lundi 17 janvier 2022

jubilé sacerdotal de mon ami, Dom Jean-Gabriel Gélineau OSB - moine de sainte-Anne de Kergonan

 

Jubilé de 50 ans de sacerdoce, 24 juillet 2021 .



Samedi 16e semaine, Ex 24,3-8 ; Ps 49 ; Mt 13,24-30.



« Le Royaume de Dieu est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ ».


Un jubilaire admire ce mystère de la vocation au royaume, jaillie du cœur de Dieu par sa Parole, et qui porte du fruit dans le cœur de l’homme. Le Maître de la moisson, pour réaliser son projet d’amour, se choisit des ouvriers, des instruments pour semer, des moyens à la fois nobles, puisqu’il participent à son action divine, et très faibles, puisqu’ils restent des serviteurs inutiles. Ces instruments ce sont les prêtres. Médiateur entre Dieu et les hommes, le prêtre ne se comprend bien que dans le cœur du Père qui l’aime, le choisit, l’appelle de toute éternité pour le faire participer à l’unique et éternel sacerdoce de son Fils. Le prêtre existe pour la gloire de Dieu.


Un jubilaire redouble d’émerveillement quand la miséricorde divine se manifeste  : alors que l’ivraie pousse au milieu du blé, le Maître calme l’impatience des serviteurs qui voudraient l’arracher : il attend la moisson, alors se fera le tri. Dieu prend patience, il donne le temps de se convertir. Dieu regarde dans le “champ” de la vie de chacun avec patience et miséricorde. Il voit beaucoup mieux que nous la saleté et le mal, mais il voit aussi les germes du bien et il attend avec confiance qu’ils mûrissent. Notre Dieu est un père et il nous attend le cœur sur la main pour nous accueillir, pour nous pardonner. L’attitude du propriétaire est celui de l’espérance fondée sur la certitude que le mal n’a ni le premier ni le dernier mot. Et c’est grâce à cette espérance patiente de Dieu que l’ivraie elle-même, c’est-à-dire le cœur méchant, avec tant de péchés, peut, à la fin, devenir du bon grain. « Ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu », dit saint Benoît.



Il y a 50 ans, j’étais ordonné prêtre le samedi 24 juillet 1971 par Mgr Pierre-Auguste Boussard, évêque de Vannes, en l’église des moniales, qui venait d’être consacrée, et le lendemain l’eucharistie était célébrée en cette église, dont le gros œuvre était achevé et qui servait de lieu de culte pour la première fois les dimanches d’été.

À St-Michel de Kergonan, tante Babeth, sœur Philomène, était heureuse de cet évènement. Elle le prévoyait depuis longtemps, car voici ce qui lui écrivait sa maman, grand-mère Philomène :

« Une nouvelle te fera plaisir : Jean-Gaby, tout comme Joseph, un dimanche après vêpres, se mit à faire un autel. Tante Mène (Marie-Philomène, sa sœur), l’aida et je lui donnai permission de prendre les affaires de ses oncles. Tout était bien en ordre dans la grande boîte noire, et il retrouva : soutane, aube, ceinture (le ruban noir), la chape et le voile huméral que tu avais faits et qui t’amuseraient bien si tu les revoyais. Il prit aussi le missel, les canons, l’ostensoir, les chandeliers, etc. Il dit la messe très consciencieusement car il fait tout sérieusement. Dimanche, il a donné la bénédiction, tante Mène et Mathon chantaient. Lorsqu’on lui demande ce qu’il fera quand il sera grand, il dit : « Je ne sais pas ». Mais il est d’une piété rare chez les enfants. Quand j’ai dit à Gaby, son père : « Tu es content ? » il me répondit de son ton tranquille : « Oh ! On y comptait bien ».

La vocation vient de Dieu. « C’est moi qui vous ai choisis pour que vous alliez porter du fruit ». Mais les premiers semeurs sur terre, ne sont-ils pas les parents ? À l’âge de 5 ans, quand un accident m’amputa le pouce droit, la première réaction de ma mère fut de s’écrier : « Pourvu que cela ne l’empêche pas de devenir prêtre ! »

 

Voilà, c’est arrivé : « nul ne peut s’arroger à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu » (Hb 5), confiant que le Seigneur, si c’est sa volonté, prendra les moyens pour réaliser ce dessein…


Depuis 50 ans, je célèbre donc l’eucharistie, l’action de grâce élevée vers le Père. La prière eucharistique IV demande : « Regarde, Seigneur, cette offrande que tu as donnée toi-même à ton Église : accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe, d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul Corps pour qu’ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à ta gloire ».

Chez les moniales de l’abbaye St-Michel, je célèbre souvent avec le calice de mon oncle Jean, prêtre du diocèse d’Angers, avec le vin, fruit de la vigne des côteaux du Layon et du travail de mon père Gabriel. Sur le pied du calice, tonton Jean a fait inscrire les paroles de saint Jean Chrysostome : tamquam leones ignem spirantes, sic ab illa mensa recedamus (cf III q 79 a 6 ut leones flammam spirantes, sic ab illa mensa discedimus) « revenant de la table sainte, soyons des lions crachant le feu » ; qui « pétent le feu », traduisait mon oncle avec son enthousiasme pastoral. Sa devise était : ignis nunquam dicit sufficit (Proverbes) : le feu ne dit jamais : assez ! « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé » (Lc 12,49). L’eucharistie, c’est le feu de l’amour divin descendu sur la terre pour consommer les hommes et les embraser de la vie divine, pour les rassembler dans le brasier des Trois Personnes divines. Le bon curé d’Ars : « La communion fait à l’âme comme un coup de soufflet à un feu qui commence à s’éteindre. Si vous gardez bien Notre-Seigneur après la communion, vous sentiriez longtemps ce feu dévorant ».

« Dans ton pain est caché l’Esprit qui ne se mange pas,

dans ton vin réside le Feu qui ne se boit pas

l’Esprit dans ton pain, le Feu dans ton vin

Merveille sublime que nos lèvres ont reçue ! » (Ephrem, de Fide 10)


Plus que par la flamme du lion, les âmes sont touchées par la tendresse de l’Agneau ou la douceur de la brebis. Avec les personnes que je reçois, j’aime évoquer les divers aspects de la grâce : c’est le cadeau gratuit reçu au baptême avec la foi et la présence des personnes divines ; c’est le don par lequel le pénitent est gracié, pardonné, réconcilié avec lui-même, avec les autres, avec Dieu ; cette grâce rend gracieux, tout beau, car Dieu diffuse sa propre beauté dans celui qui est gratié ; enfin, la grâce remplit de gratitude, de reconnaissance, d’action de grâce.


C’est pourquoi je dis souvent aux personnes de bénir : la bénédiction c’est dire du bien, et se faire du bien. Car si vous pensez du mal, vous vous faites du mal. Bénir, c’est un acte qui vous accorde à Dieu : vous prenez sa façon de regarder. Comme le dit le saint curé d’Ars : l’Esprit Saint fait comme les lunettes qui grossissent, il fait tout voir en grand. Chaussez vos lunettes roses pour voir la vie en rose. C’était le conseil donné par dom Marcel Blazy.


Il est le père abbé qui m’a appelé au sacerdoce, au service de mes frères dans l’Église.

Sa devise était : Omnia opera mea Regi, « toutes mes œuvres sont pour le Roi », et pour Marie, la Reine Immaculée. La Vierge accueillit la Parole de Dieu dans un coeur pur, et elle donna au monde le fruit du salut, Jésus. Aussi, dans son humilité, magnifie-t-elle le Seigneur !


Un texte du Moyen Âge conjugue magnanimité et humilité :

« Un prêtre doit être à la fois grand et petit ;

une source de sanctification, / un pécheur que Dieu a pardonné

un mendiant aux mains largement ouvertes, / un porteur de dons innombrables,…

avec la sagesse de l’âge, / et la confiance de l’enfant,

tendu vers le haut, / les pieds sur la terre,

fait pour la joie, / connaissant la souffrance,

un ami de la paix / un ennemi de l’inertie, / constant à jamais…

si différent de moi ! »



fr Jean-Gabriel

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