Joseph
KESSEL mérite le Pléiade, bien sûr pour ses
romans, mais davantage
(de même que le plus durable de MAURIAC est et sera ses Bloc-Notes) pour ses chroniques et
articles de
journaux : les guerres civiles espagnole et irlandaise, les
grands procès
qu’il a couverts, PETAIN [1],
Nuremberg [2],
EICHMANN [3].
Le don de l’ambiance
et de la psychologie, mais pas en déductions ou de
l’intérieur, simplement en
donnant à tout lecteur les éléments que lui-même relève, les
aspects physiques,
les attitudes. Naturellement, pour le procès du Maréchal,
bâclé (les papiers
personnels du chef de l’Etat déposés par lui-même dans une
grande malle :
la copie de tout ce qu’il signait), bien des assertions sont
contestables faute
qu’elles soient sur le moment informée : il faudra que je
compare avec les
compte-rendus du Figaro. Et ceux
aussi de JF pour le Monde où il
débutait…
Celles
dont nous honorons la mémoire : les deux Pélagies, que
l’orthodoxie
célèbre le même jour que nous et qu’a commentées Jean
Chrysostome… et cette
Réparate, arrivée comme les saintes Marie, sur notre côtes
de Provence et de
Nice. Prier… apprendre et étudier le mode de raisonnement de
Paul, il me vient
que c’est capital pour surmonter certains de ses paradoxes.
Une dialectique
différente de celle du Christ, elle semble résumée par la
fameuse
apostrophe : felix
culpa, heureuse faute
qui nous valut une telle
rédemption. La Loi, l’Ancien Testament, nous forme au
Nouveau et à la foi. La
Loi, comme un guide, nous a menés jusqu’au Christ pour que
nous obtenions de la
foi la justification. [4]
Résultat spirituel, et
résultat
social : chacun également spectaculaire. Tous, dans le
Christ Jésus,
vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le
baptême a unis au
Christ, vous avez revêtu le Christ : il n’y a plus ni juif ni
grec, il
n »y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme
et la femme,
car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ. Le Corps mystique. C’est fondateur. Et construction
du retour aux
sources, clé de toute vie et de toute imagination : et
si vous
appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham :
vous êtes
héritiers selon la promesse. Confirmation
par le Christ Lui-même : heureux plutôt ceux qui
écoutent la parole de
Dieu, et qui la gardent.
La Vierge Marie,
Mère de Dieu, sans doute mais par la grâce de Celui-ci :
elle est surtout
la première chrétienne, la parfaite chrétienne, celle qui
consent, celle qui
écoute, celle qui voit. Magnificat !
16
heures 19+ J’ai voulu copier et joindre à mon envoi
quotidien, des extraits,
que j’ai trouvé particulièrement topiques, illustratifs de
ces procès –
énormes, immense, - qu’a couverts KESSEL. Il y a eu le
procès de Jeanne d’ARC,
celui de Louis XVI. Et il y a celui du Christ. Je revendique
deux choses :
la première est que dans ces immenses procès, y compris
sinon surtout celui du
Christ, Notre Seigneur, la responsabilité est collective.
Pour HITLER et ses
crimes, c’est la responsabilité de toute la génération au
pouvoir entre les
deux guerres, politiquement, c’est celle de l’Angleterre
redoutant après
Versailles la suprématie française et freinant, empêchant,
mais l’ensemble de
cette génération a eu peur d’avoir à recommencer, elle a
poussé à la lâcheté
nos dirigeants à Munich, qui eux voyaient clair, au moins
DALADIER et sans
doute MUSSOLINI à défaut de Neville CHAMBERLAIN ?
complètement à côté.
DALADIER voyant la foule à terre quand il va atterrir au
Bourget et l’acclamer
: quels cons ! et Neville CHAMBERLAIN :
it’s
peace for our generation ! … Après
moi, le déluge, aurait
dit Louis XV. Et
de cette génération, nous sommes immédiatement les
descendants. Et ne
commettons-nous pas la même erreur : les génocides
africains, la Syrie,
voire les deux dictatures étreignant au chantage
nationaliste les deux pays géants ?
Je le crois. Responsables… nous tous. Que son sang retombe
sur nous et sur nos
enfants ! Le contre-sens pendant vingt siècles : nous, pas
seulement
ni principalement les Juifs, encadrés et zélés, hurlant
devant Pilate, à qui
précisément ils jouissent de tenir tête, puisque l’autre
veut libérer Jésus.
Mais deuxième chose : c’est la chute de mon livre à laquelle
je pense
depuis quelques jours et qui aura donc une page documentaire
avant ma propre
rédaction. Ces politiques qui font de la mauvaise politique
et ne répondent
jamais de leurs actes, au pire ils sont battus au scrutin
suivant, vg. NS, sont
criminels et peut-être davantage. Ils ont les meilleurs
outils, notre Etat,
notre bonne volonté, nos espérance. Ils ont un magnifique
pays à gérer, des
idéaux à l’origine desquels bien souvent c’est l’honneur de
la France de se
trouver, et ils dilapident, gaspillent. Je veux le banc des
accusés, je veux le
réquisitoire. Ou le quitus, pas le jugement de l’Histoire ou
du commentateur.
Un jugement, une condamnation, et notamment au silence pour
les condamnés, une
fois épuisées les audiences de leurs plaidoyers. A longueur
de mandat :
des plaidoyers, et dans chaque circonstance le mouvement du
menton : je
prends mes responsabilités. Pas de responsabilité, s’il
n’existe pas de
sanction. En fait, la revanche rendue possible de l’esprit,
la maturité
respectée et retrouvée des peuples, le crible enfin du bien
et du mal.
Ce
que je dois à ma mère… cette rose détachée de la roseraie de
sa tombe, voilà qu’elle
ouvre encore deux bourgeons quinze jours après ma
cueillette… toutes mes
lectures jusqu’à mes 18-20 ans, ainsi KESSEL, je ne m’en
souvenais plus : les
mains du miracle.
Soudain, le silence…
Par la petite porte, entre des
gens assis, tassés les
uns contre les autres et que des gardes écartent, paraît
l’accusé. Il est en
uniforme. Pour toute décoration, ma médaille militaire.
Il se tient droit, il ne regarde
rien, ni personne. Il
va au vieux fauteuil, pose son képi lauré sur la vieille
petite table,
s’assied.
Le silence dure.
On sent dans l’assistance une
vibration, un
frémissement tendus, intenses. Quelle est la qualité de
cette émotion ?
Pitié ? Indignation ? Sympathie ? Haine ? Rien de tout
cela, il me semble. Mais une gêne, un malaise, une sorte
de douleur abstraite
qui ne s’adressent pas à l’homme qui vient de s’asseoir.
Et qui le dépassent,
et qui touchent à la gloire, au destin, à la patrie, aux
grands symboles dont
ce vieil homme assis dans ce vieux fauteuil porte le
poids.
Luièmême, en vérité, il ne suscite
aucun sentiment
vivant ; Parce qu’il semble n’en éprouver aucun.
Le silence dure, dont il est le
centre, le foyer. Ce
silence devrait lui être intolértable. On dirait qu’il ne
s’en aperçoit pas.
Ses mains jouent avec un rouleau de papier ; Mais ses
mains sont comme
indépendantes de lui. Elles ont leur vie propre. Elles
n’arrêteront pas le
mouvement durant toute la séance. Mais le maréchal Pétain
ne le sait pas, comme
il ne sait pas que ses paupières fatiguées clignent sans
cesse. Lui, il est
immobile, impassible, impénétrable.
. . .
La première séance du procès
Pétain ? … Une voix
qui appartient aux disques de radio plus qu’à un homme… Un
képi lauré sur une
vieille petite table… Un vieillard sur un vieux fauteuil…
Joseph KESSEL, Jugements
derniers
(coll. Texto . Janvier 2014 . dépôt légal Avril 2007 .
238 pages), pp. 28
& 30
En réalité, il semble que de plus
en plus le Maréchal
éprouve le désir de parler. On dirait qu’à mesure que le
procès avance, l’attitude
qu’il a prise lui devient un fardeau. Ses mouvements, son
visage tendu et par
instants irrité, anxieux, cette main qui, dans les
premières audiences, vivait
d’une vie machinale et qui maintenant se dresse pour
crier, pour protester,
tout l’indique. Mais jusqu’à présent, la volonté du
silence a été la plus
forte.
Ibid. pp.
49
et Pierre Laval
Il a été éloquent.
Il a été drôle.
Il a tempêté.
Il a pleuré.
Car, seul de tous les hommes et de
toutes les femmes
entendus jusqu’ici, même de ceux et de celles qui ont
perdu par sa faute des
amis ou des enfants, seul Laval parlant des siens a essuyé
une larme.
L’étrange créature.
A un mètre de lui, je le
contemplais évidemment. Sa
laideur est presque fascinante. Cette laideur qui, avec
ses énormes oreilles,
sa grosse lèvre fléchissante, ses yeux reptiliens, ses
bras qui ne décollent
jamais du corps et ses mains anormales, ses mains trop
faibles et trop petites,
fait songer à quelque animal sans noblesse.
L’étrange créature.
Ibid. p.
79
Ainsi, dans toute la salle
obscure, vivaient seulement
deux nappes lumineuses. On voyait sur l’une toute
l’horreur décharnée des camps
de concentration. Sur l’autre se profilaient les figures,
mises à nu, des
hommes qui en étaient comptables ;
Prodigieuse, spectrale confrontation. Et les spectres les plus effrayants se trouvaient sur les bancs des accusés.
Prodigieuse, spectrale confrontation. Et les spectres les plus effrayants se trouvaient sur les bancs des accusés.
Soudain, entre ces deux foyers de
clarté il y eut une
sorte d’équilibre. Le documentaire tirait à sa fin. Des
bulldozers nettoyaient
les champs de cadavres, les monceaux d’ossements,
poussaient les débris vers
d’immenses fosses communes. Les squelettes roulaient les
uns sur les autres,
les crânes dansaient, sautaient, les catacombes se
mettaient en marche.
Alors Goering, vice-roi du III°
Reich, serra ses mâchoires
livides à les rompre. Le commandant en chef Keitel, dont
les armées avaient
ramassé tant d’hommes, promis aux charniers, se couvrit
les yeux d’une main
tremblante.. Un rictus de peur abjecte déforma les traits
de Streicher,
bourreau des juifs.
Ribbentrop humecta de la langue
ses lèvres desséchées.
Une sombre rougeur couvrit les joues de von Papen, membre
du Herren Klub
et serviteur d’Hitler.
Frank, qui a décimé la Pologne, s’effondra en sanglots.
Et nous tous qui, la gorge nouée,
assistions dans l’ombre
à ce spectacle, nous sentîmes que nous étions les témoins
d’un instant unique
dans la durée des hommes.
Ibid. p.
127
Il fallait, en vérité, reconnaître
à Eichmann une
résistance peu commune.
Voilà plus d’une année qu’il était
détenu en Israël,
après sa capture en Argentine – qui fut, à elle seule, une
épreuve terrible.
Voilà plus de deux mois que durait
son procès, et qu’il
vivait entre les murs d’un même bâtiment, soit cloîtré
dans une cellule, soit
enfermé dans une cage de verre étroite, où deux policiers
se serraient contre
lui.
Voilà enfin une semaine qu’il
parlait en qualité de
témoin. Les séances pendant lesquelles il devait répondre
sans répit aux
questions de son avocat, le Dr ; Servatius et à celles –
plus imprévues
pour lui et moins faciles – des juges, duraient cinq
heures avec une seule et
brève suspension.
Les crimes qu’on lui reprochait
remontaient à quinze
ans, à vingt ans, et parfois davantage. Le dossier de
l’accusation comprenait
1 600 pièces. Pour se défendre, il avait rédigé, ou dicté
à un
magnétophone, la teneur de plusieurs volumes.
Hé bien, malgré l’enlèvement, la
prison, les
interrogatoires et la longueur des débats, malgré une
attention, une tension de
chaque instant, malgré l’effort intellectuel et vocal
qu’il avait fourni au
cours de toutes ces dernières journées, ce captif émacié,
livide, continuait de
déposer sans une faute, sans une hésitation, le doigt ou
le bout de son crayon
toujours posé sur l’alinéa voulu. Il lui arrivait même de
corriger les erreurs
de chiffres, de dates commises par son avocat. Sa voix
bien frappée n’avait pas
une faiblesse, pas une fêlure. Il n’avait jamais demandé
un verre d’eau.
A quoi tenaient cette force
surprenante, et cette
énergie ? L’instinct de conservation jouait sans doute au
premier chef.
L’homme, quand il défend son existence, trouve en lui des
ressources presque
sans mesure. Et d’après son attitude, Eichmann semblait
bien conserver, malgré
tout, un obscur, un tenace, un misérable espoir.
Cela ne suffisait point. Il y
avait plus qu’un réflexe
élémentaire dans la lutte qu’Eichmann livrait sans cesse,
et surtout dans la
façon dont il la menait ; La virtuosité dans le maniement
des dossiers,
l’aisance dans l’exposition, la réplique toujours au
point, l’échappatoire
toujours prête, les chicaneries sur un numéro, sur une
signature ou une note
marginal, tous ces traits révélaient une habitude, une
déformation
professionnelle à quoi Eichmann retournait
automatiquement, complaisamment. Il
avait été privé pendant quinze ans d’une activité où il
excellait, qui ne lui
avait valu que des éloges : celle de fonctionnaire modèle,
de chef de
service réputé pour ses analyses, ses statistiques, ses
interprétations, son
art de rédiger.
Qu’importait que tous ces dons
eussent été appliqués au
tourment, à la suppression d’un peuple, et qu’ils fussent
déployés aujourd’hui
sur la terre même de ce peuple et devant les juges issus
de lui. Le seul fait
d’avoir à les exrecer soutenait Eichmann, mieux et plus
qu’un tonique puissant.
Ibid. pp. 186.186
[4]
- Paul aux Galates III 22 à 29 ; psaume CV ;
évangile selon
saint Luc XI 27.28
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