dimanche 8 août 2021

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Extrait de mon journal intime




Reniac, samedi 18 Décembre 2004


17 heures passées + Téléphonant dès mon arrivée à Paris Montparnasse, avant-hier – il était environ 11 heures 30 – j’apprends que je ne suis pas de ceux retenus pour poursuivre le concours d’agrégation de science politique. Je suis sur le coup assommé. Il me semble qu’une fois de plus je perds plus que je ne possédais. Je me voyais très bien universitaire pour une petite dizaine d’années, retrouvant par là un cadre et une hiérarchie, un soutien de calendrier à mes travaux. Un métier que j’ai toujours exercé quoiqu’un peu à la marge, ayant plaisir et talent à conférencer et enseigner. Sans doute, je puis avoir le fin mot de l’histoire et vérifier si ce sont mes travaux – le rapport écrit les jugeant pour le restant du jury par mes deux rapporteurs est communicable de droit – ou mon âge et mon profil qui m’ont éliminé. Aussitôt, c’est l’affaissement d’une tension dans laquelle je devais travailler et concourir jusqu’à la fin de mai. Des matières pour les leçons en loge qui étaient les miennes, et une capacité de synthèse et de travail rapides me mettant en situation d’être bon, sinon excellent. Des matières dans lesquelles je baigne depuis quarante ans, selon la manière dont je vivais les étapes de ma carrière administrative et mes affectations à l’étranger. C’est un refus définitif, car mes travaux ne plairont pas davantage dans deux ans, et me présenter pour cinq ans seulement d’enseignement est sans doute faire figure de farfelu, c’était déjà la réaction de CHAGNOLLAUD au début de cette année. Conséquence, toute la conjecture d’une négociation avec les banques fondée sur des émoluments plus substantiels que ma retraite, tombe. Comment vivre, sans un objectif du genre de ceux que j’ai toujours visés, savoir une certaine position d’où rayonner ? et de quoi vivre ? si je ne peux améliorer mes ressources mensuelles. A l’expérience, ce que je perçois actuellement ne suffit pas, quand Edith n’apporte plus rien, faute que son congé-maternité ait déjà donné lieu à paiements Ce qui s’effondre aussi c’est toutes ces rédactions qui depuis dix-huit mois tournaient autour de son concours, s’y rattachaient. Ma bibliothèque aussi était mobilisée pour ces épreuves. Me voici à lire, écrire, composer, donner même mes enseignements de ces deux dernières années à Paris VIII, mais gratuitement, sans débouché. J’ai d’abord vêcu tout cela, jeudi.


J’ai été retenu du désespoir par ma responsabilité d’époux et de père. Je ne suis plus seul en cause, je n’ai pas le droit de m’effondrer. Edith et moi avons été unis par téléphone, nos désespoirs étant différents mais la souffrance analogue, la conscience d’une injustice sinon du jury du moins du sort. Puis – entretiens avec le Dr. de MONTLEAU dès l’après-midi, avec Victoria HORNE le lendemain après-midi, avec le Pr. DALY jeudi soir, dans des circonstances où c’est surtout lui qui s’est confié et effondré librement dans la chaleur de notre amitié – j’ai commencé de voir les choses autrement quoique compte-tenu de cet échec. Première chose, je ne change pas mes habitudes d’étude et d’écriture. Mes journées continueront d’être remplies par mes travaux, ceux-ci sont de tenir à jour mon exploitation du journal Le Monde avec toujours à l’horizon la grande entreprise d’une composition de l’histoire dialectique de la Cinquième République. Plus immédiatement, mettre définitivement au point ma chronologie mauritanienne puisqu’elle a son éditeur. Aussitôt ensuite, rédiger mes deux cours de Paris VIII, à la fois pour donner davantage à mes étudiants, et pour les proposer à un éditeur. J’ai d’ailleurs déposé rue Soufflot, à la LGDJ et chez Odile JACOB mes deux travaux « français » rédigés pour le concours. Cela fait, attaquer mes Cinq Français et l’Allemagne, puis mon COUVE.


Je me trouve également devant une nouvelle formulation du sens de ma vie. La naissance de notre fille est le premier élément de réponse, je dois tout faire et tout être pour lui assurer l’ambiance de sécurité et d’amour sans laquelle elle commencerait sa vie avec handicap. Ni Edith, ni moi, ne pouvons lui faire sentir nos détresses et notre précarité. Mais des défis demeurent auxquels il ne serait pas diminuant de répondre : parvenir à me faire éditer en littérature, accoucher de ce livre total que j’essaie de tête de composer en ses thèmes et manières. Non seulement être édité, en « science politique », nonobstant le jury qui m’a refusé, mais l’être dans le champ royal de la littérature. Sans doute, n’ai-je jamais été guidé, peut-être parce que mon manque de talent crevait les yeux, ainsi mes entretiens avec Françoise VERNY qui vient de s’éteindre.


Je tire surtout la leçon que la dépendance de Dieu, l’approfondissement de ma vie spirituelle sont favorisés par le fiasco de mes projets propres. Reniac, mon aboutissement socio-professionnel s’il est encore possible, mon œuvre écrite dépendent de véritables miracles. Le premier serait l’unification de ma vie entière sous le regard de Dieu, dans la confiance mise en Lui, et ce qui va avec le chant de ma reconnaissance pour le mariage et l’enfant qui m’ont été accordés.



Ibidem, dimanche 19 Décembre 2004


15 heures 52 + Je déprime quand je désespère, je désespère quand je me sens impuissant, réduit à toutes fins, et je suis impuissant quand je manque de m’en remettre à Dieu. Il doit y avoir une issue heureuse à cette cascade d’échecs depuis dix ans, le premier signe en est évidemment Marguerite et notre mariage, deux événements de pureté et de bonheur, sans la moindre ombre. J’ai trop vécu et expérimenté que les épreuves ouvrent un champ nouveau. Celle que je traverse et qui n’est pas que mon échec au concours auquel je me présentais en vétéran, Reniac est aussi un élément de cette crise doit me faire déboucher à de l’air libre. Me faire ? nous faire ! nous libérer ensemble. C’est l’objectif que désigne très bien Edith.

Ecrire à main levée, en littérature, à partir de mon fond personnel et d’expérience vécue ou d’oibservation de notre monde et de mes frères et sœurs d’humanité, seulement quand j’en aurai l’inspiration et la poussée intérieure. La demander à Dieu comme une grâce et un état de vie. Si j’articule dès maintenant cette prière, je n’en attends pas immédiatement la réalisation. Je dois éviter l’autobiographie, je n’ai pas dans la compilation de mes écrits intimes quoi que ce soit qui mis bout à bout puisse constituer une entrée en édition. Le projet est fort et beau, c’est mon projet de presque toujours. Tant que je n’ai pas ce point de départ, à partir de quoi me chambrer quelques semaines pour accoucher de deux cent pages très retravaillées mais dont la venue doit être d’un jet unique, et la matière vraiment l’essentiel de ce qui constitue (ou détruit, ou rattrape une existance humaine), j’ai mes projets « habituels ». Si leur énumération est facile, car ils m’habitent depuis du temps, je ne sais les qualifier depuis que leur présentation au concours d’agrégation les a si médiocrement jugés : des écrits sur la Cinquième République en histoire et en sociologie, des écrits sur la Mauritanie (documents annotés, rédactions de fond sur les deux périodes pour lesquelles je suis archivé, le règne de Moktar Ould DADDAH, la colonisation), des écrits sur l’histoire des deux derniers siècles analysée selon les crises de légitimité qui ont fait notre pays (de cette dernière rubrique qui a constitué ma bibliothèque depuis mon adolescence, mon projet de portraiturer cinq Français et l’Allemagne) ; d’autres pourraient naître à partir de mes lectures spirituelles et profanes et donner lieu à des synthèses philosophiques. Sans compter – quotidiennement, autant que possible, un dépouillement régulier du Monde pour avoir mes chronologies et mes index toujours à jour, et – à court terme – la rédaction des cours que pour la troisième fois, je donnerai au second semestre de cette année universitaire à Paris VIII : le partenariat méditerranéen, l’Europe juridique ou les éléments et la genèse du droit constitutionnel européen 1. Bien sûr, je puis, à cet égard, regretter de n’avoir pas la structure d’une université et de plusieurs charges de cours et directions d’études qui m’auraient soutenu par leur calendrier-même ; je reviens au travail solitaire dont je voulais sortir ; il est d’ailleurs probable que c’est cette solitude qui m’a fait trop peu adaptable au moule universitaire, en tout cas ne m’en a pas donné une contexture visible pour le jury. Il en fut de même pour l’exercice de mes fonctions d’Ambassadeur, et sans doute pour toute ma carrière administrative. Le sort m’est fidèle. Et je ne suis pas mon juge.

Il doit aussi y avoir une issue pour qu’Edith, nos enfants et moi nous ne vivions plus sous pression, quitte à accepter une pauvreté relative dans laquelle nous vivons déjà : pas de vacances au sens courant du terme supposant un dépaysement annuel, pas de spectacles, cinéma ou théâtre, voiture qui a ses douze ans accomplis ; mon luxe ayant été jusqu’à présent et toute ma vie, mais plus encore depuis ma disgrâce, les livres. Tant, que je pourrais – et j’en ai la tentation ou est-ce l’intuition du genre de vie que je devrais embrasser ? – ne faire et vivre que de lire. Probablement, la moitié de ma bibliothèque a été à peine parcourue, et relire sans but d’écriture ou de documentation, lire gratuitement pour le plaisir, serait une nouveauté dans ma vie.

Ne plus avoir de dettes ni envers des banques ni envers ceux qui familialement ou amicalement m’ont fait confiance ou ont été généreux. Avoir un budget qui boucle même juste, sera une révolution. Alors Reniac ? Nous allons « auditer » notre situation. Evaluer si fiscalement nous avons intérêt à ce qu’Edith trouve un emploi, elle n’y est pas encline sauf nécessité financière tant elle s’est mise passionnément à la première éducation de notre fille, ce qui est en soi un cadeau dont je ne me lasse, le couple que sa Maman et Marguerite forme est parfait, et je suis admis en son cœur, nous vivons tous trois à plein temps l’un pour l’autre. Evaluer si la vente de tous les actifs d’Edith nous libère de tout notre passif, et nous permet de garder Reniac ; de tête, en calcul mental, ce n’est pas le cas, ce qui implique que ma propriété ne restera à nous que si je retrouve des émoluments très supérieurs à ma retraite actuelle (3.200 euros mensuellement, Paris VIII me coûtant le transport et ne pouvant excéder une vacation de trentre heures, soit 1.100 euros annuellement…) – c’était l’un des éléments de l’équation que je posais en me présentant au concours d’agrégation : retrouver de mon côté un emploi. Les pistes sont plus que ténues : relancer GAYMARD, relancer PONTET chez Areva et tenter quelque chose auprès de la commissaire autrichienne européenne aux relations extérieures. Les offres d’emploi aussi dans Le Monde ; ainsi vais-je envoyer motivation et parcours biographique à l’Agence intergouvernementale de la Francophonie qui cherche trois directeurs, dont deux – les ressources humaines, et culture et patrimoine – me conviendraient si je conviens… Ces décisions, dont Reniac n’est qu’un des aspects, sont certainement à prendre dans le prochain semestre, sinon même dès le premier trimestre de 2005. Qu’Edith ou moi trouvions un emploi nous force à résider en ville, Reniac n’étant que la résidence des loisirs. Pouvons-nous vivre sans qu’aucun de nous deux ne retrouve d’emploi, c’est-à-dire pouvons-nous vivre sur ma seule retraite. A supposer que nous n’ayons plus de dette, soit que nous ayons vendu Reniac et obtenu cette vente dans des conditions telles que nous ayons pu acheter autre chose, soit que la réalisation des actifs d’Edith suffise. Ces deux possibilités sont incertaines, la seconde est probablement irréalisable.

A écrire tout cela, je me rends compte que je dois me détendre, même si je travaille autant et même plus que pour mon dossier d’agrégation. Je dois travailler pour le plaisir. Je dois surtout vivre à l’écoute et en contemplatif. A l’écoûte de Dieu maître de vie et de nos orientations, comme le chantent les psaumes, c’est lui qui connaît les chemins, qui connaît notre chemin mieux que nous-mêmes, à nous simplement d’être de ses justes et de ne pas « envier le bonheur des méchants ». A l’écoûte d’un Dieu qui fait l’unité de ma vie, même pendant les décennies où je priais moins que maintenant. Désormais, tout faire et vivre gratuitement comme une reconnaissance de la vie qui m’est donnée, surtout des vies qui me sont confiées, celle de ma femme, celle de ma fille, celle de nos autres enfants à venir, puisqu’Edith spontanément et à mon heureuse quoique relative surprise, est entrée dans la logique d’une éducation qui sera plus aisée et plus formatrice si Marguerite ne reste pas fille unique. Ce sera bien entendu un nouveau miracle de la physiologie, des allers-retours à Paris pour le traitement. Nous n’en sommes pas tout à fait là… mais le signe est clair, mes responsabilités et celles que j’aime au tout premier rang et d’une manière particulière m’imposent, avec douceur et fermeté, de ne pas déprimer. Espérer est un don de Dieu. Cela passe par l’exercice des talents particuliers qu’il nous donne ; en mon cas, l’étude et l’écriture. J’aurai probablement, à ce dernier propos, à améliorer mon journal en sorte que ce ne soit plus seulement un diaire, mais vraiment un journal de l’âme (Jean XIII et Thérèse à Lisieux ont eu cet intitulé pour leurs écrits intimes) et de l’intelligence.

En marge, des pistes se sont ouvertes ; Edith est aussi désireuse que moi que nous ayons un pied en Mauritanie, concourir au développement de ce pays, et en mon cas, y poursuivre recherches écrites et orales, y cultiver ma seconde patrie. Mariem sera heureuse de notre présence à temps fixe ; Ahmed aussi, avec qui je pourrai travailler aussi bien sur le fond de son pays que sur l’ouverture d’une alternative au pouvoir en place. Les faire-part de notre mariage et de la naissance de Marguerite me redonnent un lien avec quelques uns de mes anciens camarades d’enfance à Franklin, chez les Jésuites, et de mes scouts ; je fais plaisir et l’on me fait plaisir. Enfin, mon mariage me ré-ouvre à l’Alsace qui me fascinait étant enfant (les HANSI) ; une des relocalisations en fonction d’emplois à trouver pourrait être les environs de Strasbourg. Nos chiens postulent que nous ayons au moins un vaste jardin.

Ainsi, écrivè-je le troisième jour de mon échec, par temps de pluie mais chez nous, enserré par la bénédiction de Dieu qui me donne de rebondir déjà, cajolé par la présence intime de ma femme et de notre fille. Vivre. Ambitionner le bonheur. Résoudre la grande équation personnelle de ma vie, ce mariage du religieux et de l’intellectuel tandis que mon orgueil et mes projets, chaque fois, rencontrent leur ruine et leur poussière. Cultiver les amitiés, qu’elles me soient offertes par de multiples retrouvailles ou par mes livres, ceux qui m’entourent de leurs bibliothèques, ceux que je tente de composer.

Il me reste à être créatif. Créatif en tant qu’époux et père de famille, le foyer, sa disposition, ses combustibles, son rayonnement dépendent en bonne partie de moi et de la qualité de ma relation avec la femme d’exception qui m’a été donnée, après tant de tribulations. Créatif en écriture scientifique, élaborer des structures et des modèles par les sujets de ma prédilection. Créatif en revenus… Créatif en écoute spirituelle. Il y a aussi une grâce que je dois solliciter, celles de structures amicales où Edith et moi trouverons une insertion sociale que notre chômage ne nous donne évidemment pas. C’était un important élément de ma brigue d’une chaire universitaire : retrouver un relationnement et sa portance. Edith en a besoin aussi, des amitiés de couple seraient pour nous une nouveauté bienfaisante. Marguerite m’introduit cependant à ma belle-famille dont je ne commence que maintenant à mesurer l’apport et l’équilibre, elle me rend licites et bienvenues ces anciennes et fortes relations que j’ai eues et qui s’actualisent avec Beatrix, marraine de notre fille, et Isabelle de Grèce, à laquelle Edith a aussitôt pensé pour être marraine d’une seconde fille, ma nièce Anastasie n’étant candidate retenue que pour un garçon… ce débouché épuré et vécu en communion conjugale n’était pas prévu.

Structures spirituelles… marié avec femme et nouveau-né, la messe quasi-quotidienne m’est difficile, je puis revenir à des structures d’il y a quelques années : les textes du jour, le matin, et le soir avant de m’endormir, un psaume dans l’ordre tout simple du psautier. Je termine la lecture de la Bible d’affilée en « cent semaines », nous sommes dans le Nouveau testament ; je compte reprendre, cette fois seul, ma lecture, selon le même découpage me déterminant à deux ou trois heures de lecture chaque semaine, je la ferai en ouvrant quantités de fichiers, instrument de travail, fruit de la prière, regard sur le texte, recension des publications et ouvrages sur chacun des textes. J’aurai à imaginer ma relation à long terme avec l’abbaye que j’aime et où je me sens bien, Sainte Anne de Kergonan, si toutefois nous demeurons dans la région ; le truchement du Frère Claude qu’apprécie Edith, nous y aidera. La vraie structure sera intérieure, elle doit embrasser le couple que Dieu m’a permis de former

En tout, commencer. Il sera toujours temps de vérifier, en forme d’action de grâces, qu’ainsi je retrouve ma vraie continuité, et que je puis aider à celle de ma femme. Et ensemble, nous ferons le terreau de nos enfants.


19 heures 14 + Mon ferme et distingué ami, Ahmed Ould DADDAH à qui je téléphone pour m’enquérir de sa situation puisqu’il est sous le coup d’une inculpation en Cour criminelle spéciale et peut être arrêté à tout moment, quoique ce soit illégal (il faudrait pour cela qu’il soit au préalable mis en liberté surveillée), me dit avec simplicité que je dois me présenter au prochain concours d’agrégation, sans baisser les bras. Il est sûr que mes travaux en deux ans et demi auront une allure – et peut-être une édition – qui changerait beaucoup ma candidature, sauf si celle-ci est récusée principalement du fait de mon âge, rendant le recrutement de faibles durée et perspective. Et j’ai besoin psychiquement d’avoir une échéance devant moi, qui valorise mon travail, mes acquis et mes actifs. Vie de travailleur, vie de père et époux, vie de chercheur et d’écoûteur de Dieu, toutes facultés qui sont la déclinaison de l’amour.

Et puis il y a l’inconnu, des occasions de rencontrer, d’écouter, peut-être d’aider autrui, comme cela parfois m’arrive ; je peux essayer de lever davantage la tête et d’être disponible à ma famille de sang, la fratrie, de l’être à ceux qui viennent croiser mes pas. J’en avais encore l’expérience poignante et saisissante il y trois soirs.


21 heures 30 + Ahmed me fait rebondir : oui, je ne peux vivre sans un objectif, une échéance ; oui, j’aime le travail, j’aime travailler et produire ; oui, continuer de travailler avec l’expérience de l’échec et la volonté de réussir. Même si je suis collé une nouvelle fois, je me serai entretemps battu pour être pleinement édité. L’objectif est ainsi double, l’édition me comblera, une éventuelle reconnaissance et cooptation par le corporatisme (j’ai affronté et bravé son analogue pour le métier diplomatique) me paiera du présent échec. Sans plus, car d’ici là, j’aurai dû décider au sujet de Reniac, et ensemble, ma femme et moi, nous aurons peut-être fait une famille nombreuses, ce qui sera une bénédiction.

Un de mes camarades de Franklin, Thierry P. de M. Fait écho à deux autres : un univers et une génération où l’on ne pense plus qu’à la retraite et à la réduction du temps de travail, ce qu’il déplore. Je suis tout le contraire, je me bats pour ne pas être en retraite, je veux, je me veux aussi actif sinon plus qu’à mes quarante ans, nonobstant les vents contraires, mais grâce à des centres d’intérêt et selon des méthodologies que je cultive depuis mon adolescence. Sans doute, va-t-il falloir m’adapter aux éditeurs et aux tenants de la corporation, affaire de trente mois, la durée moyenne d’une affectation diplomatique. Je m’affecte en science politique comme matière à option, tandis que ma partie principale c’être époux et père de famille (peut-être nombreuse). Ce qui me fait rétrospectivement répondre à mon neuro-psychiâtre : qu’avez-vous contre la retraite ? J’avais répondu être acculé à l’activité par mes besoins de financement, c’était répondre bien incomplètement et presque dans un registre secondaire. Tout, parce que je me veux actif, parce que je ne peux vivre sans but, parce que je suis certain que mes travaux actuels et à venir, re-peaufinés, augmentés, diversifiés encore plus sont de valeur. En tout cas, je m’y engage en totalité.

Expérience de connaissance de moi-même. Ainsi, ces circonstances du 31 Mai 1968 quand j’ai décidé de redoubler ma dernière année de scolarité à l’E.N.A. : je ne voulais pas rester sur un échec. De même, recalé par ROCARD à la porte du Conseil des ministres quand je devais être nommé ambassadeur au Zimbabwe en Avril 1989, j’ai persévéré dans mon souhait auprès de FM, il est vrai servi par Pierre BEREGOVOY. Pourquoi maintenant ne pas m’allier SADOUN, le président de « mon » jury, sinon même l’un de mes rapporteurs à ce concours où tous deux me recalent : demander conseil, et même un appui pour pénétrer peut-être l’une ou l’autre des institutions qu’ils animent. Je suis demeuré le même. Et tardif pour tardif, ne suis-je pas dans la bonne voie en accueillant notre fille, en l’ayant passionnément souhaitée à l’âge où mes contemporains sont grands-parents. En étant parvenu à me marier, en découvrant qu’il me faut être ouvert et disponible en même temps que concentré : ceux que j’aime et dont j’ai la responsabilité, le travail. Prière et joie. Gravité. Frapper à la porte de Dieu pour une vie plus authentique sans me lasser ni considérer la superficialité et la dispersion de mes années antérieures. Oui, tout peut commencer, et commence. Que de chemin à faire. Déceptions et difficultés ne manqueront pas. Le péril encouru par ma propriété notamment, mais il symbolise bien d’autres éléments dans ma vie. Edith, paradoxalement, soutient que je ne me suis jamais installé ici. Elle a tort et raison, j’ai senti la précarité de ma position financière, c’est-à-dire de mon état juridique de propriétaire, et cela m’empêcher de m’installer mentalement tant je craignais d’être d’autorité dépossédé, et aussi, sinon surtout, c’est une maison, qui quoique dessinée en solitaire et longtemps vêcue en solitaire, ne peut être animée qu’en famille et par amour. Or, nous en sommes là, maintenant. Garder cette maison si nous y parvenons sera un véritable cadeau et le début d’un tout autre ancrage. Ce sera aussi la perspective de léguer à nos enfants les lieux et aîtres où ils auront commencé leur propre existence. Vœu de stabilité humaine que chacun en naissant devrait avoir la permission de formuler.

Expérience enfin de ma nature et de mes structures, je ne peux vivre sans but ni échéance, sans défi. Ce sont maintenant mes « derniers » défis, il est grand temps, comme il fut grand temps de célébrer notre mariage et d’attendre notre premier enfant. Alors que j’étais dans toute l’ambiance de mon échec, jeudi après-midi, le Père GIRARD qui nous a mariés me trouvait rajeuni… Ce cycle court, de la dépression et du rebond, dialectique qui est dans la Bible et qui est dans la psyché des humains. A.M.D.G.

1 - j’ai ainsi sur le métier deux Que sais-je ? sans compter celui sur les relations franco-allemandes depuis 1945, la chronologie de la Mauritanie sous Moktar Ould Daddah qui a son éditeur, et j’ai déposé chez deux autres mes Dialectiques de la Cinquième République et ma dissertation-documentaire sur la crise de légitimité 1940-1943

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