(Notre Dame de Grâce
de Bricquebec, après Complies – vendredi 8 Novembre 2002)
C’est en écrivant ainsi ce prénom que j’en reçois la
prédestination. Comment être rempli de Dieu, le donner à ressentir et cependant
n’en parler jamais ex cathedra ou selon les manières habituelles de l’apologie
ou du zèle ? Comment être aussi proche de la pulsation du siècle, de la
vie de chacun de ceux qui viennent au monastère autant que de ceux qui n’y
viennent pas. Ce n’était pas un homme inquiet, ce n’était pas non plus un homme
forçant ou se forçant, il y avait chez lui le parfum – il avait d’ailleurs une
eau de toilette et était de chemise, de barbe, de mains, de visage parfaitement
tenu – d’une grande disposition de soi. Il avait vaincu manifestement ce qui
astreint la plupart des humains : des infirmités, des hantises et des
nostalgies, des choses à faire ou à ne pas faire. Il ne vivait pas dans un
monde d’obligations, de devoirs et d’échéances, pourtant il était précis dans
ses horaires et son agenda, il déclinait
ou reportait, combinait des engagements au téléphone, il y était souvent appelé
dans nos entretiens, de l’intérieur de sa communauté ou du dehors. Il n’était
pas non plus ce qu’on dirait un homme organisé ou d’ordre, c’eût été encore
trop personnel et de l’ordre trop humain, au sens d’une organisation de vie qui
n’aurait que de l’enveloppe, de la fonctionnalité et pas de fond, de contenu.
Il était tout simplement dépouillé du superflu, s’appuyait sur le rythme
monastique et la clôture, sur un état de vie mis au service de son évidente
vocation à accompagner, recevoir, répondre, guider. Il avait le charisme de ce
qui erst davantage que le dialogue, un respect d’autrui et de Dieu, il savait
mettre en présence, et il commençait par une mise en présence de soi à soi, là
s’arfêtait le chemin, mais il l’avait approfondi, fait s’approfondir avec celui
qui était venu s’entretenir avec lui. A l’église, il pouvait aussi bien
présider, sans que je l’ai jamais vu célébrer en propre la messe – il n’en avait
plus tout ce mois de Novembre, le rôle – que seulement faire nombre au chœur.
Naturel, vigilant autant au déroulement de l’heure qu’à ses amis dans la nef.
Pas d’ostentation, pas de méthode, mais du dire et de l’être. Revenir sur sa
manière de noter, de constituer des dossiers sur trente ou cinquante ans de vie
spirituelle et intellectuelle, d’écrire et de quasiment peindre ses aphorismes,
ses schémas, ses résumés, ses recommandations en fait, je l’ai déjà fait et le
referai, c’est inépuisable et facile, c’est l’aspect visible de sa
communication et de ce qu’il recevait du monde et de l’époque.
C’est
la pudeur et la discrétion de l’homme dans son itinéraire, hors son charisme,
hors ce qu’il prodiguait aux autres, qui vont me retenir. La joie était constante,
je ne l’ai jamais vu ni pessimiste ni abattu. Tant d’intelligences, notamment
chez des religieux, des spirituels, des philosophes sont soit égotistes – ce
que j’ai découvert ou mis au point… -
soit pessimistes : il est tellement mode, paradoxe de voir les
choses en noir, en fait de les considérer hors providence, hors sens, hors
Dieu, hors foi en l’amour et en l’homme. Il élucidait en tout ce qui en chacun
fait ressort et permet le rebond, le salut, l’ouverture à ce qui sauve et qui
guérit. Sachant lire et écoûter, ce qui, dans sa vie, était presque voisin, et
ne l’est chez d’autres ou chez moi que rare et difficile, il ne donnait jamais
à penser qu’il eût mieux dit ou inventé ce qu’il lisait ou ce qu’il écoûtait.
Sa faculté de s’enthousiasmer, d’admirer, d’encadrer dans du nombreux, du
profus ce qui est beau et porteur de verticalité et d’envol, vient de là ;
il n’est jamais en tiers entre ce qui lui est confié et celui qui se confie, il
est en profonde sympathie, il reçoit totalement sans commenter, sans ajouter,
sans prétendre perfectionner ou prolonger.
Je
l’ai peu vu hors l’église et hors son antre, quelque fois dehors dans la cour
autre fois arborée, au second seuil du monastère, là où les voitures des hôtes
se garent. C’est dire que c’était une silhouette qu’on ne voyait que
mentalement une fois le monastère quitté ou maintenant que s’est faite la
séparation provisoire, je ne l’ai pas vu dans une foule de loin, ou marcher
dans quelque paysage, alors que l’étendue plane avec un unique chemin entre le
monastère et le bourg que précède une semi-forêt, se prête à des images
d’hommes dans le monde et la vie, à travers champs, presque à travers ciel,
revenant de loin vers l’église, le cimetière, les bâtiments, la ferme, l’état
religieux en tant que matérialité des horaires, du costume, etc…. Son
rayonnement physique tenait donc à une acuité de visage contrastant avec une
attention à la fois sévère, austère et malicieuse de son regard. Cette
sévéréité relative était bonté, car il se gardait de juger mais il voulait
qu’arrive au jour le tréfond d’une expérience, l’expérience vitale, vécue de
celui ou celle qu’il recevait. Il ne s’y attachait pas par curiosité ou pour
s’aider lui-même à se comprendre en tant que partie du genre humain, non il ne
cherchait pas, il ne cherchait rien ni personne, il recevait, certain que tout
comble, peut combler et que ce ne sont ni la quête, ni le désir, ni l’intensité
d’attente et de recherche qui produisent quoi que ce soit mais le consentement.
Le discernement porte, selon lui, sur notre capacité à consentir, notre
aptitude au fiat, mais il n’en faisait ni une obligation dans le vide ni
un enseignement en forme de « truc » ; il y voit notre nature,
la nature humaine, la dialectique toute évidente d’une vie ancrée dans le réel qui
est espérance. Si vallée de larmes, il y a, elle n’est pas pour lui un état
définitif même humainement. Il ne conseillait rien, il donnait un moment de
vie.
Il ne désignait même pas, donnant ainsi la
conviction prodigieuse que celui ou celle qui le visitait ou le consultait
avait autant à montrer, à témoigner et à dire de solide que lui, homme,
vieillard, lettré expérimentés et construit. Il démontrait qu’on peut être
parfaitement au fait de l’actualité sous tous aspects, du spirituel au profane,
et pourtant hors du temps et des circonstances, ailleurs et dans l’éternité,
car il faisait voir toute vie dans son être et son sens, plutôt que dans sa
dialectique ou sa contingence. On était auprès de lui et avec lui dans la
contemplation, qui n’a pas de frange ni d’écart, qui ne se borde pas de
temporalité ou d’états d’âme. On anticipait l’éternité tandis que la rencontre
durait tranquillement l’heure prévue entre les Heures monastiques. On faisait
subtilement et naturellement les exercices spirituels les plus structurants en
commençant par le monde que l’on s’entre-exposait, peu de questions et du dire
que l’enthousiasme ou une exclamation concluait au moment où continuer dans ce
registre eût été verbeux. Alors, on creusait ensemble et l’on arrivait vite au
salut, à la croix, à bien davantage qu’un choix, à une communion entre hommes,
personnes humaines se reconnaissant ensemble animées par Dieu et y allant main
dans la main. Il y avait là de l’amour, nulle prédation, nul artifice, nulle
illusion que le temps de mettre fin à l’entretien ou de quitter le monastère
aurait immanquablement dissipée.
C’était
de l’équilibre chez un homme équilibré, humainement doué pour la concentration,
l’imagination, une sorte de poésie apte au classcisme et au romantisme que ne démangeaient
aucun souci de notoriété, aucune précaution pour sauvegarder une image. Il ne
refusait rien et ne demandait rien, il était d’une présence entière,
gratifiante par elle-même pour celui ou celle qui en bénéficiait. La
bienfaisance ne s’arrêtait pas aux limites chronologiques d’une correspondance
ou de retours au monastère et dans son antre. Le moine prenait le relais de
l’ami, sans pose ni allusion déplacée à des macérations ou à des temps donnés à
la prière, il donnait la certitude qu’entré dans son cœur, on demeurerait dans
une pensée tout entière tournée vers Dieu. Amédée n’aurait rien dit sur l’art
de méditer, sur la façon de prier, pas même sur la conversion quotidienne car
il disait tout en emportant l’ensemble d’un dialogue en un mot final, ce oui
qu’il formulait, explicitait comme étant une élévation totale, soudaine,
irrépressible vers… l’indicible. L’entendre alors lire un texte de la liturgie
ou le lire dans son dernier écrit faisait contraste, on était basculé dans
l’explicite et lui au charme si prenant parce qu’apparemment fait d’une
tournure personnelle exceptionnellement apte à l’accompagnement et à la
compréhension d’autrui, était devenu serviteur de réalités et d’un Dieu dont
les mots, l’explicitation sont le fait d’une institution. Il y avait là un témoignage saisissant
d’humilité, achevant de convaincre le retraitant ou l’ami qu’Amédée ne se
voyait supérieur à personne mais frère de beaucoup.
(Notre Dame de Grâce
de Bricquebec, après Matines – samedi 9 Novembre 2002)
Si
la vocation de cet homme – un vrai géant par la puissance, la fluidité, la
continuité, la cohérence de son témoignage et de sa vie – fut vraiment l’enseignement,
un enseignement par l’écoûte du monde et de l’autre, rien n’eût été possible
sans l’état monastique. La bifurcation de la guerre, permise et vue grâce à la
guerre, n’est pas de l’ordre professionnel, mais bien de celui d’une
construction pour contenir un trop-plein, pour aménager un cours si puissant.
Enseignant l’enfance, Amédée eût certainement rayonné parmi ses élèves et ses
confrères, mais il eût manqué l’évidence d’une référence. Celle-ci est donnée
par le monastère en soi, et par ce à quoi une abbaye et la règle de saint
Benoît font aboutir : une claire lumière, située et précise, comme l’a
chantée saint Bernard. Amédée est situé plus dans un lieu que dans un temps. Et
il y est fidèle, il ne s’est pas répandu en livre et certainement celui à
paraître et qu’il a chéri, voulu, placé en exergue rétrospectif de tout son
parcours, de cette existence humaine qu’il eût peut-être plus de difficulté à
abandonner, à quitter, donc à offrir vraiment, n’est encore qu’un don, derrière
lequel il s’est ingénié à disparaître. Il y écrit universellement, il ne parle
que de l’objet de sa contemplation, de celle qu’il propose, et non de lui-même
ou d’une expérience personnelle, il sait offrir sans même paraître, les mains
et le sourire, la voix ne s’y entendent, seul le produit est offert. On serait
tenté de penser, le résidu. Le résidu, le produit d’une vie consumée, d’un
homme donné et dédié. La théologie de l’heure d’à présent, celle des Vigiles du premier samedi à vivre
après qu’il ait disparu, à vivre sans lui apparemment, expose la maison, le
temple, l’habitation de l’âme humaine par Dieu Créateur et force, commencement
et continuité. Amédée était transparent, il ne prenait pas de place indûment
mais il était là où il fallait qu’il fût, là dans la vie de ceux qui
recoururent à lui, là aux offices monastiques et dans sa communauté.
Dépouillement sévère de la vie et de la croix qu’ornaient et adoucissaient ses
propensions à la joie, à la fête, à la célébration.
L’état
monastique n’était pas un aménagement providentiel du temps de vie d’un homme
qui autrement eût pu être débordé, se dispersé, s’éteindre dans la foule
quotidienne, ce fut pour Amédée une pédagogie dont il avait besoin, qu’il y
convenait, à laquelle il contribuait et que sa fidélité validait pour autrui,
offrait à autrui. Jamais un moine ne m’est autant apparu homme de départ, homme
d’envol, le lieu, la piste d’envol amoureux et cosmique sont ainsi nécessaires,
sa manière d’être, d’écoûter avant de dire indiquait ce lieu et l’accueil par
une tradition, par des pierres, par un passé renvoyant au passé personnel, à
l’acquis culturel d’un pays, d’une civilisation, d’un siècle ; ainsi, sur
ce socle, et avec lui en maître tranquille et apaisant, le débutant ou le
reclus ou l’âme fatiguée venaient apprendre l’élan, l’envie, la foi, la
plénitude. On n’arrivait jamais, on se situait mieux, on commençait et partait
immanquablement. Cela dans la foi, dans l’espérance et dans une tolérance de
soi et des autres produisant que plus rien ne gênait l’âme cherchant à
continuer de vivre. Il ne prêchait ni la rupture ni une quelconque
transformation de soi, il donnait tout le mouvement à accomplir, le mouvement
d’une libération de soi et de la connaissance du monde, en résumant la
circonstance de la rencontre et la vie entière de celui qu’il enseignait en
l’écoûtant par ce oui proféré en jaillissement, poussé comme une fleur
offre ses pétales au haut de sa tige, ouvert comme les mains qui prient.
C’était sérieux, audible, serein. Le voir à
l’église persuadait qu’à terme tout rentrer dans l’ordre. Il était prêtre sans
le répéter, le montrer, sans insigne, fondu dans sa communauté pour ce qui est
d’exercer le sacerdoce. Le monastère, l’état de vie religieuse était son
sacerdoce, il s’effaçait une fois qu’il avait ouvert la porte et s’était assuré
que l’homme mis par Dieu à cette école franchirait bien le seuil ; dès
lors, la communion savoureuse, la prière silencieuse suffiraient, tout serait
exprimé par là et d’abord la reconnaissance qu’une naissance de plus, que des
retrouvailles « divino-humaines » aient eu lieu. Le lieu permet
d’être. Et cet homme par son type de culture, par sa manière de recueillir et
de travail, par son accueil offrait un lieu spirituel et mental à la fois
intangible, objectif et tout à fait adapté au moment d’une psyché, à la
recherche d’une âme dolente ou ressentant ses limites propres. Il était tourné
vers les autres et en référait lumineusement à Dieu. Il avait la comparaison
mariale, l’engouement fraternel, la fraîcheur d’un commencement, la densité et
l’autorité d’une expérience de longue date, sans cesse confirmée parce
qu’intérieure. Il était simple et consentant à tout humainement, il ne
reprenait ni ne corrigeait jamais, il convainquait que la chance est permanente
et savait l’appeler, la faire reconnaître comme un don, un signe de Dieu.
D’autres, on assemble des fioretti, on
rappelle et recueille des traits, de cet homme, éminemment religieux mais libre
de tout, entier dans son mouvement, on retient qu’il portait au dialogue, à la
confiance, à l’optimisme, on aura la mémoire qu’il était agissant quand la
grâce avait amené à lui une âme.
(Notre Dame de Grâce
de Bricquebec, après Laudes – samedi 9 Novembre 2002)
L’office
de Laudes et toute la liturgie des dédicaces permettent des adieux qui
n’en sont pas, la construction, l’œuvre pérennisent les vies et les destins, hiérarchisent
et magnifient les apports. S’il y a combat spirituel des derniers, des derniers
moments de lucidité et encore de volonté, ce doit être celui qui donne sa
valeur et sa valeur au consentement, à ce oui « amédéen ».
Etre dépassé paar l’œuvre à laquelle on a voulu, reçu de participer, que
s’éteigne une chanson propre et personnelle, qu’elle ne se répète et dure
désormais que dans l’écho retenu par le cœur des autres et fleurissant en belle
frise aux principaux panneaux du temple commun. Accepter de rentrer dans le
cortège est autrement difficile que d’en dire et vivre l’attrait ; car
alors on observe le but, la fin de la procession et l’on peut se sembler à
soi-même unique dans ce dialogue avec la vie, avec la beauté, avec la laideur,
avec la réussite, avec Dieu faisant tout de tout, mais mourir c’est accepter
d’être dépassé, repris, c’est accepter de renaître. Cet homme n’avait nulle
crainte et pas celle de mourir. Il ne cherchait pas, il avait trouvé, il ne
phrasait pas une logique de résurrection, une philosophie du mal vaincu par le
bien, il vivait un au-delà déjà perceptible quotidiennement, il témoignait de
la lumière et renvoyait à elle, il avait fait vœu de stabilité et incarnait
magnifiquement cette résolution par la quiétude, la régularité de sa vie, de
ses propos, il surprenait par un combiné, à première expérience impossible,
d’attention à autrui et de placidité. Vif, il était le contraire d’un agité ou
d’un profus. Il revenait sans cesse au centre, il ne déifiait rien ni personne,
pas même Dieu si l’on peut écrire ainsi, car il était proche de ce qu’il savait
constituer notre source, il ne se posait pas en centre lui-même, en génie qui
nomme et assemble les plus belles choses dans le monde des idées ou dans
l’apologétique. Il contemplait un agencement qui lui avait pré-existé comme à
tout être vivant et lui survivrait, et il y voyait, vivait tranquillement la
place que Dieu, la vie nous y donne. Il ne se posait pas de questions
insolubles, il ne prenait personne au piège d’une connaissance, d’une culture,
d’une dialectique, d’une spiritualité qui lui conféraient cependant une évidente
aînesse dans le parcours du bonheur. Il était autant désincarné que charnel,
répondant volontiers à des demandes factuelles, et même à des interrogations
sur sa propre biographie, il ouvrait alors, presque par hasard et sans
redondance, les portes retirées de grandes amitiés, de rencontres qu’il avait
faites, il appréciait de ceux dont il esquissait le portrait leur diversité, ce
qu’il y avait eu en eux d’aigu, il admirait les écrits d’autrui, il
communiquait les hauts faits de tiers anonymes dont il avait perçu la
souffrance ou l’entrain et le secret qui permet ceci ou provoque cela, mais il
restait toujours discret, pour ne pas envahir et pour demeurer lui-même assez
ouvert et tranquille au point de toujours accueillir sans que ce soit jamais
vraiment pareil. On le regardait du dehors et il n’invitait pas à ce qu’on le
pénètre tant il se voulait secondaire, simple introducteur de l’autre à
lui-même et à ce mouvement du oui qui fait approcher de tout. Il aurait
volontiers admis qu’on résume son enseignement, s’il y en avait un, et c’était ses graphismes et
ses sigles, en un seul trait coiffé et aiguisé d’une flèche. D’une certaine
manière, cet homme fixé en un lieu aima la vitesse, celle de la lumière, celle
du bond en Dieu, celle de la visitation soudaine et sans apprêt, totale et
défiant tout mpot, y compris les comparaisons avec le feu et la lumière, la
visite que Dieu rend à l’âme en lui
faisant prendre conscience et en lui donnant vision qu’Il l’habite. Irruption
de soi en soi, trouvaille alors de l’essentiel en personne et en chose.
Mystique ?
je ne le dirai pas. Contemplatif ? oui, mais pas à la manière courante ni
à celles qui se prêtent aux classifications et à des auscultations les
amoindrissant et en faisant une affaire de spécialiste. Ecrivain, pas vraiment,
puisqu’il était abréviatif, allusif, qu’il corrigeait du texte, de la matière
plus qu’il ne composait. Il était rapide parce qu’il était toujours au centre,
la périphérie l’eût intéressé mais son don et sa vocation était d’amener au
centre et d’en faire vivre et comprendre la force et la vérité, centre qui
était partout et à toute heure et en tout être. Certainement pas philosophe. On
eût dit un sage à la façon antique s’il n’avait été si présent, si disponible,
si éloigné d’accepter d’être statufié. Il n’impressionnait pas par les éléments
reconnus et habituels d’un prestige humain, il n’avait de titres qu’immédiats
et à la démonstration desquels on assistait, participait. Ce qu’il examinait et
voyait, c’était la vie. Oui, ce qui le définit le mieux, c’est qu’il était
intensément vivant, moine vivant, religieux vivant, pédagogue vivant, ami
vivant et prévenant. Ce qui parfois demande une formulation quand on regarde un
autre ou qu’on l’évoque : la conscience qu’il peut avoir de soi, de ses
capacités, de ses lacunes, se résolvait à son propos en ce que ces questions ne
se posaient pas : précisément parce qu’il était vivant et qu’il n’y avait
pas à le conformer, il n’était ni humble ni fier, il allait mais nullement
seul, il accompagnait. Il accompagnait tout le monde, Dieu et le monde.
Essentiellement ami, il était encore plus relation que personne et ce qu’il
donnait était un meilleur, plus fort, plus chaleureux relationnement avec tout.
Ce qu’il apportait, c’était une autre relation. Les scientifiques de la psyché
savent depuis un grand siècle formuler que le bien-être et la normalité sont
dans la relation, la relation à autrui, à la réalité. Lui, ce qu’il ajoutait
décisivement, était qu’il n’y a pas de relation sans consentement, sans oui,
sans fiat, et que c’est ce sursaut qui signifie et authentifie un
accueil, donc une rencontre et qu’on ne connaît rien ni personne sans cette
décisive ouverture qu’est l’acquiescement. De là, la louange, la joie, les
heures monastiques, l’amitié qui est retour et fruit du consentement et de
l’accueil.
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