dimanche 8 août 2021

à partir d'une expérience...

 

Dépression et mystique




La dépression est une expérience de la mort, elle n’est statique donc mortelle que si le dépressif s’installe dans cet état. Expérimenter la mort, de quelque manière que ce soit, n’est pas seulement en exorciser la crainte qu’en a et éprouve tout être vivant, mais bien accéder à une nouvelle forme et consistance de la vie.


La dépression peut donc n’être pas un état, mais une aventure ; elle ne met pas l’être humain en dépendance passive, mais bien au contraire à la rencontre active de lui-même, dans la situation la plus éprouvante qui soit, celle de la suprême tentation.


L’instinct vital est soudain plus qu’affaibli, il est mourant, le goût de vivre, facteur décisif de toute guérison, de toute restauration psychique ou physiologique comme les chirurgiens et médecins généralistes le savent bien, s’il fait défaut, la mort n’est pas loin car la voici, inopinément puis durablement, souhaitée. Enfin, une issue, l’issue puisqu’aucune autre n’est possible, proposée, souhaitable, praticable. Ainsi se définit la mélancolie quand le passage à l’acte – le suicide – est imminent. En chemin dans cette pathologie, l’être humain n’est plus qu’une ombre ; médusé, quasi muet, ne se déplaçant ou n’accomplissant rien qu’avec une infinie lenteur, il ne se supporte plus. Yahvé te frappera de délire, d’aveuglement et d’égarement des sens, au point que tu iras à tâtons en plein midi comme l’aveugle va à tâtons dans les ténèbres, et tes démarches n’aboutiront pas. Tu ne seras jamais qu’exploité et spolié, sans personne pour te sauver. (…) Tu ne seras jamais qu’exploité et écrasé. Ce que verront tes yeux te rendra fou. (Deutéronome XXVIII 28. 29 & 33. 34)


Aujourd’hui bien définie, cette pathologie est davantage étudiée dans ses caractéristiques et selon les moyens à mettre en œuvre pour que le patient en guérisse, que dans ses causes. La psychanalyse, dès ses premières œuvres écrites, après avoir mis à jour des interprétations faisant saisir au sujet l’artifice de constructions innées ou développées, s’est appliquée à produire le même type de mise à nu dans ce qui contribue à constituer des façons de voir collectives. Freud autant que Marx ont présenté une interprétation négative de la religion et des phénomènes spirituels jusqu’à ce que les disciples de l’un et de l’autre comprennent l’autonomie du spirituel, et par conséquent qu’à l’instar de toutes formes de vie, il a sa pathologie et ses remèdes, qu’il n’est pas seulement une expression de l’être humain. Les textes religieux, et notamment la Bible ont été étudiés en psychanalyse (Françoise Dolto, Anselm Grüm, op. cit.), mais pas en psychiâtrie. Les plus marquants des personnages de l’ « histoire sainte » ont été ainsi interprétés, tandis que Dieu lui-même était montré comme une fabrication – salvifique ou répressive – de tout un chacun. Suspectant a priori l’accompagnement spirituel et suspectées par celui-ci, la psychologie dans son ensemble, psychanalyse et psychiâtrie en particulier s’éveillent seulement à ce que le religieux apporte au spirituel, et à ce que le développement spirituel apporte à l’équilibre psycho-somatique. En témoignent les travaux et les comportements précurseurs d’un médecin devenu prêtre, Marc Oraison ; quant à l’œuvre d’Henri Ey, aliéniste, elle est symptomatique de la crainte qu’un scientifique et clinicien a pu, à l’époque contemporaine, éprouver sur la pente toute personnelle où il se trouvait d’éclairer observations et médications par sa foi chrétienne et sa pratique religieuse.


Je suis persuadé, pour ma part, que les découvertes freudiennes et l’introduction de l’interrogation psychanalytique dans notre monde moderne ont contrbué, pour une très grande part, à faire voler en éclats les orgueilleuses illusions de notre civilisation. C’est du moins ainsi que j’ai ressenti tout l’itinéraire qui a été le mien, et je constate de plus en plus souvent que cela me fait rencontrer l’aboutissement actuel d’autres itinéraires nombreux, parmi mes amis de vieille date ou parmi mes connaissances plus récentes. Pour passer à un registre plus vaste, sinon même « global », tout cela m’amène de plus en plus à me demander sil’humanité cintemporaine n’est pas conduite, de par sa propre démarche, à affronter désormais ce que je n’hésiterai pas à appeler une nuit mystique, dans un sens qui rejoint peut-être profondément Jean de la Croix. (Marc Oraison, op. cit. der,ière page)


C’est par le moyen de cette nuit de la contemplation que l’âme se prépare à la tranquillité et à la paix intérieure, qui sy si profonde et si pleine dedélices, que, d’après la sainte Ecriture, elle surpasse tout sentiment ; il faut donc que l’âme sacrifie complètement sa première paix, qui était enveloppée d’imperfections et n’était pas une paix véritable ; l’âme la croyait ainsi, parce qu’elle la trouvait à son goût, qu’elle l’avait établie dans ses sens etdans son esprit ; mais, je le répète, cette paix était imparfaite. Il faut donc que l’âme en soit purifiée, écartée et séparée ; c’est là ce qu’éprouvait et exprimait en gémissant Jérémie dans ce texte de lui que nous avons rapporté pour expliquer les épreuves de cette nuit : «  Mon âme a été éloignée et repoussée de la paix » (Isaïe XXVI 17.18) C’est là une purification très douloureuse pour l’âme à cause descraintes, des imaginations et des combats qu’elle éprouve en elle-même. La vue et le sentiment de sa propre misère lui font appréhender qu’elle ne soit perdue et que son bonheur ne soit fini à jamais. De là vient qu’elle se laisse aller à une telle douleur et à des gémissements si profonds qu’elle éclate en rugissements et hurlements spirituels qui se manifestent parfois du bout des lèvres et se taduisent pardes larmes, quand elle en a la force, bien que ce soulagement soit très rare. David, qui connaissait par expérience cette épreuve, l’a très bien exprimée dans le psaume, quand il a dit : «  J’ai été affligé et profondément humilié ; les gémissements de mon cœur me faisaient pousser des rugissements » (psaume XXXVII, 9). Ces rugissements sont l’expression d’une d’une douleur profonde ; parfois même, au souvenir subit et pénétrant de ses misères, l’âme sent ses affections tellement sous le pressoir de la douleur et du chagrin que je ne sais comment le faire comprendre. On ne saurait mieux l’exprimer qu’en empruntant ces paroles du saint homme Job qui le savait par expérience : «  Mes rugissements sont semblables au bruit des eaux qui tombent en torrents » (Job III 24). (Jean de la Croix, op. cit. p. 585)


Thérèse d’Avila qui avait parfaitement diagnostiqué la mélancolie, n’en savait le traitement qu’en prophylaxie du reste du troupeau. Il s’agit de savoir comment faire et être, dans un monastère, agir envers celles qui sont d’humeur mélancolique ; car bien que nous évitions de les accepter parmi nous, ce mal est si subtil qu’il fait le mort quand c’est nécesaire, on ne le constate donc que lorsqu’il est sans remède. (…) Les inventions de cette humeur oour en venir à ses fins sont si nombreuses qu’il sied de les déceler afin de savoir comment la supporter et la gouverner sans que les autres religieuses en pâtissent.

Il faut savoir que tous les mélancoliques ne causent pas d’égales difficultés ; lorsque cette humeur affecte un sujet humble, au doux caractère, il souffre sans nuire aux autres, surtout lorsque l’entendement est bon. Et puis, cette humeur est plus ou moins prononcée. Il est certain que le démon l’utilise pour essayerdese gagner certaines personnes ; il y parviendra si elles ne sont pas sur leurs gardes. Mais, comme cette humeur commence par assujettir la raison, une fois que celle-ci est obscurcie, que ne feront pas nos passions ? Il semble que lorsque la raison fait défaut, il y a folie, et c’est ainsi ; le mal n’en est ps là chez celels dont nous parlons, ce serait moindre mal ; car c’est une besogne intolérable que de devoir les tenir pour des êtres raisonnables et les traiter comme telles, tout en sachant qu’elles en sont fort fort loin ; celles qui sont gravement atteintes de mélancolie méritent la pitié, mais ne nuisent point, et s’il est un moyen de les maîtriser, c’est de leur inspirer de la crainte.

Envers celles qui montrent les premiers symptomes d’un mal aussi néfaste, avant même qu’il soit confirmé, - mais il suffit qu’il ait la même racine, témoigne de la même humeur, vienne de la même souche, - il faut user du même remède lorsqued ‘autres artifices sont insuffisants ; les supérieures doivent se servir des pénitencesde notre Ordre afin de les maîtriser jusqu’à ce qu’elles comprennent qu’elles n’obtiendront en rien ni pour rien ce qu’elles veulent. Car si elles comprennent que leurs clameurs et les marques de désespoir que le démon leur inspire pour tout gacherréussissent parfois, elles ont perdues, et une seule suffit à perturber tout un monastère. La pauvre petite ne trouve pas de défense en elle-même contre ce que lui souffle le démon ; sa supérieure doit donc se montrer très avisée pour la gouverner non seulement intérieurement, mais aussi extérieurement ; le démon cherche à se servir de la mélancolie pour asservir cette âme ; la supérieure doit donc avoir l’esprit d’autant plus clair que celui de la maladeest obscurci. Le danger est grand, car il n’est pas rare que la mélancolie domine au point de ligoter la raison, et celles qui en sont atteintes ne sont pas plus coupables de leurs extravagances que ne le sont les fous. (Thérèse d’Avila, op.cit. 646 & 647)


Or, la psychiâtrie va à la rencontre aussi bien de ces directeurs d’âme ou de ces âmes mélancoliques.

La perturbation de la sphère instinctuelle n’est pas un phénomène secondaire. La conscience a perdu son sens et son espoir. Tout se passe dans le déclenchement névrotique comme si une panique avait éclaté – « mangeons et buvons, cardemain nous sommes tous morts ». Cet état d’âme, né d’un « être dans le monde » qui a perdu son sens, détermine la perturbation du monde souterrain et déchaîne les instincts jugulés jusque-là non sans peine. Le motif pour lequel un sujet devient névrosé réside aussi bien dans l’actuel que dans le passé. Seul un motif actuellement existant peut maintenir une névrose en vie. (…)

Je prends au sérieux en tant que tels les problèmes religieux qu’un malade peut me soumettre, et j’y discerne les causes possibles d’une névrose. Mais si je prends ces problèmes au sérieux, je dois avouer au malade : «  Oui, vous avez raison, on peut ressentir les choses comme vous le faites, le Bouddha peut avoir tout aussi bien raison que le Christ, et l’on ne voit vraiment pas bien comment et pourquoi nous devrions nous sentir sauvés et libérés par la mort du Christ. » Confirmer le malade dans ses doutes est pour le médecin chose aisée, alors qu’elle serait singulièrement difficile pour un pasteur. Le patient ressent l’attitude du praticien comme faite de compréhension, tandis qu’il éprouverait les hésitations du pasteur comme traduisant un emprisonnement de ce dernier dans l’histoire, dans la tradition, - ce qui le séparerait humainement de lui. Et le patient pense par devers lui : si, dès ce point, nous sommes séparés, que sera-ce et que pensera le pasteur quand je commencerai à l’entretenir de toutes les choses qui me gênent dans ma vie instinctive troublée ? A juste titre, le patient s’attendra à ce que le pasteur apparaisse encore plus étriqué moralement qu’il n’était emprisonné au point de vue dogmatique. (…)

L’adaptation comme critère de la guérison doit être absolument maintenu, bien qu’il ne soit pas le seul.

La discussion des postulats généraux et des idées directrices est un des points les plus importants du programme de la psychothérapie dans la ase actielle fde son développement. (…) La psychothérapie en aucun cas, ne saurait être qu’un méthode ou qu’un système, car les individus et leurs dispositions sont, il faut bien l’avouer une fois pour toutes, si fondamentalement divers et différents, qu’on ne saurait trop se hâter d’écarter tout schématisme, tout dogmatisme, tout esprit doctrinaire si l’on veut éviter que le développement de notre thérapeutique n’aboutisse à une impasse.

Les particularités aussi bien que la fréquence si étonnante des incertitudes, des angoisses et des maladies psychogènes rendent urgents et nécessaires l’approfondissement, l’affermissement et l’émancipation de la psychothérapie ; en particulier parce que la pédagogie, par définition, ne se soucie point de l’éducation de l’homme adulte et parce que les Eglises n’atteignent plus un nombre immense et grandissant d’êtres humains. Certes, les Eglises doivent s’attribuer la responsabilité de ce que, de nos jours, la majorité des êtres confondent religion et confession et voient, dans le fait qu’ils n’éprouvent aucun besoin de croire à quelque chose, la preuve que la religion est superflue. (...) La psychothérapie d’aujourd’hui ne cherche point à assumer la direction des âmes dans des secteurs qui, au fond et originellement, appartenaient à la direction spirituelle des consciences ; mais elle y est souvent obligée, ce qui pose au thérapeute les exigences les plus hautes quant à son savoir et à la maîtrise de son art. Le médecin rencontre là des problèmes dont il peut, certes, refuser le traitement en raison de son incompétence, mais qui sont pourtant susceptibles d’être abordés sous l’angle thérapeutique si le médecin remplit les conditions nécessaires. Dans ces cas, les traitements pratiques se heurtent de façon immédiate aux problèmes des conceptions des choses et, vraiment, il n’y aurait pas le moindre sens à s’efforcer de mettre ces questions de côté en les réputant impropres ; cela n’aurait pour résultat que de couper le malade de ses relations si nécessaires et de son adaptation à l’égard des vastes problèmes qui remuent le monde contemporain et de l’acculer à une existence névrotique de Cendrillon : on obtiendrait ainsi précisément le contraire de ce que la thérapeutique s’efforce d’atteindre. L’âme humaine, également dans ses états maladifs, constitue une totalité complexe qui est agitée non seulement par des processus instinctifs et par des relations personnelles, mais aussi par des besoins spirituels et des courants suprapersonnels, qui tiennent à l’esprit du temps. La science de l’âme constitue un domaine intermédiaire qui nécessite la coopération des différentes Facultés. (Carl Gustav Jung La guérison psychologique op. cit. pp. 290-291 & . 319-320)


La dépression est le cas où la rencontre des deux disciplines est la plus parlante. Psychologues et spirituels s’accordent en effet aujourd’hui sur le rôle du thérapeute ou de l’accompagnateur ; les premiers reconnaissent l’importance du spirituel dans la psyché humaine et ont expérimenté que ; les seconds enseignent etcomprennent que le déséquilibre psychologique empêche tout cheminement spirituel authentique ; chacun est soucieux du libre-arbitre et, loin d’être dirigiste, appelle le patient ou l’exercitant à se construire ou se reconstruire lui-même selon les éléments dont il dispose nativement ou qui lui sont donnés selon des circonstances qu’on peut évaluer et caractériser mais qui échappent à la médication, au traitement, au conseil. Ce n’est pourtant pas un pied d’égalité ; le conseiller spirituel peut se décharger sur le psychologue pour que soient traités des troubles circonstanciels ou des lacunes structurelles dont souffre un esprit, mais la racine et le développement du spirituel échappent au praticien, tout simplement parce que l’explication causale et a fortiori une thérapie ne peuvent disposer de l’identité d’un patient et réformer celle-ci. Les soins ne peuvent avoir pour fin que rendre à une personnalité les moyens de s’épanouir ; ils ne peuvent proposer la forme de cet épanouissement, parce qu’ils ne peuvent se substituer au mouvement intime qu’est la vie-même du patient. Ils reconnaissent l’objectivité des moyens que choisit l’âme pour se parfaire et s’identifier ; ils ne disposent pas de ceux-ci, pas plus que le directeur spirituel. Seuls, les théologiens et les philosophes peuvent traiter de l’œuvre commune dans une vie de la liberté et de la grâce, encore s’arrêtent-ils à des définitions et à des cas de figure. èdent


La Bible et, également, la biographie de grands saints – d’artistes ou de belles âmes, aussi – rejoignent l’expérience personnelle du dépressif. Celui-ci expérimente d’abord, sans aucun repère et encore moins d’instrument de rédemption, qu’il se trouve dans un état où plus aucune de ses facultés natives, plus aucun de ses souvenirs les plus mobilisateurs et exaltants n’ont prise sur un effrayant, douleurx et incoercible dégoût de continuer de vivre. Cet état ultime de la mélancolie porte – naturellement – au suicide. S’il est diagnostiqué à temps par un tiers, ou mieux par un clinicien, il peut donner lieu à plusieurs types de thérapies. Quelles que soient celles-ci – notamment médication, hospitalisation, restructuration de soi par l’expression de soi libre mais sujette à validation et à provocation – le sujet est appelé à redécouvrir ou se rendre des repères, des structures, de véritables certitudes le constituant naguère et dont la légitimité lui apparaît désormais, éthiquement et scientifiquement. Il a généralement eu besoin d’un tiers ou de plusieurs, médecin prescripteur, psychologue notamment. L’école et la clinique lacaniennes offrent la séquence entière, sans qu’il soit recouru à l’analyse. La vie n’est pas revue ou relue, elle est reprise, continuée. Mais l’assurance désormais du sujet tient à ce qu’il lui a été donné d’expérimenter et aussi de comprendre que la dépression n’est pas une tare, une légèreté, une complaisance mais bien une pathologie.


Elle prend alors une figure, analogue d’une façon troublante mais éclairante, à celle du « malin », du « tentateur », du « diable » (ce dont Thérèse d’Avila a eu l’étonnante expérience chez certaines de ses filles). Elle est identifiée désormais comme une pulsion de mort, comme la résultante de tout ce qui en nous concourt à amoindrir l’instinct vital, l’appétit de vivre, le goût de l’avenir, la confiance en soi, la foi en la possibilité de l’intelligence d’embrasser le cosmos et même d’aller au-delà par le développement de l’esprit et l’attention à lui. La dépression dénude la personne, la dissocie ; la personnalité est décriée, le bilan est négatif et l’on a tant conscience de son néant qu’il devient insolent, condamnable d’exister. La solution est trouvée, se supprimer… que si les circonstances, le « courage » font défaut, on se meurt dans la vie, on se meut plus lentement qu’un fantôme, on est aphasique, l’univers coule et se développe ailleurs, on est absent. Certains bâtiments ou étages d’hôpitaux tiennent là une population qui ressemblerait à celle des limbes ou des enfers, à suivre les mythologies ou certaine filmographie.


Or tout le texte de celui qui ne peut plus parler et qui est déjà mort à la vie, a été dit et peut être redit par les cent cinquante psaumes que David et les inspirés d’un peuple élu mais ballotté par son péché et par l’Histoire, ont naguère composés. Psychologie du Dieu secourable, compatissant et tout-puissant autant que psychologie de l’homme aspiré, sucé par la puissance de mort, cerné par les hallucinations, les ennemis, les comploteurs et tous ceux qui ont réussi en un bas monde où l’âme n’a plus rien à faire. La prière vient au cœur du déprimé qui se sait d’avance et éternellement modélisé, et dont l’état a donc sa description et le désespoir sa solution. D’autant plus vivacement et nettement que toutes les images du psalmiste correspondent à ce qu’il vit, le rocher qui nous sauve… à l’ombre de tes ailes, et s’il retrouve une voix le patient n’est pas loin de quelque prise solide à partir de laquelle se hisser.


Le dialogue psycho-thérapeutique a son modèle – jusqu’à présent non étudié – dans les dialogues de Job. Ce livre décisif, puisque l’intuition de la résurrection y est marquée pour la première fois dans la Bible, telle que Juifs puis Chrétiens l’ont organisée, est plus souvent considéré comme la dissertation la plus achevée à propos du mal, mais aussi la plus exemplaire de l’impasse à laquelle aboutit toute réflexion là-dessus qui ne serait pas théologique. L’expérience spirituelle détourne de l’abstraction et fait de l’universalité non pas un thème ou une dimension, mais bien une personne. L’enseignement de l’Eglise, la tradition des Apôtres, le texte même des évangiles dans leur littéralité identifient cette personne, la décrivent, permettent – pourrait-on écrire – de la saisir. Or, il s’agit de Dieu, suprême condescendance de Celui-ci, que de se laisser décrire et écrire par le truchement des auteurs sacrés qu’Il inspire, par la vie de ses saints et l’autobiographie que certaines d’entre ceux-ci nous ont laissée.


Ainsi est tout bonnement vaincue la dépression dès l’instant que celui qui s’y trouve, s’y retrouve une fois toujours nouvelle et le prenant de prime abord en défaut, brandit en réponse à ce dont il a pris conscience le diagnostic triomphant : je sais qui tu es, tu es une maladie mais tu n’es pas moi, tu es mon tentateur mais je ne suis pas ton esclave, tu es ma mort mais ma vie vaut davantage et aucune mort ne sera valable qui ne couronnerait une vie pour faire passer celle-ci à son état définitif d’accomplissement. Typique est le triple dialogue du Christ avec le tentateur, après quarante jours vécus au désert et à jeûner : l’issue est une affirmation, en l’espèce combien souveraine et divine ! de soi, de sa propre identité, par rapport au tentateur. Car il ne s’agit jamais de tentation, mais bien du tentateur, assimilable au désir de mort, à la mort, tant que celle-ci n’est pas regardée comme le passage décisif à la vie, casdans laquelle la mort – celle que préfèrent Paul et les mystiques – est la grande introduction à la vie.


Se diagnostiquer soi-même, renvoyer ce dont on souffre à des symptômes tous inscrits dans le registre des thérapeutiques correspondantes et efficaces, c’est le mouvement qu’inculque un accompagnement psychologique adéquat. Combien celui-ci se rapproche-t-il de l’exercice de discernement en cours dans une retraite selon l’expérience et la recommandation ignatiennes. Si Job n’avait pas ses contempteurs ou ses amis successifs pour rebondir et aller à un autre examen de son état de déréliction, il en serait resté à un monologue plaintif qui fit le héros écrasé de la tragédie grecque, il n’aurait jamais été restauré dans sa richesse et sa gloire originelles. Celles-ci lui sont rendues par Dieu que du fait de sa propre compréhension de ses malheurs, telle que jamais il ne blasphème. En Job l’homme parvient à s’analyser et à considérer le mal qu’il subit en toute injustice, sans s’en prendre au maîtrede toutes choses, et à un Dieu qui, pourtant, a concédé à Satan toute possibilité, toute puissance d’éprouver son juste. Job ne surmonte l’adversité et ne reste fidèle à sa foi qu’en parlant et qu’en étant provoqué à parler, qu’en étant discuté, validé, contredit, amené à se dire toujours davantage. Jacques Lacan, apparemment si décousu et improvisé tout au long de son « séminaire », n’en a pas tant demandé.


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Cette analogie ressentie et étudiée, il est aisé de discerner en quoi la dépression peut accoucher de destins et d’équilibres exceptionnels de richesse en eux-mêmes et de communion avec autrui. Elle est identification de ce qu’il y a de mortifère dans les circonstances, dans les protagonistes de notre vie, dans notre construction la plus intime et la plus originelle ; elle constitue les éléments constituant notre liberté et sur lesquels porte notre liberté. Elle nous fait prendre conscience de notre enfermement natif et choisir la référence la plus extérieure à nous-mêmes et pourtant celle qui nous est la plus propres. Trouvée cette référence, nous sommes sauvés. Mieux que guéris.


Ignace de Loyola produit dans son autobiographie : Récit, ces traits les plus caractéristiques de la dépression, identifiée et vécue comme une tentation, et de la manière dont le chrétien, sinon le mystique, peut s’en dégager, tant soudain, alors qu’il est enclin de plus en plus à passer à l’acte, il réalise la contradiction qu’il y aurait entre désespérer de son Dieu par le suicide et continuer cependant d’entretenir une foi qui ne lui est pas ôtée. En ce temps-là, il demeurait dans une petite chambre que lui avaient donnée lesDominicains dans leur monastère et il persévérait dans ses sept heures d’oraison à genoux, se levant régulièrement à minuit, et continuant tous les exercices déjà mentionnés. Mais en tout cela il ne trouvait aucun remède pour ses scrupules et beaucoup de mois avaient passé depuis qu’ils le tourmentaient. Une fois, très affligé par eux, il se mit en oraison et, dans la ferveur de cette oraison, il commença de pousser des cris versDieu, à pleine voix, lui disant : « Secours-moi, Seigneur, puisque je ne trouve pas le remède auprès des hommes ni auprès d’aucune créature. Si je pensais pouvoir e trouver nulle peine ne me serait grande. Montre-moi, Seigneur, où le découvrir. Même s’il me faut suivre à la trace un petit chien pour qu’il me donne le remède, je le ferai. »

Comme il était dans ces pensées, il lui venait à maintes reprises des tentations de grande violence, qui le poussaient à vouloir se jeter dans un grand trou qu’il y avait dans sa chambre et qui étaut proche de l’endroit oùil faisait oraison. Mais sachant que c’était péché de se tuer, il recommençait à crier : «  Seigneur, je ne ferai pas de choses qui t’offensent. » (…) Mais au terme de cesréflexions il lui vint certains dégoûts de la vie qu’il menait en même temps que certaines violents désirs de l’abandonner. et c’est alors que le Seigneur voulut qu’il s’éveillât comme d’un reve. Et comme il possédat déjà quelque expérience de la diversité des esprits, grâce aux leçons que Dieu lui avait données, il se mit à examiner par quels moyens cet esprit lui était venu et il se détermina ainsi avec une grande clarté à ne plus confesser aucune de ses fautes passées. A partir de ce jour-là, il demeura libéré de ces scrupules, tenant pour certain que Notre Seigneur avait voulu le délivrer par sa miséricorde. (Ignace de Loyola, op. cit. pp. 69 à 71)


Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face participera enfin elle-même, d’Avril 1896 à sa mort, à une « nuit » extrême qui lui fera saisir ce qu’est la nuit de l’incroyance. Cette épreuve, elle en a parlé dans la lettre du 9 Juin 1897 à mère Marie de Gonzague : «  Je dois vous sembler une âme remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi s’est presque déchiré, et cpendant… ce n’est plus un voile pour moi, c’est un mur qui s’élève usqu’aux cieux et couvre le firmament étoilé.Lorsque je chante le bonheur du Ciel, l’éternelle possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que je veux croire. » Et encore : « Aux jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des âmes qui n’ont pas la foi. Il petmit que mon âme fut envahipar les plus épaisses ténèbres ». Enfin trois mois avant sa mort, elle confiera à sa sœur Agnès : « Si vous saviez ! C’est le raisonnement des pires matérialistes qui s’impose à mon esprit ! ». Ainsi cette carmélite, née, protégée, épanouie en chrétienté a-t-elle au plus profond de son cœur la nuit de l’athéisme. Et tandis que les athées trouvent leur état normal et y vivent sereinement, elle a, elle, terriblement souffert de cet état. En même temps, cette éoreuve lui a fait d’autant mieux saisir que la foi dont elle vivait venait deDieu seul. Rien, dans son comportement, qui puisse faire penser à cet orgueil fréquent des âmes pures qui regardent de haut la vie des hommes et du monde. Elle a connu la nuit de l’athéisme et d’autant plus profondément qu’elle avait un cœur extraordinairement ouvert à Dieu. (Jean-François Six, La véritable enfance… op. cit.p. 265)

Elle a toujours eu conscience de cette difficulté de vivre la condition humaine, difficulté commune à tous les êtres, qui les rend désemparés, qui les fait souvent se désespérer. A Pâques 1896, une seconde prise de conscience vient se calquer sur la première : pour un certain nombre d’êtres humains, il y a non seulement la nuit de la vie avec toutes ses obscurités, mais le rejet d’une autre vie, le refus, plus désespéré encote, d’une lumière qui viendrait après la nuit de cette vie. (…) Et il faut noter que c’est en ce mêmemoment où Thérèse mène sa nuit de la vie que Marx, Nietzsche et Freud mettent en valeur cette situation nocturne de la condition humaine. « Le dernier mot de la sagesse, dira Schopenhauer, ne consiste désormais pour nous qu’à nous abîmer dans le néant ». Thérèse – et d’autant plus qu’elle sait qu’elle va bientôt mourir – participe donc pleinement à la condition humaine avec sa précarité vertigineuse. Mais si, jusqu’à Pâques 1896, cette précarité est pleine de sens puisqu’elle débouchera sur la vie éternelle, la situation change du tout au tout à partir de Pâques : la foi ne vient plus d’emblée apporter sa lumière et donner sens à la nuit de cette vie ; c’est la position de ceux pour qui la nuit de cette vie s’abîme, avec la mort, dans une nuit totale, c’est cette position qui est devant Thérèse comme un mur qui empêche toute clarté. (Jean-François Six, Lumière de la nuit … op. cit. pp. 48 & 49)


Charles de Foucauld fait, pour d’autres raisons, la même expérience. Non la nuit de la foi ou celle de l’incroyance, mais peut-être pire, l’impossibilité dans laquelle il a été longtemps de connaître la volonté de Dieu sur lui. Il est certain qu’il est alors dans une extrême perplexité, qu’il doit se remettre sans cesse entre les mains de Dieu pour tenir bon, qu’il attend avec impatience de connaître la volonté de Dieu pour la suivre aussitôt, qu’il voudrait pouvoir se vouer au Seigneur sans restriction, comme Dieu qui – il le voit dans la Bible – a de la joie à se lier par des promesses multipliées : c’est bien là l’amour. A Staouëli, on lu a parlé de deux ans de théologie. Début Décembre, on lui apprend qu’il s’agira detrois années au lieu dedux. Or il désire plus que jamais suivre une autre vie et connaître enfin l’existence à laquelle Dieu l’appelle. Et voici que se profile à l’horizon un terme très proche et angoissant : il doit, normalement, faire ses vœux solennels – qui le lieront pour toujours à la Trappe – le 2 Février suivant. Ses supérieurs décideront peut-être de lui faire prononcer ses vœux ? Mais alors, il devrait renoncer pour toujours à ce qu’il pense être sa vocation ? Il saisit, dans un tel désarroi, qu’il importe plus que tout d’être attentif à faire ce que Dieu veut, quoi que ce soit, de devenir de jour en jour plus disponible aux desseins adorables du Seigneur : « Etre toujours prêt à faire indifféremment une chose ou l’autre ». (…)

Il exprime un aveu bouleversant - analogue à celui de la prière de 1886 : « Mon Dieu, si vous existez, faites que je vous connaisse. » - Il voulait alors connaître Dieu ; aujourd’hui, il voudrait l’aimer, lui dire qu’il l’aime ;mais il se reconnaît si faible ! « Mon Dieu, que je suis impuissant, même à Vous dire que je Vous aime ». Comment pourra-t-il donc connaître enfin ce que Dieu veut de lui et donner une réponse d’amour ? C’est là l’interrogation passionnée qu’il adresse à Dieu en ces jours, interrogation qui en même temps est un admirable cri d’espérance. (…) C’est qu’il accomplit alors, silencieusement, simplement, une extraordinaire mort à lui-même, réalisant une extrême obéissance de jugement.

(Jean-François Six, Itinéraire op. cit.pp. 179 . 181 & 185)


La dépression-type est sans doute celle du Christ lui-même, se retirant au Jardin des Oliviers. Il a la pleine conscience de son identité et de sa situation, la pleine connaissance de ce qui l’attend et à quoi il a parfaitement et d’avance consenti, il n’en souffre pas moins, et son ministère préparé par l’épreuve des trois tentations au désert s’achève par une préparation de même genre à ce qui le couronnera. Le dialogue n’est plus avec la mort, mais déjà avec la vie, avec Dieu Lui-même.La délibération n’est plus celle d’un homme qui est Dieu et va se révéler comme tel, mais celle d’un Dieu fait homme et dont la passion et la mort vont prouver absolument l’humanité.


A l’inverse, il y a les santés robustes – en sorte que si la dépression peut produire du mystique, elle n’y est pas pour autant nécessaire. C’est la psychologie tout entière de Thérèse d’Avila. Je ne me porte pas plus mal que d’habitude, les épreuves sont pour moi santé et médecine. (…) A partir dece moment-là, pour Teresa de Jésus l’amour divin ne plus mpourir de ne pas mourir, mais comprendre, souffrir, renoncer et servir. Jusqu’à ce qu’elle ait achevé le travail de son Père. Il allait maintenant lui être enfin donné de retourner auprès de lui. C’était pour elle d’une simplicité enfantine. (Marcelle Auclair, op. cit.p. 286 & 359). Voire… car si la « grande «  Thérèse n’est ni cyclo-thimique, ni dépressive, elle a au cœur de sa vie tant mystique qu’affective, au carrefour de la plupart des décisions qu’elle prend ou traverses qu’elle rencontre, l’homme au contraire le plus cyclique qui soit, et qui s’est donc bien gardé de tout récit de lui-même : Jean de la Croix. Son « mariage mystique », en eût-elle eu la vision qui le lui fit vivre, si elle n’avait pas à cette messe-là ce célébrant-là ni comme répondant à sa propre histoire, son qausi-contraire psychologique. Même s’ils ne sont pas partagés, ni l’équilibre ni la dépression ne se vivent seuls. Pourtant la dépression a ceci de constructif autant pour celui qui parvient à la vaincre que pour le tiers qui s’en émerveille, qu’elle fait ressortir l’exceptionnalité de toute élévation contemplative, moyen bouleversant heureusement le dernier moment et opérant mieux qu’un retour à la normale (Job en sut quelque chose), ou état stable du juste selon l’Ecriture et les livres sapientiaux. Mais Thérèse d’Avila à la lire plus attentivement ne doit-elle pas cette santé, cet équilibre remarquables à une épreuve initiale ? C’est pourtant l’auteur du Château intérieur qui donne le matériau vécu, il y a près de cinq siècle, le plus proche de cette « expérience de la mort imminente », telle qu’elle est étudiée systématiquement depuis une trentaine d’années.


Pour l’anthropologue et pour le psychologue, la similitude entre ce qu’a vécu la carmélite et ce que rapportent les « expérienceurs » confirme que l’extraordinaire est bien dans notre vie, en ce que celle-ci est spirituelle. Et l’étude de texte confirme l’analyse clinique ; elle réconcilie même la praticienne scientifique avec l’intuition de la vie spirituelle qu’elle n’osait se formuler à elle-même (Nicole LE BLOND, Etats mystiques de sainte Thérèse d’Avila et expérience de la mort imminente : transmutation de l’âme pp. 370 à 383 in La mort transfigurée op. cit.). Nous devons la citer pour plusieurs de ses pages :


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« «  Notre état d’être humain souffrant ne me semble pas une fatalité. Pourquoi attendre le salut après la mort ? C’est ici et maintenant que nous pouvons atteindre la plénitude et la paix.

Sainte Thérèse d’Avila, dans Ma vie. Relations spirituelles, fait allusion à ce qui la guide dans son approche du divin : Je désirais vivre et je le sentais, ce n’étaut pas vivre que des e débattre ainsi contre une espèce de mort, mais je n’avais personne pour me donner la vie et j’étais hors d’état de la prendre moi-même. Thérèse cherce à atteindre le divin. Elle entre au couvant à l’âge de vingt ans, le 2 Novembre 1535. Peu de temps après, elle tombe très vite gravement malade et frôle la mort

(…) Des sujets peuvent avoir des images religieuses avec ou sans émotion concomitante. Ces images semblent inopérantes dans l’immédiat. En fait, elles préparent le terrain. Tant qu’il n’y a pas de réel « lâcher prise », il s’agit d’une étape intermédiaire, qu’il ne faut surtout pas sous-évaluer. Elles permettent, semble-t-il, de se rapprocher de soi, d’apprivoiser sa dimension spirituelle, de préparer le passage au vécu émotionnel. (…) Sainte Thérèse savait, elle aussi, qu’il lui fallait lâcher prise, qu’il lui fallait bannir toute confiance en elle, mourir à son ego, se laisser guider, ne plus être dans un sentiment de toute-puissance. (Mais pour abandonner cette confiance en soi, il faut déjà la posséder, ce qui peut faire d’ailleurs, l’objet d’un travailpsychanlytique pou psychothérapeutique.)

Une chose me manquait sans doute, je crois m’en rendre compte à présent, c’est que je ne me confiais pas entièrement en Sa Majesté et ne me défiais pas absolument de moi-même. Je cherchais un remède, je penais des moyens, mais évidemment je ne comprenais pas que tout cela sertde peu quand on ne bannit pas toute confiance en soi-même pour placer totalement sa confiance en Dieu.

Les « expérienceurs », quant à eux, se trouvent confrontés à un fabuleux lâcher-prise, ils n’ont pas le choix, ils sont persuadés qu’ils vont mourir (accident, chute, etc.). Ce lâcher prise est déclencheur de l’émotion, émotion intense décrite ainsi par sainte Thérèse d’Avila, au cours d’un ravissement : Au milieu de ces réflexions, je me sentis saisie d’un véhément transport, dont je ne connaissais pas la cause.mon âme semblait vouloir s’échapper de mon corps, elle était comme hors d’elle-me^me, incapable d’attendre davantage le bien qu’elle entrevoyait. Ce transport était si excessif que je ne pouvais y résister, et il m’apparaissait très différent de ceux que j’avais éprouvés dans d’autres circonstances. Mon âme était si troublée qu’elle ne savait ni ce qu’elle avait ni ce qu’elle voulait. Je dus m’appuyer, car, même assise, je ne pouvais me soutenir, les forces naturelles m’abandonnant entièrement (…). Durant ces ravissements, l’âme semble ne plus animer le corps. On s’aperçoit fort bien que la chaleur naturelle se retire et que le corps se refroidit progressivement, mais avec de très grands délices.

On ne peut qu’être frappé par la violence de son émotion, par une intensité qu’on a du mal à se représenter quand on ne l’a pas vécue. Pour la plupart d’entre nous, cela ne provoque pas d’écho intérieur, même si nous comprenons mentalement. Seuls peuvent identifier cette intense émotion ceux qui ont vécu quelque chose de semblable, les personnes qui se décorporent et aussi les expérienceurs. Pour ces derniers, une émotion considérable, pleine de douceur, de suavité, se dégage également de l’union et de la lumière. Elle est le moteur du changement. (…) Sainte Thérèse sent bien la transformation opérer en elle, à la suite d’un ravissement : A partir de ce jour, je constatai en moi un bien plus haut degré d’amour divin et des vertus beaucoup plus fortes.

Une des grandes difficultés dans ce genre d’expérience, est de savoir apprécier à sa juste valeur le phénomène. Il est nécessaire de se connaître si l’on ne veut pas se tromper, et surtout d’éviter le piège de l’ego spirituel. (…) De même sainte Thérèse incite ses filles à trouver de bonnes références, mais aussi à se connaître : Sans doute, on ne doit jamais négliger la connaissance de soi-même, et il n’est pas d’âme, fût-elle un géant dans la vie spirituelle, qui n’ait souvent besoin de retourner à l’enfance, à la mamellle. Il ne faut jamais l’oublier ; au reste, je le répéterai peut-être encore, tant c’est important. Non, il n’y apas d’état d’oraison, pour élevé qu’il puisse être, où il ne soit nécessaire de revenir aux premiers principes. Dans le chemin de l’oraison, le souvenir de ses péchés et la connaissance de soi-même sont le pain avec lequel il faut manger tous les aliments, si délicats qu’ils soient ; et sans ce pain, on ne serait point nourri. Mais encore faut-il le prendre avec mesure. Quand une âme est déjà assouplie et intimement convaincue qu’elle n’a rien de bon par elle-même… quel besoin a-t-elle de consumer là son temps ?

(…) Cette connaissance de soi-même est nécessaire pour éviter un piège redoutable : l’ego spirituel. Il entrave le cheminement spirituel. La personne croit avoir atteint le but, alors qu’elle chemine encore. Saint Thérèse nous met bien en garde contre cette erreur : Ce que j’ai compris, c’est que tout l’édifice de l’oraison repose sur l’humilité, et que plus une âme s’abaisse dans l’oraison, plus Dieu l’élève. Une âme ne doit pas chercher à s’élever avant que Dieu ne l’élève. Reconnaissons plutôt notre impuissance. Pour éviter ce piège et celui de l’illusion, elle rencontre quotidiennement son directeur de conscience. Car il lui faut discerner les visions de l’illusion. Dès ses premières expériences mystiques, elle doute, lorsqu’elle découvre au bout de neuf mois l’oraison de quiétude et d’union. Je ne connaissais ni l’une ni l’autre, et j’en ignorais la haute valeur.Il m’eût été cependant, je le crois, très utile, de la connaître. Pendant longtemps, elle ignore la valeur de ce qu’elle vit. Ce fut pour moi un grand malheur car j’étais en danger de revenir sur mes pas et de me perdre entièrement. Puis, un jour, au cours d’une oraison, elle voit le Christ : Je le vis des yeux de l’âme, j’aurais pu le voir des yeux du corps. Son image s’imprima tellement dans mon esprit qu’après plus de vingt-six ans écoulés, il me semble l’avoir devant les yeux... La frayeur et le trouble me saisirent ; je ne voulais plus recevoir ce visiteur. (…) Ilme fut extrêmement préjudiciable d’ignorer que l’on peut voir quelque chose autrement que par les yeux du corps. D’autre part, je n’osais en parler à personne. (…)


Les « expérienceurs » de la mort imminente ressentent un détachement corporel qui, pour certains, va jusqu’à la décorporation. Ils observent des signes physiques précis, qu’ils relient à leur mort prochaine, mais peuvent être plus simplementratachés à l’expérience de sortie temporaire du corps : brutalité de l’arrachement, mort apparente du corps, apesanteur, etc… Les mêmes indices cliniques sont décrits par sainte Thérèse d’Avila. (…) Très souvent, sans réflexion préalable, sans nulle coopération persnnelle, vous vous trouvez saisi par un mouvement d’une force et d’une impétuosité inouïes.

Je le répète, on sent, on voit qu’on est emporté, mais on sait oùl’on va. Malgré le plaisir qu’on éprouve, la faiblesse naturelle, das les commencements, cause un sentiment de frayeur. (…) de fait, on est emporté malgré soi, et avec une violence incroyable. J’ai bien souvent cherché à résister et déployé pour cela toutes mes forces, notamment en quelques circonstances où le ravissement me surprenait en public ; je l’ai fait bien des fois aussi en mon particulier, parce que je craignais d’être trompée. Parfois, j’y réussissais un peu mais au prix d’une lassitude extraordinaire. J’en demeurais brisée, comme si j’avais eu à lutter contre un géant. D’autres fois, toute résistance devenait impossible. Mon âme était emportée, et presque toujours ma tête suivait ce mouvement, sans que je pusse la retenir ; qulquefois même, rarement pourtant, mon corps aussi était emporté, au point de se trouver élevé de terre.

Il m’arrive quelquefois de perdre presque entièrement le pouls. J’ai aussi les avant-bras très écartés et les mains tellement raides que, parfois, je ne parviens pas à les joindre. Il m’en reste jusqu’au lendemain une telle douleur dans les poignets et dans tout l corps qu’il semblerait qu’on m’eût disloquée. Souvent mon corps mesemblait devenu léger, au point de n‘avoir plus de pesanteur ; parfois, j’e arrivais à ne plus sentir, en quelque sorte, mes pieds toucher le sol. Dans le temps même du ravissement, le corps souvent est comme mort etdans une totale impuissance ; il reste dans la position où il a été surpris, debout ou assis, ls mains ouvertes ou fermées. Il est rare qu’on perde la connaissance.


(…) Sainte Thérèse nous parle de la Lumière en utilisant presque les mêmes teres que les expérienceurs du cinquième stade. La différence est si grande entre la lumière qui frappe nos yeux et celle qui brille dans ce séjour où tout st lumière qu’il n’y a pas de comparaison à établir. La clarté du soleil ne smeble plus ensuite que laideur.Non, l’imagination la plus subtile est incapable de se peindre, de se représenter cette lumière telle qu’elle est. Les sens se trouvfent alors dans une telle jouissance et une telle suavité qu’il est impossible d’en donner l’idée. Ainsi, mieux vaut n’en rien dire de plus. (…) Après ces faveurs, mon âme voudrait rester toujours en cette région supérieure et ne plus revenir à la vie, tant elle conçoit de mépris por toutes les choses d’ici-bas. De fait, elles ne semblent plus que fumier. (…) Tout ce que je vois des yeux du corps me fait alors l’effet d’un rêve et d’une plaisanterie. Ce que l’âme a perçu de ses yeux intérieurs, voilà ce qu’elle appelle de ses vœux.


Un fonction commune : transformer l’âme. La vie de Thérèse d’Avila a été consacrée à l’expérience mystique, dans le cadrede la tradition chrétienne. Tous ses ravissements et ses extases ont transformé son âme. Les caractéristiques de cette transformation sont tout à fait comparables à celles observées chez les expérienceurs. Dans sa vie, il semble qu’il n’y ait plus place pour les conflits d’aucun ordre. C’est un véritable détachement : La vie est devenue pour moi une sorte derêve et tout ce qui frapape mes yeux, je crois le voir en songe. Je ne vois en moi ni contentement ni peine de quelque importance. Un événement fait-il naître en mon âme l’une ou l’autre de ces impressions, elle passe si promptement que je m’en émerveille, et je n’en suis pas plus touchée que d’un rêve que j’aurais eu : cela est la pure vérité.


(…) Plus de crainte de la mort. Ces grâces m’ont enlevé resque entièrement la crainte de la mort, qui chez moi avait toujours été très vive. Mourir me paraît à présent la chose du monde la plus facile pour les Serviteurs de Dieu, puisque l’âme se voit en un instant affranchie de sa prison et introduite dans le repos. Ces ravissements par lesquels Dieu emporte l’esprit et lui découvre des choses merveilleuses ont beaucoup de rapport, ce me semble, avec ce qui se passe au moment où l’âme, quittant le corps, se trouve soudain en possession de tous les biens. » » fin de notre citation passim de Nicole Leblond, op. cit.


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La dépression, la mort introduisent à la vie ; passer par elles donnent une plénitude de conscience et de vie, une connaissance de soi et une expérience de Dieu qu’aucune autre pathologie ou épreuve semblent autant produire dans l’âme humaine ainsi transformée. Au moment de plus grande solitude, le corps rompu au bord de l’infini, un autre temps s’établit hors des mesures communes. En quelques jours parfois, à travers le secours d’une présence qui permet au désespoir et à la douleur de se dire, les malades saisissent leur vie, se l’approprient, en délivrent la vérité. Ils découvrent la liberté d’adérer à soi. Comme si, alors que tout s’achève, tout se dénouait enfin du fatras des peines et des illusions qui empêchent de s’appartenir.Le mystère d’exister et de mourir n’est point élucidé mais il est vécu pleinement. (…) La mort peut faire qu’un être devienne ce qu’il était appelé à devenir ; elle peut être, au plein sens du terme, un accomplissement. Et puis, n’ya-t-il pas en l’homme une part d’éternité, quelque chose que la mort met au monde, fait naître ailleurs ? (François Mitterrand, préface pour Marie de Hennezel – La mort intime, op. cit. 11)





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Le chemin de la perfection pour d’autres se fait autrement, mais l’épreuve de la dépression semble être nécessaire aux grands accomplissements. Ainsi de Mozart, quand son œuvre est étudié sous un tel angle psycho-pathologique.


On peut dire que toutes les œuvres nées entre le Divertimento-Trio K 563 et ke Quintette pour clarinette et cordes en la majeur K 581 portent la marque d’une simplicité et d’une transparence encore jamais atteintes. Le larghetto de ceQuintette a le même degré d’incandescence poétique que l’Et incarnatus de la Grande Messe. Et ce qui frappe, c’est qu’une si grande luminosité soit né dans des heures si sombres de la vi quotidienne de Mozart, aggravée après son retour d’Allemagne. Jamais la misère n’avait atteint un niveau aussi extrême. Le post-scriptum de la lettre à Puchberg du 17 Juillet 1789 laisse deviner son état d’esprit durant cette période : « Comme je suis malheureux ! Je suis toujours entre l’angoisse et l’espoir… ».

Peut-on séparer la sublime réussite esthétique qu’attestent ces chefs d’œuvre du climat d’angoisse où s’enfonce la vie du Maître ? La tentation d’opposer l’homme et le musicien se fait ici plus forte que jamais. Une fois atteint ce sommet de l’itinéraire mozartien, impossible de se dérober à la question sur le sens de cette incomparable beauté musicale. Cette prodigieuse alchimie sonore ne signifie-t-elle pas, en définitive, une évasion esthétique face à la rigueur terrible de la réalité ? Si tel n’est pas le cas, à quelle vérité alors correspond cette éminente beauté, si contradictoire avec le hic et nunc mozartien ? A notre avis, c’est autour de cette question que se noue la tragédie sous-jacente de l’une des comédies les plus lumineuses du Maïtre : Cosi fan tutte K 588 (…) Le vrai sujet de l’action intérieure du Cosi pourrait se formuler en une question qui elle-même se résume en deux mots : fiction ou réalité ? (…)

La découverte dernière de la créature comme point de départ de « l’amour le plus profond » fut possible pour Mozart grâce à l’intuition première du divin dans les chants sublimes de ses héroïnes, au-delà de la déformation causée par le désir d’auto-divinisation. Lorsque ce désir fut rectifié, le sens infini du divin – objet dernier et permanent de son aspiration – s’est révélé à lui dans le fini de la créature. Dans le visage de la Mère de Dieu, Mozart a appris à voir l’amour comme une rencontre entre l’authentiquement divin et le vraiment humain. Voilà pourquoi dans l’air de Papageno (n.20 : Ein Mädchen oder Weibchen), Mozart reprend la paraphrase allemande du Magnificat. Voilà pourquoi dans l’ouverture de La clémence de Titus résonne aux vents une mélodie joyeuse, reproduisant celle du soprano dans le Magnificat des Vesperae solemnes K 339, sur les paroles du veset : Et exultavit spiritus meus. Oui, l’esprit du « Mozart de Dieu », au terme de sa brève existence, tressaille de joie en Dieu, son Sauveur. Que cette ultime allégresse soit inséparable du cri de la Croix, voilà le paradoxe qui nous a conduit à étudier Mozart à la lumière du mystère de la Beauté du Crist. Dans cette Beauté, le musicien a trouvé le sens des deux réalités – l’amour et la mort – qui, en le déchirant, l’ont ouvert à la Vie. (Fernando Ortega, op. cit. p. 63 & 141 à 143).


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Tenu par des contemporains – contemplatifs et religieux avérés – le journal « intime » atteste de ce lien entre la dépression et la mystique (et l’inverse).


15-16 Mars. Je suis comme un homme dont la femme ou l’enfant étaient malades à la mort. Il a lutté de toutes ses forces et la lutte elle-même lui a donné des forces. Il aurait lutté ainsi encore deux ans, trois ans. Et puis, une nuit, elle est morte.Alors toute la fatigue accumulée, d’un seul coup,l’écrase et il est là, sans force, sans avenir. Mon travail, pour lequel je n’ai, des années durant, pris ni repos ni détente, est condamné à purrir dans un in pace. Et c’est tout.Pas même un mot, pas même un coup de goupillon par-dessus. Actuellement,je crois que si j’avais l’occasion d’être pris dans un accident, je ne ferais rien pour l’éviter. Et il n’y aurait pas davantage de parole ni de goupillon par-dessus. Et, bien sûr, de telles idées me traversent l’esprit. Elles reviennent souvent, lancinante, en sorte que, par leur répétition, elles arrivent à prendre comme une consistance, mais leur consistance interne est faible. Elles sont à chaque instant recouvertes en moi par une lame de fond autrement forte en elle-même, celle de l’espérance : de la grandeur de l’espérance. Ces difficultés me sont survenues juste au début du carême (le jeudi, lendemain des Cendres). Or tous les jours, à l’office, aux messes de carême surtout, ce sont des promesses de délivrance, des cris d’espérance, une prière pour être délivré de mes ennemis, qui m’ont été donnés : « Puissè-je mourir pour germer ! » Et certes, cestextes visent le salut spirituel, mais ils n’excluent pas une certaine traduction temporelle de la délivrance absolue qui y est demandée et promise. Je les prends ainsi et je m’en nourris foncièrement. Mais il n’y a pas de jour ni d’heure où, par-dessus ces eaux puissantes, les rafales de la tempête ne fassent déferler et passer les lames du désespoir, de la fatigue (je suis physiquement assez épuisé) et du dégoût. Rien ne me serait plus insupportable que des « consolations ». Une des raisons pour lesquelles je me tais le plus possible est aussi de les éviter. Le silence est une condition de force pour des motifs plus profonds que celui-là, mais aussi pour celui-là. Par contre, tout ce qui pourrait me rouvrir un espoir, memontrer que tout n’est pas perdu, me fait du bien. Je n’en reçois pas grand témoignage.

18 et 19 Mars. Rien.

Deux des plus mauvais jours de toute ma ve. Peut-être les deux plus mauvais joursde ma vie. Je reçois des lettres d’exhortation à la soumission ! ! ! ! « Ils » me laisseront pourrir. (Yves-Marie Congar, op.cit. pp. 188-189)


Ma jeunesse se mourait dans la solitude. Et, dans la solitude, au détour d’un chemin banal, pareil aux autres, derrière mes trente ou quarante années de petite vertu, quelqu’un guettait, sûr de son coup, et surgit pour me punir. Je n’avais jamais été jusqu’alors, je n’étais encore qu’une petite fille. Avais-je désobéi oar innocence à un Dieu que je ne connaissais pas ? Un Dieu qui ordonnait à la chair et au sang ce que je ne savais pas ? Un Dieu qui, tout à coup, n’était plus mon Dieu de Vuerges et d’Anges en qui, depuis mon premier âge, j’avais mis toute ma volonté et toute ma foi docile, pieusement, simplement, soumise à la foi qui moritife comme s’il ny’en avait jamais eu d’autre sur la terre ni au ciel ?

Et lui, l’Inconnu, m’avait préparé un piège. Il m’avait attendue longuement, silencieusement, à l’heure de ma plus grande fatigue pour me pousser en l’horreur de moi-mêmeet me livrer sans défense aux démons alliés de on corps et de mon âme. Alors, tous mes Anges s’enfuirent. Et la souffrance physqiue n’était rien, et la détresse morale n’était rien, et la passion du cœur n’était rien à côté de la terrible question qui fut alors posée : Dieu ?… mon Dieu ?…. Le Bon Dieu ?…. Où était Dieu ? …. Qui était Dieu ?…. Une Force impitoyable, la Force éternelle qui crée et qui tue m’était révélée.

Dieu ? Je suis restée en perdition, plusieurs semaines, implorant, me débattant. Dieu ! …. Parfois j’ai souhaité être infidèle de naissance, et ne l’avoir jamais connu. Mais en même temps j’acceptais tout de Lui parce que c’était Lui. Lui par-dessus tout, Lui seul. Dieu ! J’acceptais ma ruine éternelle, s’il était nécessaire, pour que fût accomplie sa grande Loi, ses deux Lois contradictoires – dont j’allais peut-être mourir. Ce fut une grande bataille : l’heure de la Puissance des Ténèbres – Mois d’enfer, mois de toutes peines, mois de toutes morts. Destruction du corps, destruction de l’âme et seul survivant, seul humain, le cri désespéré du cœur que venait de briser par surprise un seul mot – et même pas – de tendresse humaine. Ceux qui meurent defaim, une bouchée les tue.

Mais tout se passa en silence dans la chambre des supplices, l’oubliette la plus sourde et muette du Château Intérieur. En haut, dans les salles habitées, personne n’entendit rien. Et ce fut dans cette profondeur le seul grand voyage de ma vue, une descente aux abîmes, mon aventure, mon danger. C’est là qu’il m fallait aller pour revenir, chargée de destinée humain, au lieu de rester à jamais pure et endormie dans mon petit jardin où la Croix m’abritait. J’en revins peu à peu par un pauvre chemin très long, tout droit : l’obéissance. Moins qu’un chemin, une corde obscure qui vou soutient au fond du puits. Je ne l’ai pas lâchée. Je n savais rien, je ne disais rien, je subissais, j’obéissais : « Ne rouvre pas les yeux… jamais. Dis « oui » à Dieu quoi qu’il t’arrive. fais ce qu’on t’ordonne. Passe le gouffre sur une paille… Plus aucun salut que d’être aveugle… »

Maintenant, revenue au monde, tout est consommé. Ci-gît…. Celle que j’étais est morte…. Refroidie…. Et si Dieu veille encore sur elle, ce n’est plus que d’une lueur lasse. Voici le repos ultime descrucifiés après la dernière violence dont il est dit : «  Ils leur rompirent les bras et les jambes. »

Je voudrais parfois ressusciter, me ranimer au souffle divin, être fervente encore, mais je n’ose faire aucun mouvement dans mon âme. J’ai peur de tirerde leur sommeil les pensées des profondeurs qui se sont assoupies. J’ai oeu de réveiller Dieu qui dort. Et jusqu’ici j’avais eu peur d’aller me regarder dans le puits où j’étais tombée… peur de faire, même à voix basse, cerécit qui m’était demandé. Mais le calme du soir est venu. J’ai pu me souvenir. C’est fait. Et maintenant, Seigneur, n’en parlons plus.

Si ma vie était une œuvre d’art de moi, j’en effacerai ces quelques années qui ont porté mon sentiment religieux à l’extrême tragique. Mais ma vie est simplement ma vie. Et elle n’est pas de moi. (Marie Noël, op. cit. pp. 104 & 105)


Confidence dans le même sens d’un chef de communauté religieuse : . . . l’expérience que je peux avoir de ma charge montre que le fait d’être responsable est aussi très humiliant, parce qu’on se rend compte de ses propres faiblesses. Quand j’ai été élu abbé, j’ai frôlé la dépression pendant six mois en expérimentant le poids de cette charge : ce fut une vraie grâce, car vérifier ainsi, de façon cruciale, ses propres limites, permet de se remettre entre les mains de Dieu. Même avec l’habitude, la responsabilité reste grande et l’on est petit face aux difficultés, celles surtout des personnes et de leur mystère, ce qui accule à l’humilité et à la confiance. (Robert Le Gall, op. cit. p. 286)


La psychothérapie ne peut faire prendre directement conscience des causes de cet état. Comme le complexe délire/illusion est une production de l’esprit, il est soutenu par la puissance de rationalisation de celui-ci. Ce complexe n’affecte pas seulement la conduite, mais détermine aussi la qualité de la pensée. Celui qui souffre de ce complexe est convaincu de la « justesse » morale de sa position ; il peut accululer un nombre d’argumentsimpressionnants pour la défendre. Cet homme est fermé à tout secours tant qu’il n’a pas sombré dans la dépression. Et la dépression est inéluctable.

L’effondrement est dû au fait que le complexe délire/illusion saigne à blanc l’énergie de l’individu. Tôt ou tard, ses réserves s’épusieront, et il verra qu’il ne peut plus continuer. Dans la dépression, on est littéralement vidé de son énergie. Toutes les fonctions vitales sont déprimées l’appétit diminue, la resporation est limitée, la motiilité est fortement réduite.Il s’ensuit une diminution du métabolisme et une perte de sensibilité.

Si l’on compare la dépression à la déception, on voit clairement la liaison de la première avec l’illusion. Quand on échoue à réaliser une espoérance raisonnable, on est déçu, pas déprimé.mais la dépression entraîne une impression de vide. On n’a plus ni l’envie ni le courage de se battre. La déception n’a pas lemême effet. C’est une expérience douloureuse, mais qui permet d’analyser la situation et d’adopter une approche plus constructive du problème posé. Quand on est déçu, on se sent triste. Mais celui qui estdéprimé ne sent rien du tout. Une réaction dépressive montre clairement que l’individu était victime d’une illusion. Pour surmonter la tendance dépressive, il faut mettre à nu le complex délire/illusion et libérer les émotions réprimlées. Il faut d’abord s’attaquer à l’illusion fondamentale qui nous fait chercher le plaisir hors de nous-mêmes en négligeant l’état de notre corps. Dans ce but on faut prendre conscience au patient de ses tensions physiques et l’on en relâche certaines (…). Ces techniques simples sont en général parfaitement efficaces pour déclencher un flot de sensations dans le corps du patient. Chez beaucoup d’entre eux, ils provoquent assi une forte réaction émotionnelle. Cette première expérience amène très souvent lepatient à se rendre compte du besoin de revivifier son corps.Il se sentira plus vivant, plein d’espoir detrouver, grace à sn corps une issue à son impasse. Et il sera encouragé à explorer cette possibilité. (…)

Le complexe délire/illusion régresse à mesure que le patient améliore son contact avec la réalité. L’une est la réalité du corps et de ce qu’il éprouve. Cette réalité est peçue subjectivement. L’autre est la réalité du monde extéieur, perçue objectivement. Toute déformation de nos perceptions intérieures produit une déformation correspondante de nos perceptions extérieures, car nous percevons le monde par l’intermédiaire de notre corps. L’individu déprimé a perdu le contact avec cesdeux aspectsde la réalité, parce qu’il a perdu le contact avec son corps.

Celui qui est en contact avec son corps ne risque pas la dépression.Il sait que leplaisir et la joie dépendent du bon fonctionnement de son corps.Il saperçoit des tensions dont celui-ci est le siège, et il sait à quoi elles sont dues.Il peut donc prendre des mesures appropriées pour rétablir son bien-être.Il ne se fait pas d’illusions sur son propre compte ni sur la vie. Il accepte ses sentiments comme des mabifestations desa personnalité, et il n’ apas de peine à les formuler. Quand un patient prend pleinement contact avec son corps, sa tendance dépressive disparaît.Il éprouve alorssadouleur et sa frustration, et cela le fait pleurer. A mesure que sa respiration s’approfondit et devient plus abdominale, ses pleurs se développeent en sanglots rythmiques qui expriment sa tristesse profonde, la tristesse d’un homme qui a vécu d’illusions.Il est alors pris de colère contre la tromperie qui l’a forcé à réprimer ses sentiments, et il exprime cette colère en tapant des points et des pieds sur le divan. Il exhale ses rancunes et ses craintes et ce faisant, il arrache le masque d’illusions qui dissimulait sa personnalité. Ilse voit alors comme un homme dont le plus profond désir est de jouir de la vie. Sa tendance dépressive l’a quitté.

Il n’y a qu’un traitement pour la dépression, c’est la libération des émotions réprimées. Pleurer de tristesse, par exemple, est un antidote contre la déprssion. Ceui qui est triste n’est pas déprimé. La dépression laisse l’individu inerte etsans vie ; la tristesse le rend chaud et vivant. La tristesse ouvre la porte à toutes les émotions et rend l’individu à la condition humaine, dans laquelle le plaisir et la douleur sont les principes directeurs de la conduite. Pouvoir être triste, c’est pouvoir être joyeux. Et le rétablissement de l’aptitude au plaisir est le gage du retour à la santé affective. (Alexandre Lowen, op. cit. pp.187 à 189)


L’expérience des larmes salvifiques est attestée par les spirituels. Ainsi, Ignace de Loyola avait-il le « don des larmes ». Mon âme pécheresse désire avec une immense ardeur les eaux courantes,mais sa misère l’a endurcie, elle est devenue insensible. Aucune affliction ne la touche. Nulle douleur ne la brise pour lui faire produire des larmes. (…) Où êtes-vous partis, pleurs qui m’êtes chers et doux ? venez, larmes, je vous en supplie, au nom de Jésus-Christ mon Seigneur, venez, emplissez mon cœur, mouillez mes yeux, humectez mes jours, arrosez-moi de pleurs, coulez sur mon visage, arrachez-moi d’amers gémissements, soyez la source d’un doux pardon. (…)

Oui, par ces larmes très saintes et très bienfaisantes, j’adrese cette prière : torrent d’affliction, eau jaillissantes, hâte-toi de satisfaire mon désir. Que celui qui a fai sortir l’eau du rocher et, dans sa miséricorde, l’a fait pénétrer au-dedans de la pécheresse, en même temps que, dans sa bonté, il la recueillait au-dehors, qu’il te commande lui-même dans sa tendresse extrême, à vous qui tardez, d’abreuver mon cœur qui vous désire et vous cherche, et de l’inonder si bien, qu’il ne veuille ni ne puisse maîtriser ses pleurs.

C’est, en effet, un châtiment du péché que supporte l’âme endurcie, de pouvoir contempler ses péchés sans pouvoir pleurer. Cela je le redoute, j’en éprouve une frayeur intense. Tant qu’il est salutaire de pleurer, tant qu’il est salutaire de se repentir, accourez, larmes que je souhaite, que je réclame de toute mon âme. Que je pleure sans relâche, nuit et jour, sur les blessures de mon âme, de crainte que n’expirent les délais accordés la pénitence et que les jours octroyés pour vivre dans le bien ne s’écoulent en vain. (Jean de Fécamp, op. cit. pp. 164-166)


En tant que mauvais contact avec la réalité, ou manque d’appréhension de celle-ci, en tant que méprise et illusion sur soi, en tant qu’enfermement de soi-même en soi-même, la dépression est proche de la mort, mais une mort à laquelle assiste principalement le sujet.


Ainsi la dépression, parce qu’elle a pour plus belle issue possible la mystique, est-elle bien – tant qu’on y est – l’exact contraire de la contemplation, mais elle peut être le chemin qui y mène : bien plus significativement que la désolation, elle n’est pas un manque, elle est ce vide, cette absence de sens tels que celui qui en pâtit ne sait, précisément, pas si elles ne sont pas originelles. Le processus de ce retour au sens, d’une composition nouvelle du paysage intérieur – en ce qu’à l’observateur il apparaît sans cause propre au patient, mais plutôt l’effet d’un « laisser advenir » - s’apparente à cette grâce d’abandon qui introduit dans la contemplation et fait transcender une condition limitée et douloureuse.


J’ai toujours travaillé avec la conviction innée qu’il n’existe pas au fond de problème insoluble. Et l’expérience m’a donné raison en ce sens que la plupart du temps j’ai vu comment des individus dépassaient un problème sur lequel d’autres s’étaient irrémédiablement brisés. Ce « dépassement », comme je l’ai d’abord appelé, s’avéra être à l’expérience une élévation du niveau de la conscience. Quelque intérêt plus élevé et plus vaste faisait son apparition à l’horizon et cet élargissement ôtait au problème de son caractère oppressant. Il n’était pas résolu en lui-même de façon logique, mais il pâlissait devant une direction vitale nouvelle et plus forte. Il n’était pas refoulé ou rendu inconscient, mais il apparaissait simplement dans une lumière différente et, ainsi, devenait également différent. (….)

Il est arrivé de temps à autre dans ma pratique qu’un individu se dépasse lui-même en raiuson de possibilités obscures, et cela a été pour moi la plus riche des expériences. J’avais en effet appris entretemps que les problèmes vitaux les plus graves et les plus importants sont tous, au fond, insolubles, et ils doivent l’être, car ils expriment la polarité nécessaire qui est immanente à tout système d’autorégulation. Ils ne peuvent jamais être résolus, mais seulement dépassés. Je me suis donc demandé si cette possibilité de dépassement, c’est-à-dire d’évolution psychique plus poussée, n’était pas en définitive la donnée normale et si le fait de demeurer fixé à ou dans un conflit n’était pas ce qu’il y avait de pathologique. Tout homme doit posséder ce degré supérieur, au moins sous forme de germe, et pouvoir développer cette possibilité moyennant des circonstances favorables. En observant le processus d’évolution de ceux qui se dépassaient eux-mêmes en silence et comme inconsciemment, je vis que leur destin avait un trait commun : la nouveauté venait à eux de possibilités obscures, ils l’acceptaient et se dépassaient grâce à elle. Je considérai comme typique que les uns la reçoivent du dedans et les autres du dehors, ou plutôt qu’elle émane du dedans pour les uns et du dehors pour les autres. Jamais cependant la nouveauté n’était chose purement extérieure ou purement intérieure. Si elle venait de l’extérieur, elle devenait expérience intime ; si elle venait de l’intérieur, elle devenait événement extérieur. Pourtant elle n’était jamais provoquée de façon intentionnelle et consciente, mais elle s’avançait, portée sur le fleuve du temps.

(…) Et que faisaient ces gens pour réaliser le progrès libérateur ? Autant que j’ai pu voir, ils ne faisaient rien mais laissaient advenir (…) Le « laisser advenir », l’action non agissante, l’abandon de maître Eckhart est devenu pour moi la clé permettant d’ouvrir les portes qui mènent à la voie : dans le domaine psychique, il faut pouvoir laisser advenir. C’est pour nous un art véritable auquel quantité de gens ne comprennent rien : leur conscient ne cesse d’aider, de corriger et de nier, de multiplier les interférences et, dans tous les cas, il ne peut laisser en paix le pur déroulement du processus psychique. La tâche serait assez simple, si la simplicité n’était pas ce qu’il y a de plus difficile. (Car Gustav JUNG Commentaire sur le mystère de la Fleur d’Or, op. cit. pp. 31 à 33)


La contemplation donne toute raison et toute joie à l’optimiste, au réaliste selon le christianisme tandis que la dépression pose la question d’une création manquée dès son début. Cela pour ce qu’il y a de statique dans un état psychique de prostration, mais mis en dynamique, en perspective, la dépression est la matrice d’une seconde naissance, de l’entrée dans une autre vie après inventaire de la première et des ressources que, soi, on y avait. On garde celles-ci, on est enrichi de l’assurance reçue dans l’épreuve qu’elles avaient finalement et secourablement fonctionné, et – conscient d’avoir œuvré mais aussi d’avoir été aidé – on commence, déjà, à contempler Celui qui nous a transformé pour nous rendre à nous-même et faire le pas nécessaire pour nous voir ailleurs.


Et comprendre que notre souffrance peut avoir un singulier répondant en Dieu Lui-même. (François Varillon, op. cit. pp.95 à 97)

Il est difficile de croire en Dieu quand Dieu est un désert. La solitude avec Dieu apaise. Mais la solitude d’avecDieu calcine. La solitude au milieu des hommes est souvent si insupportable qu’on est prêt à tout pour y échapper. Dieu même est alors un recours qu’on »utilise » comme « moyen ». Non point Dieu, mais son image falsifiée. C’est pourquoi, refusant pour moi cette dégradation, il se dérobe. Le « moyen » fait défaut.lors Dieu est Dieu. Il ne l’est jamais autant que lorsqu’il me « manque ». Mais cela fait très mal. Cela lui fait aussi très mal. Il souffre de me faire souffrir. S’il me blesse, il se blesse. D’être blessé de devoir me blesser, c’est cependant sa joie. C’st le prix de l’union. Si je me détourne, soit de la station silencieuse devant son absence, soit de l’accomplissement dans élan de ma tâche d’homme, alors je le blesse d’une autre sorte de blessure. Souffrant du mal qu’il me fait par amour, il souffre plus encore du mal que je me fais par défaut d’amour. Mal en un autre sens, plus redoutable. Mais sa béatitude est inaltérable. « Dieu n’est blessé de rien, dit Angelus Silesius. Il n’a jamais souffert, et mon âme pourtant peut le blesser au cœur. » Paradoxe de la transcendance, que je ne dois jamais cesser d’affirmer, et qui se transcende elle-même dans la vulnérabilité de l’amour.

Le Père et l’Esprit n’étaient point spectateurs passifs du supplice du Fils. Leur amour agissait par l’absence et le silence. Ils se tenaient à distance et muets, afin d’abolir toute distance et toute communication qui aurait empêché la perfection de l’union. Ils ont souffert defaire souffrir le Juste. Blessés de devoir le blesser, Pâques et la Pentecôte témoignent que ce fut pour les Trois la plus haute joie, non d’un laps de temps, mais éternelle.

Loin des cimes, en ces lieux proches des marais où la marche est pesante et lente, le désert est intermittent. La blessure est légère, vite cicatrisée. La part de gratuité est infime. La souffrance deDieu, c’est alors sa patience. Etant ce que je suis, il doit se retenir de m’évider. Il attend l’heure. C’est la « longanimité » dont parle saint Paul (1ère Cor. XIII 4).


La prière des Psaumes permet le dialogue entre les deux souffrances. Celui prié par le Christ en croix (XXII), peut être ainsi étudié (Paul Ricoeur & André Alacocque, op. cit. pp. 286-287) : il n’est donné aucun tableau clinique : cette dimension du souffrir ne se révèle qu’au suppliant qui place sa détresse devant Dieu.Pour lui, souffrir devant Dieu, c’est souffrir desa main, c’est se poser en victime blessée par Dieu. Un des procédés littéraires mis au service de cette universalisation et de cette radicalisation consiste dans le recours délibéré à des métaphores qui, en quelque sorte, désingularisent la souffrance tout en en marquant le tour paroxystique. Puisant dans le bestiaire de la férocité, le poète évoque directement la virulence spirituelle de la souffrance radicale. (…) La seconde procédure poétique concerne la composition du poème ; elle touche plus encore que la précédente à la textualisation du psaume. Le psaume propose dans sa rédaction finale – et peut-être dans ses formes littéraires les plus anciennes – l’énigme d’un renversement en apparence soudain et non justifié de la plainte à la louange. C’est ce retournement qu’il faudra transposer plus loin du plan structural au plan spirituel, voire théologique. (…) Une analyse littéraire ne prend en compte que les traits repérables au niveau du texte lui-même, et donc ignore l’événement extra-textuel en quoi aurait consisté une parole oraculaire effectivement prononcée dans un lieu de culte. (…) Si l’on tient l’absence de la parole oraculaire pour un trait de textualité, cette absence est alors à rapprocher des procédures dedésingularisation des expressions de la souffrance. De même que le « je » poétique est ouvert à quiconque dit « je », le renversement textuel est offert à tout suppliant invité à parcourir le chemin de la plainte à la louange. C’est ainsi que le renversement poétiquement signifié devient lui aussi paradigmatique. Dès lors la tâche de l’analyse littéraire est de montrer par quels artifices il est construit dans et par le ytexte. C’est alors la dynamique entière du texte qui est à considérer d’un point de vue en quelque sorte dramaturgique.

Comme tous les exégètes l’ont noté, le renversement est d’une certaine façon anticipé dans la formulation paradoxale de la plainte : d’un côté, la plainte voisine à l’accusation ; de l’autre, elle reste enveloppée dqns une invocation et maintenue dans l’espace de la prière, en tant qu’adressée à Dieu. Le paradoxe s’aiguise dans ce qu’on a pu appeler « adresse questionnante ». C’est en demandant « pourquoi ? » que l’Urleiden de l’être abandonné par Dieu est adressé à Dieu.


Bertrand Fessard de Foucault, diplomate



Orientation bibliographique :


en sus du classique Dictionnaire de spiritualité (tome III . pp. 1002 à 1222) – voir surtout direction spirituelle et psychologie, pp. 1146 à 1167 et relation du directeur et du dirigé, pp. 1168 à 1183.


Marcelle Auclair, La vie de sainte Thérèse d’Avila (Seuil . 4ème trim. 1968 . 398 pages)

Thérèse d’Avila, Œuvres complètes (Desclée de Brouwer . Août 1974 . 1181 pages)

Louis Bernaert, Expérience chrétienne et psychologie (Ed. de l’Epi . 1966) notamment pp. 291 à 329 : L’expérience fondamentale d’Ignace de Loyola et l’expérience psychanalytique

Jean-François Catalan, notammentExpérience spirituelle et psychologie (Desclée de Brouwer coll. Christus . Avril 1993 . 185 pages) & Dépression et vie spirituelle (Desclée de Brouwer . Janvier 1999 . 128 pages)

Patrick ClervoyHenri Ey . 1900 1977 . cinquante ans de psychiatrie en France

(Le Seuil coll. Les empêcheurs de penser en rond . Octobre 1997 . 303 pages)

Yves-Marie Congar Journal d’un théologien 1946-1956 (Cerf . Octobre 2000 . 462 pages)

Jean de Fécamp – La confession théologique (Cerf . Mars 1992 . 240 pages)

Pierre Fédida Des bienfaits de la dépression . Eloge de la psychothérapie (Odile Jacob . Janvier 2001 . 259 pages)

Jean GouvernaireQuand Dieu entre à l’improviste (Desclée de Brouwer coll. Christus. Juin 1980 . 166 pages)

Anselm Grün, notamment : La crise du milieu de vie (1998), Les rêves et la vie spirituelle (1999), De la mort surgit la vie (2001) , Lectures psychanalytiques de la Bible (2001) éd. Médiaspaul – Chacun cherche son ange, Invitation à la sérénité du coeur éd. Albin Michel (2000) – Ce qui rend les hommes malades et ce qui les guérit éd. Desclée de Brouwer (2001)

Marie de Hennezel – La mort intime (préface de François Mitterrand . Robert Laffont .Août 1995 .232 pages)

Carl Gustav Jung La guérison psychologique (Librairie de l’Université Georg & Cie. Genève . Mars 1970. 342 pages) & Commentaire sur le mystère de la Fleur d’Or (Albin Michel . Octobre 1979 . 148 pages)

Robert Le GallLa saveur des Psaumes (C.L.D. . Avril 2000 . 267 pages)

& avec le lama Jigmé RimpocheLe moine et le lama. Entretiens avec Frédéric Lenoir (Fayard . Janvier 2001 . 341 pages)

Ignace de Loyola Autobiographie (Seuil . 2ème trim. 1982 . 181 pages)

Alexandre LowenLe plaisir (Tchou . Avril 1976 . 239 pages)

sous la direction d’Evelyne-Sarah MercierLa mort transfigurée . recherches sur les expériences vécues aux approches de la mort (L’âge du verseau . Octobre 1992 . 526 pages)

Marie NoëlNotes intimes (Stock . Mai 1962 . 361 pages)

Marc Oraison – Ce qu’un homme a cru voir . Mémoires posthumes (Robert Laffont . Février 1980 . 295 pages)

Fernando OrtegaBeauté et révélation en Mozart (Parole et Silence . Février 1998 . 162 pages)

Jean RadermakersDieu, Job et la Sagesse (éd. Lessius . Mars 1998 . 357 pages + solide bibliographie)

Paul Ricoeur & André AlacocquePenser la Bible ( Seuil . Mai 1998 . 459 pages)

Jean-François SixThérèse de Lisieux par elle-même. * Scrupules et humiliations . Tous ses écrits de son entrée a Carmel (9 Avril 1888) à Noël 1894 (Grasset . Desclée de Brouwer . Juin 1997 . 333 pages) -

** La confiance et l’amour . … Janvier 1895 à Pâques 1896 (Grasset . Descléede Brouwer . Août 1997 . 322 pages)

*** L’épreuve et la grâce Tous ses écrits de Pâques 1896 (5 Avril) à sa mort (30 Septembre 1897) (Grasset . Desclée de Brouwer . Juillet 1997 . 395 pages)

du même, Itinéraire spirituel de Charles de Foucauld (Seuil . 4ème trim. 1958 . 454 pages)

du même, La véritable enfance de Thérèse de Lisieux : névrose et sainteté (Seuil . 1er trim. 1972 . 286 pages) & Lumière de la nuit, les 18 derniers mois de Thérèse de Lisieux (Seuil . Septembre 1995 . 272 pages)

Pierre Solignac La névrose chrétienne (éd. de Trévise . Juin 1976 . 252 pages)

François VarillonLa souffrance de Dieu (Le centurion . Octobre 1975 . 117 pages) pp.95 à 97


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