samedi 22 août 2015

encyclique Ad coeli Reginam . 11 Octobre 1954 - Pie XII


LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETÉ PIE XII SUR LA ROYAUTÉ DE LA
                             BIENHEUREUSE VIERGE MARIE ET L'INSTITUTION DE SA FÊTE

                                                           
Ad Cæli Reginam

À Nos Vénérables Frères Les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires en paix et
communion avec le Siège Apostolique.

                                                                   PIE XII PAPE

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

Dès les premiers siècles de l'Église Catholique, le peuple chrétien fit monter vers la Reine du Ciel ses
prières et ses chants de louange filiale dans la sérénité des heures de joie et plus encore dans l'angoisse
des périls menaçants. Jamais ne fut déçue l'espérance mise en la Mère du divin Roi Jésus-Christ ; jamais
ne s'affaiblit la foi qui nous enseigne que la Vierge Marie Mère de Dieu règne sur l'univers entier avec un
coeur maternel, tout comme elle est ceinte d'une royale couronne de gloire dans la béatitude céleste.

Or, après les calamités qui, jusque sous Nos yeux, ont couvert de ruines des villes florissantes et de
nombreux villages, Nous voyons avec douleur déborder dangereusement les flots de profondes misères
morales, vaciller parfois les bases mêmes de la justice, triompher un peu partout l'attrait des plaisirs
corrupteurs, et, dans cette conjoncture inquiétante, Nous sommes saisi d'une vive angoisse. Aussi est-ce
avec confiance que Nous recourons à Marie notre Reine, lui manifestant non seulement Notre amour,
mais aussi celui, de quiconque se glorifie du nom de chrétien.

Le 1er novembre de l'année 1950 - il Nous plaît de le rappeler -, en présence d'une multitude de
Cardinaux, d'Évêques, de prêtres et de fidèles accourus du monde entier, Nous avons Nous-même défini
le dogme de l'Assomption de la Très Sainte Vierge dans le ciel, (1) où, en corps et en âme, elle règne
avec son Fils unique parmi les choeurs des Anges et des Saints.

En outre, à l'occasion du centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX,
Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Nous avons promulgué la présente Année Mariale ; (2) et ce
Nous est aujourd'hui une grande consolation de voir à Rome - à Sainte Marie-Majeure en particulier où
les foules viennent manifester leur confiance et leur grand amour envers leur Mère du Ciel -, mais
également dans le monde entier, la piété envers la Vierge Mère de Dieu refleurir toujours davantage et les
principaux sanctuaires marials recevoir sans interruption de nombreux et pieux pèlerinages.

Et l'on sait que, chaque fois que Nous en eûmes l'occasion, dans Nos allocutions d'audience ou Nos
radiomessages, Nous avons exhorté tous les fidèles à aimer de tout leur coeur, comme des fils, leur Mère
très bonne et très puissante. À ce sujet, Nous rappelons volontiers le message radiophonique adressé au
peuple portugais lors du couronnement de la statue miraculeuse de Fatima, (3) et que Nous avons qualifié
Nous-même de message de la " Royauté " de Marie. (4)

Pour mettre donc en quelque sorte le comble à ces marques de Notre piété envers la Mère de Dieu, que
le peuple chrétien a accueillies avec tant de ferveur, pour conclure heureusement l'Année Mariale qui
touche désormais à son terme, pour accéder enfin aux demandes instantes qui Nous parviennent à ce
sujet de toutes parts, Nous avons décidé d'instituer la fête liturgique de " La Sainte Vierge Marie Reine ".

Nous n'entendons pas proposer par là au peuple chrétien une nouvelle vérité à croire, car le titre même et
les arguments qui justifient la dignité royale de Marie ont déjà de tout temps été abondamment formulés et
se trouvent dans les documents anciens de l'Église et dans les livres liturgiques.

Nous désirons seulement les rappeler par cette Encyclique, afin de célébrer à nouveau les louanges de
Notre Mère du ciel, de ranimer dans tous les coeurs une piété plus ardente envers elle, et de contribuer
ainsi au bien des âmes.
                                                                    I

Le peuple chrétien, même dans les siècles passés, croyait avec raison que celle dont est né le Fils du
Très-Haut, qui " régnera à jamais dans la. maison de Jacob ", (5) " Prince de la paix ", (6) " Roi des rois
et Seigneur des Seigneurs ", (7) avait reçu plus que toute autre créature des grâces et privilèges uniques ;
et considérant aussi les relations étroites qui unissaient la mère au fils, il a reconnu sans peine la dignité
royale suprême de la Mère de Dieu.

C'est pourquoi il n'est pas étonnant que les anciens écrivains ecclésiastiques, forts de la parole de
l'Archange Gabriel prédisant que le Fils de Marie régnerait éternellement, (8) et de celle d'Élisabeth, qui,
en la saluant avec respect, l'appelait " la Mère de mon Seigneur ", (9) aient déjà appelé Marie " la Mère
du Roi ", " la Mère du Seigneur ", montrant clairement qu'en vertu de la dignité royale de son Fils elle
possédait une grandeur et une excellence à part.

Aussi Saint Ephrem, dans l'ardeur de son inspiration poétique, lui prête-t-il ces paroles " Que le ciel me
soutienne de son étreinte, car j'ai été honorée plus que lui. En effet le ciel ne fut pas ta mère, mais tu en as
fait ton trône ! ". (10) Et ailleurs il la prie en ces termes " ... noble jeune fille et Patronne, Reine, Maîtresse,
garde-moi, protège-moi, de peur que Satan auteur de tout mal ne se réjouisse à mon sujet et que le
criminel adversaire ne triomphe de moi ". (11)

Saint Grégoire de Nazianze appelle Marie " Mère du Roi de tout l'univers ", " Mère Vierge, (qui) a
enfanté le Roi du monde entier ". (12) Prudence déclare que cette mère s'étonne d'avoir engendré Dieu
comme homme et même comme Roi suprême ". (13)

Cette dignité royale de la. Bienheureuse Vierge Marie est clairement et nettement signifiée par ceux qui
l'appellent " Souveraine ", " Dominatrice ", " Reine ".

Déjà dans une homé1ie attribuée à Origène, Marie est appelée par Élisabeth non seulement " Mère de
mon Seigneur ", mais " Ma Souveraine ". (14)

La même idée ressort du passage suivant de saint Jérôme dans lequel, parmi les différentes interprétations
du nom de Marie, il met en dernier lieu celle-ci : " Il faut savoir qu'en syriaque Marie signifie Souveraine ".
(155) Après lui Saint Chrysologue formule la même pensée d'une manière encore plus affirmative : " Le
mot hébreu Marie se traduit en latin Souveraine : l'Ange l'appelle Souveraine pour qu'elle cesse de
trembler comme une servante, elle à qui l'autorité même de son Fils a obtenu de naître et d'être appelée
Souveraine ". (16)

Épiphane, évêque de Constantinople, écrivant au Souverain Pontife Hormisdas, dit qu'il faut prier pour
que l'unité de l'Église soit conservée " par la grâce de la sainte et consubstantielle Trinité et par
l'intercession de notre Sainte Souveraine, la glorieuse Vierge Marie Mère de Dieu ". (17)

Un auteur de la même époque salue en ces termes solennels la Sainte Vierge, assise à la droite de Dieu,
pour lui demander de prier pour nous : " Souveraine des mortels, très sainte Mère de Dieu ". (18)

Saint André de Crète attribue plusieurs fois à la Vierge Marie la dignité de Reine ; il écrit par exemple :
" (Jésus) transporte aujourd'hui hors de sa demeure terrestre la Reine du genre humain, sa Mère toujours
Vierge, dans le sein de laquelle, sans cesser d'être Dieu, il a pris la forme humaine ". (19) Et ailleurs :
" Reine de tout le genre humain, fidèle en réalité au sens de ton nom et qui, Dieu seul excepté, dépasse
toute chose ". (20)

Saint Germain salue en ces termes l'humble Vierge : " Assieds-toi, ô Souveraine, il convient en effet que tu
sièges en haut lieu puisque tu es Reine et plus glorieuse que tous les rois ". (21) Il l'appelle aussi :
" Souveraine de tous les habitants de la. Terre ". (22)

Saint Jean Damascène lui donne le nom de " Reine, Patronne, Souveraine ", (23) et même de :
" Souveraine de toute créature " ; (24) un ancien écrivain de l'Église Occidentale l'appelle : " heureuse
Reine ", " Reine éternelle près du Roi son Fils ", elle dont " la tête blanche comme la neige est ornée d'un
diadème d'or ". (25)

Enfin Saint Ildefonse de Tolède unit presque tous ces titres d'honneur en cette salutation : " Ô ma
Souveraine, Maîtresse suprême ; Mère de mon Souverain, tu règnes sur moi... Souveraine parmi les
servantes, Reine parmi tes soeurs ". (26)

À partir de ces témoignages et d'autres analogues, presque innombrables, qui remontent à l'antiquité, les
théologiens de l'Église ont élaboré la. doctrine selon laquelle ils appellent la Très Sainte Vierge, Reine de
toutes les créatures, Reine du monde, Souveraine de l'Univers.

Les Pasteurs suprêmes de l'Église ont estimé de leur devoir d'approuver et d'encourager par leurs
exhortations et leurs éloges la piété du peuple chrétien envers sa Mère du ciel et sa Reine. Aussi, sans
parler des documents des Papes récents, rappelons simplement ceux-ci : dès le septième siècle Notre
Prédécesseur Saint Martin I appelle Marie " Notre glorieuse Souveraine toujours Vierge " ; (27) Saint
Agathon, dans son épître synodale aux Pères du sixième Concile oecuménique dit d'elle " notre
Souveraine, vraiment Mère de Dieu au sens propre " ; (28) au huitième siècle, Grégoire II dans sa lettre
au Patriarche Saint Germain, qui fut lue aux acclamations de tous les Pères du septième Concile
oecuménique, lui donne le titre de " Souveraine universelle et vraie Mère de Dieu ", et de " Souveraine de
tous les chrétiens ". (29)

Rappelons en outre que Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire Sixte IV, mentionnant avec faveur la
doctrine de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge dans sa Lettre Apostolique Cum praeexcelsa,
(30) commence par appeler Marie " Reine du ciel et de la terre " et affirme que le Roi suprême lui a en
quelque sorte transmis son pouvoir. (31)

C'est pourquoi Saint Alphonse de Liguori rassemblant tous les témoignages des siècles précédents écrit
avec grande piété : " Puisque la Vierge Marie a été élevée à la dignité si haute de Mère de Dieu, c'est à
bon droit que l'Église lui à décerné le titre de Reine ". (32)

                                                                     II

La sainte liturgie, qui est comme le fidèle miroir de la doctrine transmise par les anciens et crue par le
peuple chrétien à travers les âges, tant en Orient qu'en Occident, a toujours chanté et chante encore sans
cesse les louanges de la Reine des cieux.

De l'Orient retentissent ces accents fervents : " Ô Mère de Dieu, aujourd'hui tu as été transportée au ciel
sur les chars des Chérubins, les Séraphins sont à ton service, et les légions des armées célestes s'inclinent
devant toi ". (33)

Et ceux-ci : " Ô juste, ô très heureux (Joseph), à cause de ton origine royale tu as été choisi entre tous
pour époux de la Reine pure, qui enfantera merveilleusement le Roi Jésus ". (34) De même : " Je dirai un
hymne à la Mère Reine, et je m'approcherai d'elle avec joie pour chanter dans l'allégresse ses merveilles...
Ô Souveraine, notre langue ne peut te chanter dignement, parce que Tu es plus élevée que les Séraphins,
Toi qui as engendré le Christ Roi... Salut, ô Reine du monde, salut, ô Marie, Souveraine de nous tous ".
(35)

Dans le Missel éthiopien, on lit : " Ô Marie, centre de l'univers. ... Tu es plus grande que les Chérubins
aux jeux innombrables et que les Séraphins aux six ailes... Le ciel et la terre sont entièrement remplis de ta
sainteté et de ta gloire " (36)

L'Église latine chante la vieille et très douce prière du " Salve Regina " et les joyeuses antiennes " Ave,
Regina coelorum ", " Regina coeli, laetare ", celles aussi que l'on récite aux fêtes de la Sainte Vierge : " La
Reine s'est assise à ta droite en vêtement d'or couvert d'ornements variés " ; (37) " Le ciel et la terre te
célèbrent comme leur puissante Reine " ; (38) " Aujourd'hui la Vierge Marie est montée aux cieux :
réjouissez-vous, car elle règne avec le Christ à jamais ". (39)

Il faut y ajouter, entre autres, les Litanies de Lorette, qui invitent tous les jours le peuple chrétien à saluer
plusieurs fois Marie du titre de Reine. De même, depuis bien des siècles, les chrétiens méditent sur
l'empire de Marie qui embrasse le ciel et la. terre, lorsqu'ils considèrent le cinquième mystère glorieux du
Rosaire, que l'on peut appeler la couronne mystique de la Reine du ciel.

Enfin l'art basé sur les principes chrétiens et inspiré de leur esprit, interprétant exactement depuis le
Concile d'Éphèse la piété authentique et spontanée des fidèles, représente Marie en Reine et en
Impératrice, assise sur un trône royal, ornée d'insignes royaux, ceinte d'un diadème, entourée d'une
cohorte d'Anges et de Saints, montrant qu'elle domine non seulement les forces de la nature mais aussi les
attaques perverses de Satan. L'iconographie, pour traduire la dignité royale de la Bienheureuse Vierge
Marie, s'est enrichie à toutes les époques d'oeuvres d'art de la plus grande valeur ; elle est même allée
jusqu'à représenter le Divin Rédempteur ceignant le front de sa Mère d'une couronne éclatante.

[,es Pontifes Romains n'ont pas manqué de favoriser cette dévotion populaire en couronnant souvent, de
leurs propres mains ou par l'intermédiaire de Légats pontificaux, les images de la Vierge déjà
remarquables par le culte public qu'on leur rendait.

                                                                        
III

Comme Nous l'avons indiqué plus haut, Vénérables Frères, l'argument principal sur lequel se fonde la
dignité royale de Marie, déjà évident dans les textes de la tradition antique et dans la sainte Liturgie, est
sans aucun doute sa maternité divine. Dans les Livres Saints, en effet, on affirme du Fils qui sera engendré
par la Vierge : " Il sera appelé Fils du Très-Haut et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son
père, et il régnera dans la maison de Jacob éternellement et son règne n'aura pas de fin " ; (40) en outre,
Marie est proclamée " Mère du Seigneur ". (41) Il s'ensuit logiquement qu'elle-même est Reine, puisqu'elle
a donné la vie à un Fils qui, dès l'instant de sa conception, même comme homme, était, à cause de l'union
hypostatique de la nature humaine avec le Verbe, Roi et Seigneur de toutes choses.

Saint Jean Damascène a donc raison d'écrire : " Elle est vraiment devenue la Souveraine de toute la
création au moment où elle devint Mère du Créateur " (42) et l'Archange Gabriel lui-même peut-être
appelé le premier héraut de la dignité royale de Marie.

Cependant la Bienheureuse Vierge doit être proclamée Reine non seulement à cause de sa maternité
divine mais aussi parce que selon la volonté de Dieu, elle joua. dans l'oeuvre de notre salut éternel, un rôle
des plus éminents. " Quelle pensée plus douce - écrivait Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie XI
- pourrait Nous venir à l'esprit que celle-ci : le Christ est notre Roi non seulement par droit de naissance
mais aussi par un droit acquis, c'est-à-dire par la Rédemption ? Que tous les hommes oublieux du prix
que nous avons coûté à notre Rédempteur s'en souviennent : " Vous n'avez pas été rachetés par 1'or ou
l'argent qui sont des biens corruptibles, ... mais par le sang précieux du Christ, Agneau immaculé et sans
tache ". (43) Nous n'appartenons donc plus à nous-mêmes, parce que c'est " d'un grand prix ", (44) que
" le Christ nous a rachetés ". (45)

Dans l'accomplissement de la Rédemption, la Très Sainte Vierge fut certes étroitement associée au
Christ ; aussi chante-t-on à bon droit dans la Sainte Liturgie : " Sainte Marie, Reine du ciel et maîtresse du
monde, brisée de douleur, était debout près de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ ". (46) Et un
pieux disciple de Saint Anselme pouvait écrire au Moyen-âge : " Comme... Dieu, en créant toutes choses
par sa puissance, est Père et Seigneur de tout, ainsi Marie, en restaurant toutes choses par ses mérites, est
la Mère et la Souveraine de tout : Dieu est Seigneur de toutes choses parce qu'il les a établies dans leur
nature propre par son ordre, et Marie est Souveraine de toutes choses en les restaurant dans leur dignité
originelle par la grâce qu'elle mérita ". (47) En effet " Comme le Christ pour nous avoir rachetés est notre
Seigneur et notre Roi à un titre particulier, ainsi la Bienheureuse Vierge est aussi notre Reine et Souveraine
à cause de la manière unique dont elle contribua à notre Rédemption, en donnant sa chair à son Fils et en
l'offrant volontairement pour nous, désirant, demandant et procurant notre salut d'une manière toute
spéciale ". (48)

De ces prémisses, on peut tirer l'argument suivant : dans l'oeuvre du salut spirituel, Marie fut, par la
volonté de Dieu, associée au Christ Jésus, principe de salut, et cela d'une manière semblable à celle dont
Ève fut associée à Adam, principe de mort, si bien que l'on peut dire de notre Rédemption qu'elle
s'effectua selon une certaine " récapitulation " (49) en vertu de laquelle le genre humain, assujetti à la mort
par une vierge, se sauve aussi par l'intermédiaire d'une vierge ; en outre on peut dire que cette glorieuse
Souveraine fut choisie comme Mère de Dieu précisément " pour être associée à lui dans la rédemption du
genre humain " ; (50) réellement " ce fut elle qui, exempte de toute faute personnelle ou héréditaire,
toujours étroitement unie à son Fils, l'a offert sur le Golgotha au Père Éternel, sacrifiant en même temps
son amour et ses droits maternels, comme une nouvelle Ève, pour toute la postérité d'Adam, souillée par
sa chute misérable " ; (51) on pourra donc légitimement en conclure que, comme le Christ, nouvel Adam,
est notre Roi parce qu'il est non seulement Fils de Dieu, mais aussi notre Rédempteur, il est également
permis d'affirmer, par une certaine analogie, que la Sainte Vierge est Reine, et parce qu'elle est Mère de
Dieu et parce que, comme une nouvelle Ève, elle fut, associée au nouvel Adam.

Sans doute, seul Jésus-Christ, Dieu et homme, est Roi, au sens plein, propre et absolu du mot ; Marie,
toutefois, participe aussi à sa dignité royale, bien que d'une manière limitée et analogique, parce qu'elle est
la Mère du Christ Dieu et qu'elle est associée à l'oeuvre du Divin Rédempteur dans sa lutte contre ses
ennemis et dans son triomphe remporté sur eux tous. En effet par cette union avec le Christ Roi Elle atteint
une gloire tellement sublime qu'elle dépasse l'excellence de toutes les choses créées : de cette même union
avec le Christ, découle la puissance royale qui l'autorise à distribuer les trésors du Royaume du Divin
Rédempteur ; enfin cette même union avec le Christ est source de l'efficacité inépuisable de son
intercession maternelle auprès du Fils et du Père.

Aucun doute par conséquent que la Sainte Vierge ne dépasse en dignité toute la création et n'ait sur tous,
après son Fils, la primauté. " Toi enfin - chante Saint Sophrone - tu as dépassé de loin toute créature. Que
peut-il exister de plus élevé que cette grâce dont toi seule as bénéficié de par la volonté de Dieu ? " (52)
Et Saint Germain va encore plus loin dans la louange : " Ta dignité te met au dessus de toutes les
créatures ; ton excellence te rend supérieure aux anges ". (53) Saint Jean Damascène ensuite en vient
jusqu'à écrire cette phrase : " La différence entre les serviteurs de Dieu et sa Mère est infinie ". (54)

Pour nous aider à comprendre la dignité sublime que la Mère de Dieu a atteinte au dessus de toutes les
créatures, nous pouvons considérer que la Sainte Vierge, depuis le premier instant de sa conception, fut
comblée d'une telle abondance de grâces qu'elle dépassait la grâce de tous les Saints. Aussi - comme
l'écrivait Notre Prédécesseur Pie IX d'heureuse mémoire, dans sa Bulle Ineffabilis Deus - " bien au
dessus de tous les Anges et de tous les Saints ", le Dieu ineffable " a enrichi Marie avec munificence de
tous les dons célestes, puisés au trésor de la divinité ; aussi, toujours préservée des moindres souillures du
péché, toute belle et parfaite, elle a atteint une telle plénitude d'innocence et de sainteté qu'on ne peut en
imaginer de plus grande en dessous de Dieu et que jamais personne, sauf Dieu lui-même, ne réussira à la
comprendre ". (55)

En outre, la Bienheureuse Vierge n'a pas seulement réalisé le suprême degré, après le Christ, de
l'excellence et de la perfection mais elle participe aussi en quelque sorte à l'action par laquelle on dit avec
raison que son Fils, notre Rédempteur, règne sur les esprits et les volontés des hommes. En effet, si le
Verbe opère les miracles et répand la grâce par le moyen de son humanité, s'il se sert des Sacrements et
des Saints comme d'instruments pour le salut des âmes, pourquoi ne peut-il pas se servir de se Mère très
Sainte pour nous distribuer les fruits de la Rédemption ? Vraiment c'est avec un coeur maternel comme dit
encore Notre Prédécesseur Pie IX - que, traitant l'affaire de notre salut, elle se préoccupe de tout le genre
humain, ayant été établie par le Seigneur Reine du ciel et de la terre et se trouvant exaltée au dessus de
tous les choeurs des Anges et de tous les Saints du ciel à la droite de son Fils unique, Jésus-Christ Notre
Seigneur : elle obtient audience par la puissance de ses supplications, maternelles, elle reçoit tout ce qu'elle
demande et ne connaît jamais de refus. (56) À ce propos, un autre de Nos Prédécesseurs, Léon XIII
d'heureuse mémoire, déclara que la Bienheureuse Vierge Marie dispose d'un pouvoir " presque sans
limites " (57) pour concéder des grâces, et Saint Pie X ajoute que Marie remplit cet office " pour ainsi dire
par droit maternel ". (58)

Que tous les fidèles chrétiens se glorifient donc d'être soumis a l'empire de la Vierge Mère de Dieu qui
dispose d'un pouvoir royal et brûle d'amour maternel.

Mais en traitant les questions qui regardent la Sainte Vierge, que les Théologiens et les Prédicateurs de la
parole divine aient soin d'éviter ce qui les ferait dévier du droit chemin, pour tomber dans une double
erreur ; qu'ils se gardent et des opinions privées de fondement, dont les expressions exagérées dépassent
les limites du vrai, et d'une étroitesse d'esprit excessive quand il s'agit de cette dignité unique, sublime, et
même presque divine de la Mère de Dieu, que le Docteur Angélique nous enseigne à lui attribuer " à cause
du bien infini qu'est Dieu ". (59)

Du reste, sur ce point de la doctrine chrétienne comme en d'autres, " la norme prochaine et universelle de
la vérité " est, pour tous, le Magistère vivant de l'Église que le Christ a établi " également pour éclairer et
expliquer ce qui, dans le dépôt de la foi, n'est contenu qu'obscurément et comme implicitement ". (60)

                                                                     IV

Les monuments de l'antiquité chrétienne, les prières de la liturgie, le sens religieux inné du peuple chrétien,
les oeuvres d'art, nous ont fourni des témoignages qui affirment l'excellence de la Vierge Mère de Dieu en
sa dignité royale ; Nous avons aussi prouvé que les raisons déduites par la théologie du trésor de la foi
divine confirment pleinement cette vérité. De tant de témoignages cités, il se forme un concert dont l'écho
résonne au loin pour célébrer le caractère suprême et 1a gloire royale de la Mère de Dieu et des hommes,
" élevée désormais au royaume céleste au dessus des choeurs angéliques ". (61)

De longues et mûres réflexions Nous ayant persuadé que si cette vérité solidement démontrée était rendue
plus resplendissante aux yeux de tous - comme une lampe qui brille davantage quand elle est placée sur le
candélabre - l'Église en recueillerait de grands fruits, par Notre autorité apostolique Nous décrétons et
instituons la fête de Marie Reine, qui se célébrera chaque année dans le monde entier le 31 mai. Nous
ordonnons également que, ce jour-là, on renouvelle la consécration du genre humain au Coeur Immaculée
de la Bienheureuse Vierge Marie. C'est là en effet que repose le grand espoir de voir se lever une ère de
bonheur, où régneront la. paix chrétienne et le triomphe de la religion.

Que tous s'approchent donc avec une confiance plus grande qu'auparavant, du trône de miséricorde et de
grâce de notre Reine et Mère, pour demander le secours dans l'adversité, la lumière dans les ténèbres, le
réconfort dans la douleur et les larmes ; qu'ils s'efforcent surtout de s'arracher à la servitude du péché et
qu'ils offrent un hommage incessant, pénétré de la ferveur d'une dévotion filiale, à la royauté d'une telle
Mère.

Que ses Sanctuaires soient fréquentés et ses fêtes célébrées par la foule des fidèles ; que la pieuse
couronne du Rosaire soit dans toutes les mains et que, pour chanter ses gloires, elle rassemble dans les
églises, les maisons, les hôpitaux, les prisons, aussi bien de petits groupes que de grandes assemblées de
fidèles. Que le nom de Marie plus doux que le nectar, plus précieux que n'importe quelle gemme soit
l'objet des plus grands honneurs ; que personne ne prononce de blasphèmes impies, signe d'une âme
corrompue, contre un nom qui brille d'une telle majesté et que la grâce maternelle rend vénérable ; qu'on
n'ose même rien dire qui trahisse un manque de respect à son égard.

Que tous s'efforcent selon leur condition de reproduire dans leur coeur et dans leur vie, avec un zèle
vigilant et attentif, les grandes vertus de la Reine du Ciel, Notre Mère très aimante. Il s'ensuivra en effet
que les chrétiens, en honorant et imitant une si grande Reine, se sentiront enfin vraiment frères et,
bannissant l'envie et les désirs immodérés des richesses, développeront la charité sociale, respecteront les
droits des pauvres et aimeront la paix. Que personne donc ne se croie fils de Marie, digne d'être accueilli
sous sa puissante protection, si, à son exemple, il ne se montre doux, juste et chaste, et ne contribue avec
amour à la vraie fraternité, soucieuse non de blesser et de nuire, mais d'aider et de consoler.

En bien des régions du globe, des hommes sont injustement poursuivis pour leur profession de foi
chrétienne et privés des droits humains et divins de la liberté ; pour écarter ces maux, les requêtes
justifiées et les protestations répétées sont jusqu'à présent restées impuissantes. Veuille la puissante
Souveraine des choses et des temps qui, de son pied virginal, sait réduire les violences, tourner ses yeux
de miséricorde dont l'éclat apporte le calme, éloigne les nuées et les tempêtes, vers ses fils innocents et
éprouvés ; qu'elle leur accorde à eux aussi de jouir enfin sans retard de la liberté qui leur est due, pour
qu'ils puissent pratiquer ouvertement leur religion, et que, tout en servant la cause de l'Évangile, ils
contribuent aussi par leur collaboration et l'exemple éclatant de leurs vertus au milieu des épreuves, à la
force et au progrès de la cité terrestre.

Nous pensons également que la Fête instituée par cette Lettre Encyclique afin que tous reconnaissent plus
clairement et honorent avec plus de zèle l'empire clément et maternel de la Mère de Dieu, peut contribuer
grandement à conserver, consolider et rendre perpétuelle la paix des peuples, menacée presque chaque
jour par des événements inquiétants. N'est-Elle pas l'arc-en-ciel posé sur les nuées devant Dieu en signe
d'alliance pacifique ? " Regarde l'arc et bénis celui qui l'a fait ; il est éclatant de splendeur ; il embrasse le
ciel de son cercle radieux et les mains du Très-Haut l'ont tendu ". (63) Que quiconque honore donc la
Souveraine des Anges et des hommes - et personne ne doit se croire exempté de ce tribut de
reconnaissance et d'amour - l'invoque aussi comme la Reine très puissante, médiatrice de paix : qu'il
respecte et défende la paix qui n'est ni injustice impunie ni licence effrénée, mais concorde bien ordonnée
dans l'obéissance à la volonté de Dieu ; c'est à la conserver et à l'accroître que tendent les exhortations et
les ordres maternels de la Vierge Marie.

Vivement désireux que la Reine et Mère du peuple chrétien accueille ces voeux et réjouisse de sa paix la
terre secouée par la haine et, après cet exil, nous montre à tous Jésus qui sera notre paix et notre joie
pour l'éternité, à vous Vénérables Frères et à vos fidèles, Nous accordons de tout coeur, comme gage du
secours du Dieu tout-puissant et comme preuve de Notre affection, la Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Maternité de la Vierge Marie, le 11 octobre 1954,
seizième année de Notre Pontificat.

PIE XII, PAPE.


1 Cfr. Constitutio Apostolica Munificentissirnus Deus ; A. A. S. XXXXII. 1950, p. 753 sq.

2 Cfr. Litt. Enc. Fulgens corona ; A. A. S. XXXXV, 1953, p. 577 sq.

3 Cfr. A. A. S. XXXVIII, 1946, p. 264 sq.

4 Cfr. L'Osservatore Romano, d. 19 Maii, a. 1946.

5 LUC. I, 32.

6 ISAI. IX, 6.

7 Apoc. XIX, 16.

8 Cfr. LUC. I, 32, 33.

9 LUC. I, 43.

10 S. EPHRAEM, Hymni de B. Maria, ed. Th. J. Lamy, t. II, Mechliniae, 1886, hymn. XIX, p. 624.

11 Idem, Oratio ad Ssmam Dei Matrem ; Opera omnia, Ed. Assemani, t. III (graece), Romae, 1747,
pag. 546.

12 S. GREGORIUS NAZ., Poemata dogmatica, XVIII. v. 58 : P. G. XXXVII, 485.

13 PRUDENTIUS, Dittochaeum, XXVII : P. L. LX, 102 A.

14 Hom. in S. Lucam, hom. VII ; ed. Rauer, Origenes' Werke, T. IX, p. 48 (ex catena Macarii
Chrysocephali).
Cfr. P. G. XIII, 1902 D.

15 S. HIERONYMUS, Liber de nominibus hebraeis : P. L. XXIII, 886.

16 S. PETRUS CHRYSOLOGUS, Sermo 142, De Annuntiatione B. M. V. : P. L. LII, 579 C ; cfr. etiam
582 B ; 584 A : " Regina totius exstitit castitatis ".

17 Relatio Epiphanii Ep. Constantin. : P. L. LXIII, 498 D.

18 Encomium in Dormitionem Ssmae Deiparae (inter opera S. Modesti) : P. G. LXXXVI, 3306 B.

19 S. ANDREAS CRETENSIS, Homilia II in Dormitionem Ssmae Deiparae : P. G. XCVII, 1079 B.

20 Id., Homilia III in Dormitionem Ssmae Deiparae : P. G. XCVII, 1099 A.

21 S. GERMANUS, In Praesentationem Ssmae Deiparae, I : P. G. XCVIII, 303 A.

22 Id., In Praesentationem Ssmae Deiparae, II : P. G. XCVIII, 315 C.

23 S. IOANNES DAMASCENUS, Homilia I in Dormitionem B. M. V. : P.G. XCVI, 719 A.

24 Id., De fide orthodoxa, I, IV, c. 14 : P. G. XLIV, 1158 B.

25 De laudibus Mariae (inter opera Venantii Fortunati) : P. L. LXXXVIII, 282 B et 283 A.

26 ILDEFONSUS TOLETANUS, De virginitate perpetua B. M. V. : P. L. XCVI, 58 A D.

27 S. MARTINUS I, Epist. XIV : P. L. LXXXVII, 199-200 A.

28 S. AGATHO : P. L. LXXXVII, 1221 A.

29 HARDOUIN, Acta Conciliorum, IV, 234 ; 238 ; P. L. LXXXIX, 508 B.

30 XYSTUS IV, Bulla Cum praeexcelsa, d. d. 28 Febr. a. 1476.

31 BENEDICTUS XIV, Bulla Gloriosae Dominae, d. d. 27 Sept. a. 1748.

32 S. ALFONSO, Le glorie di Maria, p. I, c. I, § 1.

33 Ex liturgia Armenorum : in festo Assumptionis, hymnus ad Matutinum.

34 Ex Menaeo (byzantino) : Dominica post Natalem, in Canone, ad Matutinum.

35 Officium hymni 'Akatistos (in ritu byzantino).

36 Missale Aethiopicum, Anaphora Dominae nostrae Mariae, Matris Dei.

37 Brev. Rom., Versicutus sexti Respons.

38 Festum Assumptionis ; hymnus Laudum.

39 Ibidem, ad Magnificat II Vesp.

40 LUC. I, 32, 33.

41 Ibid. I, 43.

42 S. IOANNES DAMASCENUS, De fide orthodoxa, l. IV, c. 14, P. G. XCIV, 1158 s. B.

43 I Petr. I, 18, 19.

44 I Cor. VI, 20.

45 PIUS XI, Litt. Enc. Quas primas : A. A. S. XVII, 1925, p. 599.

46 Festum septem dolorum B. Mariae Virg., Tractus.

47 EADMERUS, De excellentia Virginis Mariae, c. 11 : P. L. CLIX, 508 A B.

48 F. SUAREZ, De mysteriis vitae Christi, disp. XXII, sect. II (ed. Vivès, XIX, 327).

49 S. IRENAEUS, Adv. haer., V, 19, 1 : P. G. VII, 1175 B.

50 PIUS XI, Epist. Auspicatus profecio : A. A. S. XXV, 1933, p. 80.

51 PIUS XII, Litt. Enc. Mystici Corporis : A. A. S. XXXV, 1943, p. 247.

52 S. SOPHRONIUS, In Annuntiationem Beatae Mariae Virg. : P. G. LXXXVII, 3238 D ; 3242 A.

53 S. GERMANUS, Hom. II in Dormitionem Beatae Mariae Virginis : P. G. XCVIII, 354 B.

54 S. IOANNES DAMASCENUS, Hom. I in Dormitionem Beatae Mariae Virginis : P. G. XCVI, 715 A.

55 PIUS IX, Bulla Ineffabilis Deus : Acta Pii IX, I, p. 597-598.

56 Ibid. p. 618.

57 LEO XIII, Litt. Enc. Adiutricem populi : A. S. S., XXVIII, 1895-1896, p.130.

58 PIUS X, Litt. Enc. Ad diem illum : A. S. S., XXXVI, 1903-1904, p. 455.

59 S. THOMAS, Summa Theol., I, q. 25, a. 6, ad 4.

60 PIUS XII, Litt. Enc. Humani generis : A. A. S., XLII, 1950, p. 569.

61 Ex Brev. Rom. : Festum Assumptionis Beatae Mariae Virginis.

62 Cfr. Gen. IX, 13.

63 Eccl.
XLIII, 12-13.


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