jeudi 29 novembre 2012

un legs si doux + Claude Berteau, moine de Kergonan 29 Novembre 2009-2012



  
Un legs si doux

Claude Berteau

11 Septembre 1942 + 29 Novembre 2009


La tombe, la chronologie depuis la fondation du monastière est suivie par la disposition des tombes, champ d’honneur, conclusion de la piété, celle des moines déjà arrivés, celle des frères qui suivent, les ont connu ou n’en auront que ouï-dire et laisseront à Dieu la mémoire, celle de l’infini divin.

Ma chère femme et moi devant la croix, énième ligne, énième tombe. Le sourire de cet homme, une présence si aisée, si facile à mémoriser à revivre, un appel à contempler ce visage d’homme.

Maintenant, l’évidence d’un legs si doux. L’exemple d’une vie qui pouvait paraître banale et monotone aux tiers, croyants et non-croyants, secret des vies monastiques, y compris pour ceux qui partagent intra muros la proximité, la promiscuité, l’usure quotidienne, l’incommunicabilité des élans, la perception et l’affichage des lassitudes, du doute, des tentations.

La réalité, sous l’enveloppe de la banalité et de l’extravagance à la fois, en comportement souvent, en paroles de liberté dans nos tête-à-tête ou en compagnie de ma femme et de notre fille, parloir, parc, clinique et environnement de Malestroit, chambre d’hôpital, de rémission, d’accueil des verdicts, de rassemblement des espérances, des projets encore, puis chambre du lit d’où l’on s’en va. La réalité était une acceptation – extra-ordinaire, exceptionnelle, que je n’ai jamais rencontrée, constatée à ce point et avouée aussi sobrement parce que seulement dans l’implicite – une acceptation de n’aboutir pas, de demeurer dans une attente longtemps révoltée et impatiente, puis progressivement apaisée par la grâce très mystérieuse mais propre à des récits et à un clair visionnement, communicable d’ailleurs et dont j’eus, sans doute avec d’autres, le bénéfice, la grâce de noces tellement mystiques chez un homme aussi concret, aussi convaincu d’expérience de l’interpénétration, de l’interaction du naturel et du surnaturel, que ces noces – dites par d’autres saints : mystiques – avaient beaucoup du charnel et du consommé. Epouses nombreuses, qui venaient par étapes dans ce qui n’était pas du tout vécu comme une fin de vie. Puisque le moine était aimanté, animé par l’appel dont il était certain, d’avoir à fonder et à fonder précisément congrégation avec lieux, charisme et même costume, organisation. Les signes étaient plausibles, la foi n’était pas conviction mais un progressif abandon qui produisait la perspective d’une réalisation.

Cette dialectique aurait pu être l’illusion, un quichotisme narcissique, iréraliste, un montage complexe élaboré par un être simple.

Ce ne le fut pas. Il y eut les dernières semaines avec une effusion étonnante d’amour pour les autres, la hiérarchie ecclésiale, le compagnonnage monastique, l’univers entier. Mais ces grâces d’accompagnement, cette délicatesse divines n’ont pas été l’essentiel de ces décennies de docilité et de louanges pour la vie telle qu’elle était. Les aventures, les tentations, la dispersion apparente en de multiples recherches de points de chute autres que l’ancrage du choix monastique n’advinrent que dans les quinze dernières années et n’entamèrent pas fondamentalement la simplicité et le sourire d’une vie qui était de contemplation et de consentement, la Vierge Marie, son Fils, se prêtant aux anecdotes et aux caresses d’un homme de cet homme qui attirait beaucoup, notamment les femmes, et posait question aux forts en thème. Dont j’aurais pu me croire.

C’était humainement le don de l’amitié et de la confiance. C’est maintenant le legs si doux d’une très simple leçon de vie : tous les projets, toutes les tentations sont loisibles, ils viennent de nous, de notre bonne volonté plus encore que de nos faiblesses et de nos lacunes naturelles ou spirituelles. Vivons avec. Peut-être aussi Satan – surnommé dans sa vie et son histoire : Toto – jalousant une telle unité intérieure même si le débat pour partir, demeurer, aller, chercher, revenir, s’encombrer, se dépouiller paraît parfois désosser complètement l’être. Mais Claude, notre frère, notre ami, notre précurseur, colérait mais ne déprimait jamais. Jamais, il n’a désobéi ni à Dieu dont Il était sûr et attendait l’appel, ni aux supérieurs que par son choix de vie, il avait reçu de son Seigneur. Supérieurs qu’il caricaturait ou vénérait sans incidence sur sa docilicité et sur son ouverture d’âme pour le compte de conscience. Frères au monastère qu’il supportait mal et dont il était parfois mal supporté. Mais c’était égal. Ni fatalisme, ni provientialisme, ni niaiserie, il avançait par une extraordinaire et contagieuse stabilité : celle de se savoir porté par Dieu, aimé de Luio, gratifié.

Son legs, comme serait le charisme de sa fondation en projet, était la louange. Pas des événements, du fortuit ou de l’arrangé. La louange pour la seule existence de Dieu seul. Que tout en découlât, y compris son état de vie, ou son bonheur, ou le souci qu’il avait de sa mère, ou la prière dont il avait le don et la science (celle des enfants, place au centre de tout cercle évangélique, chrétien, humain par le Christ lui-même en sa vie terrestre), c’était secondaire.

Formé peut-être – et il était reconnaissant à son monastère, au monachisme, à l’Eglise de sa formation, de ce qu’il avait reçu et qui faisait vraiment structure et habit – il était surtout vivant avec naturel et a démontré que la vie pour Dieu est d’abord une vie par Dieu. Au jour le jour. Sa mort m’a semblé très douce, très vécue, très consciente, attentive et communiante.

C’est aussi un legs très doux que de donner à quelqu’un de voir et comprendre comment l’on meurt. En Dieu. De Dieu.

soir du jeudi 29 Novembre2012

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