lundi 29 juillet 2013

Jean Laplace . 2006

Jean Laplace…
un rayonnement inattendu
méditation cinq mois après sa mort


Reniac, mardi 3 Octobre 2006

Matrice de circulaire vers ceux qui ont laissé leurs nom et adresse à la sortie de la chapelle Saint-Ignace, et aussi vers les congrégations, centres spirituels et monastères dont le calendrier annuedl des ministères du Père donnent les coordonnées.

Depuis le samedi 29 Juillet – que je n’ai appris que le mardi 1er Août – je suis passé par trois phases. La première du souvenir personnel. La seconde et dont vous êtes intensément est celle d’une prise de conscience de l’immense rayonnement, et si précis, de notre ami dans un très grand nombre de vies personnelles, qui ne sont pas la miennes, qui ont comme analogie avec la mienne la solidité et la chaleur de cette rencontre. La troisième est donné par la messe du vendredi 22 et dont j’avais l’intuition depuis longtemps, mais pas aussi nettement : le secours et la re-fondation qu’il a apportés à des prêtres et religieux, et non des moindres, en un sens tel qu’il est l’un des piliers de l’Eglise contemporaine.

Donc, tenter quelque chose qui maintienne vivante sa mémoire et actif son message. Peut-être une association, sans doute un appel à témoignage et à documents. Je n’ai pas sollicité de prendre pour une phrase la parole l’autre vendredi afin d’indiquer que des feuilles recueillaient à la sortie des noms et adresses de ceux intéressés à cette tentative, et le regrette : une trentaine de noms seulement, mais je vais propager l’appel par les divers lieux où Jean Laplace exerçait son ministère, à commencer naturellement par Manrèse.

Créteil, mardi 19 Décembre 2006

06 heures 08 + Je m’éveille à l’avance pour rédiger sur JL avant le nouvel éveil que va constituer mon entrée dans ses papiers. Ecrit ainsi une petite heure, débroussaillant et schématisant, je continuerai dans le métro, je tiens beaucoup à ce point des choses, à ce propos d’étape avant de le rencontrer dans une troisième manière, la trace ou l’appel que constituent ses papiers. Ce qu’il gardait par devers lui. Sans probablement s’arrêter à la destination de cette mise en réserve.
. . . dans le métro Créteil-Vanves, 08 heures 17 + Continué, malgré de fréquentes interruptions à me remettre debout pour la presse des voyageurs aux grandes stations, mes notations sur JL ; j’en veux le maximum avant la nouvelle phase de mon chemin avec lui.


Je m’attendais à plus et à moins. Je suis embarqué, emmené vers autre chose, vers un secret. Vers la vie humaine d’un homme qui a été religieux, que son ordre a gratifié et qu’il a illustré. L’importance de la Compagnie de Jésus dans la manière de vivre et d’exercer une activité professionnelle n’apparaissait pas telle de son vivant. Dans quel métier et selon quelle organisation, hiérarchisée ou libertaire, aurait-il été aussi libre, aussi respecté ? d’emploi du temps et de manière d’être ?
Je perdais à sa mort un guide mais un homme d’enseignement auquel il est peu question d’accéder personnellement. Une relation où la réciprocité n’est pas première, où l’un est sauvé, demandeur, et l’autre sauveur, accompagnateur, explicatif. Sans doute, les conversations, et surtout les entretiens en retraite notamment, étaient-ils des mises au point dont la dialectique et l’effet m’ont paru – quand j’ai par ailleurs commencé d’en être bénéficiaire pour des raisons et selon un parcours imposés par des circonstances inutiles à évoquer ici – très proche de la psychothérapie et de la pratique lacanienne : le patient, le retraitant se construit par son propre dire. Le dire n’étant pas un aveu mais une découverte de soi et du monde, de la relation redevenue possible entre soi et le monde, sans bienveillance de l’un, sans culpabilité ou insuffisance de l’autre. Jean Laplace a donc excellé à cette rencontre d’autrui, du prochain pour sa guérison, sa remise en route, l’inventaire de soi. Son ministère tel qu’il l’a pratiqué
L’a-t-il voulu posément ? A-t-il été discerné par les supérieurs de son premier âge religieux après les années de préfet dans les collèges et au juvénat jésuite de Laval ? Le fait est qu’à reprendre l’ensemble de son œuvre écrite – les livres – on a la sensation très précise de deux époques, celle des préalables, elle-même en deux phases, une phase silencieuse où l’homme a appris à donner les Exercices, toutes les années 1950, et une phase dans laquelle sont produits les livres de base sur la culture et l’apostolat, la conscience de soi du prêtre à la recherche de lui-même, le dialogue spirituel, la femme et la vie consacrée. La seconde époque, la plus longue sera de contenu mais aussi d’approfondissement d’une dialectique : un travail par l’Ecriture sur ce qui nous met en chemin de Dieu. Les livres se répèteront apparemment, mais s’apureront aussi. Ils auront chacun l’invocation d’un certain patronage, saint Jean l’évangéliste, la Vierge Marie, l’Esprit.

Donc la première découverte est l’importance aussi bien dans sa vie propre, dans le travail au long des années, de l’écriture et de la composition écrite, que dans sa manière de rayonner. Je ne pensais pas qu’il allait valoir de plus en plus en plus par une œuvre. Je croyais avoir affaire à un homme dont allaient rester – seulement – la voix, le regard, la manière, et partant à la recherche de sa mémoire, j’étais en quête de témoignages. Des anecdotes, non… et je n’en trouve toujours pas, quoique je pressente des événements, dont il est probable que ce sont des rencontres et des rencontres, non de bouleversement ni pour lui, chaque fois confirmé dans ce qu’il a à continuer et à être, ni pour la personnalité rencontrée qui sera mise dans son chemin mais jamais violentée ni désorientée pour etre réorientée. Présence et non choc, quoique parfois les premiers moments soient rudes.
L’homme de rencontre m’a été donné par les confidences de quelques disciples déjà. Deux femmes au moins.
Elles m’ont fait découvrir toutes les deux ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Non pas des changements de vie opérés par une sorte d’ouverture décisive à Dieu qu’aurait procurée notre ami par une intervention ayant des composantes et du savoir-faire humain. Tel prédicateur, tel devin interrompant un mauvais cours et poussant vers une ascension ou une autre pente, la bonne ? Il y a une clientèle chrétienne, humaine qui comme dans les évangiles accourt en interrogeant : bon maître que dois-je faire ? La quête de l’orientation, de l’état de vie. En ce sens, mes deux confidentes – parmi d’autres – me confirment ce que j’ai vêcu avec le Père.
Elles m’apprennent un élément qui n’est pas de supériorité et de maintien d’un dialogue maïeutique. JL écrivait beaucoup, pas seulement pour prier ou pour aider à la prière des autres, mais à des correspondants, en quoi il était véritablement accompagnateur. Je ne suis encore entré dans aucune de ces véritables collections de vie, et je compte n’y aller qu’avec un intense respect pour ce qui doit être pris comme une intrusion dans la relation intime entre deux êtres, à égalité l’un devant l’autre, parce que tous deux devant le mystère de l’homme (de la femme, en l’occurrence, dimension suppémentaire si j’ose écrire, de l’humanité en capacité certes, mais aussi en contradiction et complexité).
Il apparaît donc que Jean Laplace n’exerçait pas seulement un ministère ayant codes, matière et instruments et lui procurant une existence réglée et rythmée, apparemment très mobile, mais en réalité d’une grande stabilité puisque partout il emmené le même discours, le même regard et sans doute des horaires et des méditations analogues. Il donnait de lui-même, jamais de la même façon, mais il payait intensément de sa personne. Il était ouvert au partage parce qu’il donnait à voir, ce qui n’est pas évident pour le laïc, ou – je le crois – pour le religieux débutant, ou même pour le consacré, la consacrée déjà éprouvés et depuis longtemps dans une vocation devenue plus difficile à vivre qu’aux premiers jours, il donnait à voir que personne, dans l’existence terrestre, n’a le fin mot, n’est dans le secret ni n’acquiert une surnature. Il n’imposait pas, ce qui aurait gêné et ce qui gêne parfois chez certains religieux ou prêtres, l’évocation de son propre cheminement, a fortiori de difficultés vêcues ou en cours d’être subies

A tout cela, je ne m’attendais pas. Je croyais qu’allait survivre un enseignement, je m’aperçois qu’il s’agit d’une vie particulière et d’une façon – probablement courante – de rayonner, d’exercer le rôle d’évangélisateur. Ce qui aide à préciser – utilement…– le religieux contemporain, en quoi cela consiste, en quoi dans l’Eglise et dans la vie courante, il y a une fonction qui peut être tenue par les uns pour les autres, et peut-être même assez réciproquement. Car ce que j’ai entrevu parfois, mais sans le peser, est la sensibilité du Père à la chaleur humaine, à la gratitude. Il n’était pas enfermé en lui-même, donnant mais ne recevant pas. Le mystère, puisque jusqu’à présent je ne sais pas s’il a souffert et en quoi ou de quoi, est le besoin qu’il avait ou n’avait pas de l’affection et de la gratitude de ceux et celles qu’il avait rencontrés, qui s’étaient rencontrés en lui.
Jean Laplace est donc d’abord relationnel. Il n’a pas créé un réseau, les retraitants et accompagnés, pour la plupart, une fois clos l’exercice au cours duquel s’opérait la première rencontre et avaient lieu les premiers entretiens, ne se revoyaient plus entre eux. Parfois, ils ou elles se sont évoquées, sans doute pas à l’instigation du Père lui-même, mais en se croisant (parfois en se jalousant) autour du Père.

Dans ces conditions, je m’attendais à plus de mouvements et d’échos que je n’en perçois. Comme si un signe était donné que l’essentiel ne se voit pas, ne se dira pas et demeurera le propre de chacun, de chacune de celles qui ont bénéficié de sa rencontre et de sa fidélité. Car une correspondance est bien la fidélité. Manifestement, dans les toutes dernières années de sa vie, les derniers mois-mêmes, dont personne et pas lui ne soupçonnait, malgré l’âge auquel je n’ai jamais été sensible tant le rapport restait d’une personnalité à la fois secrète, simple au sens de pas complexe ni nouée, mais surtout majestueuse, qu’ils étaient très comptés, dans ce temps donc, l’homme qui n’était plus requis par des interventions publiques, était sans doute aussi occupé que jamais : les visites, la correspondance, l’écriture d’un livre. Cette activité avait ses destinataires, tout me laisse sentir qu’elle continue son rayonnement, mais celui-ci reste impalpable. Des communautés religieuses entières – sans doute y a-t-il le filtre de la discrétion spirituelle et de la hiérarchie des supérieurs – soit ne répondent pas à ma demande, aussi motivée et simple que j’ai pu, de recueillir quelques témoignages d’un passage, d’un ministère situé et daté, soit ne donnent en quelques mots sobres que ce qui peut se dire : au poids, presque rien. Du bien a été fait. Laconisme. On en reste là. Service fait ! Pudeur ou difficulté d’expression d’un milieu qui a pourtant l’un des plus importants dans la vie du jésuite. Aider l’état religieux à ne plus être clos pour ceux qui l’ont embrassé, le plus souvent dans des circonstances assez ambivalentes – comme je l’ai expérimenté moi-même autant par ma recherche propre que par l’itinéraire de trois amis d’enfance très chers. Ce qui fait ressortir son don. Il savait parler de ce dont on a de la peine à parler, surtout en Eglise, surtout dans le domaine des choses ou des événements spirituels, là où la langue de convention, le mimétisme et la récitation gâchent les jaillissements, font oublier que la spontanéité et le jaillissement sont à la fois une nécessité et la vérité. Il savait s’adresser à la peur. Et là s’applique une des formulations qui lui est la plus fréquente : la justesse, la mise en place, l’ajustement, en fait l’équilibre par destination à condition de ne pas regarder ou chercher le compliqué et l’ailleurs.



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Ainsi, l’homme et le religieux, s’exposant l’un l’autre, acteurs ensemble d’une vie probablement très cohérente. La reconnaissance – pour eux-mêmes – des contraires, leur conciliation qui est la responsabilité et l’art de chacun vis-à-vis de soi-même. Le préalable de la liberté pour tout accueil et d’abord pour une vie spiriuelle qui ne soit ni sentiment ni imagination ni repliement. Il semble que JL l’ai vêcu lui-même et peut-être d’un coup, sans combat, selon une nature simple où la passion n’était pas désordre ou emportement ou débordement de soi sur les circonstances ou sur les autres, comme tant d’autres qui ont le don paradoxal de se gâcher eux-même et de gêner les autres.
Le religieux, parce que’il était statutaire pour qui allait à lui, avait cessé d’être premier, évident, apparent. On allait chez l’enseigneur. Le prêtre était même oublié. Il était l’outilleur. Ce qui suppose chez celui qui est ainsi regardé un certain consentement à être instrumentalisé. JL, parce qu’il écoûtait en tête-à-tête et répétait en public, n’était pas à proprement écrire, un parleur. Il n’y avait en lui aucune redondance, il cherchait toujours l’expression et la situation justes. La note d’ambiance dans les conférences appelées entretiens, la situation présente dans les tête-à-tête. Pas de débat d’idées ni de méthode. Une position qui n’était que la sienne, mais à laquelle les prêtres et les religieux, les religieuses de rayonnement parviennent sans que ceux qui ont recours à eux, à elles, aient à savoir ou comprendre comment : autrement que religieux et que prête, une fonction dans l’humanité, dans la société pourrait-on même dire, qui emportait une façon d’être.
Mais justement – aurait-il dit – il n’était ainsi que parce qu’il était un homme, et un homme particulier. Je ne crois pas que ce soit sa biographie qui le distingue ou le caractérise, que ce soit un parcours qui l’ait formé, non plus ses lectures et ses rencontres. Il semble nativement doté de tout ce qui va le constituer opendant sa vie, en sorte qu’il semble n’avoir pas eu à se chercher lui-même pour se trouver. Il est donc tout à fait libre de s’administrer. Œuvre de Dieu. Pas de témoignage donné ni en entretiens publics des retraites, ni en tête à tête sur sa propre relation à Dieu, mais de celle-ci tout découle. Car son comportement d’homme avec ceux qui sont venus à lui et qui manifestent le besoin (le goût) de son accompagnement (de sa présence récurrente) dans leur vie, est très caractérisé. Ce n’est pas un homme cyclique et il n’encourage pas son correspondant ou son exercitant – exercitante – à une explication de personne cyclique et donc fataliste. Il observe et valide un chemin linéaire, dialectique, l’inspiration de l’Esprit ; même si rien de spectaculaire ne s’opère, même si la vie à suivre, le parcours au total sont visibles et explicables, racontables – témoignages des premières disciples que j’ai à mon tour rencontrées – en termes banaux et humains, rien de surnaturel. Ce qu’il apporte quant à lui, c’est une participation, mais elle est multiforme jamais la même selon les personnes affectionnées. Car ce religieux réservé sur lui-même, ne se disant pratiquement pas ou si sobrement que ce semble n’être qu’un rappel de l’évidence et du plus simple, cet homme raisonnable et qui semblerait faire de la modération, voire d’une certains circonspection, une garde de vie, est aimant. Il n’a pas pitié de « ces foules », il a égard pour la personne en demande. Et généralement la demande est d’équilibre et plus généralement l’équilibre ne se retrouve ou ne s’acquiert que parmi les autres, donc en bonne partie par eux. Il le sait et le vit. Le conseil, il le donne. L’avis sur ce qui est exposé, il l’a aussi, le produit à l’heure voulue et souvent très abrutement, définitivement. Je ne l’ai jamais entendu prononcer l’aveu de s’être trompé. On ne se trompe pas sur Dieu, on regarde, on guette.


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Ainsi, ai-je peut-être dessiné quelques traits du religieux aujourd’hui, celui-celle qu’on attend à notre époque. Manifestement accompli comme homme, comme femme, sans ostentation pour sa propre réussite humaine, et assez libre de soi et des interrogations habituelles de toute existence terrestre pour accueillir la demande du monde contemporain. Sans pour autant afficher la détention de quelque secret ou dogme d’une réussite à modéliser et reproduire. Entrer dans le vrai sujet qui devait occuper nos vies, comment aller à Dieu, être en Dieu pour Lui-même, quitte à découvrir les conséquences heureuses d’une telle démarche, d’une telle situation : l’équilibre et la fécondité personnels, la présence entière du vivant et de tous les legs et espoirs humains à longueur de la vie qu’il nous est donné de mener. Le religieux, non plus donneur de leçons, de prêches, de conseils, mais exemplaire du bonheur possible. Et qui est selon Dieu.
Le don final de Jean Laplace me semble être là. Ce qui justifie une recherche mettant au jour ce qui le constituait, en sorte que l’exemple de sa vie et de son minuistère, plus précsiément caractérisés, prolonge son ministère par delà la mort dont il a dit lui-même qu’elle est une autre forme de présence, probablement la plus libérante pour toute rencontre. Assez universel pour être particulier. Assez particulier pour correspondre à beaucoup, à chacun, mais universel pour n’enfermer personne, et ne pas s’enfermer soi.



De Créteil à Vanves en métro, mardi 19 Décembre 2006

Avant d’entrerMatrice de circulaire vers ceux qui ont laissé leurs nom et adresse à la sortie de la chapelle Saint-Ignace, et aussi vers les congrégations, centres spirituels et monastères dont le calendrier annuedl des ministères du Père donnent les coordonnées.





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