lundi 15 février 2010

Jésus soupira au plus profond de lui-même - textes du jour

Lundi 15 Février 2010


Endormi avec Huguenin passim : Imaginer quelqu’un, c’est prier pour lui [1]. Tous ceux qui ne se lèvent que parce qu’ils sont éveillés, qui savent que la journée et leur vie sont… sans surprise, sans fond, sans avoir, ils n’ont d’être que d’être vivants, lovés sur cette soif de changement qui veut tout sauf le changement, ce grave handicapé, totalement dépendant, devenu le centre de toute une famille et cela est sa seule satisfaction, devenant objet de haine et de vœux qu’il meurt, inspirant peur à chacun que se soit éveillé en lui la vindicte de l’avoir placé en maison spécialisée, crainte qui le protège de ce placement et le confirme dans son égoïsme et donc son malheur, des vies s’attachent à la sienne, perdent non seulement leur sens propre, tout entières dédiées à lui, mais toute joie, toute espérance autre que de mourir. Et c'est la mort d'autres qui va survenir avant la sienne. Mais lui-même qu’y peut-il ? sauf sursaut improbable de générosité, puisqu’il n’a pas choisi sa chute dans l’impotence, et l’aurait-il même choisie ? Mais ce qui est ainsi vêcu, non loin de moi d’imagination (et de cœur, de sollicitude pour mon aimée) n’est-il pas la parabole de nos vraies paralysies ? – Il y a quarante-cinq ans, je m’envolais vers la Mauritanie (un pesant DC 6 faisant escale à Bordeaux et terminus à Port-Etienne pour navette en DC 3 vers Nouakchott) : sollicitude intense, tendre de mon père à l’embarquement. Grandeur de l’amour d’un père, sa précision dans le don. Quand vous butez sur toute sorte d’épreuves, pensez que c’est une grande joie. L’épître si pastorale de Jacques : toute la psychologie de notre civilisation encore aujourd’hui tient à ce mélange de conseils adultes et parentaux, à la délivrance du secret de toute issue vers le bonheur et plus encore la liberté. J’ai longtemps cru que le bonheur était l’objectif ultime et l’état d’achèvement (quoique je croyais plus encore que le bonheur est une personne, et cela s’est vérifié, alleluia). Ma femme et cette lecture, maintenant, me font comprendre que c’est la liberté qui est notre accomplissement (et non notre point de départ, nous en avons les éléments nativement mais pas l’usage ni l’expérience), la liberté est le bonheur et la consécration de la liberté, son application, c’est l’amour et les hiérarchies minuscules et immenses qu’il nous fait choisir et auxquelles il nous donne – naturellement – de rester fidèle et finalement d’être protégé de ces divagations qui sont la mort. L’épreuve qui vérifie la qualité de votre foi produit en vous la persévérance, et la persévérance doit vous amener à une conduite parfaite ; ainsi vous serez vraiment parfaits, il ne vous manquera rien. [2] L’évangile semble souvent n’être que la chronique d’un harcèlement. Les épreuves dans une vie humaine sont reçues des circonstances et l’autre n’est pas, généralement, l’un des agents d’un complôt universel. Dans le cas de Jésus, au contraire, l’épreuve est constamment la mise à l’épreuve qu’évoque l’apôtre, qui y assista, désolé. Les pharisiens survinrent et se mirent à discuter avec Jésus : pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient un signe venant du ciel. Jésus soupira au plus profond de lui-même… La lassitude, intense, de Dieu fait homme ne tient pas à la condition humaine qu’il a prise de naissance dans le sein de la Vierge Marie, mais à l’acharnement, au comportement des hommes, ses frères de condition. D’une certaine manière, la passion et la croix le libèrent : le harcèlement a pris fin, il se retrouve face à Dieu, non à Lui-même mais au Père. Son Père. Tu es fidèle quand tu m’éprouves. Que j’aie pour consolation ton amour selon tes promesses à ton serviteur. Le psalmiste, lui aussi et avant Jacques en chronologie, a écrit la matrice de nos psychologies, le récit de nos abattements et de nos résurrections. Notre présence au temps caractérise probablement, parmi d’autres civilisations, religions et morales, notre attitude d’âme : l’espérance nous fait reprendre conscience de notre liberté et entrer dans le temps en nous réconciliant avec le futur, en nous faisant vouloir l’avenir. Un avenir qui soit le nôtre, béni de Dieu. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, donne-nous notre pain quotidien, ne nous laisse pas succomber à la tentation. Le retour en arrière, l’anti-foi consistant à me considérer prisonnier de moi-même. Je prie avec vous et pour vous. Mes aimées et vous. Nous. Silence de toute prière. – Avec le rappel de ces adieux … Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? amen, je vous le déclare : aucun signe ne sera donné à cette génération (elle est pourtant la génération de la mise en croix et de la résurrection). Puis il les quitta, remonta en barque et il partit vers l’autre rive. Les foules suivaient, les pharisiens préfèrèrent provisoirement le congé. L’évangile me donne de suivre ou d’aller déjà à cette autre rive.

[1] - op. cit. ibid. p. 244 – mercredi 18 Mai 1960


[2] - début de la lettre de saint Jacques I 1 à 11 ; psaume CXIX ; évangile selon saint Marc VIII 11 à 13

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