mercredi 11 mai 2016

lui qui a le pouvoir de construire l'édifice et de donner à chacun l'héritage - textes du jour





Avant-hier avait été difficile à vivre. La chambre dépouillée, malgré mes demandes, la chambre de notre ami de vingt ans. Sans égards pour ma présence régulière, plus rien qui soit souvenir ou objet. Edith effondrée de tristesse, elle m’y avait rejoint. Notre silence. Explication hier soir : bibliothèque léguée par Denis au diocèse et grande demi-journée du petit-cousin nantais, au détriment sans doute de l’orléanais dont pourtant notre ami avait béni les mariages pour deux générations successives. Mais hier après-midi, la simple grâce. J’étais revenu me souvenant de pages de son écritoire : des généalogies. Je suis resté dans la chambre, forme inattendue de prière ensemble et de communion. Sans classement, du moins sans qu’un classement ait été opéré puis respecté, des cahiers nombreux et des dossiers. L’évidence d’un travail et d’une présence incessante, constante et calme (l’écriture inchangée pendant cinquante ans, toujours fine, à l’encre noire, penchée, petite, sans hésitation, très bien tenue – assez celle du Père LAMANDE, génération). Travail et notes de travail sur la Bible. Livres, recueils et carnets de musicologie, le grégorien, le chant profane, des partitions pour orgue, et surtout des éléments sur chacun des sacrements de l’Eglise, en strates nombreuses et datées, tenues au courant : le mariage, les funérailles, le baptême surtout. Les voyages en Terre Sainte, quantités de notes sur les lieux, la plupart m’étant inconnus, leur chronologie. Comme celle, pour trente ans consécutifs, des vacances d’été, lieux, itinéraires. Aucune note de journal intime. Il était dépouillé de lui-même, sans doute de naissance entre mère et grand-mère. Il aimait la vie, il y était, mais il n’était pas son propre héros, il racontait les autres et les ambiances, il racontait les ambiances dans lesquelles il avait vécu sqns jamais les choisir, et évidemment pas cette maison de retraite, à laquelle cependant, en toute fin de vie, il avait consenti ces derniers mois où il était en pente ascendante, plus lucide, calme. Pas de trace que les échos de conversation retenus pas quelques-uns, le cher Jean-Eudes, nous : n’avoir pas été utilisé et équipé (affectations, études) comme il l’aurait souhaité et selon des capacités, vraies. J’ai été pris progressivement par cette écriture et ce tranquille message, pas un adieu, mais une présence à longueur d’années à un devoir d’état sur lequel il ne s’interrogeait, Devoir d’état, état de vie, prêtre. Etrangement, aucun livre, cahier, dossier, imprimés annotés comme pour les thèmes d’animation d’une paroisse, oui rien en spiritualité sacerdotale. Sa vocation a été de naissance, sociale, familiale. Il l’a ratifié. Sinon, épicier ? facteur ? savetier ?Il vivait lucidement un temps qui changeait beaucoup. Il était tranquillement prêtre, homme, il était d’Eglise. Comme il m’a été présent pendant vingt ans. Le plus copieux de ce que j’ai emporté de sa chambre quasiment vide, a été, hier après-midi en dehors des trois crucifix sans valeur marchande ni esthétique qu’on eût sans doute « balancés » je ne sais comment ni où… et de quelques cahiers à l’état neuf de l’école paroissiale d’Allaires, son premier ministère comme instituteur… (et d’enveloppes de l’ancienne société d’Edith, là pour quoi ?) : une vingtaine de mouchoirs, sans doute ourlés ou achetés par sa mère vénérée, des mouchoirs des années 50, ceux de ma propre enfance, et cinq ou six stylos, aussi simples que ceux que j’utilise de bric et de broc depuis qu’en Septembre 2013, à deux jours d’intervalles, j’ai égaré mes deux stylos (Dupont ou Mont-Blanc), lourds, magnifiques, de véritables objets tenant dans la main comme le manche d’un excellent outil, bien éprouvé, d’un jardinier (jardinier que je devrais être ici… vocation des lieux, et non personnelle), un bleu et un vert, m’ayant accompagné pendant trente ans. Je suis persuadé de les retrouver inopinément un jour… on ne perd pas deux objets jumeaux à si bref intervalle. Comme je rêve… non d’une édition massive de mes écrits, mais d’un ou deux livres faits, accomplis et reçus, posés sur ma table, disant tout avec leur couverture Gallimard… pour le reste, je is à tâtons. Dans dix jours, la profession de foi de notre adorable. Si vivante et joyeuse pour ce qui devient habitude, le pique-nique dans la voiture, en stationnement dans l’aire réservée aux professeurs, à la suite de la messe du mardi, à son collège. Elle joint à nous son amie Emma, baptisée, mais première communion seulement l’an prochain. Correspondance par téléphone et SMS aux heures où le mobile est permis, une heure au lever bien autour de sept heures et deux heures au coucher avant neuf heures le soir.

Silence ce matin, le silence de l’espérance et maintenant de la simple prière. Action de grâces pour la vie de fidélité de notre cher Denis. Et il y a ces compagnonnages, forcés mais consentis de chacun de ces prêtres les uns pour les autres, finissant leur vie dans cette maison de retraite, particulièrement fonctionnelle, avec un parc que j’ai aimé : nous nous y promenions, et ces années-ci c’était la tranquillité du fauteuil roulant. Messe chrismale et chambre monacale. Alacrité de l’animatrice là-bas : Martine si chaleureuse, charnelle et donc joyeuse mère dont semble, avec discrétion et pudeur raffoler ces hommes âgés et saints. Puis émotive, présente, inoubliable de regard, de silhouette, donnée à sa tâche et à ses pensionnaires, Isabelle, l’infirmière. Enfin l’accueillante, Samia. Et puis deux des religieuses sans plus d’habit de congrégation. Monotonie et voix. Chapelle en travaux, célébration dans l’avant-salle de télévision et de collations. Le temps tranquille. Plus qu'être et ne plus pouvoir faire.
 
Il me semble que beaucoup se décante dans cet instant, pelliculaire, de l’histoire de l’espèce humaine. Prise de conscience de nos responsabilités dans les dérèglements de la planète, pas encore dans les solidarités de tout le vivant et de ce que notre salut est certainement dans l’osmose avec l’animal et le végétal pour survivre et nous améliorer. Le Vénézuela et le Brésil exemplaires dans la nature et le déroulement de leurs crises respectives. L’Union européenne, pour n’avoir pas su organiser la participation populaire, la démocratie dans le fonctionnement de ses institutions et pour le choix d’une véritable indépendance politique et militaire, d’une véritable solidarité entre ses populations et ses Etats-membres, est maintenant dominée par le réveil des peuples : l’Europe n’est plus qu’une communauté de peurs à des degrés divers mais à objet unique, l’invasion. Rome était à elle-même son symbole et son signe, sa foi. L’Europe n’a ni symbole ni passé en tant qu’Union. – Le drame grec à huis clos, le mensonge triomphant des Etats consentant au circuit des banques ne perdant pas un centime, mais chaque année étranglant davantage le pays des aurores européennes. La Pologne sursautant, la Hongrie atavique, l’Espagne dont on ne sait si elle a un gouvernement, l’Angleterre mirage des migrants comme l’était l’Amérique pour Bibi Fricotin… mais un maire pour Londres… on dit musulman,  on dit moins Pakistanais, on ne dit pas la juste logique de l’empire des Indes, clé de toute la politique britannique pendant un siècle et demi. Et nous, le mandat préside,tiel conclusif de notre histoire nationale ? le patrimoine industriel et technologique bradé, perdu jusqu’à l’os, rongé par le laisser-faire de l’Etat et la cupidité des dirigeants économiques et financiers… les acquis institutionnels, les procédures, la concertation nationale, tout ce qui était consensuel jusqu’en 1981 et que perdit aussitôt de vue une nouvelle droite, celle du contre-pied et en fait de la mode en idéologie économique, instituée par REAGAN et THATCHER. On aurait pu en rester là et avoir désormais des alternances tranchées pour le pouvoir politique. Il a fallu que FH détruise totalement la gauche et ignore totalement la réactualisation des éléments exprimant notre personnalité : pas d’OTAN pour nous, le plan, le referendum… Les excès et les faiblesses maintenant criantes de l’Europe et de la France présagent une réaction inéluctable. Ce n’est pas la prochaine élection présidentielle qui la provoquera ni ne l’assumera. Elle s’organise comme si rien n’était exceptionnel… tout simplement parce qu’elle sera le fait de personnes qui ne sont en rien exceptionnelles. Pas même des personnalités.

  Prier en action de grâces… hier, avant-hier, toute existence humaine qui se termine pour être magnifiée et trouver son expression définitive. La chaleur de l’Eglise originelle. Le compte-rendu et le legs paulinien à Ephèse : quand Paul eut ainsi parlé, il s’agenouilla et pria avec eux tous. Tous se mirent à pleurer abondamment ; ils se jetaient au cou de Paul et l’embrassaient ; ce qui les affligeait le plus, c’est la parle qu’il avait dite : « Vous ne verrez plus mon visage. » Puis on l’accompagna jusqu’au bateau. [1] Les accompagnements et formations spirituels (ce qui m’inquiète sans avoir pleine connaissance de cause, dans la préparation de notre trésor : profession de foi dans une ou deux retraites fermées, un enseignement ne tranchant pas sur celui des disciplines scolaires, factuelles, et qui semble ne donner aucun mouvement de vie spirituelle, d’accueil et de perception de vie spirituelle : le ressenti de Dieu et de sa Providence… je comptais m’en ouvrir à la direction et à l’aumônier, Raphaël d’A…. ce n’eût pas été efficace, j’en ai été retenu, bravo : l’Esprit Saint ! tandis qu’en participant aux derniers exercices comme « animateur », je me rendrai compte)… accompagnement : Paul…souvenez-vous que, durant trois ans, nuit et jour, je n’ai cessé, dans les larmes, de reprendre chacun d’entre vous. Le Christ… quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie… qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés. La même évidence que la construction n’appartient pas au pasteur, mais à Dieu-même : sanctifie-les dans la vérité… que tu les gardes du Mauvais… je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, lui qui a le pouvoir de construire l’édifice et de donner à chacun l’héritage en compagnie de tous ceux qui ont été sanctifiés. Recueillement.


[1] - Actes des Apôtres XX 28 à 38 ; psaume LXVIII ;  évangile selon saint Jean XVII 11 à 19

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