lundi 23 décembre 2013

témoignage de l'évêque de Nouakchott



Père Martin HAPPE                                                            Nouakchott, Noël 2013

Evêque de Nouakchott                                                                                  Tél. (+.222)45.25.04.27
B.P. 5377  -  Nouakchott                                                                               
R. I. de  MAURITANIE                                                             mgrmartinhappe@yahoo.fr
C.C.P. La Source 39 539 54 S                                                            


« Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie. »
Liturgie du 2ème dimanche de l’Avent
Ps. 71



Chers amis,

Cet extrait du psaume 71, que l’Eglise propose à notre méditation le 2ème dimanche du temps de l’Avent, - temps qui d’une manière toute particulière nous invite à « préparer les chemins du Seigneur » en ayant, comme lui, un amour préférentiel pour les pauvres, - m’a incité à regarder un peu la vie de notre petite Eglise de Mauritanie. Est-ce que ce souci de Dieu pour les pauvres dont il veut sauver la vie est aussi notre souci ? Et si oui, est-ce que cela se voit ? En me posant cette question j’ai dû penser à une rencontre que j’ai eu, il y a quelques années, avec une monitrice d’un de nos centres de promotion féminine.

J’ai l’habitude, à l’occasion des visites pastorales annuelles, d’aller voir sur place l’une ou l’autre activité de nos religieuses. C’est ainsi que je me retrouve un jour dans un centre de promotion féminine dans une banlieue pauvre de Nouakchott et que là, une des monitrices dit vouloir me parler. Donc, nous nous mettons un peu à l’écart et elle me dit à peu près ceci :

« Je faisais partie du premier groupe de femmes formées par les sœurs en coupe et couture. Comme je montrais des aptitudes pour ce métier, la sœur qui dirigeait le centre à ce moment-là m’a demandé, après ma formation, de rester auprès d’elle comme monitrice. Il se trouve, qu’elle me proposait une rémunération, alors j’ai accepté bien volontiers. Cela me faisait un revenu sûr pour ma famille. En plus je m’étais rendu compte, que la sœur avait vraiment besoin de quelqu’un à ses côtés qui connaissait la langue et la mentalité des femmes du quartier. Cela me paraissait essentiel dans la démarche d’apprentissage de quelque chose de complètement nouveau pour nous !

J’ai donc accepté l’offre de la sœur, et cela fait plus de 10 ans maintenant que je travaille ici. Pendant ces 10 années, j’ai eu à fréquenter un certain nombre de sœurs, toutes différentes de caractère et aussi dans leur manière de travailler et de faire travailler. Mais ce qui me frappe et m’incite à vous en parler : malgré leur différences, ce femmes qui sont des religieuses catholiques, ont toujours respecté notre religion musulmane. Jamais je n’ai vu ou entendu qu’une sœur aurait fait pression sur l’une d’entre nous, pour nous faire changer de religion, pour nous convertir au christianisme ! Ce qu’elles cherchent et ce qui les rend heureuses, c’est de constater que grâce à leur appui, nous réussissons à faire vivre nos familles d’une manière honnête ! » – Pour comprendre cette réflexion, il faut savoir que beaucoup de ces femmes sont des mamans qui ont des enfants de plusieurs maris, mais se trouvent seules pour prendre en charge ces enfants. Comme elles n’ont pas appris de métier et que le petit commerce ne rapporte pas grand chose, il leur reste souvent, comme seule porte de sortie, la prostitution.

Après une pause de réflexion, mon interlocutrice continue : « Notre religion musulmane aussi nous fait l’obligation de l’aumône et nous demande d’aider plus pauvre que nous. Mais cette attention est toujours portée à un coreligionnaire ! Jamais un marabout nous a demandé de nous soucier de personnes qui ne seraient pas musulmanes ! Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ces femmes chrétiennes se dévouent tant pour nous qui sommes toutes musulmanes ? »

Une fois de plus, pour formuler ma réponse, j’ai été, à ce moment, très reconnaissant à l’évangéliste St. Luc. Parce que, si nous lui devons l’évangile de Noël, nous lui devons aussi la parabole magnifique du bon Samaritain. Dans cette parabole, que vous connaissez sans doute, Jésus nous parle d’un homme qui est tombé entre les mains de brigands. Résultat : il se trouve dépouillé de tout et à moitié mort sur le bord de la route qui mène de Jéricho à Jérusalem. Jusque là, rien d’extraordinaire. Cela fait partie des choses qui continuent d’arriver sur les axes routiers très fréquentés, même de nos jours !  La différence se trouve dans la suite du récit. La victime est, le texte de la parabole le sous-entend, un homme juif. Passent par là des notabilités civiles et religieuses, qui ont toutes des choses plus importantes à faire que de s’occuper de se pauvre hère ; en plus, il faut éviter des ennuis ! Donc, ces messieurs font semblant de ne rien remarquer d’extraordinaire et continuent leur chemin. Puis, passe un samaritain, hérétique et ennemi héréditaire pour les juifs. Mais à la différence des autres, celui-ci voit le monsieur en détresse et il fait le nécessaire, pour qu’il reçoive les premiers soins et que l’on s’en occupe jusqu’à rétablissement complet. - Et c’est à ce point précis de son histoire que Jésus pose une question à son interlocuteur, un légiste, question qui a comme résultat lointain le fait, que des femmes chrétiennes s’occupent de femmes musulmanes et s’impliquent pour les aider à s’en sortir de leur situation peu enviable. Jésus demande à son interlocuteur : « Lequel des trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ?  Il (le légiste) dit : Celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Et Jésus lui dit : Va, et toi-aussi, fais de même. »

Cette histoire merveilleuse n’est pas seulement la cause, qu’aujourd’hui encore, tous les disciples du Christ sont invités par celui-ci à se préoccuper de toute personne dans le besoin, mais aussi elle m’aide à faire comprendre aujourd’hui aux Mauritaniens le pourquoi de l’action pour et avec les pauvres de nos paroisses, de nos sœurs et de notre Caritas. – Non, nous n’avons pas des idées de prosélytisme derrière la tête ! L’affaire est toute simple : si nous, Eglise de Mauritanie, nous nous préoccupons de personnes et de situations dont peu d’autres se préoccupent, c’est parce que Jésus a agi ainsi et qu’il nous demande de faire de même !

A Noël nous nous penchons sur la crèche pour y voir un petit enfant qui a besoin d’aide pour pouvoir survivre. Cet enfant traversera plus tard son pays en annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume par ses paroles, mais aussi et surtout par sa façon de se comporter avec des personnes vivant en marge de la société - pêle-mêle : lépreux, collecteurs d’impôts, prostituées, mendiants etc. -. A eux-tous, il rend la dignité de fils de Dieu ! Il a vécu pour cela et, comme cela dérangeait certains, il est mort pour cela.

Si nous ne voulons pas que Noël soit pour nous simplement une belle fête qui nous donne l’occasion de chanter ou d’écouter des chants qui nous accompagnent depuis notre enfance, si nous sommes prêts à l’accepter plutôt comme le point de départ d’une vie, par laquelle Dieu se montre « Emmanuel », Dieu avec nous… alors, nous devons prendre au sérieux l’invitation que Jésus fait au légiste après lui avoir conté la parabole du bon Samaritain : « Va, et fais de même ! »

Dans ce sens : Joyeux Noël et une Bonne Année (avec 365 jours pour « faire de même » !



Père Martin HAPPE

évêque de Nouakchott

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