dimanche 15 février 2015

de partout cependant on venait à lui - textes du jour

Dimanche 15 Février 2015



On ne parle pas de l’amour, on le vit. On ne sait que de l’extérieur celui que vivent l’autre, l’autre. De soi-même, on ne fait pas le tour, en tous cas pas dans toutes les dimensions en même temps. La mort, les deux morts. Celle d’un autre. Ce que l’on vit de cette mort-là et de la séparation, de la communication qui devient appel, élan, mais seulement à partir de soi, sauf à penser et vivre que ce mouvement intime vers qui est mort, devient le signe de sa propre pérennité, à lui. Alors, le lien surnaturel, pour ce monde-ci, ou pour cette forme-ci de notre monde et de la création. Le fait qu’il y ait eu, qu’il y ait création emporte structure, sens, chance. – Il y a cinquante ans, mon envol pour Nouakchott ? ou mon atterrissage à Nouakchott : DC4 puis DC3. Quatorze mois de total transvasement qui continue encore de me structurer.
                          Prier…
ne soyez un obstacle pour personne [1]. La lèpre, la maladie est devenue pour celui qui en était atteint la grâce d’une rencontre dont l’évangile ne donne que le mouvement, extrêmement scénique. Mouvement vers Jésus, appel, prosternation. Première scène. On n’entend que la souffrance mais l’on voit la proximité physique de plus en plus intense. C’est Jésus qui l’augmente encore et en fait une intimité, une communion : saisi de compassion,  Jésus étendit la main le toucha. Le dialogue a été d’une sobriété totale, un seul sujet, l’affreuse maladie : si tu le veux, tu peux me purifier – Je le veux, sois purifié. Le mouvement si scénique reprend après l’étreinte physique et spirituelle, la guérison qui était de l’ordre de l’impossible. Jésus le renvoya. Puis grand angle et expansion : une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, les villes s’interdisent de facto, retour à la solitude, au point central, mais qui reste et se consacre d’universelle attraction. Respiration du monde : celle de l’humanité souffrante, pulsation quand elle se rassemble auprès du Christ qu’elle trouve, retrouve. Jésus restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui. Pas d’obstacle.

Hier

L’écrit que je tente… je le voyais sous deux aspects. L’approfondissement et la systématisation de mon expérience de la vie, à travers d’apparentes diversités, pas seulement la continuité en tous domaines dont j’ai pris conscience il y a peu : façon d’aimer, façon de me disperser, façon d’échouer à écrire du comestible et convictions autant qu’appétits en politique et pour des sujets précis, le gaullisme ou plutôt DG, la Mauritanie, mais une façon d’en jouir et de vouloir en témoigner, la faire partager, le spirituel comme source et comme communion en inspiration et en expression. La mobilisation de deux séries de matériaux : les personnages de ma vie, les thèmes et situations. Avec peut-être la réflexion sur ce qu’est réussir, ce qu’est l’unité d’une vie et d’une conscience, ce qu’est l’amour et ce que sont les grandes situations et les grands sentiments, grands au sens d’englober, de rendre compte, de fonder.  J’ai commencé sans véritable préméditation ni en méthode ni en plan ni en prévision d’aboutissement, d’un point d’aboutissement. C’est le point de départ qui m’est venu. Celui qui écrit et ne serait pas moi assemble ses matériaux pour régler un problème de couple, celui qu’a diagnostiqué au début de cette semaine : MCC, problème de couple avec l’écriture, parabole de l’impuissance et de la stérilité qui sont à présent miennes sauf les précautions ou les adjuvants que permettent la médecine et que JPD il y a quinze ans et maintenant m’a fait découvrir. Et j’ai vite eu envie de détailler des situations ou des aventures, tout simplement l’une d’à présente, le dialogue de pas une minute avec L. Intervenant : je, au lieu d’écrire : il, j’ai peut-être trouvé le scenario. Une théorisation et une recherche d’un côté, des illustrations et des aveux, illustrations par le passé, des aveux au présent. Il pourrait ainsi y avoir une liste de personnages, décrits explicitement par le ou les moments qu’ils m’ont donnés, une liste et une typologie de situations : le succès, l’échec, l’impuissance, la fécondité tant littéraire qu’amoureuse et plus encore charnelle, la paternité, les rencontres de mentors par le livre ou par la fréquentation directe, humaine, vécue. Il y aurait la continuité de comportement et de convictions, le spirituel, le politique et avec des addictions   : longtemps la drague, longtemps les achats de tableaux et de livres, la photo de nu, le nu féminin, mais aucune de celles qui lient à jamais (jeu, alcool, vol) et dont j’ai reçu la grâce d’être protégé. L’inclassable mais le décisif, trame de vie : la prière et la lectio divina, la maison ou l’appartement, la résidence, la sensation des continuités et dépendances généalogiques, notre nom, mes ascendances, curiosité et réalité ne portant plus seulement sur les miens et des deux « côtés » maternel et paternel, mais sur ma belle-famille et sur les suites, notre fille. Ce qu’il adviendra de cette maison et de cette propriété, lutte et coût obsessifs. Ce qu’il adviendra de mes livres et de mes manuscrits ou papiers, sans y enfermer ma femme et notre fille survivantes. Les batailles et suspenses : concours, disgrâces, procès. L’émotion des intimités qui commencent, des rencontres en fortes sensations d’affinités, jeunes filles ou jeunes femmes pour la plupart, mais des partages intenses avec certains aînés, gens politiques ou religieux et prêtres. Le bonheur inexprimable, très longtemps répété, de plus en plus savouré à mesure que je discernais combien c’est une grâce que « cela marche », la place donc dans la vie, individuelle, dans la vie du couple, dans la relation au monde et pour la foi en la beauté. La vie de groupe, la fratrie, les tentatives en politique, en classes d’âge et promotion scolaire. Le recevoir d’apprendre, l’auto-formation de  certaines époques, la recherche documentaire à d’autres, les années de lecture, celles d’écriture. Le rapport à l’argent, le rapport à la maladie, la santé. Les affleurements de la mort, il y a vingt ans, puis il y a quinze ans, puis maintenant, si différents dans leur succession, celle-ci imprévisible autant qu’exclue.
Alors, une façon de bataille entre il et je pour régler cette crise du couple : l’écriture et moi, qui dure sans doute depuis 1968 et mes deux premiers échecs amoureux, les fiançailles convenues puis brisées, la présentation qui me séduit mais dont toute suite m’est aussitôt refusée : N et L. Et une autre manière de résoudre la crise : y ajouter un matériau totalement nouveau si je parviens à réaliser le projet que je n’énoncerai pas dans ce texte, car je veux l’écrire comme si ma vie avait cessé et qu’il ne me restait, pour un peu de temps, que les moyens et la disposition de récapituler, de comprendre et donc de rendre la copie. A l’éditeur, et plus encore à moi-même. Serai-je content de ce qui aura ainsi surgi ? et de quoi suis-je aujourd’hui constitué ? de ce qui me rend si heureux de le posséder (mon unité intime, mon retour pour chaque instant à l’amour, principalement à l’amour de ma chère femme et de notre fille,  vivre et partager dans le même temps et à l’âge que j’ai l’extrême jeunesse et le cramponnement commencé de la vieillesse) et me fait donc insensible à ce qui me captait autrefois immanquablement, et dont je sens bien souvent que cela n’a pas disparu, sauf que le lien possible, je le rejette et que si même il commençait de se nouer, je me l’arracherais du tour de moi. Voilà où j’en suis, ce soir. – Tout cela, cependant, peut-être sera mis en cause demain… Depuis mes premières lignes mercredi, j’ai bafouillé et surtout je me suis dépris de mon travail puis y suis revenu le trouvant, au moins en structure, pas inintéressant. Il y a donc le défi de produire quelque chose, et si je devais ne pas y arriver ces jours-ci, ce serait le signe (comminatoire ?) que décidément ce ne me fut jamais possible, un mirage et un projet comme d’autres, irréaliste et ne me correspondant pas, faute que j’en ai les moyens. Donc vraiment passer désormais à autre chose. Et enfin la difficulté que le matériau surtout pour le présent, ne m’appartient pas en propre ni exclusivement. Dans ma vie, ce que j’ai laissé passer, en quoi très précisément j’ai déçu et qui ? mes grands péchés au vrai. Et cela dure.



[1] - Lévitique XIII 1 à 46 passim ; psaume XXXII ; 1ère lettre de Paul aux Corinthiens X 31  à XI 1 ; évangile selon saint Marc I 40 à 45

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