dimanche 29 juin 2008

Pierre et Paul - homélie monastique



+ Homélie pour la solennité des apôtres Pierre et Paul, dimanche 29 juin 2008

« Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Jésus n'est pas remonté au ciel sans avoir auparavant bien organisé et prévu toutes choses. Son oeuvre, c'est l'Église qui la continuera. Pierre a été mis à la tête d'un collège de douze apôtres qui ont reçu directement du Christ leur mission, leurs instructions et leur pouvoir. Quand le traître eut été remplacé par Matthias, un compagnon de la première heure, c'est sur eux, les Douze, réunis en prière avec Marie, que l'Esprit Saint est descendu à la Pentecôte. C'est autour d'eux que se sont réunis les disciples du Christ dans la communauté primitive de Jérusalem. Dans la joie et l'unité des coeurs, les frères mettaient tout en commun. Le Seigneur était loué, l'Évangile était proclamé, on servait les pauvres et on guérissait les malades. On supportait ensemble la persécution et chacun était prêt, comme Étienne, à reproduire dans sa mort la mort de Jésus lui-même, ce qu'on appellerait bientôt le martyre.

Tout était donc bien clair dans cette Église confiée à Pierre et aux Douze pour gérer l'héritage de Jésus, et qui avait les promesses de la vie éternelle. Pourtant, vers l'an 36 environ, on commença à entendre parler d'un converti qui déployait une ardeur peu commune. Saul était un petit homme d'apparence assez quelconque mais que la prédication transformait. L'éloquence de ce juif, qui connaissait bien le grec et le latin, ne recourait pas aux artifices des rhéteurs helléniques. Il n'avait pas non plus l'autorité un peu solennelle des rabbins dont il avait été l'élève à Jérusalem. Sa parole si vigoureuse semblait une manifestation directe de la puissance divine. Il était capable de parler pendant des heures de Celui qui avait retourné son existence : Jésus de Nazareth, le Ressuscité vivant dans son Église, qui lui était apparu sur le chemin de Damas. Il ne se lassait pas de raconter cette rencontre qui avait fait du pharisien convaincu persécuteur enragé des chrétiens qu'il avait été, quoi donc ? un disciple ? un prédicateur de Jésus ? mieux encore : un Apôtre, c'est-à-dire l'envoyé personnel et permanent du Seigneur pour diffuser l'Évangile partout dans le monde et fonder de nouvelles communautés ecclésiales.

Et voilà bien ce qui était gênant. Que venait faire dans l'Église de Pierre, fondée par Jésus lui-même à partir des hommes qu'il avait personnellement recrutés et formés, ce Paul qui se disait « apôtre, non de la part des hommes, ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l'a ressuscité des morts » (Ga 1, 1) ? À cette question, qu'on lui posait si souvent, Paul donnait trois réponses.

La première mettait en avant son lien personnel avec le Christ et elle consistait dans ce récit sans cesse repris de l'intervention directe de Jésus ressuscité dans sa vie.

La deuxième réponse de Paul montrait en lui un fils de l'Église, attentif à demeurer constamment en communion avec Pierre et avec l'Église-mère de Jérusalem. Il tenait à rencontrer quand il le fallait ceux qu'il considérait comme les colonnes de l'Église pour vérifier auprès d'eux la teneur de son enseignement, pour convenir avec eux de ce qu'on appellerait de nos jours des orientations doctrinales ou pastorales, et pour leur rendre compte de ses missions en pays païens. Il veillait aussi à soutenir financièrement l'Église appauvrie de Jérusalem en organisant et gérant une gigantesque collecte dans toutes les églises qu'il visitait.

La troisième réponse de Paul consistait dans l'évidence de l'action de l'Esprit Saint dans sa personne et dans sa vie.

De lui-même, Paul se savait peu de choses. Il était né à Tarse en Asie Mineure vers l'an 8 de notre ère – et l'année Saint Paul inaugurée vendredi dernier par le Saint-Père Benoît XVI nous invite à célébrer le bimillénaire de cet événement. Il avait reçu une éducation religieuse poussée à Jérusalem ce qui lui donnait une connaissance remarquable de la Parole de Dieu et des traditions du Judaïsme. Mais ce n'était pas sur cela qu'il s'appuyait.

Il avait par ailleurs une assez mauvaise santé. Il rencontrait sans cesse l'opposition des Juifs. Sa vie était exposée en permanence à mille dangers. Il y ajoutait une ascèse austère. Mais rien de tout cela ne le décourageait.

Il ne connaissait qu'une chose : le Christ l'avait choisi, il lui avait fait miséricorde, à lui, Saul, le persécuteur, il l'avait aimé au point de mourir pour lui. Et maintenant, le Christ lui demandait de s'appuyer uniquement sur ce choix bienveillant, cette « élection », cette « grâce » qu'il lui avait révélée sur le chemin de Damas et qu'il lui refaisait sans cesse sur tous les chemins de l'Évangile.
Paul ne pouvait que s'effacer toujours plus humblement devant la grâce qui agissait en lui. Il voyait se déployer dans sa faiblesse la puissance infiniment riche en ressources du Christ fondant lui-même son Église et parlant par la bouche des prédicateurs de l'Évangile. Il contemplait cette Parole de la Croix en train de résonner jusqu'aux extrémités de la terre. Il était l'intendant du mystère qui, depuis le coeur du Père éternel, se déployait irrésistiblement dans le monde par le Fils et dans l'Esprit Saint. Il était le serviteur de cet Esprit à l'oeuvre pour vivifier de la vie du Ressuscité le Corps ecclésial tout entier par la charité.

La troisième réponse de Paul, c'était Paul lui-même, tel que l'Esprit lui donnait de vivre et de se montrer. Car Paul et son Évangile ne faisaient qu'un : il était lui-même, en personne, dans sa faiblesse et dans sa sainteté, dans le feu de son amour et dans les fulgurances de son intelligence du mystère, l'annonce de l'Évangile de la grâce de Dieu. Il était une parole incarnée qui annonçait la gratuité de l'amour qui, à partir de la Croix, saisit l'homme et le monde pour les pénétrer de la gloire divine. Car la Croix, la Croix seule, était la preuve, mystérieuse et fascinante, que Dieu nous aime, lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a donné pour nous.

Devant une telle évidence du mystère de la volonté divine s'accomplissant en Paul, Pierre et les autres apôtres n'avaient plus qu'à se laisser dépasser. L'Église, ils en avaient vite fait l'expérience, ne fonctionnait pas comme une association sagement réunie autour de son Président. Elle était d'origine divine, par le Christ qui l'avait fondé, mais aussi de fonctionnement divin, par l'Esprit du Ressuscité qui l'animait. Et le Ressuscité n'aurait pas pu affirmer plus nettement son autorité qu'en imposant aux Douze cet Apôtre de surcroît qu'il avait formé lui-même directement et qu'il leur envoyait comme un extraordinaire cadeau.

On peut supposer que saint Pierre se fût parfois bien passé de cet empêcheur de tourner en rond et qu'il lui arrivait de s'agacer quelque peu des idées tranchées, des manières personnelles et de la supériorité manifeste de ce génie de la grâce qu'était l'apôtre Paul. Décidément, Jésus, qui l'avait toujours affectueusement taquiné, lui avait joué un bon tour de plus en lui donnant ce collaborateur aussi admirable qu'encombrant. C'était au point qu'il lui faudrait partager avec ce tard-venu le privilège d'évangéliser le centre du monde, cette ville de Rome à qui ne suffirait pas le seul martyre de Pierre en l'an 64, mais qui voudrait aussi s'honorer de la mort glorieuse de saint Paul vers l'année 67.

Mais Pierre, l'humble Pierre, qui avait eu à compter avec Jean, le bien-aimé du Seigneur, et qui avait aussi dû gérer des personnalités aussi fortes que celles de Jacques, le premier évêque de Jérusalem, ou Barnabé, ne craignait pas de renvoyer à Paul. Lisez ses lettres, disait-il volontiers. Ce n'est pas toujours très facile, mais c'est du solide. En cette année Saint Paul qui s'ouvre, le successeur de Pierre nous envoie nous aussi vers Paul. Il nous invite à nous faire tout spécialement les disciples de celui qui s'est tellement identifié à sa mission que la Tradition l'a appelé l'Apôtre, tout simplement. Accueillons cette invitation porteuse de grâce. Lisons les Actes des Apôtres pour avoir une vue d'ensemble de l'itinéraire de saint Paul. Plongeons-nous dans ses épîtres : peut-être pas tout seuls, car elles sont parfois difficiles, mais à l'aide d'une bonne introduction, comme celle que proposent nos Bibles ou plusieurs sites internets, à commencer par celui du Saint-Siège. Avec Paul, allons à la source de notre foi : Jésus ressuscité, vivant dans son Église, lui qui vient faire de nous en cette eucharistie de vivantes offrandes à la gloire du Père, lui qui vient nous habiter et nous transformer jusqu'à oser dire avec le grand saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ». Amen.


Dom Xavier Perrin, moine de Sainte-Anne de Kergonan . o.s.b. - prieur

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