samedi 5 mai 2012

c'est le Père qui demeure en moi, qui accomplit ses propres oeuvres - textes du jour

Samedi 5 Mai 2012

Soirée que je ne sais qualifier. Le dépaysement d’un quart d’heure de route, l’intérieur des terres quoique je ne sois pas allé au bord de la mer depuis des mois, mais l’eau et la marée que je vois au bas de nos prés, depuis ma table. La messe, j’y arrive en retard, l’offertoire, une seule personne tandis que Denis M. officie paisiblement. Dialogues liturgiques. Dîner, la politique brièvement, la violence du débat de mercredi l’a frappé. Il est ancré depuis longtemps dans son vote, ce qui ne nous oppose pas. La question scolaire ne le mobilise en rien. Dialogues, comme fréquemment, sur sa famille, sa génalogie de pauvreté, d’immigration vers Paris, ces formes de relations et d’intimité villageoises qui ne furent ni tribalisme, ni domesticités mutuelles, mais des convivialités parfois belles et durant toute une vie. Dans un département français, surtout en pays rural, tout le monde se connaît. L’erreur de trop grandes circonscriptions administratives, on va à l’abstraction et non plus aux connaissance mutuelles. L’Eglise dans ses pratiques de noviciat (vg. les Frères de Pleërmel) ou dans le cursus des jeunes prêtres. On est passé d’un excès de ressources humaines au vide de vocation. La raison m’en paraît de plus en plus évidente : la société, une société générait des emplois parmi lesquels ceux du clergé paraissaient enviables, et de filières relativement aisées. Aujourd’hui, la démarche n’est plus que personnelle et l’ambiance n’est plus du tout porteuse. Psychologie et sociologie ont totalement changé, plus rien ne va de soi et presque tout se subit. La construction intérieure, pourtant, porte de plus en plus à la relation personnelle de Dieu à soi et de soi à Dieu, et à la constatation de l’analogie, de l’universalité des parcours spirituels et du souci pour notre époque. Il me semble aussi que l’on avance parce que l’interrogation sur les fins appelle celle sur les moyens, que l’on a cessé de se satisfaire du présent ou de se référer au passé. La société n’est plus religieuse, mais l’Eglise est sans doute plus questionneuse sur elle-même que ne l’est la sphère étatique, patriotique, voire européenne. Les forêts de drapeaux et la langue de bois aussi bien des participants que des dirigeants, dans cette fin de campagne politique, sont atterrantes de rigidité et d’artifice. On s’occupe, mais avance-t-on ? On fabrique au mieux de la légalité, mais de la légitimité ? précisément cette sphère de la vie collective et publique a probablement pour chacun, dans l’existence, les projets et les difficultés de chaque jour cessé d’être légitime ; elle est séparée, elle ne vit plus d’autant que pour la plupart d’entre nous – et j’en ai fait une nouvelle fois l’expérience tandis que les cercles du pouvoir sont appelés à changer d’habitants mais pas d’habitat… – il est impossible d’y contribuer, d’y participer, d’y entrer autrement qu’en spectateur muet. Au lieu d’être conclusives, les adhésions sont préalables puis ne débouchent sur rien. Tout est lointain dans nos vies civiques. Je sens très bien le progrès individuel de plus en plus en plus patent chez beaucoup, selon des correspondances, des rencontres, et par intuition. En revanche, la vie ensemble, la communion, l’organisation de presque tout ce qui se fait et se vcit à plusieurs, à beaucoup se perdent de plus en plus. Les hiérarchies, les raideurs, les habitudes ne correspondent plus du tout, si elles y corresondirent jamais, aux psychologies de chacun et aux nécessités de tous. L’Eglise n’a pas à se poser la question de présence et de participation puisqu’elle n’est fondamentalement qu’assemblée et propagation. Propagation, elle l’est de moins en moins. Pourquoi ? je ne sais pas. Ce n’est pas qu’affaire de réception. Dans la familiarité des sujets que nous abordons sans beaucoup les renouveler mais en les enrichissant de l’expérience de chacun en rencontres, en moments de vie, je n’ai pas argumenté sur cette instruction devenue courante : plus de clergé pour les « enterrements », plus de messes de funérailles, ce n’est pas un sacrement, etc… J’ai proposé que nous terminions, debout de part et d’autre de la table du dîner, dans la cuisine à tout vivre et faire, en priant. L’office ainsi tranquillement lu en français pour les Complies, résonnait en moi très différemment de ces fins de journée dans les monastères où je fus fréquent. La mort en civil, la mort comme la belle entrée, l’accompagnement divin, la chaleur, l’expérience, le prophétisme des psaumes pour chacune de nos vies. Retour sous la lune, quasi-pleine.
Ce matin,  prier… [1] Le dialogue décisif entre Jésus et Philippe montre aussi la mûe des Apôtres et leur entrée dans l’intelligence de l’ensemble du ministère et de la révélation du Christ à partir de la Pentecôte et de l’effusion de l’Esprit Saint. Après trois ans de vie ensemble, et même après la Résurrection, les disciples restent étrangers à la révélation, notamment trinitaire. Or, le Christ a « ressassé » sa relation à son Père, peine perdue. Les disciples, comme tout Juif, ont une conception de Dieu, certainement proche de la personne du Père. Ils reçoivent l’exceptionnalité du Christ certainement, ils comprennent sa filiation, puis ils butent. Ce qui les fera entrer dans une dimension que leur attachement affectif au Christ ne leur ouvrait pas encore, c’est vraiment cette intelligence des Ecritures. Jésus, dans cette dernière soirée, est direct. Jean a été tellement frappé par cet enseignement que la transcription qu’il en donne, tient la moitié de son évangile. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vouss l’avez vu. – Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. Philippe a déjà une foi extraordinaire puisqu’il crédite son maître d’une entrée particulière et transmissible dans le sein du Père. Mais ce n’est pas encore l’énoncé de la Trinité. Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père » ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! A partir de cette relation, conseils pastoraux : le cheminement de la foi par ce que nous voyons du Christ, à défaut d’une relation directe à Lui, croyez au moins à cause des œuvres. Et la prière de demande : tout ce que vous demanderez en invoquant mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Propagation de la foi, Pierre puis Paul… celui-ci se fondant sur le psaume juif : « j’ai fait de toi la lumière des nations pour que , grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrêmités de la terre ». En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient glore à la parole du Seigneur… les disciples étaient pleins de joie dans l’Esprit Saint… La terre entière a vu la victoire de notre Dieu… Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux païens. [2]


[1] - Actes des Apôtres XIII 44 à 52 ; psaume XCVIII ; évangile selon saint Jean XIV 7 à 14

[2] - Avec ce psaume, on comprend que le salut d’Israël n’est pas un simple événement national, mais le prélude à la rédemption cosmique, englobant l’univers entier. La manifestation de cette providence provoque les « applaudissements des fleuves », le « rugissement de la mer » et le « chant des montagnes ». Là aussi le roi Dieu est acclamé aux sons du chofar et des trompettes. Rabbin Claude BRAHAMI, op. cit.  Chaque fois qu’Israël s’interprète et reçoit son legs en termes d’universalité et de précession de l’ensemble d’une humanité appelée à Dieu, il est non seulement admissisble, mais admirabale et salutaire. Chaque fois au contraire qu’il s’interprète pour lui seul et qu’il accapare ce dont il a été insignement favorisé, il est en danger sans pour autant que se voile une révélation passée, alors, à d’autres pour un accomplissement total. C’est en se trompant sur soi-même qu’on échoue et se rapetisse. L’Etat d’Israël, autant que le judaïsme dont je le crois séparable, garde toutes ses chances s’il est vécu en profondeur spirituelle et non en nationalisme. Ces commentaires, dont je suis si reconnaissant de les avoir reçus, vont et viennent dans cette alternative.

Aucun commentaire: