dimanche 1 novembre 2009

dans l'allégresse, le droit à l'angoisse - textes du jour

Dimanche de la Toussaint . 1er Novembre 2009


Un mariage… le mariage… une église de Touraine, non loin de Chenonceau. Des officiers de marine, la haie d’honneur, le clergé en soutane donc réputé intégriste. Deux parcours pour une rencontre, nous revivons notre propre mariage. Celui qui est célébré est le second pour l’époux, l’aboutissement pour l’épouse d’une marche douloureuse à travers une vocation religieuse – les Béatitudes – à laquelle elle renonce, pour l’époux c’est le veuvage, des adoptions d’enfants de toutes les parties du monde actuel, cinq… le cancer de l’aimée, la trisomie de la dernière au prénom avouant tout, Faustine. Images de notre fille à quelques semaines de ses cinq ans, la messe chantée sous la voûte romane ne l’inspire pas, elle trouve un petit ami avec qui jouer – le tigre en peluche fait l’attraction – dehors, puis l’attente aux hauts des degrés de la splendide terrasse XVIIIème siècle de l’abbaye de Pontlevoy qu’arrive l’ami de l’heure précédente, elle accueille les adultes et confirme que l’endroit qu’ils atteignent est le bon, sa détresse que je ne m’explique pas alors que des enfants de son âge et un buffet pour eux sont à sa portée : recroquevillée, visage et cheveux trempés, au pied d’une porte immense et fermée. Le petit ami pourtant arrivé mais délaissement mutuel après que la petute génération ait grimpé sur un mur des autres siècles jusqu’à cramponner un saint-Joseph hideux et multicolore, posé là, il y a peu, sans doute. La nuit était venu sans bruit malgré la foule car les voûtes sont hautes. Je me suis agenouillé devant elle. Dehors, une femme de mon âge ou davantage, accrochée au dos de son époux, figure l’autre face de l’amour, la fidélité – avait défilé à la remorque, robe rouge d’une certaine folie, la vie quand même. Le couple que nous fêtons, l’uniforme de la « royale » pour lui, celui de la mariée avec traîne pour elle, est svelte, manifestement uni, manifestement rayonnant. L’amie pour laquelle nous venons, décédée il y a un an et quelques semaines, brusquement, l’effondrement en dépliant la serviette pour le repas familial qu’elle a elle-même cuisiné, nous semble avoir inventé cette union providentielle dans laquelle Dieu a enkysté – levain et farine – un amour mutuel évidente où la reconnaissance de l’un pour l’autre, si mutuelle, n’est pas tout : elle est morte d’angoisse pour son fils : elle est exaucée. L’homélie n’avait pas senti le souffre, elle a succédé à cet Alleluia, que je crois de Lisieux, dont la tonalité sonne comme le plus vrai des Requiem, la beauté intense et joyeuse de l’adieu involontaire mais accepté. Or cet après-midi d’hier tout commençait pas seulement en recommencement. Le prêtre a amalgamé sacerdoce et mariage en ce sens que le mariage chrétien est une forme de consécration à Dieu. Faire du bien auquel on ne s’attendait pas. C’est la sainteté de Dieu dans notre histoire. Au dîner, le grand-père de l’épouse évoque sa petite-fille d’une manière qui – sans la pudeur unanimement vêcue par les participants – aurait provoqué une « stranding ovation »… un devoir d’anxiété, ce qui donne un droit à l’angoisse… les vivants d’ici et les vivants d’en-haut… la bénédiction des enfants. Les gorges étaient nouées, bonheur et malheur faisaient bouquet. L’époux évoque, en fin de la litanie de ceux qui le bénissent et lui rendent le bonheur par une nouvelle épouse, la petite Faustine : décisive d’amour et pour l’amour. Nous sommes repartis pour nos quatre heures de route à la première valse. Marguerite jouait dans l’ancien réfectoire monastique à des répliques de théâtre avec Faustine, au parterre trois pré-adolescentes, entières à ce qu’elles avaient sans doute suscité, et sans insistance sur ce que la quasi-enfance encore annonce de chair et de femme pour bientôt. J’ai préféré ne pas réintégrer ma vie antérieure, si mortelle. Notre fille a dormi comme moi pendant tout le trajet de retour, ma chère femme pilotait dans le brouillard, elle continue de dormir à présent tandis qu’il pleut bruyamment, que mon cher … moine de Kergonan me téléphone, de nouveau en clinique, le foie… dix-huit mois de lutte contre le cancer, il en donne les éphémérides comme s’il s’agissait d’une légère modification d’un horaire monastique. Ainsi, recvè-je ce matin la solennité de Tous-les-saints…. dans les larmes, dans la vie, dans l’action de grâces, dans l’abandon de ceux qu’il m’est donné de rencontrer ou d’entendre ces heures-ci.

J’ai vu… [1] lui, un des apôtres, mais un ange qui montait d côté où le soleil se lève… une foule immense sont moins évocateurs que ce qu’entend Jean … le front des serviteurs de Dieu à marquer, le salut donné par notre Dieu et par l’Agneau ! et celui qu’il avait, de chair et d’os, écouté pendant trois ans, Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne, il s’assit et ses disciples s’approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. … réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux. Jean commente décisivement : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. Le bonheur reçu, parabole du mariage, anticipe par l’instant d’échanger les consentements, cette ressemblance-là. Amen.

[1] - Apocalypse de Jean VII 2 à 14 passim ; psaume XXIV ; 1ère lettre de Jean III 1 à 3 ; évangile selon saint Matthieu V 1 à 12

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