Seconde constitution dogmatique sur l'infaillibilité pontificale et la primauté du pape
Pontificat de Pie IX
Concile Vatican I - 4e session (18 juillet
1870)
L'éternel pasteur et
gardien de nos âmes [1 P 2, 26], pour perpétuer l’œuvre salutaire de la
Rédemption, a décidé d'édifier la sainte Église dans laquelle, comme en la
maison du Dieu vivant, tous les fidèles seraient rassemblés par le lien d'une
seule foi et d'une seule charité. C'est pourquoi, avant d'être glorifié,
" il pria son Père ", non seulement pour les Apôtres,
" mais aussi pour ceux qui croiraient en lui, à cause de leur parole,
pour que tous soient un, comme le Fils et le Père sont un " [Jn 17, 20
sv.]. De même qu'il " envoya " les Apôtres qu'il s'était
choisis dans le monde, " comme lui-même avait été envoyé par le
Père " [Jn 20, 21], de même il voulut qu'il y eût en son Église des
pasteurs et des docteurs " jusqu'à la fin du monde " [Mt
28, 20].
Pour que l'épiscopat fût un et non-divisé, pour que, grâce à
l'union étroite et réciproque des pontifes, la multitude entière des croyants
fût gardée dans l'unité de la foi et de la communion, plaçant le bienheureux
Pierre au-dessus des autres Apôtres, il établit en sa personne le principe durable
et le fondement visible de cette double unité. Sur sa solidité se bâtirait le
temple éternel et sur la fermeté de cette foi s'élèverait l'Église dont la
grandeur doit toucher le ciel [1]. Parce que les portes
de l'enfer se dressent de toutes parts avec une haine de jour en jour
croissante contre ce fondement établi par Dieu, pour renverser, s'il se
pouvait, l'Église, Nous jugeons nécessaire pour la protection, la sauvegarde et
l'accroissement du troupeau catholique, avec l'approbation du saint concile, de
proposer à tous les fidèles la doctrine qu'ils doivent croire et tenir sur
l'institution, la perpétuité et la nature de la primauté du Siège apostolique,
sur lequel repose la force et la solidité de l'Église, conformément à la foi
antique et constante de l'Église universelle, et aussi de proscrire et de
condamner les erreurs contraires, si pernicieuses pour le troupeau du Seigneur.
Nous enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de
l'Évangile, que la primauté de juridiction sur toute l'Église de Dieu a été
promise et donnée immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par
le Christ notre Seigneur. C'est, en effet, au seul Simon, auquel il avait déjà
été dit : " Tu t'appelleras Céphas " [Jn 1,42], après
que celui-ci l'avait confessé en ces termes : " Tu es le Christ,
le Fils du Dieu vivant ", que le Seigneur adressa ces paroles
solennelles : " Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, car ce
n'est ni la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans
les cieux ; et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je
bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Et
tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu
délieras sur la terre sera délié dans le ciel " [Mt 16, 16 sv.]. Et
c'est au seul Simon Pierre que Jésus, après sa résurrection, conféra la
juridiction de souverain pasteur et de chef suprême sur tout son troupeau en
disant : " Pais mes agneaux, pais mes brebis " [Jn
21,15 sv.].
Cette doctrine si claire des saintes Écritures se voit opposer
ouvertement l'opinion fausse de ceux qui, pervertissant la forme de
gouvernement instituée par le Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se
voit vu doté par le Christ d'une primauté de juridiction véritable et
proprement dite, de préférence aux autres Apôtres, pris soit isolément soit
tous ensemble, ou de ceux qui affirment que cette primauté n'a pas été conférée
directement et immédiatement au bienheureux Pierre, mais à l'Église et, par
celle-ci, à Pierre comme à son ministre.
Si quelqu'un donc dit que le bienheureux Apôtre Pierre n'a pas été
établi par le Christ notre Seigneur chef de tous les Apôtres et tête visible de
toute l'Église militante ; ou que ce même Apôtre n'a reçu directement et
immédiatement du Christ notre Seigneur qu'une primauté d'honneur et non une
primauté de juridiction véritable et proprement dite, qu'il soit anathème.
Ce que le Christ notre Seigneur, chef des pasteurs, pasteur
suprême des brebis, a institué pour le salut éternel et le bien perpétuel de
l'Église doit nécessairement, par cette même autorité, durer toujours dans
l'Église, qui, fondée sur la pierre, subsistera ferme jusqu'à la fin des
siècles. " Personne ne doute, et tous les siècles savent que le saint
et très bienheureux Pierre, chef et tête des Apôtres, colonne de la foi,
fondement de l'Église catholique, a reçu les clés du Royaume de notre Seigneur
Jésus-Christ, Sauveur et Rédempteur du genre humain : jusqu'à maintenant
et toujours, c'est lui qui, dans la personne de ses successeurs ",
les évêques du Saint-Siège de Rome, fondé par lui et consacré par son sang,
" vit ", préside " et exerce le pouvoir de
juger " [2].
Dès lors, quiconque succède à Pierre en cette chaire reçoit, de
par l'institution du Christ lui-même, la primauté de Pierre sur toute l'Église.
" Ainsi demeure ce qu'ordonna la vérité, et le bienheureux Pierre,
gardant toujours cette solidité de pierre qu'il a reçue, n'a pas laissé le
gouvernail de l'Église [3]. " Voilà
pourquoi c'est vers l'Église romaine, " par suite de son origine
supérieure " [4], qu'il a toujours été
nécessaire que chaque Église, c'est-à-dire les fidèles de partout, se tournent,
afin qu'ils ne fassent qu'un en ce Saint-Siège, d'où découlent sur tous
" les droits de la vénérable communion " [5], comme des membres
unis à la tête dans l'assemblage d'un seul corps.
Si donc quelqu'un dit que ce n'est pas par l'institution du Christ
ou de droit divin que le bienheureux Pierre a des successeurs dans sa primauté
sur l'Église universelle, ou que le Pontife romain n'est pas le successeur du
bienheureux Pierre en cette primauté, qu'il soit anathème.
C'est pourquoi, Nous fondant sur le témoignage évident des saintes
Lettres et suivant les décrets explicitement définis de nos prédécesseurs, les
Pontifes romains, comme des conciles généraux, nous renouvelons la définition
du concile oecuménique de Florence, qui impose aux fidèles de croire que
" le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain possèdent la
primauté sur toute la terre ; que ce Pontife romain est le successeur du
bienheureux Pierre, le chef des Apôtres et le vrai vicaire du Christ, la tête
de toute l'Église, le père et le docteur de tous les chrétiens ; qu'à lui,
dans la personne du bienheureux Pierre, a été confié par notre Seigneur
Jésus-Christ plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner toute l'Église
comme le disent les actes des conciles oecuméniques et les saints
canons " [6].
En conséquence, Nous enseignons et déclarons que l'Église romaine
possède sur toutes les autres, par disposition du Seigneur, une primauté de
pouvoir ordinaire, et que ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, vraiment
épiscopal, est immédiat. Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les
fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de
subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les
questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui
touchent à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le monde
entier. Ainsi, en gardant l'unit de communion et de profession de foi avec le
Pontife romain, l'Église est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est
la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s'écarter sans
danger pour sa foi et son salut.
Ce pouvoir du Souverain Pontife ne fait nullement obstacle au
pouvoir de juridiction épiscopal ordinaire et immédiat, par lequel les évêques,
établis par l'Esprit Saint [Ac 20, 28] successeurs des Ap6tres, paissent et
gouvernent en vrais pasteurs chacun le troupeau à lui confié. Au contraire, ce
pouvoir est affirmé, affermi et défendu par le pasteur suprême et universel,
comme le dit saint Grégoire le Grand : " Mon honneur est
l'honneur de l'Église universelle. Mon honneur est la force solide de mes
frères. Lorsqu'on rend à chacun l'honneur qui lui est dû, alors je suis
honoré " [7].
Dès lors, de ce pouvoir suprême qu'a le Pontife romain de
gouverner toute l'Église résulte pour lui le droit de communiquer librement,
dans l'exercice de sa charge, avec les pasteurs et les troupeaux de toute
l'Église, pour pouvoir les enseigner et les gouverner dans la voie du salut.
C'est pourquoi nous condamnons et réprouvons les opinions de ceux qui disent
qu'on peut légitimement empêcher cette communication du chef suprême avec les
pasteurs et les troupeaux, ou qui l'assujettissent au pouvoir civil, en
prétendant que ce qui est décidé par le Siège apostolique ou par son autorité
pour le gouvernement de l'Église n'a de force ni de valeur que si le placet du
pouvoir civil le confirme.
Parce que le droit divin de la primauté apostolique place le
Pontife romain au-dessus de toute l'Église, nous enseignons et déclarons encore
qu'il est le juge suprême des fidèles et que, dans toutes les causes qui
touchent à la juridiction ecclésiastique, on peut faire recours à son jugement.
Le jugement du Siège apostolique, auquel aucune autorité n'est supérieure, ne
doit être remis en question par personne, et personne n'a le droit de juger ses
décisions. C'est pourquoi ceux qui affirment qu'il est permis d'en appeler des
jugements du Pontife romain au concile oecuménique comme à une autorité
supérieure à ce Pontife, s'écartent du chemin de la vérité.
Si donc quelqu'un dit que le Pontife romain n'a qu'une charge
d'inspection ou de direction et non un pouvoir plénier et souverain de
juridiction sur toute l'Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux
mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de
l'Église répandue dans le monde entier, ou qu'il n'a qu'une part plus
importante et non la plénitude totale de ce pouvoir suprême ; ou que son
pouvoir n'est pas ordinaire ni immédiat sur toutes et chacune des églises comme
sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles, qu'il soit anathème.
La primauté apostolique que le Pontife romain, en tant que
successeur de Pierre, chef des Apôtres, possède dans l'Église universelle,
comprend aussi le pouvoir suprême du magistère : le Saint-Siège l'a
toujours tenu, l'usage perpétuel des Églises le prouve, et les conciles
oecuméniques, surtout ceux où l'Orient se rencontrait avec l'Occident dans
l'union de la foi et de la charité, l'ont déclaré.
Les Pères du IVe concile de Constantinople, suivant les traces
de leurs ancêtres, émirent cette solennelle profession de foi :
" La condition première du salut est de garder la règle de la foi
orthodoxe... On ne peut, en effet, négliger la parole de notre Seigneur Jésus-Christ
qui dit : 'Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église' [Mt 16,
18]. Cette affirmation se vérifie dans les faits, car la religion catholique a
toujours été gardée sans tache dans le Siège apostolique. Désireux de ne nous
séparer en rien de sa foi et de sa doctrine... nous espérons mériter de
demeurer unis en cette communion que prêche le Siège apostolique, en qui
réside, entière et vraie, la solidité de la religion chrétienne " [8].
Avec l'approbation du IIe concile de Lyon, les Grecs ont
professé : " La sainte Église romaine possède aussi la primauté
souveraine et l'autorité entière sur l'ensemble de l'Église catholique. Elle
reconnaît sincèrement et humblement l'avoir reçue, avec la plénitude du
pouvoir, du Seigneur lui-même, en la personne du bienheureux Pierre, chef ou
tête des Apôtres, dont le Pontife romain est le successeur. Et comme elle doit,
par-dessus tout, défendre la vérité de la foi, ainsi les questions qui
surgiraient à propos de la foi doivent être définies par son
jugement " [9].
Enfin, le concile de Florence a défini : " Le
Pontife romain est le vrai vicaire du Christ, la tête de toute l'Église, le
père et le docteur de tous les chrétiens ; à lui, dans la personne du
bienheureux Pierre, a été confié par notre Seigneur Jésus-Christ plein pouvoir
de paître, de régir et de gouverner toute l'Église " [10].
Pour s'acquitter de leur charge pastorale, nos prédécesseurs ont
travaillé infatigablement à la propagation de la doctrine salutaire du Christ
parmi tous les peuples de la terre, et ils ont veillé avec un soin égal à sa
conservation authentique et pure, là où elle avait été reçue. C'est pourquoi
les évêques du monde entier, tantôt individuellement, tantôt réunis en synodes,
en suivant la longue coutume des églises et les formes de la règle antique, ont
communiqué au Siège apostolique les dangers particuliers qui surgissaient en
matière de foi, pour que les dommages causés à la foi fussent réparés là où
elle ne saurait subir de défaillance. Les Pontifes romains, selon que
l'exigeaient les conditions des temps et des choses, tantôt convoquèrent des
conciles oecuméniques ou sondèrent l'opinion de l'Église répandue sur la terre,
tantôt par des synodes particuliers, tantôt grâce à des moyens que leur
fournissait la Providence, ont défini qu'on devait tenir ce qu'ils
reconnaissaient, avec l'aide de Dieu, comme conforme aux saintes Lettres et aux
traditions apostoliques.
Car le Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre
pour qu'ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais
pour qu'avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la
révélation transmise par les Apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi.
Leur doctrine apostolique a été reçue par tous les Pères vénérés,
révérée et suivie par les saints docteurs orthodoxes. Ils savaient parfaitement
que ce siège de Pierre demeurait pur de toute erreur, aux termes de la promesse
divine de notre Seigneur et Sauveur au chef de ses disciples :
" J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille pas ; et quand
tu seras revenu, affermis tes frères " [Lc 22, 32].
Ce charisme de vérité et de foi à jamais indéfectible a été
accordé par Dieu à Pierre et à ses successeurs en cette chaire, afin qu'ils
remplissent leur haute charge pour le salut de tous, afin que le troupeau
universel du Christ, écarté des nourritures empoisonnées de l'erreur, soit
nourri de l'aliment de la doctrine céleste, afin que, toute occasion de schisme
étant supprimée, l'Église soit conservée tout entière dans l'unité et
qu'établie sur son fondement elle tienne ferme contre les portes de l'enfer.
Mais comme en ce temps, qui exige au plus haut point l'efficacité
salutaire de la charge apostolique, il ne manque pas l'hommes qui en contestent
l'autorité, Nous avons jugé absolument nécessaire d'affirmer solennellement la
prérogative que le Fils unique de Dieu a daigné joindre à la fonction pastorale
suprême.
C'est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès
l'origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour
l'exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec
l'approbation du saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme
révélé de Dieu :
Le Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à-dire
lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens,
il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine sur la
foi ou les mœurs doit être tenue par toute l'Église, jouit, par l'assistance
divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité
dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu'elle
définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du
Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du
consentement de l'Église.
Si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, avait la présomption de
contredire notre définition, qu'il soit anathème.
[6] Concile
de Florence (XVIIe oecuménique), Bulle " Laetentur Coeli "
d'Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.
[8] En
fait, ce texte reprend, en l'abrégeant, la formule du pape Hormisdas (11 août
515), dont le IVe concile de Constantinople ne citait que la fin
[9] IIe
concile de Lyon, (XIVe oecuménique), 4e session (6 juillet 1274),
profession de foi de Michel Paléologue.
[10] Concile
de Florence (XVIIe oecuménique), Bulle " Laetentur Coeli "
d'Eugène IV, 6 juillet 1439, décret pour les Grecs.
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