jeudi 5 mai 2016

saint Vincent Ferrier (Vicente Ferrer), missionnaire . 1350 +1419




Commémoration :
Martyrologium Romanum le 05 avril (dies natalis).
Ordo Fratrum Praedicatorum le 05 mai.

Vincent naît le 23 janvier 1350 à Valence, en Espagne. Sa mère, avant sa naissance, eut révélation de son avenir. Inquiète, elle consulta un saint personnage et en reçut l'assurance que cet enfant prédestiné serait un grand saint, dont l'éloquente parole ferait fuir les loups et ramènerait au bercail les brebis égarées.

Tout petit enfant, il réunissait ses camarades, leur parlait du bon Dieu et de la Sainte Vierge avec tant d'onction et d'amour, qu'ils en étaient touchés.

Après avoir édifié quelques années le couvent des Dominicains de Valence, il fit ses premiers essais dans la prédication, et l'on accourut bientôt de loin pour l'entendre. Il puisait son éloquence dans les plaies sacrées du Sauveur et dans les lumières de l'oraison. Un jour qu'il devait prêcher devant un grand seigneur, il se prépara, contre son ordinaire, plus par l'étude que par la prière ; son sermon fut remarquable. Mais le lendemain, prêchant devant le même seigneur, après une longue préparation aux pieds du crucifix, il parla avec beaucoup plus de chaleur et d'onction. Le prince lui en demanda la raison : « Monseigneur, dit le Saint, c'est Vincent qui a prêché hier, et c'est Jésus-Christ qui a prêché aujourd'hui. »

Vincent avait quarante ans quand il entra pleinement dans sa vocation de missionnaire, après avoir été guéri d'une grave maladie par Notre-Seigneur. Un bâton d'une main, un crucifix de l'autre, il parcourut à pied presque toutes les provinces de l'Espagne, de la France et de l'Italie, instruisant, édifiant, convertissant les foules ; il alla jusqu'en Angleterre, en Écosse et en Irlande, répandre la semence de la parole divine.

Les églises ne suffisant pas à contenir la foule de ses auditeurs, il prêchait ordinairement sur les places publiques et en pleine campagne. On compte que ce prédicateur tout divin convertit vingt-cinq mille juifs et autant de musulmans, et retira du vice plus de cent mille pécheurs. Dieu renouvela pour lui le miracle des premiers jours de l'Église : Vincent ne prêchait qu'en latin et en espagnol, et tous ses auditeurs, quels qu'ils fussent, le comprenaient dans leur langue.

Son triomphe était la prédication des fins dernières ; il fut l'apôtre du jugement dernier, et les foules frémissaient dès qu'il répétait les paroles du prophète : « Levez-vous, morts, et venez au jugement. »

Quand Vincent prêchait en quelque lieu, les marchands de disciplines, de cilices et autres instruments de mortification accouraient et ne pouvaient suffire à satisfaire les acheteurs. Tous les jours, après le sermon, son compagnon sonnait les miracles, et on apportait les malades en foule. Il mourut à Vannes (Bretagne) le 5 avril 1419.

Vicente Ferrer a été canonisé le 5 juin 1455, à Rome, par le pape Calixte III (Alonso de Borgia, 1455-1458).
Il est le saint patron des travailleurs de la construction en général, et plus particulièrement des constructeurs, fabricants de briques et de tuiles, poseurs de revêtements de sol.
Il est invoqué contre l'épilepsie et le mal de tête.


Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950 (« Rév. x gpm »).














SAN VINCENZO FERRER SACERDOTE /





©Evangelizo.org 2001-2016










wikipédia – en ligne jeudi 5 mai 2016

Vincent Ferrier

Image illustrative de l'article Vincent Ferrier
Saint Vincent Ferrier
Détail d'un tableau de Giovanni Bellini
Naissance
23 janvier 1350
Valence
Décès
5 avril 1419  (à 69 ans)
Vannes
Nationalité
Ordre religieux
Vénéré à
1455 Rome
par Calixte III
Vénéré par
Fête
5 Avril
Saint patron
patron des constructeurs, couvreurs, plombiers
Vincent Ferrier (en valencien Sant Vicent Ferrer) est un prêtre de l'Ordre dominicain, né le 23 janvier 1350 près de Valence (Couronne d'Aragon) et mort le 5 avril 1419 à Vannes (Bretagne) qui est resté célèbre pour ses prédications publiques. Ses reliques sont vénérées à la Cathédrale Saint-Pierre de Vannes. Il est le saint patron du Pays valencien.

Sommaire

Biographie

Statue de Saint Vincent Ferrier, Musée d'histoire et d'archéologie de Vannes
Maison de Saint Vincent Ferrier, (Valence)
Son charisme et son influence populaire sont tels qu'il devient un personnage-clé dans les troubles politico-religieux liés au Grand Schisme d'Occident. Proche de Pedro de Luna, alors cardinal et futur Benoît XIII, Vincent Ferrier se rallie tout d'abord à la papauté d'Avignon, rejetant la légitimité d'Urbain VI dans son traité De moderno ecclesiae schismate. Il devient par la suite confesseur de Benoît XIII, désormais antipape et figure emblématique de la résistance à Rome. Mais, dans un souci d'union de l'Église, il finit par se résigner à abandonner la cause de Benoît pour reconnaître le pape romain. Son acte de renonciation officiel intervient en 1416, à l'époque où le Concile de Constance s'emploie à mettre fin au Schisme.
Infatigable prêcheur et évangélisateur de l'Europe pendant vingt ans, de 1399 à sa mort, il parcourt l'Espagne, l'Italie, la Suisse, et va même jusqu'en Écosse. Il est souvent accompagné d'une quantité impressionnante de disciples, au point qu'il doit essentiellement prêcher dans de grands espaces extérieurs pour pouvoir être entendu de la foule. On lui prête le don des langues, au vu de sa capacité à communiquer avec tant de peuples différents.
En dehors des questions papales, son rôle politique est particulièrement important en Espagne, où il aide Ferdinand de Castille à accéder à la couronne d'Aragon dans un contexte de succession difficile (cf. Compromis de Caspe).
Il aborde la question juive en Espagne où il prêche la conversion des Juifs. Pour l'historien Salomon Mitrani-Samarian, « tout en s'efforçant de modérer la sauvagerie des massacreurs, il faisait entrer dans le giron de l'Église les malheureux Juifs qui pour échapper à la mort se réfugiaient dans les églises  » et aurait selon ses apologistes converti 25 000 à 30 000 Juifs1. Au début du XVe siècle, il écrit : « Les apôtres qui ont conquis le monde ne portaient ni lances ni couteaux. Les chrétiens ne doivent pas tuer les juifs avec le couteau, mais avec la parole et pour cela les émeutes qu'ils font contre les juifs, ils les font contre Dieu même, car les juifs doivent venir d'eux-mêmes au baptême »1. Les sources divergent sur la nature des événements (invasion pendant un sermon obligatoire ou bien massacres pendant le culte synagogal), la date (1391 ou 1411) et la part que prit Ferrier dans l'appropriation d'une synagogue de Tolède puis sa transformation en l'église Santa Maria la Blanca2,3. Il prêche aussi la séparation complète des Juifs et des chrétiens et serait donc un des instigateurs de la création des « juderias » en Espagne1.
La France n'est pas oubliée dans ses missions, il en parcourt tout le Sud avant d'être appelé en Bretagne en 1418 par Jean V, duc de Bretagne. Il sillonne pratiquement toute la Bretagne de ville en ville pendant près de deux ans et revient à Vannes, épuisé, où il meurt en 1419. La localité de Puy-Saint-Vincent en Vallouise (Hautes-Alpes), qui s'appelait auparavant Puy-Saint-Romain, a pris son nom après son passage dans les Alpes du Sud.
Canonisé en 1455 (ou le 5 juin 1456) par Calixte III, il est fêté le 5 avril.

Protection

Il est le patron des travailleurs de la construction en général, et plus particulièrement des :
  • Constructeurs
  • Fabricants de briques et de tuiles; couvreurs
  • Plombiers
  • Poseurs de revêtements de sol.

Dévotions particulières

  • Invoqué contre l'épilepsie et le mal de tête

Annexes

Bibliographie

Sur les autres projets Wikimedia :
Il est l'auteur d'un Traité des suppositions dialectiques et de Question solennelle sur l'unité de l'universel qui définit et fixe sa conception de l'univers intelligible qui servira de support à son enseignement sacré.
  • « Un homme d'action : Saint Vincent Ferrier », dans Le Correspondant, no 1499, 10 mars 1925, p. 641–674.
  • Paul Meyer, Du manuscrit Douce 162 et de la prédication de Vincent Ferrier en France, 1881.
  • P. Fages, Histoire de saint Vincent Ferrier, 1901, 2 tomes.
  • P. Fages, Notes et documents de l'histoire de saint Vincent Ferrier, 1905
  • P. Fages, Œuvres de saint Vincent Ferrier, 2 volumes, 1909.
  • Mathieu-Maxime Gorce, Saint Vincent Ferrier, 1924.
  • Mathieu-Maxime Gorce, Bases de l'étude historique de saint Vincent Ferrier, 1924.

Œuvres

Voir aussi

Notes et références

  1. a, b et c Salomon Mitrani-Samarian, « Revue des études juives - n°108, p.241-245, Un sermon valencien de saint Vincent Ferrer » [archive],‎ 1907
  2. Michel Despland, « La religion en Occident: Grandes ou petites vérités? [archive] », dans Critère, no 32, automne 1981, reproduit sur L'Encyclopédie de L'Agora. Consulté le 24 août 2007.
  3. (en) Anna Foa, « The Jews of Europe after the Black Death » [archive], sur Google Books, University of California Press,‎ 2000 p. 88

 










infobretagne.com . en ligne jeudi 5 mai 2016

Enfance et Jeunesse de saint Vincent Ferrier
Saint Vincent Ferrier naquit à Valence, en Espagne, le 23 janvier 1350. Sans appartenir à la noblesse, sa famille comptait parmi les plus illustres. Les Ferrier étaient originaires d'Ecosse. Ils étaient venus combattre les Maures, et depuis plusieurs siècles, ils s'étaient fixés sur le terrain conquis au prix de leur sang. Les charges publiques étaient héréditaires dans la famille. Guillaume, le père de notre saint patron, était chargé des fonctions de notaire royal dans toute l'étendue du royaume de Valence. 
Notre saint se vit comblé d'honneurs dès son berceau. Le conseil municipal de la cité désigna trois de ses membres pour le tenir sur les fonts du baptême, et la joie fut grande dans toute la ville. Tous les historiens constatent qu'on s'attendait à ce qu'il devint un jour la gloire de sa patrie. 
Vincent grandit à l'ombre d'un foyer profondément chrétien, où de bonne heure on forma son âme à la pratique de solides vertus. A huit ans, il entrait à l'école. A quinze ans, il avait terminé le cycle de ses études : Il s'était rompu à une discipline que ne favorisaient guère ni le climat énervant de la chaude Catalogne, ni l'atmosphère troublée dans laquelle il vivait. Ses camarades avaient hérité de leurs aînés le goût des aventures. L'histoire de leurs maisons profondément divisées entretenait en eux la passion des combats. Vincent avait quelque mérite à se tenir éloigné de ces luttes. Lui aussi sentait bouillonner dans ses veines l'ardeur d'un sang généreux qui avait fait ses preuves sur tant de champs de bataille. Mais il acquit une telle maîtrise de lui-même qu'il résistait aux emportements les plus excusables. Un jour, l'un de ses domestiques, justement réprimandé, s'emporta jusqu'à le frapper. Tout autre eût fait immédiatement justice d'une pareille insolence. Vincent se contenta de le remercier de lui avoir appris la prudence à laquelle il avait manqué en reprenant un homme plus âgé que lui, et en cherchant à corriger un homme hors de lui-même.  
Cet enfant de 15 ans se faisait déjà remarquer par un génie précoce, et son intelligence très vive s'était merveilleusement épanouie sous l'habile direction de maîtres éducateurs. On s'imagine de nos jours que cette époque reculée où vivait saint Vincent était plongée dans la plus ténébreuse ignorance, et que la multiplicité des écoles gratuites ouvertes aux enfants du peuple est une conquête du dix-neuvième siècle. Nous n'essaierons pas ici de ramener nos contemporains à une plus saine appréciation du passé. Ils ignorent la merveilleuse floraison de nos écoles paroissiales avant 1789. On leur cache soigneusement le crime commis il y a 125 ans. Qu'ils sachent du moins que toutes les villes d'Espagne avaient des étoles largement ouvertes. Les cours suivis par Vincent Ferrier, de 1358 à 1365, n'étaient pas destinés à des privilégiés de la fortune. Tous y étaient admis. Vincent s'y distingua, mais ses émules étaient nombreux et plusieurs ont laissé un nom glorieux dans l'histoire des lettres. 
Les succès et la piété du jeune homme l'avaient désigné à la malignité jalouse de ses compagnons.. Ils raillaient son assiduité aux offices religieux. Son maintien réservé dans les rues de Valence lui valait des quolibets méchants. On ne parvenait pas à le faire se départir de son calme. Il puisait dans la récitation quotidienne de l'office de la Passion l'énergie nécessaire pour se vaincre lui-même, et triompher des autres à force de bonté. On l'appelait le petit saint, et ce nom était accompagné d'un sourire sceptique sur les lèvres de ses mauvais camarades. Mais voici qu'un jour, l'un de ses petits amis, touché de son inaltérable patience, lui confia ses misères ; il était affligé d'un ulcère fétide au cou, et demandait au « petit saint » de le guérir. Naïvement confiant dans la miséricorde divine, Vincent toucha la plaie qui se ferma aussitôt. Il. scella la cicatrice par un baiser et le mal ne reparut plus. Dieu venait de consacrer la sainteté de son serviteur dont la renommée devint bientôt universelle. 
A ces âges de foi, les parents chrétiens tenaient à confier à Dieu quelqu'un de leurs enfants. Tout jeune, puisqu'il n'avait encore que sept ans, Vincent Ferrier reçut la tonsure qui le désignait au service de l'Eglise. Que nos lecteurs ne s'effraient pas et qu'ils ne crient pas à un abus. Ces coutumes chrétiennes ont disparu de nos moeurs. C'est dommage. La cérémonie de la tonsure n'imposait pas à celui qui en était l'objet l'obligation stricte d'entrer dans les ordres. Il restait libre de ses décisions. La marque extérieure qui le distinguait des simples laïcs, en le rangeant parmi les clercs, lui conférait un titre nouveau à la protection des autorités religieuses et civiles, et lui donnait accès au sanctuaire, s'il désirait y pénétrer légitimement un jour. 
A dix-sept ans, Vincent se décida à se donner à Dieu tout entier, et il demanda au prieur du couvent des Dominicains de Valence de l'accepter comme postulant. Mais sa mère, si chrétienne pourtant, en fut profondément affligée. Elle regrettait d'avoir, dix ans plus tôt, indiqué à son fils la voie qu'elle désirait lui voir suivre. Les yeux maternels s'étaient reposés avec orgueil sur ce jeune homme que la gloire attendait au seuil même de la vie. Le plus bel avenir s'ouvrait devant lui, et les plus hautes ambitions étaient permises à celui qui manifestait, dans toutes les branches du savoir, une compétence sans rivale. Sans qu'elles s'en doutent parfois, les mères laissent grandir en elles à côté d'un dévouement sans bornes, un amour égoïste qui ne leur permet plus de s'oublier elles-mêmes en face de leurs enfants. Le bonheur de leurs fils est leur unique souci ; mais elles veulent y glisser leurs rêves personnels. Généreuses tant que le sacrifice consenti ne s'offre à elles que de loin, elles se sentent faiblir quand l'instant a sonné des douloureuses séparations. 
C'est ainsi que la mère de saint Vincent résolut de disputer à Dieu le fils qu'elle lui avait déjà donné. Pendant toute l'année que dura son noviciat, elle se dit que la rude vie du cloître, le rôle humilié où il devait se tenir, les travaux pénibles auxquels on le soumettrait, toutes ces épreuves que subit la vocation finiraient par le ramener au foyer familial. Il demeurait inébranlable. Alors, elle fit appel à tout ce que l'amour, appuyé par les larmes, peut inspirer à une mère. Oubliant toute la grandeur du sacerdoce auquel son fils aspirait, l'honneur dont Dieu comblait sa maternité, elle le supplia de ne pas persévérer : faiblesse bien compréhensible au coeur humain, mais qu'une foi éclairée ne saurait excuser. 
Lui, le coeur brisé, se réfugia au pied de son crucifix. La voix de Dieu ne lui permettait pas de se reprendre. Le lendemain, tous deux firent ensemble le sacrifice des espérances terrestres. Vincent Ferrier s'appellera désormais du nom qu'il gardera dans les siècles : Frère Vincent.
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
Saint Vincent Ferrier se prépare à sa Mission
Saint Vincent Ferrier fut admis à la profession religieuse en 1368. Il ne commença sa longue course à travers l'Europe qu'en 1399. Dieu attendit donc trente et un ans avant de lui confier l'extraordinaire Mission d'annoncer la fin du monde. Pour qu'il ne se heurtât pas à l'incrédulité générale, pour que sa parole produisit les fruits attendus par la Miséricorde infinie, il lui fallait une autorité appuyée sur des assises inébranlables. Frère Vincent se prêta, pendant, cette longue période, à la formation toute spéciale que la Providence exigeait de lui. 
L'apostolat n'est que l'expansion dans les âmes d'une vie intérieure surabondante. Qui pourrait en effet donner aux autres ce qu'il ne possède pas lui-même, et comment soutenir longtemps une activité surnaturelle sans le ressort nécessaire de l'intimité divine ? Cette intimité, Frère Vincent la rechercha dans la solitude du cloître. Il aimait sa cellule ; il n'en sortait que pour se livrer aux travaux imposés par l'obéissance. Dieu qui ne néglige jamais les avances d'une âme se donna à son serviteur. Les Annales dominicaines en font foi : on pouvait assister aux entretiens célestes dont la cellule du Frère Vincent était le théâtre quotidien. Une vive clarté entourait le religieux pour qui le monde n'existait plus. La reine Yolande, dont il était le confesseur, voulut un jour se rendre compte elle-même du prodige dont tout Valence s'entretenait. Elle fut une première fois punie de sa curiosité et sévèrement réprimandée. Mais quand elle eût réussi à satisfaire son pieux désir, elle recula instinctivement et dit à sa suite : « Partons, la sainteté de cet homme est au-dessus de tout ce qu'on en dit »
Nous le verrons plus tard recommander aux autres la pénitence corporelle. Les murs et le plancher de sa chambre témoignaient de quelle façon il la comprenait : bien longtemps après sa mort, on voyait encore les traces du sang qui avait giclé sous les coups de discipline. Sur ses plaies toutes fraîches, il appliquait son rude cilice, sans prendre aucun souci des sages recommandations que notre horreur de la souffrance ne manquait pas de lui faire. 
Loin de diminuer sa puissance d'action, cette vie intérieure la décuplait. Il ne s'appartenait plus : il pouvait donc se donner à tous. Il fut successivement professeur de philosophie, à dix-huit ans ! professeur de sciences, professeur de théologie. Son autorité s'imposait. On faisait appel à ses lumières dans les procès épineux que faisait surgir l'application du droit canonique et du droit civil. Ses décisions avaient force de loi. Les chapitres et les évêques, les curés de paroisses et les religieux, les villes voisines et rivales le désignaient comme arbitre de leurs différends. Cet homme qui semblait si peu appartenir à la terre jugeait en dernier ressort les questions du domaine le plus matériel : limites de communes, droits d'octroi ou tarifs d'enterrement. Les causes de litige n'ont pas disparu : l'humanité change si peu ! Mais trouverions-nous, à notre époque, un Frère Vincent pour les régler à la satisfaction générale ? 
Le roi d'Aragon sollicita à plusieurs reprises. l'intervention du saint moine dans les plus graves affaires de l'Etat. C'est ainsi qu'il lui écrit le 29 janvier 1409 : Maître Vincent, « Nous avons un vif désir de traiter avec vous de certaines matières qu'il n'est pas bon de confier au papier. C'est pourquoi nous vous prions affectueusement, si jamais vous avez tenu à nous être agréable, de venir nous aider de vos conseils. Vous nous ferez un plaisir tout particulier »
Le pape d'Avignon, Benoît XIII, voulut l'attacher à sa personne. Il le pria de diriger sa conscience. Il tenta de le fixer près de son trône, en le nommant membre de son conseil. C'était la voie des honneurs toute grande ouverte devant lui. Il n'avait qu'à s'y laisser porter. Il répondit de singulière façon à toutes les propositions flatteuses dont on cherchait récompenser son zèle — ou peut-être à enchaîner sa liberté. — On lui avait vainement offert plusieurs sièges épiscopaux. Benoît XIII imagina un stratagème qui devait avoir raison de son irritante obstination. Un jour que tous les cardinaux étaient réunis dans la grande salle des séances, le Pape, entouré de toute sa cour, ordonna d'introduire Vincent Ferrier. Un chapeau rouge avait été placé, sur la table de marbre. Le saint religieux entra, et Benoît. XIII, le prenant par la main, le conduisit près de l'emblème cardinalice. Il le désigna à toute l'assistance comme le plus digne de faire partie du Sacré Collège. Mais pendant que le Pape s'apprêtait à lui imposer le chapeau, saint Vincent s'éclipsa et regagna sa place, avec un bon sourire. 
Toutes ces marques d'attention, soigneusement écartées par son humilité, servaient du moins à constater l'estime et l'autorité dont jouissait universellement le Frère prêcheur. Prêcher était sa raison d'être. Il voulait s'y tenir, et sa parole avait déjà d'irrésistibles effets. Il était demandé partout. Les villes se disputaient sa présence, et les archives de Valence gardent une lettre où les jurés de la ville font au roi de respectueuses représentations pour que le souverain ne les prive pas, à son profit, du bonheur d'entendre F. Vincent impatiemment attendu. Les conversions se produisaient en masse. Un carême prêché par lui faisait époque dans l'histoire d'une cité. Les abus les plus graves disparaissaient. Les haines étaient apaisées, et les chefs de partis irréconciliables venaient s'embrasser au pied de sa chaire. Il préludait ainsi aux merveilles qui vont s'accomplir durant son voyage à travers la France. 
La vigueur tout apostolique de son Verbe était d'ailleurs appuyée par l'autorité même de Dieu. Le miracle était à sa disposition. Durant son noviciat, il avait excité la défiance de ses supérieurs qui lui avaient interdit de faire usage de son pouvoir taumaturgique. Il s'était incliné. Mais bientôt, sous les yeux mêmes des représentants officiels de l'Inquisition, les prodiges se multiplièrent. Un jour que Barcelone manquait totalement de pain, une épouvantable tempête empêchait tout navire d'approcher des côtes. La ville était menacée de famine. Saint Vincent se met en prière. Le vent se calme instantanément, et toute une flotte chargée de farine venait ravitailler la cité. Il n'avait pas trente ans et déjà les guérisons opérées par lui ne se comptaient plus. Au début de son grand ministère, parlant dans l'église de Salamanque, il avouera lui-même avoir accompli plus de 3.000 miracles. Des mères inquiètes sur le sort de leurs enfants venaient le trouver dans sa cellule : « Soyez tranquille, se contentait-il de répondre, votre enfant est guéri ». A Compostelle, près du tombeau de saint Jacques, un jeune aveugle le suppliait de lui rendre la vue. « Je ne fais pas de tels miracles. D'où êtes-vous ? — D'Oviedo — Eh bien retournez à Oviédo ; entrez à la cathédrale, et là, prosterné devant l'image du Sauveur, dites-lui que c'est moi qui vous envoie et vous serez exaucé ». Le jeune homme fit le voyage : « Seigneur, dit-il, F. Vincent m'envoie pour que vous me guérissiez ». Sa prière fut exaucée sur le champ. Tout le monde connaît son pouvoir sur les possédés. Le démon n'attendait même pas l'exorcisme. Il fuyait à l'approche du Saint. Désormais, F. Vincent est prêt à recevoir les ordres providentiels. Sa renommée a franchi les frontières de son pays. Il n'est nullement exagéré de dire que le monde l'attend. Dans une modeste cellule du palais d'Avignon, Dieu va confier à son serviteur ses terribles desseins, et lui demander d'être le héraut de sa miséricorde avant que ne sonne l'heure de la justice.
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
La Mission de saint Vincent Ferrier
En 1412, écrivant à Benoît XIII, saint Vincent Ferrier disait : « Il y a environ quinze ans, un religieux, dangereusement malade, priait Dieu affectueusement de lui rendre la santé, afin qu'il pût continuer à prêcher la parole sainte ; voilà que pendant sa prière, et dans un demi-sommeil, saint Dominique et saint François lui apparurent à genoux, adressant, eux aussi, au Christ de ferventes supplications. A leur prière, le Christ descendit avec eux vers ce religieux malade, et, de sa sainte main, lui touchant familièrement la joue, il lui confia mentalement, mais d'une façon très distincte, la mission d'aller prêcher par le monde à l'exemple des deux saints qui l'accompagnaient, lui faisant entendre qu'il attendrait les résultats de cette prédication avant la venue de l'Antéchrist. Au contact de la main divine, le religieux s'éveilla complètement guéri. La Providence a bien voulu confirmer cette mission divinement conférée à ce religieux et remplie par lui du meilleur de son coeur »
Ce religieux est saint Vincent lui-même, et nous tenons ainsi de sa plume l'origine de sa mission extraordinaire. Il était mourant : tout le monde, dans le palais papal le croyait à ses derniers instants. Le 3 octobre 1398, il était subitement guéri. Le miracle dont il était l'objet ne lui permettait pas de douter de la révélation qu'il avait entendue. C'était aussi pour les autres la preuve manifeste de l'intervention divine. Le Pape en fut frappé. Mais aux instances du saint pour partir sans délai, il opposa sa volonté de le garder quelque temps près de lui. 
Enfin, le 22 novembre 1399, saint Vincent quittait Avignon pour inaugurer ses courses apostoliques. Autrefois, quand il prêchait, c'était en vertu d'une obédience délivrée par ses supérieurs. Aujourd'hui, c'est par ordre de Dieu qu'il s'en va. 
Autrefois, quand il remplissait une mission diplomatique auprès des souverains, il agissait comme légat du Saint-Siège. Aujourd'hui, il prend un titre nouveau auquel personne n'aurait songé : légat du Christ, legatus a latere Christi. Le Souverain Pontife aurait eu des intérêts majeurs à le fixer définitivement dans son entourage : il le laisse partir, en lui donnant les pouvoirs les plus étendus sur les consciences. C'est donc qu'à tous, Dieu imposait sa volonté de façon irréfutable. 
Une ligne est particulièrement à retenir dans la lettre citée plus haut : le Christ « attendrait le résultat de cette prédication avant la venue de l'Antéchrist ». Nous nous en souviendrons quand nous étudierons le problème soulevé par le sujet habituel des sermons de saint Vincent : la fin du monde. 
Le voilà donc en route : il ne s'arrêtera que pour mourir chez nous. Il voyage tantôt à pied, tantôt à dos de mulet. Il va d'Avignon à Valence, fait ses adieux à sa patrie, parcourt toutes les provinces d'Espagne, franchit les Pyrénées à Saint-Sébastien, visite tout notre Midi, passe en Italie, évangélise la Suisse, le centre de la France, remonte vers la Belgique, revient vers la Franche-Comté, incline vers Bordeaux et finalement se dirige vers la Bretagne. Tous les pays d'Europe qui sont restés fidèles au Pape d'Avignon ont entendu sa parole. Cette parole est d'ailleurs toujours la même au fond : « Convertissez-vous ! Dieu m'envoie vous dire qu'il va frapper le monde ! Je suis l'ange annoncé par l'Apocalypse, celui qui doit précéder l'Antéchrist ». — Aucun doute n'est possible à ce sujet : saint Vincent a annoncé le Jugement dernier comme imminent. 
Cette affirmation, il l'a clamée partout, et partout la foule terrifiée se jetait à genoux implorant la miséricorde divine : ce fut un bouleversement moral sans précédent dans l'histoire. Dès que l'arrivée du F. Vincent était signalée, on sonnait toutes les cloches de la ville. Les églises étant trop petites pour contenir la multitude, le saint dressait sa chaire en plein air. Il commençait par chanter la grand'messe — et il le fit tous les jours pendant 19 ans. — Puis il prêchait pendant plusieurs heures, autant qu'il était nécessaire pour amener à la pénitence les coeurs les plus rebelles. Sa méthode n'était pas celle de nos prédicateurs modernes et nous aurions quelques difficultés à nous accommoder des arguments que développait son éloquence enflammée. Il est bien certain aussi que la délicatesse de nos oreilles ne supporterait pas ce qu'on est convenu d'appeler des violences de langage. Mais nous devons nous dire que nos pères n'auraient pas compris notre sévérité excessive envers nos prédicateurs. Quand le vice s'étalait en pleine lumière — comme de nos jours — personne ne trouvait étrange qu'on l'appelât par son nom et qu'on lui appliquât le rude langage de l'Ecriture. Il n'était pas rare de voir vingt mille personnes rassemblées pour écouter l'Apôtre. Tous l'entendaient distinctement. Mais il faut signaler ici un fait prodigieux — garanti par une foule de témoignages très circonstanciés. — La voix de saint Vincent portait à plusieurs kilomètres. Les gens que leurs occupations retenaient éloignés assistaient au sermon sans en perdre une syllabe. 
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas plus surprenant que le don des langues dont saint Vincent fut incontestablement gratifié. Personne ne se demandait quelle langue il parlait. C'est un jour, à Gênes, qu'on s'aperçut du miracle. Dans ce port italien, il y avait des commerçants et des marins de toutes les nationalités. Pour converser entre eux, ils ne pouvaient se passer d'interprètes, et quand ils écoutaient le prédicateur, tous le comprenaient à merveille. Chacun prétendait que c'était en sa propre langue que parlait saint Vincent. Et comme on lui soumettait la querelle : « Vous avez tous raison, disait-il en souriant. Je parle ma langue maternelle, la seule que je sache, avec le latin et un peu d'hébreu : c'est le bon Dieu qui vous la rend intelligible ». L'histoire de son passage parmi nous en fournit une preuve irréfutable. Dans l'immense foule qui couvrait la place de Lices, la très grande majorité ne parlaient que le breton, dont saint Vincent ne connaissait pas le premier mot. 
Quand la prédication était terminée, les confesseurs se mettaient à l'oeuvre, et malgré leur nombre ce n'était pas mince besogne. Lui, se mettait à la disposition de tous. On venait lui demander de juger des procès, de fixer des règlements d'ordre public qui se sont longtemps maintenus pour le plus grand bienfait de la paix sociale. On lui apportait des malades qu'il guérissait d'un signe de croix. On le suppliait même de ressusciter des morts, et nous verrons au procès de canonisation qu'il le fit plusieurs fois dans le pays de Vannes. 
Le saint ne s'attardait jamais longtemps dans une même ville. Dès qu'il estimait que son passage avait produit les effets voulus par Dieu, la caravane se mettait en route pour un autre champ d'apostolat. C'était en effet une véritable caravane. Beaucoup de gens convertis par sa parole voulaient s'attacher à ses pas, et le suivre partout. Elle n'avait pourtant rien d'une partie de plaisir, cette marche à la conquête des âmes. Pour être admis dans la Confrérie des Pénitents, il fallait être dégagé de tout souci matériel, ne laisser nulle attache après soi, régler toutes ses affaires, comme on le ferait à la veille de la mort. La fraude était impossible : le saint, qui lisait au fond des consciences, dévoilait publiquement tout manquement à la loyauté, renouvelant le geste de saint Pierre devant la fourberie d'Ananie. Quand toutes les dispositions étaient prises, la croix marchant en tête, on se formait en deux colonnes : les femmes prenaient un côté de la route, les hommes suivaient l'autre côté. Au chant alterné des, cantiques et du Miserere, tous, même les enfants se donnaient la discipline. Pareilles pratiques étonneraient déjà si on les constatait dans un petit groupe d'âmes ferventes. Mais l'histoire de ces flagellants stupéfie : ce n'était pas un cénacle composé de quelques privilégiés soigneusement mis à part. C'étaient 10.000 et jusqu'à 20.000 personnes que F. Vincent devait conduire. Tout autre qu'un saint eût été saisi de vertige en face des proportions inouïes prises par son oeuvre : l'apôtre ne voulut jamais envisager les difficultés humaines de l'entreprise. Il jetait cette multitude dans les bras de la Providence. Défense était faite, sous peine d'exclusion, d'emporter argent ou nourriture : à ceux qui cherchaient le règne de Dieu, le reste viendrait par surcroît. Souvent les municipalités se chargeaient de l'entretien de saint Vincent et de sa suite, et nous avons encore les registres de délibération où sont inscrites, sous cette rubrique, des sommes considérables. Quand il était impossible de recourir à ces libéralités, le miracle intervenait. Comme au pied de la montagne des Beatitudes, les pains et les poissons se multipliaient sous le geste créateur, et jamais les plus humbles bourgades n'eurent à souffrir du passage de cette armée pacifique bien au contraire, la vague divine lassait après elle les restes surabondants de la générosité providentielle. 
Nous sommes évidemment en plein surnaturel. Aucune explication humaine n'est à tenter. Et c'est de l'histoire. Il y a des milliers de documents qui relatent ces faits en détail, aussi précis, aussi formels que ceux qui rapportent les incidents de la guerre de Cent ans. Impossible de les mettre en doute sans nier, en bloc, tout le passé. Comment ne pas tomber à genoux devant celui que Dieu choisit pour annoncer l'heure de sa justice ?
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
Résultats de la Mission de saint Vincent Ferrier
Pour apprécier à leur juste valeur les résultats obtenus par saint Vincent Ferrier au cours de ses 20 ans d'apostolat, il faut savoir ce qu'était l'Europe au XVème siècle. 
Partout, la guerre. Les Turcs allaient s'établir définitivement dans les provinces Orientales. C'était l'époque de la grande pitié du royaume de France. Les trois quarts du territoire étaient à la merci des troupes anglaises, qui avaient accumulé sur leur passage les ruines matérielles. La peste noire avait fait des ravages inouïs. Un historien prétend qu'un tiers de l'Europe avait été fauché par la maladie : à Paris, seulement, il mourait huit cents hommes par jour, et Paris n'était pas la grande ville d'aujourd'hui. La société avait été comme dissoute par ces deux effroyables fléaux. Chacun redoutait son voisin : s'il n'était pas l'ennemi, il était contagieux. Rien ne subsistait plus de l'ancienne unité. 
Mais la déchéance morale de la nation française était encore plus lamentable que la situation désespérée des derniers chevaliers qui luttaient pour l'honneur. Les pires désordres s'étaient glissés dans toutes les paroisses. Le clergé ne connaissait plus le zèle d'autrefois. Les difficultés intérieures, nées du grand schisme, ne permettaient plus à l'autorité religieuse la répression des abus et la réforme des moeurs. On ignorait les vérités les plus élémentaires de la doctrine chrétienne, et saint Vincent dut obliger certains évêques à faire le catéchisme à leurs populations. En France, le pays très chrétien, les pratiques du paganisme avaient été remises en vigueur. Le signe de croix était ignoré de beaucoup. On dressait bien encore des calvaires mais ils ne répondaient pas toujours à un besoin de foi ; ils étaient souvent érigés pour conjurer un mauvais sort au carrefour des chemins. 
Ces quelques détails expliquent la sainte colère qui anime certains sermons de l'Apôtre et justifient la rudesse de ses apostrophes. Il parlait haut et ferme à tous ceux qui avaient quelque responsabilité dans le pitoyable effondrement de la religion divine. Princes, prélats, prêtres, séculiers et réguliers s'entendaient rappeler leurs devoirs, non pas dans leur palais ou dans la solitude des cloîtres, mais en public devant les peuples qu'ils auraient dû conduire dans les sentiers de la vertu. Pasteurs et fidèles acceptaient humblement ces reproches mérités : Dieu parlait si manifestement par les lèvres du frère prêcheur qu'on ne se reconnaissait qu'une attitude en face de lui, celle du pénitent qui implore le pardon. 
Voici quelques extraits d'une lettre que le saint écrivit à son supérieur et qu'il expédia de Genève le 17 novembre 1403. Nous en empruntons la traduction au P. Fages. Ils nous donneront une idée des résultats acquis par la prédication de notre saint. « ... Je prêchai trois mois consécutifs dans le Dauphiné, parcourant les villes et les bourgades que je n'avais point visitées, et revins, pour confirmer leur foi, dans ces trop fameuses vallées du diocèse d'Embrun, naguère toutes pleines d'hérétiques... Je parcourus le diocèse de Turin, visitant par ordre chacune des localités, et y prêchant la vérité catholique à l'encontre des erreurs où étaient plongés ces braves gens. Grâce à Dieu, ils ont reçu la sainte doctrine avec un empressement et un respect vraiment touchant. Je me suis aperçu que toutes ces erreurs, toutes ces hérésies provenaient principalement de l'absence de prédicateurs. Aussi, quelle responsabilité pèse sur les prélats et sur tous ceux qui, par office, sont obligés de prêcher ! Au sujet de l'évêque hérétique que j'ai trouvé dans une de ces vallées appelée Luféria, sachez qu'il a voulu conférer avec moi et qu'il s'est converti. J'en dis autant des collèges de Vaudois, dont il n'y a plus de trace. Les Catharins de Vallpont ont renoncé à leurs superstitions abominables. Les hérétiques de la vallée de Lanz m'ont bien reçu ; les factions ont cessé, les Guelfes et les Gibelins ont fait la paix, les traités d'alliance ont été signés. Quant aux autres choses difficiles à énumérer (il s'agit évidemment de ses miracles), que Dieu a daigné opérer pour sa gloire et le bien des âmes, je n'en dis rien pour le moment, mais qu'il soit béni en tout et de tout. Me voici maintenant à Genève. Parmi les erreurs monstrueuses qui infestaient ce pays, il en est une qui consiste à rendre un culte public à une sorte de divinité qu'ils appellent saint Orient, c'est-à-dire le soleil. Ce culte est très répandu ; il a sa confrérie, et sa fête principale a lieu le lendemain de la Fête-Dieu Les religieux et les curés n'osaient point prêcher, ni même rien dire contre cette erreur, parce que les sectaires les menaçaient de mort, et, en attendant, leur coupaient les vivres. A force d'insister sur ce crime d'idolâtrie, grâce à Dieu, l'erreur a fini par disparaître, et ces pauvres gens sont à l'heure qu'il est désolés d'avoir erré si gravement en matière de foi. Je me dispose à visiter le diocèse de Lauzanne, où l'on adore aussi publiquement le soleil, surtout dans la campagne. S'il faut en croire l'évêque, qui est venu deux ou trois fois me supplier de m'y rendre, il y a, sur les confins de l'Allemagne et de la Savoie, des villes entières peuplées d'hérétiques. On m'a même prévenu que ces hérétiques sont particulièrement dangereux. Mais j'ai confiance en la miséricorde habituelle de Dieu et j'y serai le prochain carême ..... ».
Il ne s'agit là que d'un coin du vaste champ défriché par l'infatigable apôtre. Mais quelle magnifique moisson lève et mûrit sous ses pas ! Et il en est ainsi partout où il passe. Il entreprend les tâches les plus ardues, et toujours il les mène à bien. L'une des oeuvres les plus difficiles que puisse rencontrer un missionnaire est la conversion des Juifs et des Musulmans. Tout le monde connaît leur haine du nom chrétien. Leur obstination s'explique : sur les premiers pèse la responsabilité du déicide, et le paradis de Mahomet est trop facile aux seconds pour qu'ils se décident à suivre le dur sentier qui mène au ciel. 
Les rois Maures de Grenade désirèrent, eux aussi, entendre la voix du célèbre missionnaire. Ils le firent chercher. Saint Vincent se rendit à leur appel. Mais il put à peine ébaucher ses travaux apostoliques. Les grands de la cour menacèrent le Souverain d'une révolte générale. L'homme de Dieu était trop écouté : il n'avait pris la parole que trois fois et déjà 8.000 Musulmans avaient demandé le baptême. Décidément ce saint était dangereux : on l'expulsa. Ces traits ne forment qu'une esquisse, trop légère à notre gré, de l'oeuvre immense réalisée par saint Vincent. Le cadre trop restreint de notre brochure ne permet pas de leur donner la vraie valeur qui ferait ressortir la physionomie extraordinaire de notre illustre patron. Nous le verrons bientôt en Bretagne. C'est à lui que nous devons l'intense vitalité chrétienne qui nous distingue encore aujourd'hui. Mais ne croyons pas que nous ayons été les seuls bénéficiaires de son zèle. C'est toute l'Europe qui devrait venir à son tombeau, car elle lui doit la vie. Il l'a arrachée au paganisme. Là où son action s'est plus spécialement fait sentir, en Espagne, en Italie, en France, la tempête soulevée par Luther est venue se briser impuissante. La foi s'effritait : sous le feu de son verbe inspiré, elle a repris la solidité du granit.
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
Saint Vincent Ferrier et la fin du Monde
Nos lecteurs ne nous pardonneraient pas de paraître esquiver le débat que soulève nécessairement la prédication de saint Vincent Ferrier. 
Dans les pages qui précèdent nous n'avions pas la prétention de tracer un portrait en pied du grand thaumaturge. Tout, pour cela, nous faisait défaut : les couleurs et le pinceau. Mais d'autres plus qualifiés nous l'ont dépeint sous un aspect étrange que nous ne pouvons pas laisser dans l'ombre : ils ont vu dans saint Vincent l'ange annonciateur du jugement dernier. Ils l'ont montré criant au monde que sa dernière heure allait sonner. C'est même sous ce jour que la liturgie nous le présente dans l'office que nous chantons en son honneur. Physionomie troublante. Mais nous la fixerons sans crainte, et nous la graverons dans notre souvenir, car c'est la seule qui nous fournisse l'exacte ressemblance que nous cherchons. 
C'est qu'en effet saint Vincent a non seulement prêché la fin du monde, mais il l'a annoncée comme imminente. Il est impossible de lire le recueil de sermons qui nous reste sans être frappé de son insistance. Il n'a pas en vue les individualités qui l'écoutent. C'est à la société humaine qu'il s'adresse. Il ne se présente pas à elle comme un prédicateur qui rappelle à ses auditeur leurs fins dernières toujours proches. Il se donne comme envoyé spécialement par Dieu pour prévenir l'univers que ses jours sont comptés, que la justice divine va ouvrir les grandes assises où les peuples seront jugés. On veut d'abord l'empêcher de soutenir une thèse qui peut jeter le trouble dans les esprits. Il connaît la rigueur des sanctions qu'il encourt. Mais il maintient très haut sa mission de légat a latere Christi. Ce n'est pas une autorité humaine qui la lui a confiée, rien ne l'empêchera de la remplir, et à Salamanque, devant le grand Inquisiteur général, gardien sévère de la foi, il lance son anathème au monde. Malgré sa sainteté connue de tous, on hésite à le suivre. On lui demande des preuves : « Est-ce que ma meilleure justification ne réside pas dans ce fait que Dieu m'a permis d'accomplir jusqu'ici plus de 3.000 miracles ? ». Puis il fait porter au milieu de l'assistance un mort qu'on allait enterrer. Il le ressuscite au grand effroi du peuple, et l'oblige à rendre témoignage. Le mort atteste et se recouche dans son cercueil ! — Quand le pape Benoît XIII, pressé d'intervenir, lui demande de s'expliquer, il ne cherche pas de subterfuge. Il ne veut pas minimiser son rôle, et il écrit cette lettre dont nous avons cité les principaux passages. Humblement, mais avec fermeté, il ne se reconnaît justiciable que de Dieu même. 
Ici, plus d'un lecteur va nous redire ce que nous avons si souvent entendu. Vous avez une singulière façon d'exalter saint Vincent. Vous vous laissez emporter par le souci de le grandir sans mesure et vous ne vous doutez pas que vous l'accablez  sous cet excès. Vous vous acculez à un dilemme terrible pour sa mémoire. Car c'est un fait dont nous nous réjouissons grandement : le monde n'a pas pris fin au XVème siècle. Donc saint Vincent Ferrier s'est trompé, et vous ne pouvez choisir qu'entre la bonne foi et l'erreur volontaire. 
L'Eglise ayant canonisé saint Vincent, nos lecteurs conviendront que nous ne pouvons nous arrêtez un seul instant à l'hypothèse d'une supercherie. Mais n'aurait-il pas été victime d'une illusion ? A force de prêcher, n'aurait-il pas fini par exagérer son action ? De la meilleure foi du monde, il aurait obéi à une auto-suggestion qui l'aurait peu à peu conduit à se croire chargé d'une mission spéciale. Les explications médico-scientifiques sont très à la mode. Elles sont commodes : leur a-priorisme dispense d'examiner les faits dont elles prétendent rendre compte. Elles tranquillisent les intelligences qui ont toujours peur de voir le surnaturel surgir devant elles. Pour ce qui concerne saint Vincent, nous n'hésitons pas à dire que, sous leurs apparences conciliantes, elles nous offrent une fin de non recevoir inadmissible. Elles sont d'ailleurs inspirées par une crainte que nous ne partageons pas. Laissant à chacun la liberté d'appréciation que l'Eglise reconnaît dans les questions qu'elle n'a pas tranchées, nous exposerons notre point de vue personnel. Si nos lecteurs, qui sont nos juges, ne se rendent pas à notre sentiment, qu'ils nous accordent du moins le bénéfice de leur charité. 
C'est par saint Vincent lui-même que nous connaissons l'origine de sa mission et les circonstances dans lesquelles elle lui fut confiée. Nous les avons racontées. Notre héros s'est-il trompé ? A-t-il été l'objet d'une hallucination ? Il était accoutumé depuis de longues années aux entretiens célestes. Des centaines de témoins ont assisté à ses extases. Quand il nous dit que dans sa cellule d'Avignon le Christ lui est apparu, pourquoi douterions-nous de sa parole ? Elle s'appuie sur un fait palpable, sa guérison miraculeuse. 
Si l'auto-suggestion avait eu prise sur son âme, elle n'aurait pas attendu qu'il fût en possession de sa pleine et puissante maturité. Dans sa vie on ne trouve pas trace d'un fléchissement intellectuel ou moral. Rien n'est changé dans son existence toute de prière ou d'action. L'orgueil ne l'effleure pas un instant. Il ne tire pas vanité des confidences divines. Il proteste au contraire de son indignité. Il reste calme, très maître de lui. Quand on le met en face de ses responsabilités, il n'a pas un mouvement de révolte : il répond aux questions qu'on lui pose, il donne ses preuves. Comment aurait-il pu prendre son rêve pour une réalité, lui qui était doué d'un tel discernement des âmes qu'il n'a jamais été dépassé dans l'histoire de la mystique ? lui que le pape autorisait, par un privilège unique, à admettre directement aux ordres monastiques tous ceux qu'il jugerait dignes ? Comment aurait-il pu persévérer dans son attitude, celui qui ne cessa de recommander aux autres la plus grande prudence à l'égard des pièges du démon ? 
Saint Vincent Ferrier a prêché la fin du monde pendant vingt ans. Si, à Avignon, il s'est laissé halluciner, il est impossible d'admettre que pendant vingt ans ses contemporains n'aient pu saisir une défaillance. C'est toute l'Europe qui l'a vu à l'oeuvre. Les plus éminents personnages l'ont approché. Tous ses actes sont publics. Produit-il un seul instant l'impression d'un malade ou d'un maniaque ? Voici ce que répond l'histoire. 
Il est le conseiller de Benoît XIII dans les questions épineuses que fait naître le schisme. Quand l'Espagne sent enfin le besoin de sortir de la crise politique qui menace son existence, elle choisit neuf délégués qui devront régler la succession au trône. Après un mois d'études laborieuses, ces hommes, les plus illustres du royaume, doutent d'eux-mêmes. Mais dès que Maître Vincent a exprimé son avis, ils s'y rangent comme étant celui qui s'impose.
Quand le concile de Constance se réunit en 1417, pour rendre à l'Eglise l'unité quelle a perdue depuis trente ans, l'empereur Sigismond, le cardinal P. d'Ailly, l'illustre Gerson écrivent à Vincent pour le supplier de venir donner au concile l'appui de son autorité et le secours de ses lumières. Il est incontestablement l'homme le plus sage, le mieux écouté de son époque. Toutes ses décisions sont humblement acceptées par les plus hautes autorités qui soient sur terre, religieuses et civiles, intellectuelles et morales. Et c'est lui pour lequel on nous propose un verdict de commisération ? On voudrait en faire un halluciné ? C'est mettre à trop cruelle épreuve le plus élémentaire bon sens. D'ailleurs, pour nous, il y a un argument qui nous paraît irréfutable : saint Vincent Ferrier a multiplié les miracles pour démontrer la réalité de sa mission. Ces miracles sont innombrables. Ils ont été consignés dans des documents officiels. Dieu n'eût pas permis qu'on fit si constamment appel à son jugement en faveur d'une erreur même involontaire. 
Vous ne croyez tout de même pas, me dira-t-on, que Dieu avait décidé la fin du monde ? Je répondrai : J'ai le témoignage d'un saint qui m'affirme que Dieu le lui a dit. Ce saint me présente toutes les garanties que peut demander la raison la plus exigeante. Il appuie sa parole sur l'autorité du miracle. Je n'ai pas le droit de me soustraire aux conclusions de mon enquête. Quel prétexte donnerais-je à ce défaut de loyauté ? Ma conviction ne rencontre aucune impossibilité ni dans les certitudes de la foi, ni dans les enseignements de la science. 
La foi m'enseigne que l'humanité n'a vu le jour que pour servir à la gloire de Dieu. L'intelligence nous a été donnée pour que nous soyons capables de nous unir à la vie divine qui est le bien essentiel. La raison de notre existence, et de notre maintien dans l'existence réside tout entière dans le rôle providentiel que nous avons à jouer. Si l'humanité s'y refuse, elle fait obstacle au plan divin : elle doit disparaître. Cette conséquence que la logique impose en dehors de l'Incarnation, devient plus rigoureuse encore depuis que le Verbe a souffert. Le sang du Calvaire pèse lourdement dans la balance divine. Qui donc oserait fixer un terme à la miséricorde divine, et lui dire : « C'est jusque-là que vous devez nous supporter ? ». Rappelons-nous l'histoire du figuier stérile, et les avertissements de la Justice : « Je viendrai comme un voleur ». S'il y a eu d'autres époques où la coupe d'iniquité débordait, et où la colère divine était près d'éclater, nous ne le savons pas. Mais au XVème siècle, nous avons un témoignage formel. Pourquoi l'écarter ? 
Ce n'est certes pas la science qui m'interdit de croire saint Vincent. La ruine totale de l'univers. n'est pas en cause : le serait-elle que je me sentirais à l'aise. Il s'agit de l'humanité. Rien ne s'oppose à sa disparition de la surface du globe. Pour le savant matérialiste, l'homme est un animal, l'humanité est une espèce. Il a trop enregistré d'espèces disparues pour douter que le sort des fossiles nous soit réservé. A celui qui croit à la perpétuité de la race pour assurer le progrès sans limite, il suffit d'interroger les sables où sont des civilisations tout aussi florissantes que la nôtre et qui portent les noms de Babylone, d'Egypte ou de Rome. Qu'en reste-t-il ? Et qu'on ne dise pas qu'il faudrait, pour accumuler tant de ruines, un déchaînement inouï de tous les éléments. La peste noire, dont nous avons déjà parlé, suffirait à elle seule pour faire de notre terre un immense désert tout prêt à recevoir les assises du jugement dernier. 
Mais alors comment expliquer que le monde subsiste ? C'est saint Vincent lui-même qui nous répondra. Le Christ lui a dit « J'attendrai les résultats de cette prédication avant la venue de l'Antéchrist ». Ces résultats ont été tels que l'humanité sortie de sa voie y est rentrée par une pénitence inattendue qui aujourd'hui encore nous étonne. Nous les avons exposés, nous n'y reviendrons pas. Mais il nous sera permis d'affirmer qu'il y avait là de quoi apaiser le courroux divin. Dieu ne veut pas la mort du pêcheur. Il lui demande de se convertir afin de vivre. Les hommes étaient coupables. L'Eglise scindée avait perdu de sa vigueur. Le paganisme renaissait. Les fruits de la Rédemption semblaient irrémédiablement compromis. Dieu ne pouvait le tolérer. Il envoya au monde le premier des trois anges annoncés par l'Apocalypse. Cet ange s'appela Vincent Ferrier. Le monde comprit l'effrayante leçon. Il se convertit ; c'est-à-dire se retourna vers Dieu. La miséricorde pouvait encore agir, et elle obtint de la justice le délai dont nous jouissons encore. Le monde fut sauvé comme autrefois Ninive. 
Voilà quel nous apparaît le rôle de notre saint patron. Il est grandiose. Nous n'avons pas à nous excuser de lui donner des proportions. In tempore iracundae factus est reconciliatio. Au temps de la colère, il s'est fait réconciliateur. Nous ne sommes pas sortis de l'histoire. Nous l'avons interrogée sans prévention, et sans crainte. Nous soumettons à ceux qui aiment saint Vincent la réponse qu'elle nous a fournie.
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
Saint Vincent Ferrier en Bretagne
I - Son premier passage dans le Diocèse de Vannes :
Deux fois déjà le duc de Bretagne Jean V avait prié saint Vincent de venir évangéliser ses Etats. Jean Bernier, chargé de lettres pressantes, avait rejoint l'Apôtre d'abord au Puy-en-Velay, puis à Bourges. Une dernière missive du duc, écrite au début de novembre 1417, exposait la situation lamentable de la religion parmi les populations bretonnes. Pour la troisième fois, Jean Bernier se mit en route. Il rencontra Me Vincent à Tours, dans les derniers jours de décembre, et fut assez heureux pour triompher de toutes les résistances. 
Le 8 février 1418, S. Vincent arrive à Nantes. Il y séjourne près de deux semaines, et se met en marche vers Vannes où le duc se tient avec sa cour. Il prêche à Fégréac, La Roche-Bernard, Redon, Muzillac, Questembert, et le vendredi 4 mars, il est à Theix. 
La bonne nouvelle apportée par le messager ducal s'est vite répandue, et Vannes a fait, pour le recevoir dignement, tout ce qu'exigent les circonstances. Pour le loger, lui et sa suite, on a préparé le château de la Motte. Comme partout, la foule qui venait l'entendre était considérable, on pensa que les églises seraient trop petites pour contenir la multitude des auditeurs. Le duc a donné des ordres pour qu'on construise une grande estrade sur la place des Lices, face au château de l'Hermine. Les gradins et la chaire ont été recouverts de tentures multicolores. Toute la ville est en liesse. Et déjà impatients, plusieurs Vannetais, conduits par le seigneur Josso du Plessix, sont partis pour Theix rejoindre le saint qu'ils ne quitteront plus. 
Le samedi matin, la place de la cathédrale est animée comme aux plus grands jours. L'évêque et tout son clergé, le duc et toute sa cour sont là. Un cortège triomphal se forme avec tout l'apparat d'une réception souveraine. La procession s'arrête à la chapelle de Saint-Laurent. Voici l'Apôtre, le Saint. Tous les regards se fixent sur lui. Il est monté sur une ânesse. Il paraît vieux. Sa robe et son manteau de frère-prêcheur portent des traces d'usure, mais on remarque surtout que des mains indiscrètes ont largement entaillé l'étoffe pour en faire des reliques miraculeuses. Une calotte de drap laisse voir sa couronne monacale de cheveux blancs. Il a les traits fatigués d'un ascète. Mais la physionomie exsangue rend plus vif le feu de son regard qu'éclaire un reflet de lumière céleste. Ses bagages sont bien modestes et l'on imaginerait vainement un détachement plus complet des biens de ce monde. Comment ce vieillard peut-il supporter l'effroyable labeur qu'il s'est imposé ?
Il a salué l'Evêque et le Duc. Ceux-ci se sont inclinés en lui souhaitant la bienvenue, et la foule reprenant en choeur les chants de pénitence se dirige vers la ville. 
Ceux qui n'ont pu se joindre aux pèlerins, sont là qui, attendent devant le pont-levis et sur le trajet de la porte à la cathédrale. Ce sont surtout des malades et des infirmes. Dès que paraît maître Vincent, des supplications ardentes jaillissent de toutes les poitrines. Il étend la main et d'un signe de croix il les guérit tous. Mais Jean Leben, paralysé depuis dix-huit ans, n'avait pu être transporté assez tôt pour prendre place au premier rang. Il gisait sur son grabat perdu dans la foule, en face de la maison de Pierre Bourdin. Se croyant délaissé, il crie de toutes ses forces : « Ami de Dieu, daignez m'écouter ! ». On s'écarte, et le bon saint Vincent lui dit « Je n'ai ni or ni argent. Mais je prie le Seigneur Jésus-Christ de vous accorder dans son immense bonté la santé que vous demandez ». Il parlait comme saint Pierre et saint Jean à l'infirme du Temple. L'effet ne se fait pas attendre : Jean Leben se lève. Jamais plus il ne ressentira d'infirmités. 
Lentement, car la multitude est immense, on, gravit la ruelle abrupte, et M. Vincent ne descend de sa monture que rendu sur le parvis de la cathédrale. Les portes sont grandes ouvertes, car on sait que toujours le premier soin de l'Apôtre est d'offrir à Dieu ses hommages. Le vrai maître de la Cité est là, au Tabernacle, et le duc Jean tient de Lui son pouvoir, et c'est à Lui qu'il faut demander de bénir la mission qui commence. 
Mais on remarque alors que le Saint a quelque peine à marcher. Lui qui a rendu la santé à tant d'infirmes, il a gardé à la jambe une plaie qui le fait souffrir. Il s'appuie sur un bâton terminé par une croix, et de temps à autre on le voit lever son regard sur l'image du divin Crucifié. Le duc voulut le conduire à la résidence qui lui était préparée. Vincent s'y refusa. Il demanda qu'on lui permît de prendre une chambre à proximité de l'église et de l'endroit où il devait prêcher. Robin Lescarv qui habitait à deux pas, s'empressa de lui offrir sa maison.
Le lendemain, 6 mars, était le 4ème dimanche de carême. Dès avant le jour M. Vincent est debout. Quand l'aube commence à poindre, il se rend à l'estrade des Lices. On l'aide à monter les gradins. Il chante la messe. Puis, reprenant ses habits de frère prêcheur, il se tourne vers l'auditoire immense qui s'étend jusqu'aux remparts. Ce n'est plus le vieillard courbé par l'âge, exténué par les privations, c'est l'Apôtre dans toute la vigueur de son verbe inspiré. Son geste est celui de l'ange exécuteur des hautes oeuvres de la justice infinie. Ses joues se sont empourprées. Sa voix remplit l'espace. Tous les auditeurs, déjà bouleversés par cette transfiguration, sont soulevés par des accents qui n'ont rien de la terre. Trois heures durant, il les tient sous l'impitoyable flagellation qui frappe tous les vices. Un historien de Bretagne écrit à son sujet : « Se représente-t-on l'impression profonde, l'émotion haletante, croissante, lancinante, excitée dans les masses par cette implacable revue de toutes les misères, de toutes les iniquités sociales, aboutissant. A cet effondrement horrible — la fin du monde — sans cesse ramené, agité par l'orateur sous les yeux de l'auditoire, comme un salutaire épouvantail, avec toute l'ardeur d'une foi brûlante et les ressources d'un merveilleux génie ». Il s'est tu que les fronts sont encore courbés sous la crainte. Mais déjà la grâce est victorieuse des coeurs les plus endurcis. 
Avant de quitter l'estrade, il donne ses avis en vrai missionnaire. Désormais, hommes et femmes devront se rendre aux sermons en deux groupes distincts. Une corde tendue indiquera l'espace réservé à chacun d'eux. Cette séparation devra s'effectuer également dans les églises. Puis il fixe l'horaire des exercices. Jour et nuit, les prêtres de sa suite entendront les confessions : ils ont reçu pour cela les pouvoirs les plus étendus. Lui, M. Vincent, s'occupera, avec les clercs qui ne sont pas dans les ordres, de l'instruction religieuse des enfants et des grandes personnes (plusieurs témoins viendront déposer au procès de canonisation qu'ils ont appris du Saint lui-même le Pater, l'Ave, le Credo... et le signe de la Croix). 
Vers midi, l'Apôtre regagna sa cellule. Il est à jeun. Ecoutons ce qu'en dit Yves Gluidic, archiprêtre de l'église de Vannes : « Quatre ou cinq jours, j'ai mangé avec lui à sa table ; je l'ai vu manger un potage, puis des poissons d'une seule espèce, et en assez petite quantité. Il ne prenait de poissons que ceux qu'on lui avait présentés en premier lieu, et bien qu'on lui présentât plusieurs mets, il se contentait néanmoins d'un seul plat. Il buvait du vin trempé trois fois seulement par repas. Je ne l'ai jamais vu souper et je ne sais s'il soupait ou non ; mais il attendait toujours jusqu'après midi à prendre son dîner. Le dîner fini, il faisait distribuer le reste aux pauvres... Pendant le dîner, Me Vincent avait toujours le visage joyeux. Après avoir rendu grâces au Très-Haut, il cessait tout entretien et vaquait à l'étude ». Mais cette solitude qu'il aurait désirée complète était souvent troublée. Jean Le Métayer, matelot qui habite Calmont, nous raconte naïvement comment on procédait pour avoir accès près du saint. Ce pauvre marin avait eu une côte rompue au cours d'un combat en mer contre les Anglais. « Il marchait avec peine en tenant la main sur le côté malade. Voyant le concours de personnes qui venaient trouver Me Vincent pour leurs infirmités, il alla le trouver lui aussi vers le coucher du soleil, dans la maison de Robin Lescarv. Prévenu par l'un des siens, Me Vincent sort de sa chambre, s'approche de Jean dans la cour de la maison et lui demande où il a mal. Puis, il met la main sur l'endroit douloureux, lève les yeux au ciel, récite une prière et fait le signe de la croix. Jean se retire tout à fait guéri. Il n'a ressenti depuis aucune douleur. Dans la même cour, il y avait un grand nombre de malades que maître Vincent guérit en leur imposant les mains et en faisant sur eux le signe de la croix »
Après une journée remplie de tant de fatigues, nul ne se serait scandalisé de voir l'apôtre accorder à ses membres vieillis un légitime repos. Mais le soir venu, il se donnait la discipline comme il l'eût fait au cloître. Jamais, avant sa dernière maladie, il n'accepta de coucher dans un lit. Il s'étendait tout habillé sur un matelas très dur posé sur le plancher. Son sommeil était d'ailleurs de courte durée. Il se levait vers deux heures, récitait son psautier complet, se confessait chaque matin, puis se rendait au point du jour sur la place des Lices où la foule l'attendait déjà. 
Telle fut, d'après les témoignages donnés sous la foi du serment, la vie de saint Vincent pendant les trois semaines que dura son premier séjour à Vannes. Elle fut extraordinairement féconde : nos pères répondirent comme il convenait à ce dévouement inépuisable. 
Les tribunaux vaquèrent et les boutiques furent closes tant que dura la mission. Se confesser, faire pénitence, réparer les injustices commises envers le prochain et se réconcilier avec ses ennemis étaient les seules choses dont on s'occupât. Les abus cessèrent. Avant la venue de saint Vincent, on était arrivé chez nous à ce point d'ignorance ou de perversité que les foires et les marchés public, se tenaient les dimanches et jours de fête dans les lieux consacrés au culte. L'apôtre obtint la sanctification du jour de Dieu. Désormais on assistait aux offices avec piété, car on avait appris de lui comment on devait entendre la messe. Pendant le saint sacrifice, un de ses clercs expliquait à haute voix les cérémonies liturgiques. Et toute la foule récitait au moment de l'élévation l'invocation : « Seigneur, nous vous adorons, et nous vous rendons grâces »
La fidélité aux instructions du saint missionnaire ne se démentit pas un seul jour. L'évêque et le duc donnaient l'exemple. Les fidèles des paroisses voisines venaient grossir le nombre des auditeurs vannetais, et le recteur de Limerzel nous affirme, au procès de canonisation, que ni l'intempérie de la saison, ni la violence du vent, ni la pluie, ni la neige qui tombaient fréquemment, ne pouvaient les empêcher de se presser autour de la chaire. Aussi le mardi de Pâques 1418, 29 mars, pouvait-il estimer que sa tâche était finie. Il prêcha sur l'Antéchrist (Déposition d'Aliette, femme Perrot, 10ème témoin), fit planer une dernière fois sur la foule effrayée la menace du jugement, et il reprit sa course pour évangéliser le reste de la province. 
Il peut quitter notre ville. L'empreinte qu'il laisse dans les âmes est ineffaçable, et depuis plusieurs siècles nous vivons de la résurrection qu'il opéra chez nos ancêtres.
II - Evangélisation de la Province :
Il est assez difficile de suivre saint Vincent dans, son itinéraire à travers la Bretagne. Les renseignements précis nous font défaut. Les archives où nous aurions pu trouver trace de son passage n'ont pu être sauvées de la destruction que dans quelques localités trop rares. Les commissaires du procès de canonisation ont limité leur enquête aux environs de Vannes, Nantes et Saint-Brieuc : la surabondance des miracles les empêcha de pousser plus loin leurs recherches. Nous sommes donc réduits à des conjectures pour la plus grande partie de l'année 1418. Nos lecteurs trouveront ici un résumé des conclusions admises aujourd'hui par les historiens de saint Vincent Ferrier. 
L'apôtre est à Theix le 30 mars. Le 31 au soir, il se rend à l'abbaye de Prières, près de Muzillac. Il arrive à Guérande le 8 avril. Il prêche à travers la presqu'île, et le 14 avril on le trouve à Saint-Gildas-des-Bois, où après avoir parlé de la persévérance dans les bonnes oeuvres, il guérit une démoniaque qu'on amenait, solidement garrottée, à l'église paroissiale. Il remonte alors vers Rennes, et la capitale de la Bretagne lui fait une réception triomphale. C'est le chapitre qui se charge des frais qu'occasionne son séjour. Les 20, 21, 22 avril, il prêche sur la place Sainte-Anne devant une foule énorme. Toutes les maisons qui commençaient à peupler ce lieu ouvrirent leurs fenêtres aux auditeurs impatients, et virent jusqu'à leurs toits se couvrir des plus impatients. Il eut là jusqu'à 30.000 fidèles assidus à ne rien perdre de ses terribles avertissements. Pendant une dizaine de jours, il parcourut les environs. Fougères, Vitré, Montfort l'ont entendu. Puis il revint à Rennes le 2 mai. 
Le 4 mai au soir, répondant à une invitation que lui avait adressée le roi d'Angleterre, il part pour la Normandie. Il va par petites étapes, toujours monté sur sa vieille ânesse. Chemin faisant, il jette la semence féconde à Aubigné, Bazouges, Antrain, et vers la mi-mai, Henri V, entouré de toute sa cour, le reçoit à Caen. Comme partout, il établit sa mission sur l'autorité du miracle. Un enfant, Guillaume de Villiers, âgé de dix ou onze ans, était muet. Depuis deux ans, il n'avait ni bu ni mangé. Ses parents vinrent demander au saint sa guérison. Saint Vincent fit ouvrir les rangs de la foule, et pendant que l'assistance très nombreuse se mettait en prières, l'enfant parla, but, mangea, et se trouva totalement guéri. Jean de Villiers, frère du miraculé, Gilles Lescarne, Jean Ruault, témoins au procès, affirment d'ailleurs que partout saint Vincent multipliait les prodiges. Quel ne devait pas être l'effet produit sur la masse par cet homme si visiblement envoyé par Dieu ? Le thème de ses prédications n'est pas parvenu jusqu'à nous, mais nous savons assez qu'il ne variait pas. Il dut cependant agir d'une façon toute spéciale sur le roi d'Angleterre pour le décider à mettre fin à la guerre qui désolait la France depuis si longtemps. Son plus vif souci, partout où il passait, était de rétablir la paix et 1a concorde. Il avait réussi en Espagne, en Italie, dans le Midi. 
En Normandie, il échoua. L'oeuvre de la libération du territoire était réservée par Dieu à une enfant de France. Saint Vincent avait apaisé la justice en jetant les foules à genoux : Dieu était décidé à nous donner la victoire. Les hommes d'armes devaient batailler ; celle qui les mènerait au combat,  Jeanne d'Arc, était née. 
Dans les premiers jours du mois de juin, saint Vincent rentre en Bretagne par Dol. Il tourne jusqu'à Saint-Malo. Et vers les derniers jours du mois, le duc de Bretagne Jean V, et Robert de la Motte évêque de Saint-Malo, « le reçoivent dans la ville de Dinan. L'apôtre y fait un assez long séjour, et sa prédication excite un véritable enthousiasme, Il logeait au couvent des Dominicains, mais ici encore la communauté de ville, c'est-à-dire la, municipalité, se chargea de lui fournir tout ce qui lui était nécessaire durant tout le temps qu'il passa dans cette ville ». La vaste place du champ aux chevaux était à peine suffisante pour contenir la foule qui se pressait au pied de sa chaire. Un poème écrit en langage du temps nous dit : - Le clairgé et maints habytans - Notables dyci et dalantour - Du sainct missionnaire à Dinan - Impetrèrent aussi à leur tour - Qu'il pleust de leglize le chanceau - Etre à son agrément quitter. - Pour mieux sur le champ es chevaux, - Devant touz estre à prêcher... - Nulle part plus belle feste fut veue  - Et plus grande dévotion cogneue. Le peuple, de Dinan fondit en larmes quand l'Apôtre annonça qu'il devait le quitter pour continuer sa course apostolique, et on le vit s'éloigner.. Avec meintes larmes et cloches sonnant - Jusqua il fust bien éloigné. De Dinan, saint Vincent se rend par Lamballe, Jugon, Moncontour, à Saint-Brieuc, où il arrive fin juillet. « Comme tout le peuple et les enfants de Saint-Brieuc suivaient partout saint Vincent, il demanda à l'évêque de Saint-Brieuc permission de faire un jour de dimanche quelques instructions en forme de catéchisme, à tous ces peuples, et surtout aux enfants, sur la doctrine chrétienne. L'évêque ravi de cette demande le pria d'interroger quelques enfants sur quel mystère il eût voulut. Tout d'un coup et sans inspiration de personne demandèrent les enfants d'être interrogés par saint Vincent sur les articles de foy qu'il venait de leur prêcher. Le saint religieux eut tant de joye d'entendre les enfants lui demander ce que le prélat de Saint-Brieuc souhaitait de lui, sans qu'il sût qu'ils avaient été instruits, par leur évêque même ! La joye de saint Vincent fut grande... et résolurent les prélats de veiller à ce que le catéchisme se fit encore plus régulièrement dans leur diocèse que par le passé ».
L'Apôtre poursuit sa mission par la côte nord de Bretagne. Le procès de canonisation mentionne Quintin, Châtelaudren, Guingamp, la Roche-Derrien. Il est certain qu'il visita Tréguier, Lannion, Morlaix, Saint-Pol de Léon. Lesneven conserva longtemps dans un reliquaire d'argent « la calotte de Monsieur saint Vincent Ferrier »
Tout porte à croire que la compagnie du saint aida à terminer l'église du Folgoat qui fut dédiée quelques mois plus tard, en 1419. Mgr de Lézeleuc affirmait que la cathédrale de Quimper ou tout au moins les tours ont été construites par les maçons de saint Vincent. 
De Quimper, M. Vincent se dirigea vers l'est, passa par Concarneau, Quimperlé, Hennebont, puis remonta vers l'intérieur et évangélisa Guémené, Pontivy, la Chèze, la Trinité-Porhoët, Josselin, Ploërmel. Il alla une seconde fois à Redon, et descendit de nouveau dans le pays de Nantes. Les compatriotes du saint voyant ses forces diminuer le supplièrent de retourner à Valence. Il accéda à leur désir, et rien ne se comprend mieux que cette emprise sur l'âme du pays natal. Ils partirent la nuit pour se soustraire aux instances du peuple nantais. Mais après de longues marches, ils se retrouvèrent, le lendemain matin, aux portes de lu ville. La volonté divine était manifeste. Saint Vincent devait mourir chez nous. Il rentra dans la ville, prêcha au milieu de Saint-Nicolas. — Un texte officiel nous parle de 70.000 auditeurs. — Les miracles recommencèrent de plus belle. Nantes peut à juste titre faire remonter jusqu'à cet avent de 1418 la merveilleuse fécondité religieuse qu'elle n'a cessé de montrer depuis plusieurs siècles. Dans les premiers jours de 1419, saint Vincent s'achemina lentement vers Vannes où devait s'achever sa prodigieuse carrière.
Note : SAINT VINCENT FERRIER A RENNES. — C'est un récit magnifique dans sa simplicité, que celui de la sainte odyssée du célèbre dominicain espagnol à travers nos campagnes et nos villes bretonnes, au commencement du XVème siècle. Il faut voir dans l'Histoire des Saints de Bretagne, de D. Lobineau, le tableau saisissant des merveilles opérées par l'homme de Dieu, comme l'appelait la foule attachée partout à ses pas. Car peuple, clergé, noblesse, princes, tous s'empressaient à recueillir cette puissante parole qui les transformait et les électrisait. Après avoir parcouru presque toute la Bretagne, on sait que le zélé missionnaire vint aussi à Rennes. Reçu dans cette ville avec non moins d'enthousiasme que dans les autres cités bretonnes, Vincent Ferrier y prêcha, dit D. Lobineau, sur la grande place du cimetière Sainte-Anne, parce qu'il n'y avait point d'église assez spacieuse pour contenir la multitude avide d'entendre de sa bouche la parole de vie. M. Ducrest de Villeneuve (Histoire de Rennes, p. 168) ajoute qu'il s'y fit entendre trois jours de suite : c'est exact. Seulement, nous pouvons compléter ces renseignements en précisant les jours que saint Vincent Ferrier passa à Rennes. En compulsant, aux archives du département, le fonds du Chapitre de Saint-Pierre de Rennes, j'ai retrouvé, dans un compte de l'an 1418, plusieurs notes relatives au passage de notre saint. Le prévôt du Chapitre a inscrit sur son registre, jour par jour, les dépenses faites à cette occasion. C'est un assez curieux détail, qui nous fournit la date exacte de l'arrivée, du séjour et du départ de Vincent Ferrier. Je traduis le texte du compte de Jacques Mandeaye, licencié ès-lois, prévôt et receveur du Chapitre : «  Compte du quartier d'été, 1418 … Item, le mercredi après Jubilate, de l'agrément et sur l'ordre de Messieurs (du chapitre) le prévôt a presenté à Maître Vincent Ferrier, très excellent professeur en écriture sainte, qui dans ses prédications a été très gouté du peuple de Rennes, en pain et en vin, 10 s. ». « Item le même jour, ledit prévôt, sur l'ordre desdits seigneurs, a remis à Droet Vaillant appariteur et aux autres serviteurs du Chapitre, afin de préparer des bancs et des sièges pour lesdits seigneurs pendant les prédications susdites, 5 s. ». « Item, le jeudi suivant, presenté audit Maître Vincent, en pain et vin, 9 s. 4 d. ». « Item, le vendredi suivant, presenté au même Maître Vincent, en pain, vin et poissons, 22 s. 6 d. ». « Item, le lundi avant la fête de l'Invention de la Sainte-Croix, presenté au même, en pain, vin et poissons, 15 s. ». « Item, la veille de la feste de l'Ascencion de N. S., sur l'ordre et commandement dudit chapitre, payé tant pour aider au paiement d'un cheval pour ledit Maitre Vincent que pour pain, vin et poissons à lui offerts, 40 s. ». De ce texte je déduis les dates suivantes : Le dimanche dit Jubilate, des premiers mots de l'introït de la messe, est le troisième dimanche après Pâques. D'après l'Art de vérifier les dates, en 1418, ce dimanche arrivait le 17 avril. Par conséquent, Vincent Ferrier fit son entrée à Rennes le 20 avril, qui se trouve le mercredi suivant. Il y séjourna le 21 et le 22, prêchant et instruisant le peuple. Vient ensuite une interruption jusqu'au 2 mai, veille de l'Invention de la Sainte-Croix. C'est dans cet intervalle que le saint apôtre s'en alla trouver à Caen le roi d'Angleterre, sur l'invitation qu'il en reçut, et qu'il exhorta sans succès ce prince à entrer en accommodement avec le roi de France. Saint Vincent était donc, d'après notre compte capitulaire, de retour à Rennes le 2 mai ; il en repartit le 4, veille de l'Ascension, pour se rendre à Montfort, puis à Josselin, Ploërmel et Vannes, où il devait rendre sa belle âme à Dieu, le 5 avril 1419. (Voir D. Lobineau, Hist. des SS. de Bret., p. 307, 308, 309, éd. in-f°). Voilà donc bien exactement précisées les dates de son double passage à Rennes, ce qui fait en tout six jours. Le pain et le vin offerts chaque jour par ordre des seigneurs chanoines au saint prédicateur, constituaient ce qu'on appelait « les honneurs du chapitre ». C'était un usage adopté vis-à-vis de tous les personnages importants qui venaient pour la première fois à Rennes. Cette offrande honorifique consistait ordinairement en deux estamaulx [Note : L’estamal ou estamoie était un vase avec couvercle : pris comme mesure de capacité, il équivalait à un litre et demi] de vin et deux douzaines (ou 24 livres) de pain capitulaire. En additionnant les dépenses du chapitre enregistrées par le prévôt Mandeaye à l'occasion du double passage à Rennes de saint Vincent Ferrier, on trouve qu'elles montent, pour les cinq journées indiquées, au total de 5 livres 1 sou 10 deniers (P. D.-V.).
III - Second séjour à Vannes - Sa mort :
La seconde entrée de saint Vincent fut tout aussi solennelle que la première. Le clergé et le peuple s'avancèrent processionnellement au devant de lui. La duchesse lui avait fait envoyer sa litière ; il s'y laissa porter au chant des cantiques. Cette fois il choisit une humble cellule dans la rue des Orfèvres. L'état précaire de sa santé nécessitait des soins assidus. La duchesse obtint de lui qu'il logeât dans la maison de Marguerite Le Brun, veuve Dreulin. Malgré l'épuisement qui le minait lentement, l'apôtre reprit le cours de ses prédications. En chaire il gardait toujours la même ardeur. Mais on devait le soutenir pendant le trajet très court qui séparait sa demeure de l'estrade. A chaque passage il lui fallait entendre les cris de détresse d'une multitude de malades venus de deux et trois lieues à la ronde, et son pouvoir inépuisable leur rendait à tous la santé. 
Si la vigueur de cette âme se maintenait intacte, les forces physiques déclinaient rapidement. La duchesse encouragée par son premier succès, dut sans doute le supplier de prendre quelque repos. Et nous signalons, sans lui accorder une créance qui n'est justifiée par aucun texte, la tradition d'Arradon. Le Saint y serait allé chercher la solitude apaisante des bois et du Morbihan. Ses compatriotes Valenciens, qui le suivaient depuis si longtemps, sentaient bien que le dénouement ne saurait plus tarder. Tous les dévouements ne pourraient l'arracher à une mort prochaine. Et ils n'acceptaient pas de laisser à une terre étrangère le soin de recueillir les restes, de celui qui déjà était la gloire de sa patrie. Ils renouvelèrent les instances qu'ils avaient faites à Nantes, et le saint une fois encore acquiesça en souriant. Tout avait été soigneusement préparé dans le plus grand secret. Une embarcation attendait dans le port la colonie espagnole. Le saint fit ses adieux à la duchesse et à la cour, et, la nuit tombée, on fit voile vers la haute mer. On avait caché au bon peuple de Vannes le jour et l'heure du départ, car il se serait énergiquement opposé à cette tentative. Mais, nous dit l'office de saint Vincent, le mal s'étant aggravé tout-à-coup, il fut obligé de revenir. Le lendemain matin il débarquait à la porte de la ville. Les cloches sonnèrent à toutes volées. Tout travail cessant, le peuple accourut en foule « et ce fut réjouissance comme aux jours de grande solennité ». Hélas ! Vannes ne devait plus entendre la voix qui avait réveillé les âmes d'une léthargie mortelle. Les malades ne se donneraient plus rendez-vous dans la cour Dreulin, leurs fronts ne se courberaient plus sous sa main bénissante. L'apôtre thaumaturge, le semeur de vie matérielle et morale, se couchait sans espoir de retour dans le sillon miraculeusement creusé. 
Le 25 mars 1419, saint Vincent fut saisi d'une fièvre violente. Il s'alita. Les médecins de la duchesse s'empressèrent autour de lui. On réussit, non sans peine, à lui faire accepter un matelas. Germaine de Bazvalan nous apprend qu'après bien des résistances il quitta son cilice. Mais il ne voulut pas entendre parler d'un changement dans le régime austère qu'il s'était imposé. Il refusa tout aliment gras : on fut obligé de surprendre sa bonne foi, en lui disant que la préparation qu'on lui faisait prendre était faite avec de la chair de poisson. 
La cour, l'évêque, les magistrats, le peuple se succédaient près de son lit. Tous pleuraient à chaudes larmes. Il les consola et leur fit ses adieux : « Messieurs les Bretons, dit-il, si vous voulez vous rappeler dans votre mémoire tout ce que je vous ai prêché pendant deux ans, vous trouverez qu'il n'est pas moins utile pour votre salut que conforme à la vérité. Vous n'ignorez pas à quels vices votre province était sujette, et que de mon côté je n'ai rien épargné pour vous ramener dans le bon chemin. Rendez grâces à Dieu avec moi, de ce qu'après m'avoir donné le talent de la parole, il a rendu vos coeurs capables d'être touchés et portés au bien. Il ne vous reste plus qu'à persévérer dans la pratique des vertus, et à ne pas oublier ce que vous avez appris de moi. Pour ce qui me regarde, puisqu'il plaît à Dieu que je trouve ici la fin de mes travaux, je serai votre avocat devant le tribunal de Dieu ; je ne cesserai jamais d'implorer sa miséricorde pour vous, et je vous le promets, pourvu que vous ne vous écartiez pas de ce que je vous ai enseigné. Adieu je m'en irai devant le Seigneur dans dix jours d'ici »
Dès lors, il ne songea plus qu'à se préparer à la mort. Il fit appeler le curé de Saint-Pierre, Jean Collet, qui était son confesseur, reçut l'absolution avec l'indulgence plénière in articulo mortis. Puis on lui porta le saint viatique. 
Le neuvième jour, sentant l'agonie prochaine, il réunit les compagnons qui lui étaient restés fidèles. Il leur confia ses recommandations suprêmes. Il se fit lire la passion du Sauveur et récita lui-même les psaumes de la pénitence. Puis il perdit l'usage de la parole. En toute hâte, Jean Collet lui administra l'extrême onction. La duchesse de Bretagne était là, pieusement agenouillée, en compagnie de ses dames d'honneur. Les ecclésiastiques, parmi lesquels on cite les noms du recteur de Sainte-Marie du Mené. Yves Simon, de Pierre Helyas, et de l'archiprêtre Yves Gluidic, se tenaient en habit de coeur. 
Sa mort. — Bientôt le saint missionnaire entra en agonie. Il joignit les mains, leva les yeux au ciel, étreignit une dernière fois son crucifix, « et le mercredi de la semaine de la Passion, 5ème jour d'avril, en l'an 1419, le glorieux confesseur et ami de Dieu, frère Vincent Ferrier, natif d'Arragon, religieux de l'ordre des Frères Prêcheurs, rendit à Dieu l'esprit, en la ville de Vannes, en l'hôtel d'un des bourgeois de la ville nommé, Le Faucheur »
Avec le pieux respect qu'inspire la sainteté, la duchesse lava les pieds de celui qui avait parcouru le monde en héraut de la justice divine. Elle garda comme une relique la cape dont il était vêtu. 
Avant de s'endormir pour toujours, M. Vincent avait confié à l'Evêque de Vannes et au duc le soin de choisir eux-mêmes le lieu de sa sépulture. Sage précaution, car le bruit courait qu'on se disputerait l'honneur de garder sa dépouille glorieuse. L'évêque Amaury décida qu'il serait enterré dans la cathédrale. 
Sa sépulture. — Pendant que Jean Lavazi, charpentier de la paroisse de Saint-Salomon, fabriquait le cercueil, l'évêque et le chapitre firent garder la maison par des hommes armés. Ce fut l'archiprêtre Yves Gluidic qui procéda lui-même à la mise en bière. Quand l'évêque de Vannes, accompagné de l'évêque de Saint-Malo et précédé de tout le clergé, vint faire la levée du corps, une délégation de religieux se présenta pour revendiquer saint Vincent. « Ils le conserveraient, disaient-ils, comme un dépôt sacré, jusqu'à ce que l'ordre des Frères Prêcheurs aurait décidé ». Les chanoines, forts de la volonté clairement manifestée du défunt, firent avancer les hommes en armes. Une mêlée s'engagea. Plusieurs religieux furent blessés. Le corps, enlevé de force, fut porté par des ecclésiastiques jusque dans la cathédrale. 
Le lendemain, vendredi 7 avril, les funérailles, eurent lieu en grande solennité. La messe fut chantée par Yves Dano, et l'inhumation fixée à quatre heures, du soir. 
Sa tombe. — La tombe avait été creusée par Guillaume Roberti entre le choeur et le maître-autel, du côté nord, en face du siège de l'évêque. Une foule énorme se pressait dans la cathédrale. Des prêtres descendirent eux-mêmes le corps du Saint au lieu de son repos. Puis on fit recouvrir la tombe de grosses barres de fer sur lesquelles on plaça des pierres d'un poids considérable. Et la foule s'écoula lentement en proie à la plus vive émotion. « Non seulement ceux qui furent présents à sa mort, mais encore la ville entière fut plongée dans la douleur. Partout on ne s'entretenait que du malheur commun, partout des gémissements, partout des lamentations, auxquels se mêlaient les louanges du Saint. — A mesure qu'on le louait, l'enthousiasme grandissait  et les louanges redoublaient. Personne n'était taxé d'exagération en louant ainsi cet homme, modèle achevé de toutes les vertus »
Maître Vincent n'était plus de ce monde. L'Ange du jugement avait repris sa place aux pieds de l'Eternel, attendant que les crimes de la terre rendent nécessaire un deuxième avertissement bientôt suivi de la sentence irrémissible. Mais pas plus qu'elle n'interrompt la véritable vie — celle de l'âme — la mort ne peut briser l'activité féconde des Saints. 
Saint Vincent avait promis à ses « bonnes gens » de Bretagne de ne jamais les oublier. Il tint magnifiquement parole, et son tombeau fut la source vivante d'où jaillirent à flots pressés des prodiges éclatants. Leur nombre lassa la patience des commisssaires enquêteurs, mais leur effet se fit sentir à toutes les paroisses de notre pays. 
Elles sont toujours là — une grande partie du moins — dans notre église cathédrale, les reliques qui prouvèrent à nos aïeux l'incomparable puissance de saint Vincent. Plusieurs siècles se sont écoulés. Le temps n'a eu de prise que sur nos coeurs où il a jeté l'oubli. La poussière de ces ossements a gardé son immortel pouvoir : nous pourrions en faire l'épreuve, si nous avions la foi.
Bretagne : Vincent Ferrier, missionnaire et prédicateur
Saint Vincent Ferrier depuis plusieurs siècles
L'immense soulèvement produit dans le monde des âmes par l'action surnaturelle de M. Vincent Ferrier ne pouvait se calmer par la disparition de l'Apôtre. Longtemps après que le vent a cessé de souffler en tempête, les vagues se succèdent, puissantes encore, au large de nos côtes. Les foules se pressèrent autour de son tombeau, comme autrefois autour de sa personne. Les pèlerins venaient des quatre coins de la Bretagne affirmer leur attachement à l'enseignement du missionnaire ; le saint leur répondait par une abondance inouïe de prodiges. Les archives du Chapitre de Vannes conservent les détails de ces merveilleux échanges entre le ciel et la terre. Il y eut une telle affluence d'offrandes déposées sur la pierre sacrée du tombeau, que l'évêque de Vannes dut prendre une ordonnance réglant la répartition de ces dons de toute nature. Des sommes importantes furent recueillies qui permirent de restaurer la cathédrale. 
Quant aux miracles obtenus par la foi des fidèles, ils étaient chaque dimanche publiés à l'église, et chaque semaine la liste en était interminable. Trente quatre ans plus tard, une enquête fut prescrite par Rome pour authentifier toutes ces merveilles. Les Commissaires ne purent en recueillir qu'une faible partie. 313 témoins vinrent déposer sous la foi du serment. Et après quelques semaines les délégués écrivirent aux cardinaux nommés par le pape : « Nous avons reçu et interrogé tant de témoins, ils nous ont énuméré tant et de si grands miracles opérés par l'homme de Dieu, comme en font foi les dépositions ci-jointes, que nous jugeons superflu d'en interroger davantage, et bien que chaque jour encore, des prodiges sans nombre s'accomplissent au saint tombeau, nous closons là notre enquête... »
Personne ne pouvait douter qu'un jour Vincent Ferrier serait l'objet d'un culte officiel. Par trois fois, il l'avait annoncé lui-même : désignant dans la foule Alphonse Borgia, qui n'était encore qu'un enfant, il avait dit : « Celui-ci me canonisera ». L'enfant, devenu vieillard, monta sur le trône pontifical, le 8 avril 1455. Son premier souci fut de faire droit aux instances renouvelées des évêques, des princes et des peuples, et la solennité de la canonisation eut lieu dans l'église de la Minerve le 29 juin 1455. Les ducs de Bretagne s'étaient fait remarquer par leur zèle pour la Cause du nouveau Saint. Aussi les Bretons étaient-ils en bonne place dans les fêtes de Rome. Les Etats de Vannes, en 1462, mentionnent que « à la canonisation de Saint Vincent, les Bretons mirent les bannières de Bretagne couronnées ». « Il serait injuste, écrivait le Pape au duc François II, de ne pas louer le zèle et l'infatiguable diligence qu'ont apportés à cette affaire vos envoyés. Nous avons tenu à les recevoir avec tout l'honneur possible... ». C'était, en effet, à nous Bretons qu'était échu l'honneur de veiller avec un soin jaloux sur le souvenir du grand Thaumaturge. Nous gardions ses reliques : nous ne pouvions laisser péricliter sa mémoire. Cinq ou six-ans après la mort du Saint, il y eut bien un moment de tiédeur dont témoigne Pierre Floch. Mais le mouvement des pèlerinages reprit avec instance. 
Il devenait d'ailleurs nécessaire de parer au danger qui menaçait notre précieux trésor. Malgré les dernières volontés très nettement exprimées par saint Vincent, malgré les ordonnances du duc de Bretagne confirmées par une bulle de Nicolas V, les Dominicains tentèrent d'obtenir les restes de celui qui était la gloire de l'ordre des Frères Prêcheurs, En 1458, ils adressèrent à Pie II une requête longuement motivée. Mais les délégués du duc de Bretagne purent déjouer leur pieux stratagème et l'Eglise de Vannes vit établir définitivement son droit de propriété. 
Valence qui lui avait donné le jour supportait aussi difficilement de le voir exilé loin du sol natal. Pendant les guerres de la Ligue, des Espagnols étaient venus combattre pour la cause catholique sous les ordres du duc de Mercœur. Celui-ci, en reconnaissance des services rendus, accepta de transmettre au Chapitre de Vannes la demande de translation des reliques. C'était en 1592. Mercœur fut poliment éconduit. Les Valenciens essayèrent alors d'agir par ruse. Ils devaient profiter d'une fête populaire. Mais, prévenu à temps, le plus ancien des chanoines cacha si bien le dépôt qu'on ne put le trouver jusqu'au départ des Espagnols. Après bien des vicissitudes, ces ossements sacrés sont parvenus jusqu'à nous. Le 24 avril 1816, Mgr Bausset-Roquefort en fit une reconnaissance officielle, et l'on pût constater que la très grande partie des restes de saint Vincent se trouve répartie en trois reliquaires : l'un en forme de châsse, l'autre dans le buste du Saint, le troisième étant un petit coffret d'argent. Nous savons officiellement que quelques reliques insignes en ont été distraites. Mais le Chapitre de la cathédrale a fait preuve au cours des siècles d'une pieuse intransigeance. 
Certes, la ville de Vannes s'est montrée fidèle au culte de son saint patron. La confrérie érigée en son honneur et qui reçut l'approbation du pape le 31 août 1637 est encore florissante au début du XXème siècle. Mais le moment n'est-il pas venu de réveiller la dévotion de la Bretagne entière envers celui qui fût son bienfaiteur ? Nous nous permettons de signaler à nos compatriotes l'exemple des fidèles d'Espagne. Tous les ans, Valence se distingue par l'éclat de ses cérémonies. Mais rien n'égale la solennité grandiose des « Centenaires de saint Vincent ». Tous s'y donnent rendez-vous dans un même sentiment de reconnaissance et de foi. Nous ne décrirons pas ces processions où toutes les classes sociales, tous les métiers, sont représentés. Le récit du troisième centenaire fait par un Jésuite remplit un volume qui n'a pas moins de 450 pages. Je veux bien que nous n'ayons pas l'imagination ardente de ceux qui vivent au chaud soleil de Catalogne. Mais pour garder le droit d'être moins bruyant, notre amour pour saint Vincent doit-il rester jalousement enfermé dans le secret de nos coeurs ? Il courrait le risque d'y mourir étouffé. D'ailleurs ce ne sont pas des honneurs privés qui conviennent à celui qui a sauvé la Bretagne et le monde. C'est un hommage vraiment national que nous sommes tenus de lui rendre. Et puisque, nous Bretons, nous avons été privilégiés entre tous, nous saurons montrer que la reconnaissance s'épanouit d'autant plus qu'elle plonge plus profondément ses racines dans les âmes croyantes.

livres-mystiques.com – en ligne 5 mai 2016

St Vincent Ferrier - Traité de la Vie spirituelle
Imprimatur : Namur, 18-IX-56 P. Blaimont, vic. gén.
St Vincent Ferrier

EXTRAITS DE SERMONS
I. L'incarnation révélée à saint Joseph
II. La fuite en Égypte
III. L'Apparition de Jésus à sa Mère
IV. La Passion du Christ et la conversion des Juifs
V. Les joies et les signes du repentir
VI. Le sens caché des Écritures
VII. Sur la persévérance
TABLE DES MATIÈRES

SA VIE – SES ŒUVRES

- Préface


Partie I : Les Fondements de la Vie spirituelle
I. La pauvreté volontaire
II. L'amour du silence
III. La pureté de cœur
IV. L'union divine

Partie II : La Pratique de la Vie spirituelle
V. Le directeur de conscience
VI. L’obéissance
VII. Le comportement extérieur
VIII. Le sommeil et les veilles
IX. La lecture et l’étude
X. L'office choral
XI. La prédication
XII. La confession
XIII. Remèdes contre quelques tentations spirituelles

Partie III : Les exigences de la Vie spirituelle
ou La montée des Ames

XIV. La volonté de progrès ou l’aspiration à la perfection
XV. La volonté de progrès dans les différentes catégories de chrétiens
 
Appendice et posface : Exercices Spirituels,
Maximes et Vision d'avenir

XVI. Les deux principes de la vie spirituelle
XVII. La gymnastique spirituelle
XVIII. Le véritable service de Dieu
XIX. Les cinq tercets de la vie spirituelle
XX. Prophéties sur la venue des hommes apostoliques
EXTRAITS DE SERMONS


I. L'incarnation révélée à saint Joseph


Nous débutons par un extrait du sermon In vigilia nativitatis Christi. Nous suivons le prédicateur pas à pas, mais retranchons tout ce qu'il dit d'une cosmogonie maintenant passée de mode, à laquelle d'ailleurs il n'attache lui-même pas grande importance, et qui n’intéresserait plus un lecteur moderne. Il suppose, ce qui n'est nullement prouvé, que saint Joseph était vieux et âgé, alors que Marie était jeune et belle. L'exposé est très clair et se lit facilement.

* *
*

Différence entre la conception et la naissance.
La Sainte Écriture met une différence considérable entre la conception de Notre-Seigneur et sa naissance. Celle-ci, non seulement ne fut pas mystérieuse et cachée, mais il paraît évident, au contraire, que Dieu a voulu l'annoncer et la notifier au monde tant par le ministère des anges que par des signes célestes, comme l'étoile parue en Orient, par les animaux de la crèche, par les rois venus des régions orientales. Quant à la conception, tout au contraire, Dieu a semblé la couvrir d'un voile mystérieux. Il ne l'a révélée à personne au monde, ni aux patriarches, ni aux prophètes, ni aux saints. Seuls l'Archange Gabriel et la Vierge Marie en ont possédé le secret. Malgré cette différence évidente entre sa conception et sa naissance, malgré le mystère dont sa conception fut couverte à l'origine, elle se manifesta peu à peu, comme toute maternité devient évidente en approchant de son terme. Il en fut ainsi de la Sainte Vierge, dont la maternité, en raison de ses signes extérieurs, ne pouvait plus se dissimuler. Montrons donc que Joseph s'en rendit compte de trois façons.


I. Par le témoignage de ses sens

1. De la vue surtout. - Toute connaissance part d'une sensation. Par la vue, nous connaissons les couleurs, par l'ouïe les sons, par l'odorat les odeurs, par le goût les saveurs et par le toucher nous distinguons ce qui est dur ou mou, ce qui est chaud ou froid. Si vous demandez : Comment savez-vous cela ? On vous répond : Parce que je l'ai vu ou entendu ou senti, etc. Toute votre connaissance vient donc évidemment, d'ordinaire, des sens, et le philosophe nous atteste que les sens, et surtout la vue, lorsqu'ils sont dans leur état normal, ne se trompent jamais sur leur objet propre. C'est pour cela que les seigneurs juges établissent une différence considérable entre les témoins oculaires et les témoins qui ne rapportent que ce qu'ils ont entendu dire ou ce qu'ils croient le témoin oculaire l'emporte sur tous les autres. C'est ainsi que Notre-Seigneur reprochait aux Juifs de refuser de croire, en leur disant : Nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez pas notre témoignage ! (Jean, III, 11)

2. Anxiété de Joseph. - Donc la future maternité de la Vierge Marie fut reconnue par Joseph, son époux. Vous savez comment après qu'elle eût conçu, Marie s'en alla toute joyeuse visiter sa cousine Elisabeth enceinte de Jean-Baptiste et dont l'ange lui avait annoncé la grossesse. Elle y demeura trois mois, dit saint Luc. Joseph vint la voir à son retour de Nazareth et constata sa future maternité déjà visible. Imaginez la stupéfaction de Joseph qui, non seulement ne s'était pas approché d'elle, mais que Marie, au dire des saints docteurs, avait elle-même engagé, après leurs épousailles, à faire le vœu de virginité comme elle l'avait fait elle-même. Constatant sa maternité prochaine, il n'en pouvait croire ses yeux.

3. Il constate la sainteté de sa femme. - Comme le dit saint Bernard, Joseph, qui connaissait la sainteté de Marie, ne pouvait croire qu'elle eût péché, et cependant, il ne pouvait se dissimuler sa maternité prochaine et l'impossibilité naturelle pour une femme de se trouver dans cet état, sans le concours des œuvres d'un homme. Son cœur était comme une olive entre deux meules. Prudent et sage comme il l'était, il savait qu'une femme légère se trahit toujours par l'absence d'une piété sincère, par sa loquacité, l'immodestie de ses manières, son amour de la bonne chère, sa paresse, sa vanité et son mépris pour son mari. Or, rien de tout cela en Marie, tout au contraire.

Elle est pieuse. - Il ne pouvait trouver femme plus pieuse et plus sainte, plus constamment appliquée à l'oraison, aux saintes lectures et à la contemplation, ce triple fondement sur lequel doit s'établir toute femme qui ne veut pas tomber.

Elle est silencieuse. - Une femme silencieuse est bonne. Pour peindre cet amour du silence chez Marie, on la représente avec les yeux plus grands que la bouche, afin de nous apprendre combien son âme avait de grands yeux pour contempler et considérer les merveilles de Dieu et combien sa bouche s'ouvrait peu pour parler.

Elle est modeste. - Elle ne se mettait jamais curieusement aux fenêtres. Elle ne sortait de chez elle que pour aller au Temple, s'y rendant avec une parfaite modestie, les yeux baissés et recueillis. Elle ne cherchait pas à se faire remarquer et ne regardait pas autour d'elle.

Elle est mortifiée. - Marie mangeait fort peu, seulement ce qui lui était nécessaire pour ne pas défaillir ; elle était sans cesse dans le jeûne et l'abstinence.

Elle est laborieuse. - Jamais oisive, elle s'occupait toujours à des œuvres saintes. Saint Jérôme dit qu'elle se levait la nuit pour prier. Ensuite elle filait, tissait, etc.

Elle est sans vanité. - Marie ne se souciait pas de parure : elle lavait son visage à l'eau pure de ses larmes. Sainte Anne, sa mère, la parait elle-même, et par déférence pour sa mère, elle s'habillait ainsi à la maison, jamais au dehors : C'est tout le contraire de ce que font nos jeunes filles modernes.

Elle est respectueuse envers son mari. - Malgré sa jeunesse, sa noblesse et sa beauté, malgré l'âge et la pauvreté de son époux, elle l'honorait plus qu'aucune femme au monde.

4. Crainte et tremblement. - Ainsi donc Joseph, loin de trouver aucun signe de perversion en Marie, y constatait, au contraire, toutes les vertus, tous les sentiments qui font les saintes femmes. Mais il avait beau se demander si, par hasard, la nature pouvait amener la maternité chez une femme sans l'œuvre de l'homme, il était obligé de constater que cela ne s'était jamais vu. Aussi était-il dans la plus cruelle perplexité et son cœur était broyé comme entre deux meules. D'un côté, il ne voulait pas la dénoncer, car elle eût été lapidée sur-le-champ. D'autre part, comme il était juste, il ne voulait pas se faire complice d'une faute ; et c'est pourquoi il se résolut à la renvoyer secrètement.
Voici donc démontré par le témoignage des sens que Marie allait devenir mère. Tirez-en cette leçon, bonnes gens, qu'il faut veiller avec soin, comme Joseph, avant de contracter mariage, pour découvrir tout empêchement possible de parenté, d'affinité ou autre.

II. Par 1e témoignage de la Sagesse divine

1. Comment connaître les mystères divins ?
D'après saint Thomas, les mystères, c'est-à-dire les secrets divins dont le principe réside dans la seule volonté libre de Dieu, ne peuvent être connus qu'autant qu'il plaît à Dieu de nous les révéler. C'est évident : ce que j'ai dans le cœur, vous ne pouvez le savoir sans que je vous le dise ; à plus forte raison, en est-il de même des pensées de Dieu. Les phénomènes qui se produisent selon les lois de la nature peuvent être prévus ; il suffit d'en connaître la cause naturelle. Le médecin peut prévoir l'heure de la mort d'un malade, parce que, si l'événement est encore futur, la cause qui doit le produire est déjà présente. Il n'en est pas ainsi de la libre volonté de Dieu. Joseph voyait bien l'état de son épouse, mais il n'avait aucun moyen naturel de découvrir la vérité de ce qui se passait ; la conception de Jésus n'avait aucune cause proportionnée dont elle pût être l'effet naturel : elle n'était produite ni par l'influence des constellations célestes, ni par aucune autre opération, que ce fut celle des anges, des éléments ou des hommes. Elle ne pouvait donc être connue que par révélation divine. Sachant combien Joseph était un homme d'éminente sainteté, combien il était juste et parfait, nous pouvons imaginer avec quelle ardeur il recourut à Dieu par la prière, pour qu'il plût à sa Miséricorde de l'éclairer sur les desseins de sa volonté. C'est ce que fit Joseph en effet. Il se mit d'abord en oraison et dit à Dieu : Seigneur, vous m'avez fait une grande grâce en me donnant pour épouse cette jeune fille, mais je vois qu'elle va devenir mère. Comment une si sainte femme peut-elle être dans cette situation ? À ces prières il mêlait d'abondantes larmes. Je crois bien aussi que, de son côté, Marie priait avec ferveur pour obtenir à son époux bien-aimé les consolations dont il avait besoin. Dieu allait exaucer ces prières si parfaites.

2. Solution d'une difficulté
Mais pourquoi Marie ne lui dit-elle pas ce qui en était quand elle vit sa tristesse et sa perplexité : car certainement il l'eût crue sur parole, bien qu'aujourd'hui peut-être un époux n'en croirait pas son épouse. Je réponds qu'il ne suffit pas, en effet, pour avoir le droit de révéler un secret confié à notre religion et qui est, d'ailleurs, bon, juste et saint, qu'il doive un jour être connu d'une autre manière. Aussi Marie qui avait la conscience la plus délicate, n'osa pas révéler ce secret dans la crainte d'offenser le roi du ciel. Quelle leçon pour tant de personnes irréfléchies qui ne savent pas se taire et qui, lorsque Dieu leur fait quelque grâce ou leur donne quelque lumière se hâtent de le publier partout, souvent fort mal, surtout quand elles prennent des illusions diaboliques pour des révélations d'en haut. Elles ressemblent à la poule qui ne parvient pas à se taire, et qui trahit l'œuf qu'elle vient de pondre, et qu'on lui ravit aussitôt.

III Par le témoignage des vertus spéciales de Marie

Aux approches de la naissance les femmes sont généralement maigres, pâles, dégoûtées de tout, capricieuses dans leurs envies. Marie ne l'était pas. Dès ce moment son visage s'illumina de rayons de gloire, surtout aux approches de ses couches. Trois raisons le démontrent.

1. La raison philosophique, c'est que le philosophe nous enseigne que tout agent naturel en produisant la forme substantielle, produit en même temps et dans la même mesure, les formes accidentelles qu'elle exige de sa nature : l'agent qui produit le feu produit par là même la chaleur et la lumière. Or, c'est de sa forme substantielle que Dieu a donné à Marie son divin Fils. Rien d'étonnant donc s'il lui donna cette gloire qui se reflétait sur le visage de sa mère, qui, alors apparut rayonnante de grâce et de beauté.

2. L'argument théologique se tire du 34° chap. de l'Exode, qui nous raconte que Moïse en s'entretenant avec Dieu sur la montagne, emporta sur son visage deux rayons de gloire tellement éblouissants que le peuple d'Israël ne pouvait plus le regarder en face.
Raisonnons maintenant. Si le visage de Moïse s'était illuminé de la sorte dans un simple entretien avec Dieu, à combien plus forte raison la conception du Christ devait-elle faire resplendir le visage de Marie.

3. Je le prouve enfin par l'expérience : un vase de cristal, qui est lui-même transparent et beau, le deviendra plus si l'on met à l'intérieur une lampe allumée. De même pour Marie, dont le corps était plus pur et plus beau qu'aucun vase de cristal, quand il reçut en lui la lumière qui illumine le monde, le fils de Dieu.
Ne nous étonnons pas par conséquent qu'en ce moment Marie fût devenue plus rayonnante et plus belle, au point qu'à cause de ce rayonnement sans doute, Joseph ne la connut pas (Mt. I, 25). Pensez aussi avec quelle humilité après la révélation divine, Joseph demandait pardon à Marie de l'avoir soupçonnée et lui disait : Ô femme bénie, pourquoi ne m'avez-vous rien dit ? Je vous aurais crue certainement. Et sa sainte épouse le consolait, en le félicitant d'avoir été choisi comme l'époux et le compagnon de la Mère de Dieu et comme le père nourricier de son Fils. Ô famille bénie ! Comme tous les deux se confondaient en ardentes adorations devant le Dieu incarné dans le sein virginal.
(Trad. de Scorbiac)


II. La fuite en Égypte


Il y a, dans la prédication de maître Vincent, tout un art de présenter et de commenter la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est un thème qui revient, souvent dans ses sermons, à tel point qu'un auteur anglais, signalé dans notre introduction, a réuni les différents aspects de la personnalité du Christ en une magnifique anthologie. « À ce propos, écrit le P. Gorce (Saint Vincent Ferrier, Pion, Paris 1924, p. 134), la variété d'accents de Vincent Ferrier est inépuisable. Il sait atteindre, pour dépeindre l'enfant Jésus, à une douceur limpide, à une grâce fondante ». On retrouve dans le développement de ces thèmes toute l'inspiration, la subtilité, l'art personnel de maître Vincent. Telle page, reproduite ici, et puisée dans la légende ou dans les apocryphes de la Vierge, pourrait figurer parmi les Fioretti. Il faut la lire avec une âme d enfant, pour en savourer la naïveté et la fraîcheur.

* *
*

THÈME : De l'Égypte j'ai rappelé mon fils. (Mt., Il, 15).
Présentement je dois vous entretenir de la fuite du Christ, quand, à cause d'Hérode il se réfugia en Égypte. C'est un sujet très pieux et, s'il plaît à Dieu, utile aux âmes. Mais avant tout, recourons à la protection de la bienheureuse Vierge Marie. Ave Maria.

De cette humble fuite du Christ nous dirons trois choses :
1° Comment elle fut révélée divinement.
2° Comment elle fut exécutée humainement.
3° Comment le retour eut lieu finalement.


I. Révélée divinement

1. Nécessité de cette révélation
Comment a-t-il pu se faire que le Christ qui était établi dans la terre promise où était adoré le seul Dieu, se soit réfugié dans l'Égypte, terre des infidèles où étaient adorées les idoles ?
C'est pour cela que la fuite du Christ ne devait avoir lieu que par révélation divine. Car si quelqu'un d'entre vous voulait passer du royaume catholique de Castille au royaume mauresque de Grenade, il devrait savoir que ce serait une affaire sérieuse. Et c'est pour cela qu'elle fut révélée... Et voici comment : Hérode savait que le Christ était né à Bethléem, et sentait que les Juifs, par crainte de lui, n'osaient pas parler ouvertement de la naissance du Christ vrai Messie, naissance accompagnée de tant de prodiges qu'ils avaient vus, mais qu'ils devaient dire en secret : Hérode ne tardera pas de tomber ; c'est pour cela qu'il cherchait à mettre à mort l'enfant. Et c'est la raison pour laquelle l'ange apparut, comme il est dit dans l'Evangile d'aujourd'hui : Voilà que l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu'à ce que je t'avertisse. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le taire périr ». (Mt., II, 13).
C'est donc ainsi que la fuite du Christ fut divinement ordonnée par l'ange.

2. Pourquoi pendant le sommeil de Joseph ?
Mais pourquoi une chose aussi grande et aussi solennelle que la fuite du Christ d'une terre fidèle à une terre infidèle a-t-elle été faite en songe et non dans la veille, surtout que nous ne devons pas ajouter foi aux songes, selon la parole de l'Écriture : Vous n'observerez pas les songes (Lev., XIX, 26). Et ailleurs : Prends garde que se trouve au milieu de vous quelqu'un qui observe les songes (Deut., XVIII, 10). Si donc nous ne devons pas observer les songes, comment une chose aussi grave qu'une révélation divine a-t-elle été faite en songe ? Pour réponse, sachez que pour les révélations divines, il faut un cœur préparé, un cœur tranquille et non troublé par les affaires du monde. C'est ce que nous lisons dans les vies des Pères à propos des trois compagnons ...Les Juifs ont un cœur dissipé dans les affaires de ce monde, et c'est pour cela qu'ils ne peuvent pas recevoir la révélation divine qui les éclairerait, et qu'ils ne voient pas la vérité du salut.
Or, saint Joseph avait le cœur dissipé à cause de l'anxiété que lui causait le Fils de la Vierge, sachant que l'enfant était Fils de Dieu et qu'Hérode cherchait à le faire mourir. De plus, il était occupé à son travail d'artisan. La révélation fut donc faite à Joseph en songe, parce qu'alors il avait le cœur tranquille. Mais, dira-t-on, comment savoir que telle révélation faite en songe est divine ? C'est par la clarté du soleil qu'on sait qu'il fait jour. Et quand une révélation éclaire et donne des forces, on sait qu'elle est de Dieu. S'il y a doute, ce n'est pas Dieu qui en est l'auteur. Le saint homme Job nous apprend que la révélation se fait en songe : Dans l'horreur d'une vision nocturne (Job., IV, 13).

3. Pourquoi cette révélation a été faite non à Marie, mais à Joseph
La Vierge Marie avait le cœur tranquille, c'est pour cela que la révélation de la conception et de l'incarnation du Christ lui fut faite par l'ange, non en songe, mais dans la veille, et qu'elle dut être faite à elle plutôt qu'à Joseph. Ce.fut aussi parce qu'elle était plus sainte que Joseph et plus élevée en dignité et en perfection, étant la Mère du Fils de Dieu. Mais bien que Marie fût plus élevée en dignité et en toute perfection, cependant Dieu a voulu par cet exemple, apprendre que ce n'est pas à elles, mais aux maris à gouverner la maison, fussent-elles de noble race et leur mari de basse extraction : Que toutes les épouses des grands et des petits rendent honneur à leurs maris (Esth., I, 20). L'homme est le chef : et de même que le chef est au-dessus de tous les membres, ainsi le mari doit être au-dessus de l'épouse. Et comme changer de domicile pour passer d'un État dans un autre appartient à l'administration du mari, voilà pourquoi la révélation fut faite à Joseph plutôt qu'à Marie.


II Exécutée humainement

1. Le départ de nuit
La révélation reçue de l'ange, Joseph se lève en toute hâte, pouvant à peine respirer. La Vierge Marie avait coutume de se lever au milieu de la nuit, au dire de saint Jérôme, pour se livrer à la contemplation et à la prière : Au milieu de la nuit je me levais pour te louer (Ps. CXVIII, 62). Elle se rendit à l'oratoire de son Fils, qui goûtait un sommeil humain pendant que la divinité veillait. Joseph frappe doucement à sa porte. Elle ouvre et lui dit : Père, que désirez-vous ? Joseph hors d'haleine, pouvant à peine parler, lui dit de prendre l'enfant, car Hérode va chercher l'enfant pour le perdre (Mt., II. 13). Joseph s'occupa de sangler l'âne, et la Vierge prenant l'enfant qui dormait l'invoquait pour qu'il les dirigeât dans leur voyage. Et Joseph prit l'enfant et sa mère de nuit (Ibid., 14). Ils confièrent la clef de la maison à quelque voisin, et partirent tremblants à travers la ville, sans frapper à aucune porte.

2. Ils partent pour l'Égypte, et quelle Égypte !
A) CRUAUTE DES ÉGYPTIENS. - Quand ils furent hors de la ville, Marie demanda à Joseph si Dieu lui avait révélé où ils devaient aller, et il dit que c'était en Égypte. Marie en fut très affligée, à cause des trois vices qui régnaient en Egypte : la cruauté, l'immoralité et l'infidélité. Mais Dieu, dit la légende, lui envoya une consolation en route. Il était midi, et ils se reposaient sous un arbre où Dieu fit deux miracles. L'arbre qui avait des fruits pencha ses branches sur le sein de la Vierge, et Dieu fit sourdre une source d'eau. Marie en fut fortifiée, non seulement pour le service rendu, mais aussi pour sa signification. L'abaissement de l'arbre lui fit comprendre que leur cruauté baisserait, et le jaillissement de la source qu'ils les traiteraient bien pour leur consolation. Ceci est dirigé contre les Juifs qui n'ont pas voulu recevoir le Christ. Car alors fut accomplie la prophétie : Je t'aimerai, Seigneur, toi ma force, et mon refuge et mon libérateur (Ps., XVII, 2-3). - Le peuple que je n'ai pas connu m'a servi... Des fils étrangers m'ont menti (Ibid., 45-46).

B) PERVERSION DES ÉGYPTIENS. - Les Égyptiens étaient également pervertis. Mais alors. Dieu donna tant de grâces pudiques à la Vierge que tous les Egyptiens qui la voyaient devenaient chastes, à tel point qu'ils furent pleins de respect pour elle et ne se sentirent pour elle aucune inclination coupable, disent les commentateurs. La Vierge dès lors pouvait dire : Moi comme une vigne j'ai produit des fruits d'une odeur suave, et mes fleurs sont des fruits d'honneur et d'abondance (Eccli., XXIV, 23). Il est dit : Comme une vigne, car d'après les sciences naturelles la vigne répand une telle bonne odeur que nulle bête puante ne peut alors rester dans la vigne, mais s'en éloigne promptement. C'est ainsi que ces hommes à l'aspect de la Vierge chassèrent loin d'eux toute pensée impure. Ses fleurs sont des fruits d'honneur, car ils la traitèrent avec grand respect, et d'abondance, car ils ne la laissèrent manquer de rien.

C) IDOLÂTRIE DES EGYPTIENS. - Les Egyptiens vivaient dans l'infidélité. Et bien qu'il soit dur d'aller d'un pays religieux dans une terre infidèle, Dieu ne laissa pas de consoler Marie contre cette infidélité. Un historien raconte que lorsqu'ils se livraient à l'idolâtrie, Jésus vint en Egypte et leur prêcha qu'il fallait croire et adorer le seul vrai Dieu. Ils lui répondirent qu'ils n'adoreraient que s'ils voyaient de leurs yeux ce qu'il fallait adorer. Il leur dit : Puisque vous ne voulez adorer que ce que vous voyez, je vous annonce que Dieu prendra chair d'une jeune vierge ; dès lors vous pourrez le voir et l'adorer. Et voici à quel signe vous reconnaîtrez que Dieu se fait homme et naît d'une jeune vierge : c'est lorsque seront brisées toutes les idoles. Et aussitôt ils firent une statue de la Vierge tenant son enfant sur ses bras. Et quand le Christ naquit à Bethléem, subitement dans la terre d'Egypte tombèrent à terre et se brisèrent toutes les idoles. Ils connurent donc alors que devait être né le Fils de la jeune Vierge. Et dès lors la statue de la Vierge qui se tenait en bas fut placée en haut là où étaient les idoles. Et ils demandaient à la Vierge et à Joseph s'ils avaient entendu dire qu'une Vierge eût mis au monde un Fils. Ils lui demandèrent même si elle était cette heureuse Vierge et ils leur parlèrent de la fameuse statue, que la bienheureuse Vierge, nous pouvons raisonnablement le croire, leur exprima le désir de voir. Oracle contre l'Egypte. Voici que Yahvé, monté sur un léger nuage, vient en Egypte. Les idoles de l'Egypte tremblent devant lui et les Egyptiens sentent leur cœur défaillir (Is., XIX, I). Le nuage, c'est notre humanité ; car de même que le nuage se forme des vapeurs de la terre, et dès que le soleil parait se dissipe, ainsi notre humanité doit disparaître. Ce nuage est léger ; car si notre humanité est gravement appesantie par le péché, l'humanité du Christ est tout à fait légère, dégagée de tout poids du péché : Il n'a jamais fait de tort (Is., LIII, 9). Ce nuage était aussi léger, parce que le Christ était encore enfant.
Voilà donc comment la fuite du Christ s'est accomplie humainement.

3. Leçon morale
On peut se demander ici si les Égyptiens en gardant et en adorant l'image de la Vierge avec son Fils méritaient le salut après leur mort ? Disons d'abord que c'est une hérésie de prétendre que chacun peut être sauvé en suivant sa religion. Mais il faut tenir compte aussi de la parole inspirée : Mes paroles ne sont-elles pas bienveillantes pour le juste qui marche droit ? (Mic., II, 7). Elles sont bienveillantes : elles ont de la saveur pour ceux qui sont bien disposés, mais non pour les autres. Celui qui a la fièvre n'apprécie pas la saveur d'un mets délicieux, mais bien celui qui est en bonne santé, qui l'apprécie et en mange. De même ceux qui à raison du péché sont mal disposés ne goûtent pas la vérité, mais bien ceux qui sont disposés par la vertu et pour qui les paroles de Dieu sont pleines de saveur.

III. Retour sagement ordonné

1. La vie en exil.
Le maître des Scolastiques dit que la Vierge avec son Fils resta exilée sept ans, et qu'après ces sept ans accomplis, voilà que l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Egypte, et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et reviens au pays d'Israël : car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant » (Mt., II, 20). Il y a là matière à contemplation...

2. Pourquoi la fuite devant Hérode ?
Les Juifs et les Mahométans nous disent : Si le Christ était Dieu, comme vous chrétiens l'affirmez, pourquoi a-t-il fui devant Hérode ? N'était-il pas de force à se défendre ? Oui, il le pouvait, mais il ne l'a pas voulu, parce qu'il est venu sur la terre humble et non orgueilleux. Prenons un exemple dans ce qui se passe dans le monde. Un homme se tient sur sa porte et voit venir son ennemi : il entre dans sa maison à l'exemple du Christ qui prend la fuite, il ne va pas à sa rencontre, ne veut pas même le voir ; n'a-t-il pas pris la fuite devant un lion ou un insensé ? A plus forte raison doit-on prendre la fuite devant celui qui est plus qu'insensé.

3. Pourquoi sept ans d'exil ?
Et non pas cinq ou six ? On répond que le monde a à passer par sept âges avant d'arriver à la terre promise éternelle. Le premier âge va d'Adam à Noé, le second de Noé à Abraham, etc., et quand sera accompli le septième âge dans lequel nous sommes maintenant, nous prendrons possession de la terre promise éternelle, de la gloire pour nos âmes et pour nos corps.
C'est pour cela qu'il a voulu être hors de sa terre sept ans. C'est aussi ce que dit le prophète : Comme passe le matin a passé le roi d'Israël. Quand Israël était enfant, je l'aimai, et de l'Egypte j'appelai mon fils (Osée, XI, 1-2). Ce roi c'était le Christ : il a passé comme le matin, parce que de même que le matin est chassé par l'ardeur du soleil, ainsi le Christ a été au matin, quand la Vierge l'a enfanté sans douleur dans une joie céleste, que rappellent la joie qu'apportent au monde l'aube du jour et le matin. Mais il a passé comme le matin, quand est venu le feu brûlant du jour, la persécution d'Hérode, qui l'a obligé à passer de Bethléem en Égypte.

*

Conclusion.
Vous comprenez maintenant comment cette fuite a été révélée divinement, exécutée humainement, se terminant par le retour finalement. La prophétie s'est donc accomplie : De l'Egypte j'ai rappelé mon fils. Ce qui était à établir dans ce sermon. Deo grotias. (Trad. Cl. Bouvier).


III. L'apparition de Jésus à sa mère au matin de la Résurrection

Saint Vincent Ferrier pense que Notre-Seigneur ressuscité a réservé sa première apparition à sa très sainte Mère, et les motifs qu'il donne sont certes de nature à impressionner toute âme chrétienne. Il note toutefois que les évangélistes ne soufflent mot à ce sujet. Ce qui n'est pas exact. Saint Marc déclare que Jésus apparut en premier lieu à Marie de Magdala et lui confia un consolant message pour les apôtres. N'empêche que la touchante et délicieuse fresque que saint Vincent Ferrier trace de l'entrevue de la Vierge-Mère et du Christ rédempteur respire un sentiment profond et doux qui devait plaire à nos dévots aïeux et retiendra encore l'attention de l'âme religieuse moderne. L'interprétation psychologique de la scène est de toute beauté. Nous en relevons les points essentiels : La Vierge est seule à croire encore en son Fils... Elle a passé la nuit en prières... elle surveille l'aube par la fenêtre... elle attend... Et voilà que la modeste chambre est envahie... Le Christ rédempteur, irradié de goire, lui apparaït, accompagné de tous les justes de l'Ancienne Loi qui attendaient dans les larmes de l'exil la venue du Sauveur. Et tous ces justes, depuis les premiers humains jusqu'aux derniers prophètes, s'inclinent devant Marie, cette créature choisie dont les pieds ont écrasé la tête infernale du serpent. Tableau digne d'un pinceau de génie et que l'on aurait voulu voir retracé par Fra Angelico.

* *
*

Pourquoi le Christ ressuscité apparut à Marie.
Je dis que la Résurrection fut, par faveur spéciale, annoncée d'abord à la Vierge Marie. Plusieurs théologiens l'affirment, et saint Ambroise dit expressément, au livre des Vierges : Marie vit son Fils ressuscité et le vit la première.
Les évangélistes ne signalent pas le fait, parce qu'ils ne pensaient qu'à produire des témoins irrécusables. On aurait pu attaquer le témoignage de la Mère en faveur du Fils. Mais que le Christ ait apparu à sa Mère d'abord, trois raisons nous le prouvent.

D'abord, le précepte divin : Dans la Passion de son Fils, elle avait été torturée plus que tous. Le Christ l'avait dispensée des douleurs de l'enfantement, et plus tard lui épargna les douleurs de la mort qui surpassent toutes les autres douleurs, comme le dit saint Albert le Grand : La plus terrible douleur est la mort, parce que l'âme est arrachée tout entière comme un arbre. Mais toutes les douleurs de l'enfantement et de la mort l'envahirent lors de la Passion de son Fils. Or, l'Écriture dit (Eccl. 7, 27) : De tout ton cceur honore ton père et n'oublie jamais ce qu'a souffert ta mère. C'est pourquoi le Christ, si parfait observateur de toute loi, apparut à sa Mère d'abord :
1° parce qu'elle avait été plus torturée que les autres ;
2° à cause du mérite de sa foi. Il ressort trop clairement du texte évangélique que, au temps de la Passion, les apôtres et les disciples perdirent la foi, doutant s'Il était Dieu et le véritable Messie, bien qu'ils Le tinssent pour un saint prophète.
Seule, la Vierge Marie crut sans faiblir, en ce premier Samedi-Saint, et par là, mérita que l'Église de Dieu récitât un office particulier en son honneur chaque samedi. Or, l'Écriture dit : Le Seigneur se laisse trouver par ceux qui ne Lui refusent pas leur foi. (Sap. I, 2) Le Christ ressuscité dut donc apparaître à sa Mère avant tout.
3° à cause de l'intensité de son amour : il est certain que nulle mère n'aima son fils plus que la Vierge Marie n'aima Jésus-Christ. Comme Il dit Lui-même : Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai et me manifesterai à lui. (Jean, XIV, 21)

Il s'en suit, pour ces trois raisons, que la première apparition fut pour la Vierge Marie, bien que les évangélistes n'en disent rien.

Entrevue de la Vierge Marie et du Christ Rédempteur.
Voyons maintenant comment cela eut lieu, et l'âme pieuse trouvera de consolantes douceurs à contempler ce mystère.
La Vierge était absolument certaine de la Résurrection de son Fils, puisqu'Il l'avait si ouvertement prédite ; mais elle ignorait l'heure qui, en effet, ne se trouve nulle part déterminée. Elle passa donc cette nuit, qui lui parut bien longue, à réfléchir sur l'heure possible de la Résurrection. Sachant que David a, plus que tous les autres prophètes, parlé de la Passion du Christ, elle parcourut le psautier, mais n'y trouva nulle indication de l'heure.
Cependant, au psaume 56, David, parlant en la personne du Père à son Fils, dit : Éveille-toi, ma gloire. Éveille-toi, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore. (Ps : 56, 9)
Et la réponse du Fils est celle-ci : J'éveillerai l'aurore. Remarquez ces trois noms : Gloria, psalterium, cithara. Le Père appelle d'abord son Fils Gloria mea, parce qu'en toutes choses le Christ a par-dessus tout aimé et prouvé la gloire de son Père. Aussi disait-il lui-même : Je ne cherche pas ma gloire, mais j'honore mon Père. (Jean, 8, 50) C'est pourquoi le Père lui dit : Éveille-toi, ma gloire.

En second lieu, le Père l'appelle Psalterium. Le Psalterion a dix cordes : c'est un instrument d'appartement et dont on ne joue guère en public, à cause de ses faibles sons. Il figure la loi de Moïse qui est comme un instrument privé donné au seul peuple juif, composé de dix commandements comme de dix cordes. Le Christ obéit en tout à cette loi. Il s'en rend témoignage Lui-même, disant : Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir. (Mt. 5, 17). Et c'est pourquoi son Père l'appelle Psalterium.

Enfin, le Père appelle son Fils Cithara. La lyre représente la loi évangélique aux sons plus clairs et de plus grande portée. Le monde entier l'entendit selon cette parole : Leur voix s'est étendue jusqu'aux limites du monde. (Ps. 19, 5)
Et le Fils répondit à son Père : Je réveillerai l’aurore.

Quand la Vierge Marie sut l'heure de la Résurrection, je vous laisse à penser avec quel empressement elle se leva pour voir si l'aurore venait. Elle constata que non, et acheva le psautier. Puis elle voulut s'assurer si d'autres prophètes n'avaient pas mentionné l'heure de la Résurrection. Elle trouva au chapitre 6 d'Osée ce texte dans lequel le prophète parle au nom des apôtres : Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons en sa présence. Appliquons-nous à connaître Yahvé ; sa venue est certaine comme l'aurore. Remarquez l'expression Il nous rendra la vie. Les apôtres, en effet, avaient été frappés mortellement dans leur âme par leur incrédulité. – La Vierge alors se leva, disant : Ces témoins de l'heure où mon Fils doit ressusciter me suffisent ; et elle prépara la chambre et un siège, ajoutant : Là va venir s'asseoir mon Fils, et je pourrai converser avec lui. Puis elle regarda par la fenêtre, et vit que l'aurore commençait à poindre. Sa joie fut grande : Mon Fils va ressusciter, dit-elle. Puis, fléchissant les genoux, elle pria : Réveille-toi, sois devant moi et regarde, et toi, Yahvé, Dieu Sabaot, Dieu d'Israël, lève-toi. (Ps. 58, 6)

Et aussitôt, le Christ lui envoya l'ange Gabriel, disant : Vous qui avez annoncé à ma Mère l'incarnation du Verbe, annoncez-lui sa Résurrection. Sur-le-champ, l'ange vola vers la Vierge et lui dit : Reine du Ciel, réjouissez-vous ; car celui que vous avez mérité de porter dans votre sein est ressuscité selon sa promesse.
Le fait et les paroles ont été révélés au bienheureux Pape Grégoire qui ajouta ces mots : Priez Dieu pour nous. Aussitôt après le Christ se présenta, accompagné de tous les patriarches.
Si vous demandez comment ils pouvaient tenir tous dans cette petite chambre, je réponds que leur gloire est telle qu'ils auraient pu s'y trouver au nombre de plusieurs milliers, et même dans un espace moindre, par la vertu divine toujours à leur disposition comme l'insinue saint Thomas (Dist. 4e, art. 44). Et le Christ salua sa Mère, disant : La paix soit avec vous ! La Vierge alors, fléchissant les genoux, et pleine de larmes que faisait couler la joie, l'adora et baisa ses pieds et ses mains. Ô plaies bénies qui m'avez causé tant de douleurs ! Et le Christ, embrassant à son tour sa Mère, lui dit : Réjouissez-vous, ô ma Mère, car vous n'aurez désormais que de la joie. Puis il essuya ses larmes. Et il s'assit, et tous deux conversèrent doucement.
Oh ! Heureux qui eût pu assister à cet entretien ! Alors, elle dit à son Fils : Jusqu'ici, mon Fils, je vous rendais mon culte le samedi pour honorer le divin repos après la création du monde, à l'avenir, ce sera le dimanche, en mémoire de votre Résurrection, de votre repos et de votre gloire. Et le Christ approuva. Puis il raconta ce qu'il avait fait aux enfers, comme et il avait enchaîné Satan, et présenta à sa Mère les patriarches qu'il en avait ramenés. Et tous firent à la Vierge Marie un salut profond.

Je vous laisse à penser quels furents les sentiments d'Adam et d'Ève lorsqu'ils dirent à la Vierge Marie : Bénie soyez-vous, ô notre Fille et notre Maîtresse, vous dont parlait le Seigneur lorsqu'il dit au serpent : Je mettrai une hostilité entre toi et la femme. (Genèse, 3, 15). Ève ajouta : Par ma faute, j'ai fermé le paradis, mais vous, pleine de grâce, vous l'avez ouvert de nouveau. Et chaque prophète lui disait de son côté : J'ai prophétisé de vous en tel et tel passage de mon livre, etc. Et tous ensemble, la saluant humblement, s'écrièrent : Vous êtes la gloire de Jérusalem, la joie d'Israël et l'honneur de notre peuple. Et la Vierge leur rendit le salut en ces termes : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour annoncer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. (I Petr., 2, 9) Et les anges, de nouveau chantèrent : Réjouissez-vous, Reine du Ciel.


IV. La Passion du Christ et la conversion des Juifs

Au temps de notre apôtre, il n'y avait pas que des chrétiens en Espagne. Vis-à-vis de ceux-ci, il y avait des infidèles : Maures et Juifs. Les premiers, cantonnés au sud, dans la province de Grenade, n'avaient que peu de rapports avec les Chrétiens. Il n'en était pas de même des Juifs, que l'on rencontrait un peu partout et qui avaient en mains la fortune et l'industrie. Cela portait parfois ombrage aux chrétiens qui, sous prétexte de guerre sainte, allaient jusqu'à les piller et les égorger. Maître Vincent, tout en partageant les idées de ses compatriotes sur le danger juif, était trop pénétré de la doctrine du Christ pour admettre la méthode brutale. Déjà, au temps de sa jeunesse, il avait déploré les pogroms qui ensanglantèrent Valencia. Au nom du christianisme il proclamait des idées beaucoup plus modernes que médiévales sur la tolérance. Il disait : « Les apôtres qui ont conquis le monde ne portaient ni lances ni couteaux. Les chrétiens ne doivent pas tuer les Juifs avec le couteau, entendez : tuer les erreurs qui empoisonnent leur âme et leur vie, mais avec des paroles, et pour cela les émeutes qu'ils font contre les Juifs, ils les font contre Dieu même, car les Juifs doivent venir d'eux-mêmes au baptême ». Cette tolérance de bon aloi lui gagna la sympathie de milliers de Juifs qui se mêlaient parmi ses auditeurs, si bien qu'on évalue à 25.000 le nombre des Juifs convertis par lui et à 8.000 celui des Musulmans. L'une de ses plus brillantes conversions fut celle d'un rabbin notable qui, sous le nom de Jérôme de Sainte-Foi, devint le médecin du pape Benoît XIII d'Avignon, et fut parmi ses anciens coreligionnaires le grand apôtre du christianisme. On retrouvera dans la page que nous citons et que nous empruntons à deux différents sermons, le zèle infatigable mais éclairé du prêcheur. Tous ses efforts tendent visiblement à éclairer ses auditeurs pour les convaincre à venir d'eux-mêmes au baptême. S'il ne réussit pas, tant pis, les Juifs sont responsables de leur conscience et peut-être que leur bonne foi sera agréée devant Dieu.

* *
*

L'aveuglement des Juifs.

THEME : Tout peuple qui voit, rend gloire à Dieu.
Lorsque les disciples entendirent Notre-Seigneur parler de sa Passion et de sa mort, ils ne comprirent pas, ignorant la raison pour laquelle il devait mourir.
Comprendre, c'est connaître les raisons et les causes.
Or, les Juifs qui, chaque jour m'entendent parler de la Passion, sont dans la même erreur ; quand ils retournent chez eux et dans leurs synagogues, ils relisent en vain leurs prophéties, parce qu'ils ignorent la cause. Cette cause, Juifs, la voici : en Dieu, la justice et la miséricorde ne sont pas des qualités comme chez nous ; mais bien son essence propre, c'est-à-dire lui-même.
C'est pourquoi si Dieu n'eût pas voulu racheter le monde par sa Passion, mais se fût contenté de dire : Je veux que la nature humaine soit sauvée, où serait sa justice ? De même, s'il eût dit : Je veux qu'elle soit perdue, où serait sa miséricorde ? D'un côté, il n'y aurait eu qu'infinie miséricorde, et de l'autre, qu'infinie justice, mais, à coup sûr, pas tous les deux à la fois.
Et c'est pourquoi il a voulu se montrer juste et miséricordieux tout ensemble ; c'est-à-dire que le, Fils de Dieu, qui était sans péché, devenu homme dans le sein de la Vierge Marie, a racheté la nature humaine perdue par le péché d'Adam à l'instigation d'Ève, vierge encore. En acceptant de mourir, il a été miséricordieux ; en payant le prix de sa rédemption, il a été plein de justice. David, prophétisant de l'un et de l'autre, dit : Les lacets de la mort m'enserraient, les filets du shéol me tenaient... Jahvé est justice et pitié. (Psaume 116, 3 et 5)
C'est ainsi que la miséricorde de Dieu se manifeste, en ne laissant pas périr le monde, et sa justice, en le rachetant par un prix suffisant. Or, personne ne pouvait payer ce prix que le Fils de Dieu, fait homme et mourant. Les cités de refuge, dont il est question au livre du Lévitique, figurent cette Passion du Christ, et c'est du sacerdoce de Jésus-Christ, vrai Messie, que parle tout ce chapitre.
David exprime en termes formels ce sacerdoce perpétuel dans le psaume Dixit Dominus : Yahvé l'a juré et ne s'en dédira point : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech ! » (Psaume 110, 4)

Il n'y a pas et ne peut y avoir de prêtre perpétuel que Jésus-Christ.
Enfin, le psaume 21 est une histoire anticipée de la Passion du Christ, et ne peut s'entendre absolument que de lui ; aussi le Christ a-t-il voulu le redire durant sa Passion. Isaïe, au quatrième chant du Serviteur de Yahvé (52, 9 et 10), parle de Celui qui a été frappé à mort pour nos péchés, alors qu'il n'avait jamais fait de tort. Ce qui ne peut manifestement s'appliquer qu'au Christ, véritable Messie.
Ainsi donc, ô Juifs, ouvrez les yeux et ne restez pas volontairement aveugles en face de la vérité des Écritures. Si vous voulez être éclairés, rapprochez-vous de Dieu par le baptême. Ecoutez David, disant : Qui regarde vers lui resplendira : sur son visage point de honte. (Psaume 33, 6)


Application aux Juifs du paralytique de la piscine (appel au baptême).
Un paralytique attendait son tour, mais parce qu'il n'avait ni serviteur, ni aide pour le jeter dans la piscine, il resta bien là trente-huit ans sans pouvoir être guéri.
Le Christ ayant pitié de lui, lui dit : Voulez-vous être guéri ? Oui, répondit l'homme. Et il croyait, disent les interprètes, que Notre-Seigneur voulait simplement le prendre sur son dos et profiter de la venue de l'ange. Mais le Christ lui ordonna de prendre son grabat ; et aussitôt il fut guéri. Isaïe a prédit cela, ô Juifs, lorsqu'il dit : Tournez-vous vers moi pour être sauvés, car je suis Dieu sans égal ! (45,22)

Venons-en maintenant à deux applications pratiques et très belles de notre cas.
Tout d'abord celle-ci. Le Christ voulut guérir cet homme sans le secours de la piscine, préférablement aux autres, parce que les autres pouvaient profiter du moyen ordinaire et que ce malade ne le pouvait pas : ce qui signifie que ceux qui peuvent être conduits au baptême ne seront sauvés qu'à condition d'être baptisés. Si quelqu'un toutefois ne peut pas être conduit au baptême et qu'il ait, par ailleurs, un cœur ferme dans la foi chrétienne, en vue de recevoir le baptême si cela était possible, s'il vient à mourir, il est guéri de ses infirmités morales comme ce paralytique.
Si donc, ô Juifs, vous ne pouvez venir au baptême ni y conduire vos enfants, la foi chrétienne suffira pour vous sauver, sinon le paradis n'est pas pour vous, selon le mot de saint Paul : Lorsque l'ardeur y est, on est agréé pour ce qu'on a ; il n'est pas question de ce qu'on n'a pas. (2 Cor., 8, 12)
La seconde application vient de la parole de Notre-Seigneur au paralytique : Allez dans votre maison. Cette maison est le paradis, ouvert à ceux qui sont baptisés et guéris de leurs fautes.
Si donc, ô Juifs, vous n'êtes pas comme ceux qui sont baptisés ou tout au moins qui ont le désir du baptême, il n'y a pas à compter sur la demeure du paradis que Moïse n'a point promise dans l'ancienne loi, mais seulement une demeure terrestre et les biens de ce monde.


Au sujet des enfants morts sans baptême.
De même qu'il consola ses disciples après sa Résurrection, de même le Christ apporte aux enfants morts sans baptême cinq consolations, comme il y a cinq doigts dans la main :
1° la certitude de ne plus offenser Dieu, ce qui est une grande douceur à l'âme ;
2° la certitude de ne pas être damnés ;
3° la consolation d'être justes ;
4° de n'avoir aucune tristesse intérieure ;
5° l'espérance de ressusciter hommes faits, bien qu'alors tout petits enfants.


V. Les joies et les signes du repentir

Il n'est point de convertisseur d'âmes qui n'ait eu à parler du repentir. Pour préparer à cette amère tristesse de l'âme, les prédicateurs ont tonné, tempêté, menacé. Saint Vincent Ferrier l'a maintes fois fait en des prédications qui évoquaient les terribles jugements de Dieu. Mais après avoir brandi la menace, l'apôtre s'apaisait et évoquait la parabole du retour dans la maison du Père. Quand sonne l'heure du repentir : la mort s'éloigne et la vie spirituelle renaît. Quels sont les éléments générateurs du repentir, quelle en est la genèse, à quels signes peut-on la reconnaître ? Voilà le problème soulevé par le contact quotidien avec les âmes pécheresses. Ceux qui pleurent et qui expient, blessés par cette peine d'amour qu'est le repentir, trouveront dans ce qui suit une certitude d'espérance, de consolation et de paix. Vincent Ferrier leur découvre les abîmes et les joies de leur être purifié.

* *
*

THEME : Maître nous voulons avoir un signe de vous.
Les personnes pénitentes me demanderont peut-être un signe auquel elles pourront reconnaître que leur pénitence est agréable à Dieu.
Sachez d'abord que les docteurs discutent pour savoir si on peut être absolument certain d'être en grâce avec Dieu.
Il faut distinguer entre la certitude de science et la certitude conjecturale, comme on le fait pour la présence de l'âme dans le corps. On ne peut scientifiquement constater que l'âme est dans le corps, mais on le peut par conjecture, c'est-à-dire par les effets produits, comme la vue, l'ouïe et les autres sens. En effet, si le corps voit, c'est une preuve que l'âme habite le corps. (1)
Or, de même que Dieu a fait l'âme pour habiter le corps, de même il a fait la grâce pour habiter l'âme. Mais on ne peut savoir par raisons déductives si une âme est en grâce selon le mot du Sage (Eccl. 9, I) : J'ai compris que les justes, et les sages, et leurs œuvres, sont dans la main de Dieu. L'homme ne connaît ni l'amour, ni la haine.
Si ces sentiments, qu'il éprouve pourtant, restent pour lui une énigme, il peut savoir conjecturalement s'il est digne d'amour ou de haine par les effets produits, comparés à ceux des sens corporels.
Il peut le savoir par la vue, lorsque l'âme est heureuse de contempler Dieu, sa gloire et ses bienfaits ; par l'ouïe, lorsque l'âme se trouve consolée en entendant les prédications, la messe, la doctrine du salut. Et c'est pourquoi Notre-Seigneur disait aux Juifs (Jean, 8, 47) : Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; si vous n'entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. De même par l'odorat, lorsque l'âme aspire avec plaisir les parfums de vertu, comme lorsque quelqu'un a pardonné à son ennemi, ou bien changé de vie. Elle rend alors grâce à Dieu de ce bien opéré. De même pour le goût, l'âme reçoit de la consolation et de la joie (lorsque, avant de communier, elle s'y prépare soigneusement, sachant se priver la veille en vue de cette communion).
On reconnaît encore que la grâce habite une âme lorsque, communiant ou priant, elle se désaltère à la rosée amère des larmes, ou lorsqu'elle vibre facilement au sens de Dieu ; quand, par exemple, venant à pécher même légèrement par un peu d'excès dans la nourriture, le rire ou le sommeil, elle est saisie d'un sentiment vif de repentir et de crainte de Dieu.
La parole fait encore reconnaître la vie d'une âme, lorsqu'elle parle volontiers de Dieu, qu'elle le loue, le prie avec goût, prononçant les paroles saintes et les formules de l'Office divin.
Les œuvres servent de preuves aussi lorsque l'âme trouve de la joie dans l'âpreté de la pénitence, dans l'austérité du jeûne et choses semblables ; et encore lorsqu'elle avance dans le bien, croissant en vertu, en piété et ne revenant jamais en arrière. Saint Paul disait de lui-même : C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. Et dans le psaume 85, 8, il est dit : Fais-nous voir, Yahvé, ton amour, que nous soit donné ton salut !
Et c'est ainsi qu'en parlant des âmes pénitentes, on peut dire : Maître, donnez-nous un signe certain.


VI. Le sens caché des Écritures

Pour mener vingt ans durant sur les routes d'Europe cette vie d'apôtre ambulant, il faut que maître Vincent ait été doué d'une santé robuste. Ses biographes le laissent entendre. S'ils ne signalent pas qu'il fût malade, ils disent néanmoins qu'il fût comme tout mortel sujet à des inconvénients de tout genre. Et pour un prédicateur qui chaque jour doit donner son sermon, quel plus grand inconvénient qu'une complète extinction de voix. Il arriva donc que maître Vincent fut enroué. Cet inconvénient devint, quand il put reprendre la parole, le sujet d'un sermon plein de bonhomie sur le sens caché des Écritures. Il prit pour thème, ces paroles : Il leur découvrit le sens caché des Ecritures. Parlant de son extinction de voix, il exposa pourquoi Dieu l'avait permise. Ce n'est qu'un canevas, extrait du manuscrit autographe de Valence, mais qui laisse deviner l'esprit d'adaptation du prédicateur. On a nettement l'impression de sentir passer son souffle.

* *
*

THEME : Il leur découvrit le sens caché des Ecritures.
J'ai d'abord à vous faire connaître, bonnes gens, le secret de mon enrouement, et j'y vois une bonne matière à traiter pour l'instruction des Chrétiens et des Juifs. Disons donc : Ave Maria.


I Le sens.littéral du texte.
Expliquons tout de suite le sens littéral de mon texte, car il rappelle un grand miracle de Notre-Seigneur. Ses disciples étaient grossiers, peu ouverts à l'intelligence des Ecritures, des prophéties et des mystères, aussi son premier soin, après sa Résurrection, fut-il de leur découvrir le sens caché : et c'est un bien plus grand miracle d'ouvrir les yeux de l'intelligence que ceux du corps. C'était le jour de Pâques ; Notre-Seigneur apparut à ses disciples, les signa au front, disant : Que votre esprit s'ouvre. Et leur esprit fut ouvert. Il leur avait du reste annoncé cela : Je vous donnerai moi-même un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire (Luc, XXI, 15).

Et dans l'Ancien Testament : J'enfouis ce témoignage, je scelle cette révélation au cœur de mes disciples... Moi et les enfants que Yahvé m'a donnés, nous sommes des signes et des présages en Israël (Is., VIII, 16-17). Tel est le sens littéral du texte ; mais je veux l'appliquer à mon extinction de voix et vous en dire les raisons. Il y en a trois. La première est particulière et me regarde, la deuxième est générale et vous regarde, la troisième est spéciale et regarde les Juifs.


Il. Les applications du texte

1°) D'abord celle qui me regarde. Sachez qu'il n'y a pour ainsi dire qu'une vertu, l'humilité, sans laquelle les autres ne valent rien, car elles se perdent et s'en vont comme du blé par un sac troué. C'est pourquoi il faut être humble, sans hypocrisie, ni recherche de vaine gloire, avoir toujours le cœur ouvert à Dieu, et ne vouloir que son honneur. David et Saül nous en offrent des exemples, et on en trouve d'autres autorités, soit dans l'Ancien soit dans le Nouveau Testament. Il demeure prouvé par là que l'humilité seule conserve la créature dans l'amitié de Dieu. Et c'est pourquoi Dieu, quand il choisit quelqu'un pour son service, lui envoie des empêchements, juste en ce qu'il désire le plus, afin qu'il s'humilie et ne se perde pas par la vaine gloire. Moïse en est une preuve lorsque Dieu le rendît bègue. Seigneur, disait-il, qu'est ceci ? Depuis deux jours je ne puis parler, depuis que votre voix s'est fait entendre, ma langue est devenue comme paralysée. Or, Moïse avait précisément à parler au peuple, et il dut le faire par truchement, c'est-à-dire par son frère Aaron : et d'un cœur de lion qu'il avait et qui lui faisait opérer des prodiges, il n'eut plus qu'un cœur de fourmi ; et il était humilié, ne risquant plus rien de la vaine gloire. Saint Paul faisait des miracles et ressuscitait des morts, mais il ne pouvait se guérir de la concupiscence, et il disait : Pour que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillise pas, l'aiguillon de la chair m'est resté, et c'est comme le soufflet de Satan. Ainsi ces deux grands hommes avaient le frein obligé de l'humilité. À plus forte raison en ai-je besoin, moi chétif, et dois-je le dire : Dieu l'a voulu pour que mes nombreuses prédications ne m'inspirent aucune vaine gloire, et qu'ainsi je n'oublie pas que Dieu pourrait m'enlever la voix à jamais.

2°) La seconde regarde vos âmes. - Le, salut des âmes est le souci principal de Dieu. C'est pourquoi Dieu m'a envoyé cette extinction de voix, pour donner à un plus grand nombre d'âmes l'occasion de se convertir, en me forçant à prolonger ici mon séjour. Vous savez que j'étais parti de cette ville avec l'intention de ne plus revenir, mais j'ai dû retourner pour procurer tout ce bien qui s'est fait de nouveau par les confessions, les jeûnes, les disciplines des petits enfants même et des soldats... Je suis revenu de sept lieues de loin pour le salut de tant d'âmes : Pour eux, disait saint Paul, je souffre jusqu'à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée. C'est pourquoi j'endure tout pour les élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut qui est dans le Christ Jésus avec la gloire éternelle (2 Tim., II, 9). Et voilà l'explication de notre texte : Il leur découvrit le sens caché.

3°) La troisième raison est spéciale et regarde les Juifs. - Dieu promit à Abraham que de lui naîtrait le Messie, disant : En vous seront bénies toutes les nations (Gen., XXI, 18) ; les Juifs disent : « Nous sommes de la race d'Abraham, donc Dieu nous doit la bénédiction, c'est-à-dire le salut ». Mais tel n'est pas le sens véritable. Il est dit que les nations doivent être bénies dans la race d'Abraham, c'est-à-dire dans le Christ qui devait naître de cette race. Ils seront donc bénis, ceux qui obéiront à ce Christ, qui a pris son sang de la race d'Abraham. Mais comme les Juifs n'étaient pas encore très éclairés sur ce point, Dieu a voulu me faire retourner et m'a envoyé mon extinction de voix. Car nul obstacle ne m'eût arrêté, pas même une jambe cassée, ni l'obligation d'aller sur un âne pour prêcher. Et c'est pourquoi beaucoup ont été convertis ou se convertiront, ayant déjà la foi au cœur, d'après ce qu'ils ont entendu de l'Incarnation, de la Trinité, de la Passion.


III. Conclusion : Adresse aux chrétiens pour les néophytes.
Ainsi donc, bonnes gens, ne vous contentez pas, je vous en conjure, d'expliquer à ces néophytes les vérités de la foi, mais admettez-les aux emplois publics, lucratifs et honorables. Dites-leur ces paroles du livre des Nombres : Si vous venez avec nous, ces biens dont Yahvé nous gratifiera, nous vous en gratifierons (Num., X, 32).

Et voilà les raisons pour lesquelles Dieu a permis mon extinction de voix, et telle est la dernière explication de notre texte : Et il leur découvrit le sens caché des Écritures.


VII. Sur la persévérance

THÈME : Celui qui a commencé le bien en vous en poursuivra l'accomplissement (Philip. I, 6).
Trois enseignements sur ce sujet :
1° Notre persistance dans le bien vient de Jésus-Christ.
2° Le désistement de la vie spirituelle vient de nous,
3° La prière obtient la persévérance finale.

1. Le premier est exprimé en ce texte des physiques d'Aristote : Parmi les choses naturelles qui reçoivent une forme étrangère, les unes la gardent indéfiniment, les autres seulement tant que dure la présence de l'agent ; ce qui se voit, soit dans un flambeau allumé et de l'eau échauffée, soit dans l'air éclairé et un miroir réflecteur. C'est de cette seconde manière que la grâce est reçue d'en haut par l'âme, car tout son être vient de Dieu influant continuellement : C'est par grâce que vous êtes sauvés, dit saint Paul (Ephes., 2, 5). Et le Christ : Demeurez en moi, comme moi en vous. Je suis le cep, etc. (Jean 15, 4 sq.)

2. Le second enseignement est représenté par cette statue de Daniel (ch. 2) dont la tête était d'or pur, et qui renferme les cinq états de la vie de notre âme par gradation descendante, à savoir : 1° la perfection de la charité ardente ; 2° les œuvres et l'éclat de la chasteté qui demeurent malgré la ferveur tombée ; 3° quand les œuvres cessent et que la conscience est souillée, il reste encore l'habitude de parler de Dieu ; 4° vient ensuite l'obstination de la perversité ; 5° enfin toutes les dégradations de la chair. Êtes-vous à ce point dépourvus d'intelligence, que de commencer par l'esprit pour finir maintenant dans la chair ? (Gal., 3, 3) Vous qui ne savez pas ce que vous deviendrez demain : vous êtes une vapeur qui paraît un instant, puis disparaît. (Jacques, 4, 14)

3. Le troisième enseignement ressort de la libéralité de Dieu qui, volontiers, donne la persévérance. Il dit lui-même : Quel est d'entre vous le père auquel son fils demande un œuf et qui lui remettra un scorpion ? (Luc II, 12) Remarquez la forme de l'œuf qui n'a pas de fin et qui finalement, contenant un fruit, figure le don, la douceur, la qualité, la quantité, l'ulité, la fécondité de la persévérance. Tandis que le scorpion, ayant le venin dans la queue, indique la perte finale de la vie spirituelle. Dites donc avec le psaume 15 : Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi.


(1) Il ne faut pas considérer cette affirmation comme une démonstration de l'existence de l'âme dans le corps. L'intention première de Vincent Ferrier est de prêcher la présence de la grâce dans l'âme humaine. Le reste n'est qu'un appel oratoire à un thème philosophique popularisé. Il s'adresse à des gens qui croient à l'existence de l’âme dans le corps. Si l'âme quitte le corps, celui-ci ne peut plus voir. Donc, s'il voit, c'est que l'âme est présente. Elle est présente parce que faite pour le corps (autre thème répandu à l'époque de V. F.) : et ainsi la grâce est-elle faite pour l'âme. Il s'agit donc d'un exemple basé sur un parallélisme assez vague pour n'entraîner aucune conséquence grave. Il fait songer à la mauvaise comparaison du Symbole de saint Athanase : « Comme l’âme rationnelle et le corps ne font qu'un seul homme, ainsi Dieu et l'homme (la divinité et l'humanité) ne font qu'un seul Christ ».


Aucun commentaire: