sacrement d’être reçu et que personne ne puisse se le donner à soi-même » (J. Ratzinger, Eglise, œcuménisme et politique, 1987). Ce caractère « reçu » est exprimé fortement lorsque le sacrement est donné aux fidèles « comme à des enfants nouveau-nés » (1 P 2, 2). Toujours dans le registre symbolique, cette pratique souligne la différence essentielle entre le sacerdoce commun ou baptismal, qui reçoit le sacrement, et le sacerdoce ministériel qui le donne. Accepter de recevoir une nourriture dans la bouche est un témoignage de confiance envers celui qui la donne. La tradition de la « bouchée d’accueil » pratiquée aux Indes par l’hôte en est une illustration (Vie du Mahatma Gandhi Louis Fisher Belfond 1983). De même, Jésus donnant la « bouchée » à Judas (Jn 13, 26) comme marque ultime de confiance et d’amitié.
4/ Actuellement, quelle est la loi qui règle le rite de la communion dans la main et quel est l’esprit de cette loi ? La règle découle de l’Instruction Memoriale Domini promulguée par la Congrégation pour le Culte Divin, le 29 mai 1969. Ce texte fait l’historique du rite de communion dans l’Eglise latine et énonce en conclusion les motifs de conserver l’usage traditionnel de la communion dans la bouche : qu’il « possède une tradition multiséculaire, très ancienne et vénérable » ; qu’il « exprime la révérence des fidèles envers l’Eucharistie » ; qu’il ne « blesse en rien la dignité de la personne de ceux qui s’approchent de ce sacrement si élevé » ; qu’il est « propre à la préparation requise pour recevoir le Corps du Seigneur de la façon la plus fructueuse possible » ; que par lui « la sainte communion est administrée avec la révérence, le décorum et la dignité qui lui sont dus » ; que par lui est « évité tout danger de profanation des espèces eucharistiques : que grâce à lui « on conserve avec diligence tout le soin constamment recommandé par l’Eglise en ce qui concerne les fragments du pain consacré ».
La lettre de consultation des évêques latins.
Le pape Paul VI exprime dans cette lettre ses préoccupations à propos de ce nouvel usage. Les mots qu’il emploie sont explicites : « vive appréhension », « sans avoir l’autorisation requise », « des gens qui ne sont jamais satisfaits des lois de l’Eglise ». Comme l’écrit Mgr Bugnini : « Les modifications apportées par le pape (à cette lettre) montrent avec quelle attention et quelle douloureuse participation, il a suivi cette affaire. » De fait, une forte majorité d’évêques va s’opposer au nouvel usage et Memoriale Domini écrit : « En conséquence et à partir des réponses obtenues, il est évident qu’une majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle et que, si on la changeait, cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. » Et l’Instruction conclut : « C’est pourquoi, compte tenu des remarques et des conseils de ceux que l’Esprit-saint a constitués épiscopes pour gouverner les Eglises, eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, il n‘a pas paru opportun au Souverain Pontife de changer la façon selon laquelle depuis longtemps est administrée la sainte communion aux fidèles. »
Dan son bulletin officiel Notitiae, de mars1999, cité dans la note 179 de Redemptionis sacramentum (25 mars 2004), la Congrégation pour le Culte divin a rappelé une fois de plus la manière traditionnelle de communier : « Que tout le monde se rappelle, en tout cas, que la tradition séculaire est de recevoir l’hostie dans la bouche. »
La communion dans la main reste donc aujourd’hui un simple « indult », une simple « concession », une simple « permission ». Car il s’agit « d’un usage, certes en soi non contraire à la doctrine mais dans la pratique très discutable et dangereux ». Ainsi s’expriment plusieurs textes « romains » récents. Nous devons avoir les idées claires sur ce sujet : la communion dans la main et debout n’est qu’une tolérance limitée, fruit d’abus graves à l’origine et qu’il faut travailler à faire disparaitre progressivement. A ce propos, la responsabilité des fidèles laïcs est immense : si les curés peuvent exposer les raison de préférer la communion dans la bouche, ils ne peuvent l’imposer ; ce sont les fidèles qui peuvent librement changer leur manière de recevoir la sainte communion en revenant à la communion dans la bouche : « Faites-le, on le ferra ! »
Enfin, en de nombreuses occasions, on a pu vérifier que le pape Benoit XVI dans les grandes célébrations internationales (comme à Lourdes en 2008), donnait toujours la communion aux fidèles agenouillés et dans la bouche. L’exemple vient de haut ! « Par conséquent, il n’est pas licite de refuser la sainte Communion à un fidèle, pour la simple raison, par exemple, qu’il désire recevoir l’Eucharistie à genoux ou debout » (Redemptoris Sacramentum n° 91, 2004).
Par ailleurs, il est bon de rappeler que ce même pape a demandé que les fidèles fassent un geste d’adoration (au moins une inclination…) avant de recevoir le Corps du Christ selon la parole de saint Augustin : « Adore d’abord Celui que tu vas recevoir : Il est ton Seigneur et ton Dieu. »
Vous avez le droit de recevoir, en France, la communion dans la main ; mais vous avez aussi le droit de savoir d’où est venue cette pratique, quelle est sa valeur et ce qu’en pense le Magistère de l’Eglise. Tirez-en les conclusions vous-même ! Aux dernières nouvelles, le Cardinal Caffara, Archevêque de Bologne (Italie,) a interdit la communion dans la main dans les trois églises principales de son diocèse, dont la cathédrale.
Père Jean-Régis Fropo

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