jeudi 13 septembre 2018

esquisse pour accompagner une amie qui rédige son mémoire de théologie

 
Résurrection de la chair & Vie éternelle




Ce n’est pas, à l’origine, en chacun de nous, une foi, l’entendement d’un dogme ou d’une assurance, ce n’est pas une récitation. Je crois en la résurrection de la chair (c’est-à-dire en la résurrection des morts, de tout mort, de moi et de qui j’aime, de qui j’ai aimé), ma chair, ce corps que je ne vois et ne ressens que par parties, que par moments, selon des images, une chair qui s’abîme, un corps qui s’affaiblit, qui n’obéit plus, qui me met en danger, je glisse et trébuche alors qu’autrefois c’était mon outil, ma résistance à la fatigue, mon moyen de séduction. La résurrection de ce que je définis mal, qui n’est pas la totalité de moi, cette chair qui mourra, se décomposera, que j’ai vu dure, glaciale, étonnamment froide sous mes lèvres qui l’avait connue reconnaissante de mes baisers quand j’en donnais à ma mère, à mon père, à des amis, à des vivantes et à des vivants, cette résurrection, je n’y crois pas : j’en suis certain, ce m’est naturel, je n’existerai pas, les autres, en chair et en os, n’existeraient pas s’ils n’étaient pas, bien plus certainement que nous mourrons, promis, voués à la résurrection.

C’est en vieillissant, en continuant la vie qui m’est donnée en corps et en esprit, en intelligence, en expression de ce que m’inspirent le fait d’exister et de respirer beauté et pourriture, que la mort m’est apparue comme proche, fraternelle. Question d’âge, question d’expérience, des moments où l’autre – par excellence – rassemblant tout de moi dans le regard que j’ai sur eux, sans aucune pensée que de les regarder, d’être avec eux qui meurent, réaliser qu’ils vivent encore, quelques minutes encore, je ne sais pas, je ne sais plus, le temps, le souffle, la chaleur des mains, le regard soudain car il sort du coma des deux derniers jours, ma belle-mère vénérable dont ma femme et moi, assis à ses pieds, nous nous partageons à égalité ses mains. Je vis, j’ai vécu que la mort est une séparation sans graduation. Il n’y a pas de durée. Elle ne pose aucune question, elle impose le mystère. Rien n’est fini et l’on comprend de l’autre tout ce qu’il a vécu, c’est-à-dire tout ce qu’il a visité, tout ce par quoi il a été traversé, ému. La résurrection de la chair, la vie éternelle pas plus que l’âge qui m’est biologiquement et chronologiquement imposé ne me font pas réfléchir, ni respirer. C’est la réalité, je n’y suis pas extérieur, elle ne me déforme pas. C’est une seule réalité, la durée d’une forme d’existence, l’existence libre et consciente, l’existence vulnérable et émotive. Ce n’est pas affaire que cela continue, autrement, sans que cela se sente ou se voit, se vive par avance. Cela continuera, cela a sa racine, maintenant en moi, en nous. C’est la vie, et la vie ne meurt pas. Nous mourons à ce que nous étions, mais pas à ce que nous sommes. Nous le sentons, je le sens tellement. Je n’ai pas besoin que cela me soit dit, même par Dieu. Il m’a créé ainsi, j’ai été enfanté ainsi, j’ai reçu la grâce insigne d’une fille de mon sang, et ce n’est pas un gage de mort que mon sang mais de perpétuité, pas seulement par lignage et descendance mais dans la personne de notre fille. C’est ainsi.

Ma chair restaurée, sans question des apparences que nous imposent l’âge, les maladies, les souffrances d’âme et de corps, est glorieuse, elle est plus belle, magnifique, totale, apte à tous les touchers que je ne peux, que nous ne pouvons l’imaginer. Elle n’est plus ma dépendance des autres et de tant de paramètres physiques et psychologiques. Elle est ce qu’elle devait être. Je ne peux que l’admirer, que la respecter dans la promesse qu’aujourd’hui, telle qu’elle est, tel que je suis, elle me fait de ce qui est bien plus que l’avenir, de ce qu’est l’éternité, inimaginable et pourtant à notre portée, parce que je ressens en moi l’éternité, l’éternité se manifeste en moi et quand la rencontre avec autrui, humain aimé et regardé, végétaux, animaux, toute beauté, toute offrande – car la réalité est offrande à qui la voit, la rencontre, la cotoie, l’admet – est durablement vécue, parce que j’ai su m’arrêter, interrompre le temps, alors l’éternité est là. Je n’ai plus qu’à y demeurer, à la rejoindre.

Je crois – au sens de penser, de concevoir, pas au sens de la foi qui est adhésion (combien l’Islam a raison dans cette acception à vivre de la foi) – je crois que ce souhait inspiré par la réalité que je ne sais saisir ni définir, mais qui est, est celui de tous les vivants, de tout le vivant. Même si chacun l’exprime différemment, ou en refuse l’expression par désespoir, par impuissance et selon des événements, des limites, des rencontres, des circonstances qui lui sont propres.

La foi que j’ai reçue de naissance, le goût de Dieu, le bonheur et l’appétit de ressentir Sa visite, n’a jamais été, à quelque âge que ce soit de mon existence jusqu’à présent, fonction de ce souhait. Ma foi en Dieu, dans le Fils de l’homme, ce Maître souverain qui échappe à longueur de ce que nous appelons Son ministère public, à tous ceux qui le traquent, collectionnent complots, conciliabules, projets et pierre pour le basculer du haut de l’escarpement où est bâtie la ville de Son enfance, cette foi – dont je sais à chaque seconde qu’elle m’est donnée, qu’elle n’est pas de moi, que je n’y peux rien qu’en remercier Celui qui me la donne et surtout la maintient à moi, de plus en plus vaste, forte, sereine, tranquille – cette foi est originellement indépendante de tout souhait. Je cherche Dieu pour Lui-même, sans aucune perspective de récompense, de rétribution, d’éternité. Peut-être – l’écrivant à présent – c’est cette foi « désintéressée », sans objet que Celui qu’elle cherche et dont elle sent qu’elle pourrait se donner davantage, toujours davantage , encore davantage à Lui, sans considération de rien d’autre, est-elle déjà la visite de l’éternité, son assurance.
Voici que ma foi me fait entrer dans la recherche et à la suite de Qui – seul, intrinsèquement seul – m’apprend et me montre Dieu. Là aussi, je suis dans cette recherche, à chaque âge et lieu de mon existence, sa,s autre appétit que de mieux voir et entendre. Les Evangiles, le Cantique des cantiques, le Canon de la messe, le sacrement de la réconciliation et son absolution m’apprennent. La vie est dans ce que je lis, dans ce que j’entends, dans ce que je prie, dans ce que je constate comme l’affirmation du Christ aux siens, des Apôtres au commencement de l’Église, et de celle-ci à travers siècles, continents et civilisations, vraiment l’obsession. Ce n’est plus une donnée que je constatais en moi, naturelle, c’est une Histoire, l’Histoire et le déroulement fantastique et proposé pourtant à notre intimité, d’une dialectique. Oui, qu’est-ce que la vie ? sinon la vie éternelle ? qu’est-ce que la vie sans la chair, la vie sans l’éternité ? Sans doute les anges, sans doute les « êtres spirituels », sans doute Dieu-même qui est esprit, ne sont-ils pas de chair. Mais la réflexion, la foi-même s’appliqueraient mal à cet inconcevable, à cette réalité-là au point que nous en sommes dispensés puisque Dieu s’est fait homme. Le respect de la chair, l’amour de la chair, l’admiration de l’instrument de communion et de perception qu’est la chair, notre chair, ma chair et ses bonheurs, sa pauvreté, son obsolescence nous viennent autant de l’incarnation du Fils de Dieu fait homme : le Christ Se donnant pour appellation celle de Fils de l’homme, que de l’anticipation de l’éternité dès la résurrection de la chair ou par la résrrection de la chair.

L’enseignement de Jésus, le Christ, aux foules et aux Siens est la révélation du Père et de l’amour de Celui-ci pour la création, pour tout le vivant, et la logique de cet amour, notre proximité envers Lui, Son accueil de notre péché et Sa demande de notre liberté. L’exercice de notre liberté, c’est-à-dire notre véritable identité, ce que nous faisons de nous-mêmes selon ce que Dieu nous a donné, nous donne, nous inspire, nous propose est attendu pour la vie éternelle.

Jésus donne les moyens de l’éternité, c’est-à-dire de notre proximité de Dieu : les sacrements, dès ce moment-ci de notre existence, et Il nous démontre la résurrection des morts, la résurrection de la chair, en commençant par Lui-même. Je ne suis pas au point avec moi-même et avec que je lis ou entends sur la Résurrection du Seigneur, à la suite d’une mort horrible et de trois ans de chasse à l’homme. Ressuscité du seul fait de Sa nature divine ? Ressuscité dans Sa nature humaine par Son Père ? Ressuscité certainement. Les narrations concordent, et elles déplacent le mystère en rendant celui-ci transparent. Jésus, sauf au moment de la Transfiguration aux yeux de trois de Ses disciples, les mêmes qu’Il espérera Ses compagnons au moment – inverse – de Son agonie à Gerhsémani : moments de divinité absolue et pourtant rendue perceptible aux hommes, moments d’humanité extrême et que les hommes ne sauront qu’après coups et selon Lui… Jésus avant Sa mort et jusques dans Sa mort n’est pas reçu, vécu, compris par Ses disciples comme Dieu. Il est assurément perçu comme homme, même et surtout s’Il est extraordinaire d’enseignements et de miracles. Après la Résurrection, Il n’est plus reconnu par les Siens que selon les sens de l’âme, d’abord, pour qu’ensuite les sens de la chair opèrent la vérification, et surtout le rapprochement avec ce que le Fils de l’homme donnait aux Siens à vivre de Lui-même : la fraction du pain, la pêche miraculeuse et aussi le côté, les mains et les pieds transpercés. Secondaire mais naturel et logique, l’existence humaine du Ressuscité est émancipée de toutes les dimensions existentielles de la chair, mais c’est la chair quand même, cependant, et aussi triviale, banale qu’avant : Jésus mange devant les siens. Il a une voix, un corps, Sa voix, Son corps, mais nos yeux ne l’entendent ni ne le voient comme avant. La Résurrection impose aux disciples l’obscurité et la lumière ensemble de la foi. Une chair qui n’a plus aucune limite qui lui résiste.

L’Ancien Testament énonce cette conviction personnelle du croyant et de tout homme qu’il ressuscitera de chair : Job, et que cela le lot commun, l’universalité du vivant malgré la mort, et la d’une évolution biologique, naturellement ou accidentellement : la vallée aux ossements montrée à Ezéchiel.

Le Nouveau Testament décrit le sacrement par excellence que sont la mort et la Résurrection du Seigneur. Nous vivons celles-ci et nous en recevons le sacrement, en mangeant et en buvant… sur ordre. Le refuser est une sécession dans le groupe et dans les foules suivant le Christ. La vie éternelle est communion universelle parce qu’elle est résurrection et aboutissement de la chair, c’est-à-dire de nos corps, de nos sensibilités, de notre histoire, de ce que nous avons fait de nous, de ce qui a été fait de nous pendant la première phase de notre existence, la phase des limites, de la mortalité, du péché. L’éternité est la phase de Dieu, celle de Sa miséricorde.

Avec une souveraineté proche de l’imprécation par son ton, le Christ dit la vie éternelle. Peu nous importe le jugement et les tris entre boucs et brebis. La vie éternelle, parce que c’est la vie, la Vraie vie comme le Christ le précise et répète, est une abolition de tout ce qui était manqué ou insuffisant selon notre forme initiale d’existence : inachevée et empêchée. L’absolution sera générale comme infinie est la Miséricorde divine. Puis Il dit – Lui, le Fils de l’homme – j’ai pitié de cette foule. Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance. Marc conclut son évangile : allez dire à toute la création !

Il me semble alors que ces deux sentences finales dans l’affirmation millénaire de notre foi, en tant qu’énoncé, pourraient être liminaires. Je crois en la résurrection de la chair, la résurrection des morts, et en la vie éternelle, celle des siècles à venir, et alors – créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, (donc…) homme et femme, appelé à la vie éternelle, ma chair, la multitude variée de tous les corps, des vivants, du vivant imprégnés de Dieu, divinisés désormais, accueilli par Dieu – je crois en Dieu, le Père tout puissant… Sans être nativement certain de ma rédemption, de la Rédemption, comment pourrais-je croire qui que ce soit, quoi que ce soit ? Et c’est parce que je suis certain de cet aboutissement absolu et par grâce, la grâce que j’éprouve, que je reçois quotidiennement, gardant, magnifiant, appelant à l’éternité ma poussière… que je puis croire à Son Fils Jésus Christ le Seigneur… à l’Esprit, Saint, Seigneur vivifiant. Foi native, espérance naturelle, sceau divin du Premier-Né parce que premier et seul Ressuscité d’entre les morts. Leurs yeux étaient obscurcis… il ne savait plus ce qu’il disait… heureux ceux qui… car ils verront Dieu… et Le voyant, ils deviendront semblables à Lui. Et expecto resurrectionem mortuorum et vitam venturi saeculi. Croire ? Non ! Attendre.

à relire et « parfaire »

pour Michèle T.

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