Avant-hier
avait été difficile à vivre. La chambre dépouillée, malgré mes demandes, la
chambre de notre ami de vingt ans. Sans égards pour ma présence régulière, plus
rien qui soit souvenir ou objet. Edith effondrée de tristesse, elle m’y avait
rejoint. Notre silence. Explication hier soir : bibliothèque léguée par
Denis au diocèse et grande demi-journée du petit-cousin nantais, au détriment
sans doute de l’orléanais dont pourtant notre ami avait béni les mariages pour
deux générations successives. Mais hier après-midi, la simple grâce. J’étais
revenu me souvenant de pages de son écritoire : des généalogies. Je suis
resté dans la chambre, forme inattendue de prière ensemble et de communion.
Sans classement, du moins sans qu’un classement ait été opéré puis respecté,
des cahiers nombreux et des dossiers. L’évidence d’un travail et d’une présence
incessante, constante et calme (l’écriture inchangée pendant cinquante ans,
toujours fine, à l’encre noire, penchée, petite, sans hésitation, très bien
tenue – assez celle du Père LAMANDE, génération). Travail et notes de travail
sur la Bible. Livres, recueils et carnets de musicologie, le grégorien, le
chant profane, des partitions pour orgue, et surtout des éléments sur chacun
des sacrements de l’Eglise, en strates nombreuses et datées, tenues au
courant : le mariage, les funérailles, le baptême surtout. Les voyages en
Terre Sainte, quantités de notes sur les lieux, la plupart m’étant inconnus,
leur chronologie. Comme celle, pour trente ans consécutifs, des vacances d’été,
lieux, itinéraires. Aucune note de journal intime. Il était dépouillé de
lui-même, sans doute de naissance entre mère et grand-mère. Il aimait la vie,
il y était, mais il n’était pas son propre héros, il racontait les autres et
les ambiances, il racontait les ambiances dans lesquelles il avait vécu sqns
jamais les choisir, et évidemment pas cette maison de retraite, à laquelle
cependant, en toute fin de vie, il avait consenti ces derniers mois où il était
en pente ascendante, plus lucide, calme. Pas de trace que les échos de
conversation retenus pas quelques-uns, le cher Jean-Eudes, nous : n’avoir
pas été utilisé et équipé (affectations, études) comme il l’aurait souhaité et
selon des capacités, vraies. J’ai été pris progressivement par cette écriture
et ce tranquille message, pas un adieu, mais une présence à longueur d’années à
un devoir d’état sur lequel il ne s’interrogeait, Devoir d’état, état de vie,
prêtre. Etrangement, aucun livre, cahier, dossier, imprimés annotés comme pour
les thèmes d’animation d’une paroisse, oui rien en spiritualité sacerdotale. Sa
vocation a été de naissance, sociale, familiale. Il l’a ratifié. Sinon,
épicier ? facteur ? savetier ?Il vivait lucidement un temps qui
changeait beaucoup. Il était tranquillement prêtre, homme, il était d’Eglise.
Comme il m’a été présent pendant vingt ans. Le plus copieux de ce que j’ai
emporté de sa chambre quasiment vide, a été, hier après-midi en
dehors des trois crucifix sans valeur marchande ni esthétique qu’on eût sans
doute « balancés » je ne sais comment ni où… et de quelques cahiers à
l’état neuf de l’école paroissiale d’Allaires, son premier ministère comme
instituteur… (et d’enveloppes de l’ancienne société d’Edith, là pour quoi ?) :
une vingtaine de mouchoirs, sans doute ourlés ou achetés par sa mère vénérée,
des mouchoirs des années 50, ceux de ma propre enfance, et cinq ou six stylos,
aussi simples que ceux que j’utilise de bric et de broc depuis qu’en Septembre
2013, à deux jours d’intervalles, j’ai égaré mes deux stylos (Dupont ou
Mont-Blanc), lourds, magnifiques, de véritables objets tenant dans la main
comme le manche d’un excellent outil, bien éprouvé, d’un jardinier (jardinier
que je devrais être ici… vocation des lieux, et non personnelle), un bleu et un
vert, m’ayant accompagné pendant trente ans. Je suis persuadé de les retrouver
inopinément un jour… on ne perd pas deux objets jumeaux à si bref intervalle.
Comme je rêve… non d’une édition massive de mes écrits, mais d’un ou deux livres
faits, accomplis et reçus, posés sur ma table, disant tout avec leur couverture
Gallimard…
pour le reste, je is à tâtons. Dans dix jours, la profession de foi de notre
adorable. Si vivante et joyeuse pour ce qui devient habitude, le pique-nique
dans la voiture, en stationnement dans l’aire réservée aux professeurs, à la
suite de la messe du mardi, à son collège. Elle joint à nous son amie Emma,
baptisée, mais première communion seulement l’an prochain. Correspondance par
téléphone et SMS aux heures où le mobile est permis, une heure au lever bien
autour de sept heures et deux heures au coucher avant neuf heures le soir.
Silence ce
matin, le silence de l’espérance et maintenant de la simple prière. Action de
grâces pour la vie de fidélité de notre cher Denis. Et il y a ces
compagnonnages, forcés mais consentis de chacun de ces prêtres les uns pour les
autres, finissant leur vie dans cette maison de retraite, particulièrement
fonctionnelle, avec un parc que j’ai aimé : nous nous y promenions, et ces
années-ci c’était la tranquillité du fauteuil roulant. Messe chrismale et
chambre monacale. Alacrité de l’animatrice là-bas : Martine si
chaleureuse, charnelle et donc joyeuse mère dont semble, avec discrétion et
pudeur raffoler ces hommes âgés et saints. Puis émotive, présente, inoubliable
de regard, de silhouette, donnée à sa tâche et à ses pensionnaires, Isabelle,
l’infirmière. Enfin l’accueillante, Samia. Et puis deux des religieuses sans
plus d’habit de congrégation. Monotonie et voix. Chapelle en travaux, célébration
dans l’avant-salle de télévision et de collations. Le temps tranquille. Plus
qu'être et ne plus pouvoir faire.
Il me semble
que beaucoup se décante dans cet instant, pelliculaire, de l’histoire de
l’espèce humaine. Prise de conscience de nos responsabilités dans les
dérèglements de la planète, pas encore dans les solidarités de tout le vivant
et de ce que notre salut est certainement dans l’osmose avec l’animal et le
végétal pour survivre et nous améliorer. Le Vénézuela et le Brésil exemplaires
dans la nature et le déroulement de leurs crises respectives. L’Union
européenne, pour n’avoir pas su organiser la participation populaire, la
démocratie dans le fonctionnement de ses institutions et pour le choix d’une
véritable indépendance politique et militaire, d’une véritable solidarité entre
ses populations et ses Etats-membres, est maintenant dominée par le réveil des
peuples : l’Europe n’est plus qu’une communauté de peurs à des degrés
divers mais à objet unique, l’invasion. Rome était à elle-même son symbole et
son signe, sa foi. L’Europe n’a ni symbole ni passé en tant qu’Union. – Le
drame grec à huis clos, le mensonge triomphant des Etats consentant au circuit
des banques ne perdant pas un centime, mais chaque année étranglant davantage
le pays des aurores européennes. La Pologne sursautant, la Hongrie atavique,
l’Espagne dont on ne sait si elle a un gouvernement, l’Angleterre mirage des
migrants comme l’était l’Amérique pour Bibi Fricotin… mais un maire pour
Londres… on dit musulman, on dit moins
Pakistanais, on ne dit pas la juste logique de l’empire des Indes, clé de toute
la politique britannique pendant un siècle et demi. Et nous, le mandat
préside,tiel conclusif de notre histoire nationale ? le patrimoine
industriel et technologique bradé, perdu jusqu’à l’os, rongé par le
laisser-faire de l’Etat et la cupidité des dirigeants économiques et
financiers… les acquis institutionnels, les procédures, la concertation
nationale, tout ce qui était consensuel jusqu’en 1981 et que perdit aussitôt de
vue une nouvelle droite, celle du contre-pied et en fait de la mode en
idéologie économique, instituée par REAGAN et THATCHER. On aurait pu en rester
là et avoir désormais des alternances tranchées pour le pouvoir politique. Il a
fallu que FH détruise totalement la gauche et ignore totalement la
réactualisation des éléments exprimant notre personnalité : pas d’OTAN
pour nous, le plan, le referendum… Les excès et les faiblesses maintenant
criantes de l’Europe et de la France présagent une réaction inéluctable. Ce
n’est pas la prochaine élection présidentielle qui la provoquera ni ne
l’assumera. Elle s’organise comme si rien n’était exceptionnel… tout simplement
parce qu’elle sera le fait de personnes qui ne sont en rien exceptionnelles.
Pas même des personnalités.
Prier en action de grâces… hier, avant-hier, toute existence humaine qui se
termine pour être magnifiée et trouver son expression définitive. La chaleur de
l’Eglise originelle. Le compte-rendu et le legs paulinien à Ephèse : quand Paul eut
ainsi parlé, il s’agenouilla et pria avec eux tous. Tous se mirent à pleurer
abondamment ; ils se jetaient au cou de Paul et l’embrassaient ; ce
qui les affligeait le plus, c’est la parle qu’il avait dite : « Vous
ne verrez plus mon visage. » Puis on l’accompagna jusqu’au bateau. [1] Les accompagnements et formations
spirituels (ce qui m’inquiète sans avoir pleine connaissance de cause, dans la
préparation de notre trésor : profession de foi dans une ou deux retraites
fermées, un enseignement ne tranchant pas sur celui des disciplines scolaires,
factuelles, et qui semble ne donner aucun mouvement de vie spirituelle,
d’accueil et de perception de vie spirituelle : le ressenti de Dieu et de
sa Providence… je comptais m’en ouvrir à la direction et à l’aumônier, Raphaël
d’A…. ce n’eût pas été efficace, j’en ai été retenu, bravo : l’Esprit
Saint ! tandis qu’en participant aux derniers exercices comme
« animateur », je me rendrai compte)… accompagnement : Paul…souvenez-vous
que, durant trois ans, nuit et jour, je n’ai cessé, dans les larmes, de
reprendre chacun d’entre vous. Le Christ… quand j’étais avec eux, je les
gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et
aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture
soit accomplie… qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés. La
même évidence que la construction n’appartient pas au pasteur, mais à
Dieu-même : sanctifie-les dans la vérité… que tu les gardes du
Mauvais… je vous confie à Dieu et à la parole de sa grâce, lui qui a le pouvoir
de construire l’édifice et de donner à chacun l’héritage en compagnie de tous
ceux qui ont été sanctifiés. Recueillement.
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