mercredi 21 avril 2010

chair & religion - l'Eglise catholique en question ?

Le scandale n’est pas né du crime, mais du criminel.

Comme je vous l’ai fait attendre depuis une quinzaine de jours dans cet envoi que vous ne refusez pas d’une méditation personnelle des textes de la messe quotidienne,

je vous prie de trouver ci-joint une réflexion dont le titre peut évoluer mais qui porte sur ce que les scandales de pédophilie révèle de l’Eglise (catholique romaine, celle dans laquelle je suis né et espère bien mourir).

Initialement, je pensais rédiger court et vite, soit une diffusion vers vous pendant la Semaine
sainte. J’ai voulu approfondir, saisi par ce fait que l’Eglise trouve dans les souffrances infligées par certains des siens et dans les tâtonnements de ses réactions, au moment des faits, et en réponse aujourd’hui à la tristesse ou à la clameur des tiers, très certainement l’occasion de quelque chose qui ira plus loin que l’examen de conscience et les repentances devenues trop habituelles depuis une ou deux décennies.

Des réorganisations et des lucidités doivent se vivre. Comme la crise de l’Eglise – démontrée en ce moment par un seul de ses aspects – participe à la crise de toutes les grandes institutions humaines, si elle trouve quelque chemin pour s’améliorer humainement en intelligence et en pratique, elle sera exemplaire. L’une des voies pour ce nouvel « aggiornamento » est certainement que le peuple (chrétien mais aussi tous les amis de près ou de loin de ce peuple) prenne en partie le relais des hiérarchies et fasse sentir à celles-ci que l’Esprit saint se manifeste dans le grand nombre quand il est disponible, de bonne foi et en attente : la Pentecôte. Le peuple est certainement le meilleur communicant de l’Eglise. Il est aussi le seul à pouvoir inventer et donner l’ambiance propre au développement affectif et à l’équilibre du clergé et des vies religieuses.

Penser et recevoir : cela met quelque temps, de même que je viens de passer deux jours à évoquer dans ma bibliothèque ce qui peut éclairer cette réflexion et ces intuitions – qui sont à poursuivre et si vous le voulez à partager avec vous, selon vos réactions que vous me confierez, et/ou selon la lecture des pièces annexes à la présente.

Je note enfin deux choses qui ne sont pas de l’ordre du remède mais qui contribuent à la sérénité :

1° en coincidence avec ces découvertes ou remises au jour, les affaires scabreuses dont sont soupçonnés des membres de l’équipe de France de foot-ball, la perquisition chez un officier général longtemps chargé de la communication de nos armées, le débat sur la déontologie d’un concours de beauté bien connu – cela pour ce qui est de la chair, tandis que notre République va de procès en procès pour corruption ou coups bas (Charles Pasqua devant la Cour de justice, l’affaire Clearstream) et qu’à son sommet il semble que tout puisse se comprendre selon les influences et les nominations tenant, par strates, aux épouses successives d’un homme dont la « famille recomposée » fit la une photographique de l’hebdomadaire national le plus ancien et le plus propre à donner depuis la guerre une image de nous tous et de notre pays. Les remugles ne manquent pas. Quant à la haine et au simplisme qui en prennent prétexte pour toujours attaquer l’Eglise dans ce qu’elle a de plus visible, ce n’est pas nouveau, cf. la réflexion réactive que je vous avais donnée il y a peu à propos de Pie XII : il y avait des tonneaux qu’on n’achevait jamais de remplir, il y en a qui ne cesse de se déverser…

2° je n’ai lu qu’il y a deux jours, lundi matin, parce que je voulais en disposer pour vous la rendre accessible en même temps que ma réflexion personnelle, et que je n’y ai songé qu’il y a peu – la lettre apostolique du Pape aux catholiques irlandais. Je vous la donne en version abrégée avec les liens au journal La Croix, que je remercie, et en version intégrale.

Elle confirme l’intuition que j’ai eue en regardant les dépêches d’agence sur le voyage pontifical à Malte. Benoît XVI est en train de naître. Certains de ses prédécesseurs n’ont été attaqués, et très vivement, qu’après leur mort, laissant donc une tâche difficile mais assumable. Josef Ratzinger est attaqué de son vivant pour sa vie, son parcours, ses études, sa nationalité – sans compter son âge – et il se trouve que, dans les circonstances les plus difficiles et en tenant compte de la surcharge des liturgies à animer et à parler à l’acmée de l’année chrétienne, et sur le sujet le plus laid et moche, mais aux ramifications et résonnances multiples, autant concrètes, factuelles que psychologiques, psychanalytiques, médicales, sociologiques, il est d’abord parvenu à ne pas s’emporter et à ne pas s’effondrer. Resté debout, il manifeste ce qui saute aux yeux et au cœur des lecteurs de ses encycliques s’il y en a… mais j’en suis, comme je fus, ligne à ligne, lecteur à mon adolescence de celles de Jean XXIII et de Paul VI … sa bonté, son don de compassion, son émotivité profonde quand il s’agit d’autrui, et non de lui-même. C’est rare à un
tel niveau et presque surtout pour quelqu’un d’Eglise. Benoît XVI, tête de turc, passe par le feu d’une épreuve où il assume tout mais défend le cœur de l’Eglise seul, en chef, en père.

Ceux qui ont manifesté leur soutien l’ont fait – me semble-t-il – trop vite et en donnant l’impression, y compris dans les épiscopats nationaux, d’une certaine automaticité dans la solidarité, réflexe peu édifiant à laquelle la politique française nous a tristement habitués. Benoît XVI, par grâce, a su être lent, tâtonnant, souffrant, maladroit presque quelques jours et a donné ainsi une densité humaine à ce qui est maintenant l’assurance de l’autorité et de la lucidité. Il est vrai que sa lettre aux Irlandais donnait déjà tous les éléments de cette stature nouvelle pour les médias et pour tout le peuple, mais le temps fait la persévérance, force l’attention, produit la communion. Benoît XVI, par grâce, naît sans doute de lui-même et selon de vraies qualités, mais il lui fallait le peuple, et un peuple qui comprenne, pas qui applaudisse. C’est d’ailleurs ce peuple qui va devoir l’entourer, le conseiller, et il y a à faire. Mais la matière première de l’Eglise, Pierre et le tout venant à la Pentecôte, se retrouve aujourd’hui. La mûe nécessaire pour que tout redevienne signe – signe évidemment lumineux et positif – semble donc possible.

J’en suis heureux. Nous pouvons donc être très exigeants. Il me semble même que – sans précédent, je crois, dans l’histoire humaine de l’Eglise catholique romaine – le temps, les sujets et les circonstances sont réunis pour quelque chose qui serait une sorte de concile mais englobant le peuple. Il va y avoir des modalités à inventer (et à exiger) et la suite de Vatican II – aux admirables appels et définitions – sera donnée pratiquement. Beaucoup en avaient désespéré.

L’époque et le monde ont besoin de repères, d’exemples et d’autorité morale.

Jean Paul II était écouté, admiré, salué mais jamais sur les sujets lui tenant le plus à cœur : le malentendu sur le magistère de l’Eglise à propos des mœurs et de ce qui constitue intimement l’homme chair et âme a assez duré. L’Eglise ne peut plus enseigner seule et en hiérarchie, il lui faut l’expérience, l’écho, l’effort du monde, l’une et l’autre entrant dans une commune attente. A commencer par les sujets les plus difficiles, nos générations s’exerceront pour ce qui ne peut davantage attendre : les droits de l’homme, la démocratie mondiale, l’éthique des activités et de l’économie. L’Eglise aura reconquis sa crédibilité et retrouvé l’expertise vêcue de sa parole. Tout le monde a beaucoup à y gagner.

Vous pouvez – naturellement – rediffuser tout ou partie de ce courriel et de ses pièces jointes. Et également détacher de ma note les diverses citations qui peuvent en préparer la suite, indépendamment de ma rédaction propre.

En confiance.

P S « Tandis que je m’adonne à ce travail, j’ai découvert les vérités les plus banales » . Freud à Lou, 28 Juillet 1929 in préface à
Le malaise dans la culture

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