lundi 15 octobre 2018

pédophilie - l'Eglise horriblement souffrante



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Le Monde.fr

Pédophilie : « Nous sommes accablés et honteux », disent les évêques allemands

Un grand rapport sur des milliers de cas d’abus sexuels sur mineurs vient d’être rendu public
LE MONDE | 25.09.2018 à 10h38 • Mis à jour le 25.09.2018 à 14h32 | Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
Huit ans : c’est le temps qu’il aura fallu à l’Eglise catholique allemande pour prendre la mesure du scandale. En rendant publique, mardi 25 septembre à Fulda (Hesse), une étude de 350 pages consacrée aux « abus sexuels commis sur des mineurs par des prêtres, des diacres et des religieux catholiques » de 1946 à 2014, la Conférence des évêques allemands veut convaincre l’opinion publique que la page ouverte en 2010 est définitivement tournée. Cette année-là, le pays avait été secoué par des révélations en série sur d’anciennes affaires de pédophilie dans plusieurs établissements catholiques de renom, comme le collège jésuite Canisius, à Berlin, ou le chœur des chanteurs de Ratisbonne (Bavière), dirigé pendant trente ans par Georg Ratzinger, dont le frère, Benoît XVI, était pape quand le scandale a éclaté.
Pour l’essentiel, le contenu de l’étude – commandée par la Conférence des évêques en 2013 et pilotée par une équipe de chercheurs des universités de Heidelberg, Mannheim et Giessen – est déjà connu depuis les fuites parues, le 12 septembre, dans Die Zeit et Der Spiegel. Sur soixante-huit ans, les auteurs ont pu établir que 1 670 membres de l’Eglise catholique allemande ont agressé sexuellement 3 677 mineurs, en majorité des garçons de moins de 13 ans, ce qui signifie qu’au moins 4,4 % de l’ensemble des religieux ont abusé d’enfants. Encore ne s’agit-il là que d’une évaluation plancher, les auteurs reconnaissant que des cas leur ont nécessairement échappé. D’après leurs statistiques, trois victimes sur quatre auraient été agressées dans une église ou dans le cadre d’activités pastorales. Une victime sur six aurait été violée.
L’étude met également en évidence l’impunité dont ont bénéficié les agresseurs. Sur les 1 670 religieux mis en cause, seulement 566, soit un tiers environ, ont été poursuivis canoniquement. Parmi eux, à peine une quarantaine ont été exclus de l’Eglise, la plupart des procédures s’étant conclues par des sanctions peu sévères. La justice pénale, elle, n’a été saisie que dans une centaine de cas.
Quelles suites l’Eglise donnera-t-elle à cette étude ? « Nous sommes accablés et honteux », a déjà affirmé la Conférence épiscopale allemande, dans un communiqué, le 12 septembre. « Cette étude doit ouvrir et elle ouvrira un débat », a quant à lui promis le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et président de la Conférence épiscopale, lundi 24 septembre, allant jusqu’à qualifier sa publication de « tournant dans l’histoire de l’Eglise catholique ».
L’attente en Allemagne, en tout cas, est très grande. « Je suis content que cette étude existe, c’est mieux que rien, mais on est loin du compte et il y a encore beaucoup à faire », explique Matthias Katsch, président de l’association Eckiger Tisch, qui représente les victimes de violences sexuelles commises au sein d’établissements jésuites en Allemagne.

Archives inaccessibles

A ses yeux, le document publié mardi présente en effet trois défauts majeurs : ses auteurs n’ont pas eu accès aux archives, mais ont été « tributaires des informations que les diocèses ont bien voulu leur communiquer » ; l’étude n’entre dans « aucun détail concernant la situation de tel ou tel diocèse ou le rôle de tel ou tel prélat » ; enfin, elle ne concerne « que l’Eglise stricto sensu, en laissant de côté ce qui s’est passé dans les institutions qui lui sont liées », à commencer par les établissements d’enseignement. « Un cas comme le mien, par exemple, ne figure pas dans l’étude », explique M. Katsch, qui fut victime d’abus sexuels quand il était élève au collège Canisius, à Berlin, dans les années 1970.
Autant que des excuses et que la mise en place de dispositifs de prévention et d’alerte prouvant que l’Eglise est déterminée à empêcher que de tels actes se reproduisent, les associations de victimes attendent surtout qu’elle fasse preuve de beaucoup plus de transparence. « Pour que l’Eglise retrouve sa crédibilité, il faudrait qu’elle accepte de se soumettre à une commission d’enquête d’Etat totalement indépendante », estime M. Katsch.
Une commission d’enquête ? Johannes-Wilhelm Rörig, délégué fédéral chargé des questions d’abus sur mineurs, un poste créé par le gouvernement allemand à la suite des révélations qui ont secoué le pays en 2010, ne va pas jusque-là. Interrogé, lundi 24 septembre, par la Süddeutsche Zeitung, cet ancien magistrat attend néanmoins que l’Etat fédéral et les Länder jouent un rôle beaucoup plus actif que par le passé, et notamment qu’ils s’entendent avec l’épiscopat afin que « soient mises en place des règles claires permettant d’avoir accès aux archives » d’une Eglise qui, jusque-là, a toujours considéré que c’était à elle de contrôler l’accès aux informations qui pouvaient la compromettre.
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Vos réactions (6)
JOCHEN LANG il y a 3 semaines
Ah, toujours la lorgnette française, evêques, Eglise, cela doit être catholique et pourtant, en Allemagne aussi l'église protestante a des evêques, est une église et a tant de croyants que l'église catholique. On a déjà une fois noté cela lors du dernier article de M. Wieder sur le sujet, mais il comprend toujours pas (et pourtant, il a fait un article l'année passée sur les 500 ans de la réformation...). Tant que je sache, l'église protestante (EKD) n'est pas concernée !
 
FD il y a 3 semaines
Les Allemands payent des impôts pour ça...
 
JEAN-PIERRE WELEMANE il y a 3 semaines
Eternelle naïveté des églises.
 
Les détails il y a 3 semaines
Des églises ? Tant que je sache c'est seulement l'église catholique qui est concernée, pas les autres églises allemandes.
 
Marie chat il y a 3 semaines
Toujours le double langage de l’Eglise! Oui aux commissions d’enquête, mais non à l’accès total aux archives. C’est la mère demandant à sa fille d’aller cueillir un chou dans le jardin et lui interdisant de marcher dans la dite plate-bande. En résumé,de l’eau bénite de cour! Continuons la lutte! Pape de parole,...paroles?A quand des actes conformes au message évangélique?f Ce que vous ferez au plus petit c’est à moi que vous le ferez ». Oui, quand le « vous » ne concerne pas les gens d’Eglise.
 
Pierre HUBU il y a 3 semaines
Tartufes !!!
 
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Le diocèse de Brooklyn (New York) devra verser la somme record de 23 millions de dollars (19 millions d’euros) à quatre jeunes gens agressés sexuellement par un responsable catholique de 2003 à 2009, alors qu’ils étaient âgés de 8 à 12 ans. Cet arrangement financier, rendu public mardi 18 septembre, est le dernier d’une longue série qui, depuis la fin des années 1990, a coûté près de 3 milliards de dollars à l’Eglise catholique aux Etats-Unis. Plusieurs diocèses ont dû se déclarer en faillite à la suite de ces accords, qui évitent les procès publics.
Régulièrement secouée par des affaires d’agressions sexuelles commises par le clergé et couvertes par la hiérarchie depuis les révélations du Boston Globe dans la région de Boston (Massachusetts) en 2002, l’institution a assuré à plusieurs reprises avoir changé ses pratiques dans la gestion des prêtres coupables de pédophilie. Une charte pour la protection des enfants et des jeunes adoptée en 2002 par la conférence des évêques prévoit notamment la dénonciation obligatoire des faits aux autorités civiles, la suspension du présumé coupable de ses fonctions, l’accueil et l’écoute des victimes…
Pourtant, confrontés à de nouvelles critiques après le rapport accablant issu des investigations du procureur général de Pennsylvanie en août et les accusations portées contre l’ancien archevêque de Washington, Theodore McCarrick, les évêques américains ont annoncé le 19 septembre de nouvelles procédures de protection et de sanction. Soupçonnés de s’autoprotéger, ils s’engagent désormais à associer une « tierce partie » au processus de réception des plaintes contre les prélats. Ainsi, une ancienne juge fédérale vient d’être nommée par l’archevêque de New York conseillère spéciale sur ces affaires. Un code de bonne conduite, apparemment inexistant jusqu’à présent, sera rédigé pour aider les évêques à mieux gérer les cas de pédophilie ou d’abus sexuels sur majeurs.
Soucieux de démontrer l’ampleur des progrès réalisés, selon eux, dans le traitement de ces affaires depuis une quinzaine d’années, les responsables de l’Eglise catholique mettent régulièrement en avant le travail réalisé à leur demande par les chercheurs du John Jay College of Criminal Justice. En 2004, ce rapport universitaire, qui faisait le point sur les milliers d’accusations relevées entre 1950 et 2002, avait montré que la majeure partie des faits allégués s’étaient produits dans les années 1970 et 1980. Le Center for Applied Research in the Apostolate, un centre de recherche catholique, a de son côté comptabilisé 302 plaintes entre 2004 et 2017.
A la suite du rapport publié en Pennsylvanie, sept Etats américains ont lancé des enquêtes similaires dans plusieurs dizaines de diocèses. La plupart se sont engagés à collaborer.




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Pédophilie dans l’Eglise : en Irlande, la lenteur des investigations a exacerbé la colère des victimes

La hiérarchie ecclésiastique met des obstacles aux enquêtes, et profite depuis 2002 d’un accord qui limite le montant des indemnisations.
LE MONDE | 25.09.2018 à 10h49 • Mis à jour le 25.09.2018 à 15h44 | Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
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Force dominante dans la construction de la République irlandaise après l’indépendance de 1921, l’Eglise a géré pendant des lustres les principales institutions scolaires, sanitaires et sociales du pays. Dès lors, la révélation, à partir des années 1990, des violences notamment sexuelles commises à grande échelle par des membres du clergé a pris la dimension d’un scandale d’Etat. A l’impunité dont ont bénéficié les auteurs, à la protection que leur a procurée l’Eglise, s’est longtemps ajoutée la complaisance des autorités civiles.
Près d’une décennie a séparé les premiers témoignages télévisés de la publication, en 2009, de deux énormes rapports commandités par le gouvernement dressant une interminable et terrible liste des abus commis depuis les années 1930 par des prêtres couverts par la hiérarchie catholique, tant dans des orphelinats et des écoles techniques réservées aux « cas sociaux » que dans les paroisses.
Cinq rapports successifs, dont le dernier en 2011, ont conclu que des milliers d’enfants avaient été violés ou maltraités physiquement « de façon endémique » dans des écoles ou d’autres institutions contrôlées par l’Eglise. « Les mauvais traitements n’étaient pas des anomalies du système. C’était le système lui-même », a résumé l’Irish Times. Les révélations se sont ensuite étendues aux « filles mères » maltraitées par des religieuses et dont les enfants étaient réduits à la famine ou donnés d’autorité en adoption.

« Le viol et la torture ont été minimisés »

Au-delà des « excuses » répétées aux victimes, le gouvernement irlandais a promis de poursuivre les auteurs et a entrepris une réforme des services d’aide à l’enfance. Au total, la police a été saisie de 8 967 plaintes, et de nouvelles plaintes lui parviennent sans cesse. Mais la lenteur des enquêtes, la difficulté de réunir des preuves et les obstacles posés par la hiérarchie catholique ont exacerbé la colère des victimes. Celles-ci s’insurgent en particulier contre un accord survenu en 2002 entre l’Etat et l’Eglise qui a plafonné à 128 millions d’euros les indemnités, laissant au contribuable la facture totale des réparations, estimée à 1,5 milliard d’euros. La législation irlandaise fait obstacle à la publication des noms des auteurs des agressions, mais le site américain BishopAccountability.org estime que, sur 1 300 prêtres irlandais impliqués, seuls 93 ont été mis en examen ou formellement identifiés, et que certains, simplement mutés, restent en activité.
« Le viol et la torture des enfants ont été minimisés ou gérés de façon à défendre l’institution, son pouvoir, son statut et sa réputation », a déclaré en 2011 devant le Parlement le premier ministre Enda Kenny. Les Irlandais, tout en continuant à se déclarer massivement catholiques (78 %) ont déserté les lieux de culte, surtout dans les villes, et ils ont pris des libertés par rapport à certains des messages de l’Eglise. En 2015, ils ont voté à 62 % en faveur du mariage entre personnes du même sexe et, en mai, 66 % ont dit oui au droit à l’avortement. Depuis 2017, le pays a choisi un premier ministre homosexuel dont le père est indien, Leo Varadkar.




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Pédophilie dans l’Eglise : pourquoi la France ne réagit pas

La prise de conscience progresse parmi les prélats français, mais à la différence de plusieurs pays, aucune opération vérité à grande échelle n’existe.
LE MONDE | 25.09.2018 à 06h36 • Mis à jour le 25.09.2018 à 17h27 | Par Cécile Chambraud
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Un coin du voile commence à se lever. En Allemagne, les évêques devaient rendre public, mardi 25 septembre, un rapport établissant que 1 670 clercs de l’Eglise catholique ont agressé sexuellement au moins 3 677 mineurs entre 1946 et 2014. Aux Etats-Unis, le 14 août, le procureur de Pennsylvanie détaillait les violences commises sur plus de 1 000 enfants et adolescents par au moins 300 prêtres dans six des huit diocèses de cet Etat pendant cinq ou six décennies. En Australie, une commission d’enquête a répertorié 4 444 cas d’abus entre 1980 et 2015 et identifié 1 900 religieux incriminés. En 2009, en Irlande, le rapport Murphy dépeignait trente ans d’exactions et d’omerta dans le diocèse de Dublin, où les plaintes des familles n’ont pas été prises au sérieux par les évêques successifs, alors même qu’au moins 46 prêtres avaient abusé plus de 400 enfants.
Ces quelques études localisées mais systématiques sur les violences sexuelles dans l’Eglise catholique ont été conduites dans le sillage des grands scandales apparus depuis les années 1990 et 2000. Elles montrent comment, dans des contextes variés, nichés dans les replis de l’institution ecclésiale, des prêtres ont pu, impunément, pendant des décennies, commettre des violences sexuelles sur des enfants et des adolescents. La proportion de prêtres mis en cause que ces études ont pu recenser varie entre 7 % pour la commission royale australienne et 4,4 % dans l’enquête allemande.
Ces investigations établissent aussi que des évêques ou des supérieurs religieux ont, selon des schémas analogues, ignoré ou minoré des cas, fait écran entre les agresseurs et la justice civile, maintenu des prédateurs au contact d’enfants et, comme conséquence de tout cela, permis que d’autres enfants soient violentés. Il est aujourd’hui démontré que le diocèse de Boston, dont le film Spotlight (2016) a raconté l’histoire, n’était pas une exception.

Prêtres accablés, fidèles perdus

L’Eglise catholique hésite encore à regarder en face ces faits de nature à interroger son fonctionnement même. Pourtant, depuis cet été et les révélations sur les diocèses de Pennsylvanie et sur les mœurs de l’ancien archevêque de Washington Theodore McCarrick, aux Etats-Unis et ailleurs, des groupes de laïcs, des ecclésiastiques, qui jusqu’à présent voyaient, tétanisés, surgir les scandales les uns après les autres, commencent à réclamer que toute la clarté soit faite.
En France, la presse catholique s’est faite plus pressante. « Abus sexuels, état d’urgence dans l’Eglise », titrait le quotidien La Croix le 13 septembre, avant de publier, le 19, un dossier complet sur la lutte contre le cléricalisme, source des abus, selon le pape François.
La chaîne de télévision catholique KTO a organisé, vendredi 21 septembre, une nouvelle émission « sans langue de bois » sur la pédophilie. « Il y a une forme de colère qui monte. Les évêques ont été un peu légers. On attend qu’ils prennent une initiative. Face à l’ampleur des révélations, il faut que tout sorte », résume le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Famille chrétienne, Antoine-Marie Izoard. Une semaine plus tôt, il avait fait sensation en lançant, sur KTO : « Il nous faut maintenant faire le ménage. Je dis aux évêques : prenez vos responsabilités. Celui qui a couvert un jour un cas, c’est fini, il démissionne. »
En France, des cas d’abus continuent de faire régulièrement surface, parfois très anciens, parfois récents. Ce goutte-à-goutte a un effet délétère. Il donne à penser que l’Eglise n’a rien entrepris contre les fautifs et que les mécanismes de prévention ou d’alerte qu’elle dit avoir mis en place ne sont pas efficaces. L’institution ecclésiale, elle, a le sentiment d’être injustement la seule cible des critiques. De nombreux prêtres sont accablés, les fidèles perdus. Ne serait-il pas temps, pour l’institution catholique en France, de s’engager elle aussi dans une opération vérité sur ce qui s’est passé au cours des dernières décennies ?

La prise de conscience progresse

C’est l’avis d’Eric de Moulins-Beaufort, récemment nommé archevêque de Reims par le pape François. « J’aspire à ce qu’un jour nous puissions faire un vrai rapport complet, en se faisant aider pour cela par des personnes extérieures, pour avoir une vision plus scientifique. Il faudrait faire une sorte d’étude épidémiologique. Pour ce qui est de la hiérarchie, cela permettrait de voir ce qui a été fait ou n’a pas été fait. Dans plusieurs cas, on s’est apparemment inquiété, mais sans aller au bout de l’enquête », explique le président de la commission doctrinale de la Conférence des évêques de France (CEF).
Jusqu’à sa toute récente nomination, Mgr de Moulins-Beaufort était évêque auxiliaire de Paris. Dans le diocèse de la capitale, après le contrecoup de l’affaire du prêtre Bernard Preynat – mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur des scouts entre 1970 et 1990 –, il a eu à s’impliquer dans ces questions, étant notamment chargé de traiter les signalements qui parvenaient et les faits très anciens. Il a constaté que les archives étaient « très parcellaires », notamment pour tous les faits antérieurs à 2000 et relatifs à des prêtres aujourd’hui morts. « Souvent, explique-t-il, c’est la parole des victimes qui permet de repérer quelque chose. Parfois, saisis par une victime, on regarde dans les archives et on ne trouve rien. Soit on n’a rien su, soit on n’a pas gardé de trace. »
L’Eglise est-elle prête à un tel examen ? La prise de conscience de l’importance du fléau progresse dans ses rangs. Pour la première fois, lors de leur réunion bisannuelle, début novembre, les évêques entendront des victimes d’abus. Mais l’expérience dans les autres pays montre qu’il faut généralement l’intervention de l’Etat, lui-même sous la pression de l’opinion publique, pour obtenir un état des lieux aussi complet que possible.
En Irlande et en Australie, les différentes commissions à qui l’on doit ce travail ont été formées à la demande et sous le contrôle du gouvernement. Aux Etats-Unis, c’est un procureur qui a conduit l’enquête en Pennsylvanie, comme c’est la justice qui était intervenue après les révélations du Boston Globe au début des années 2000.

« Mobilisation citoyenne »

Dans certains pays, c’est la détermination des victimes qui a poussé l’Etat à agir. Faute d’avoir été entendues à l’intérieur de l’Eglise, elles ont mobilisé l’opinion en témoignant à visage découvert dans les médias – non sans le payer cher sur le plan personnel –, mettant la justice en mouvement. C’est ainsi que les victimes du prêtre Fernando Karadima ont procédé au Chili.
C’est aussi cette voie qu’ont empruntée les fondateurs de l’association La Parole libérée, en France, en décembre 2015, lorsqu’ils ont eu le sentiment de ne pas obtenir de réponses satisfaisantes du diocèse de Lyon. « J’étais convaincu que rien ne bougerait sans une mobilisation citoyenne, témoigne aujourd’hui son président, François Devaux. A chaque fois qu’il y a eu des scandales, c’est l’intervention d’une autorité publique qui a été décisive. Nous avons demandé des réponses à l’Eglise, mais en vain. Un enquêteur désigné par l’Etat, c’est le seul moyen de faire en sorte qu’ils répondent. » Dans cette optique, il a sollicité cette année des parlementaires afin qu’ils s’emparent de la question, par exemple en formant une commission d’enquête. Sans résultat concret pour l’instant.
Aujourd’hui, les animateurs de La Parole libérée envisagent d’étendre leur action au-delà de son objectif initial, lié à l’affaire Preynat. « On se rend compte que les violences sexuelles sur les enfants sont un problème majeur de notre société, avec d’énormes conséquences en termes de santé publique. Or, sur ce sujet, il n’y a aucune donnée fiable, aucune étude d’ensemble sérieuse, fait valoir François Devaux. Toutes les institutions – police, justice, santé – sont perdues. Dans ces conditions, comment mettre en place des politiques publiques ? Cet état des lieux, il doit être fait non seulement dans l’Eglise, mais aussi dans l’ensemble de la société. Et cela, seul l’Etat a les moyens de le faire. Ensuite, quand on saura vraiment de quoi on parle, on pourra agir. Aujourd’hui, tout le monde est dans le déni. »


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