Prier…
[1]les saints dans notre
vie, un compagnonnage multiple, changeant, émergeant, aussi divers que nos
situations les plus intimes quand l’un des nôtres meurt, quand un proche nous
annonce une étape cardinale dans sa vie, quand se multiplient des rencontres
signifiées mais non épuisées par quelques phrases, toutes nos affinités entre
nous et avec ce fait mystérieux d’exister personnellement et de découvrir l’attractivité
du fait identique chez d’autres qui vivent, ou qui par leur mort nous
apprennent le plus juste et précis de notre propre avenir, notre mort aussi.
Ces heures et jours-ci, c’est de cela que je m’émerveille et c’est cela que j’apprends,
la mère d’une de mes belles-sœurs, très chère… un religieux, devenu très
proche, structurant dans mon existence parce qu’il a le don du partage, de la
fraternité et de la confiance ce qui le rend aussi vulnérable à la joie, à l’envoi
en mission qu’à la calomnie ou à l’indélicatesse, et ces échanges dans le
train, dans le métro, sur le divan d’examen, dans une salle d’attente, dans un
courriel inattendu mais révélateur. Voici Jésus, tranquillement, nous disant le
vrai de nos situations et de nos revers : heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et
vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom… oui, mais notre fécondité, notre martyre-même, nos aventures minuscules
ou grandioses ne sont pleinement notre existence qu’à cause du Fils de l’homme.
Notre destin n’arrive à maturité, peut-être
à quelque grandeur que si nous sommes dans le Christ. Le renversement de toutes
les apparences et de toutes les hiérarchies tient à notre choix, sinon quel
malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel
malheur pour vous qui êtes repus maintenant car vous aurez faim. Sans notre attachement au Christ, nous
visons sans perspective, sans identité. Plus nous tendons à fusionner avec le
Christ – que je le dis mal ! – plus nous demandons et souhaitons de
répondre à Son appel, aux signes et appels de Sa providence même quand c’est
immédiatement coûteux, plus nous entrons dans la paix, l’épanouissement et la
tranquillité de tout nous-mêmes. Réjouissez-vous, tressaillez de joie, car
alors votre récompense est grande dans le ciel. Jésus affirme la perspective, la vérité de nos situations. Si la foi
que Dieu maintient en nous ou nous donne en nouvelle naissance, en cours de
notre route, nous inspire ainsi : tout recevoir comme le signe de l’aboutissement
possible, certain, lumineux, surtout quand sont là l’épreuve ou l’incompréhensible
ou l’injustice, alors l’équilibre intérieur et une intimité nouvelle en toute
relation à Dieu, aux autres, à l’existence, au patrimoine de l’humanité et de
la création. La somme paulinienne dans laquelle a puisé Ignace de Loyola, puis
ont puisé ses compagnons, ou bien plus simplement et sans référence ensuite à
son expérience mais la répétition de celle-ci de génération spirituelle en
génération de nouveaux saints : ceux qui pleurent (qu’ils soient) comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la
joie comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne
possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient
pas vraiment. Le renversement paulinien n’est
pas une école d’insensibilité ou d’indifférence, il est une connaissance de la
précarité du monde : le temps est limité.. car il passe, ce monde tel que
nous le voyons. Précarité du monde, oui ! mais pas de nous-mêmes, malgré
toutes les apparences de nos faiblesses, malgré notre mort, nos si faibles
longévités, l’oubli qui nous ensevelira en si peu de générations sauf
rarissimes exceptions. Paul sait notre immortalité et notre gloire dans le
Christ : votre récompense est grande dans le ciel. Et à l’assurance qu’à la place de tes pères se lèveront tes fils, nous répondons : je ferai vivre ton
nom pour les âges des âges. Dieu nous
appelle à la vie éternelle, à notre entrée dans sa divinité, et nous Lui
demandons de contribuer, par nos vies, notre foi, à la sanctification de Son
nom, à l’arrivée de Son règne. Oui…
Regardée
dans cette lumière et selon ces leçons, notre actualité est simplissime. De
grands pays dits démocratiques sont en train de perdre le sens de la
démocratie, du patrimoine, de l’honneur qui – seul – est la véritable identité
d’un pays, d’un peuple (d’où le respect que nous devons continuer d’avoir pour
tout mouvement d’indépendance, et l’horreur de tout mouvement de haine raciale
et de fermeture des frontières de terre et d’âme). Etats-Unis et France s’acharnent
en procédures de dévolution du pouvoir mais perdent complètement d’esprit et de
réflexion l’exercice-même de ce pouvoir, les outils qui le permettent, et la participation de tous à cet exercice. L’alternance
décennale, quinquennale, quadriennale au pouvoir n’a aucun sens, l’expérience
est faite qu’elle change le titulaire mais pas le fond de ce qui est mené ou
subi. Les dictatures, notamment les deux versions les plus manifestes et que
nous ne savons pas, en la personne de nos propres dirigeants, condamner en tant
que telles et selon ce qu’elles sont, la dictature russe, la dictature chinoise
ne pratiquent que dans le secret la dévolution du pouvoir, on ne la sait ou
comprend que plusieurs décennies plus tard, en revanche le refus de toute
participation du grand nombre est clairement pratiqué, même si naguère c’est le
prolétariat entier qui était censé exercer la dictature. Résultat comme antan,
réarmement outre-Atlantique, collusion de nos extrême-gauches et extrême-droites
avec ces dictatures. Résultat, selon l’UNICEF, près de cinquante millions d’enfants
déportés ou migrants de force… elles n’ont pas la même application que dans les
années 1930, mais nos lacunes, nos tolérances, nos haines minables, nos peurs
sont du même tonneau. Nauséabond.
Densité
de ces trois textes de notre liturgie d’aujourd’hui car ils nous convient à
trois directions, apparemment antagonistes ou très différentes l’une de l’autre :
réflexion sur le célibat et relativisation extrême par Paul de tout mariage, de
toute possession, puis présentation par le psalmiste du bonheur nuptial et de
la jouissance d’une descendance, d’une ascendance, enfin dialectique
messianique du gagnant et du perdant. Je crois que Paul nous donne la clé pour
le vivre et comprendre : le monde et ce qu’il nous donne ne vaut pas ce qu’apporte
notre mise à la suite du Christ. L’appel de Celui-ci, fréquent dans tout l’évangile
puisque notre rédemption ne se fait que par notre participation intense, consciente,
choisie, n’est dans les « Béatitudes ». Celles-ci sont tout
simplement la lecture au plus vrai et précis de ce que nous vivons, de ce que
sont nos pleurs et nos rires. Paul en tire la conséquence de ne pas nous
assimiler à un état de vie ou à une action ou encore un sentiment quelconques.
Le Christ avait été plus crû. Ce que vous vivez comme le plus certain, l’acquis
le plus sûr est en réalité le plus réversible et fragile. Combien cela se
vérifie ! aussi bien dans ce que je vis ces mois-ci que dans ce qu’il nous
apparaît de notre vie collective et de l’expression politique de celle-ci lorsque
la parole publique n’est plus que campagne.
En
marge, cette vénération, aussi vieille, sinon plus, que notre émergence
nationale quand disparaît l’empire romain, celle d’une jeune fille martyrisée
sur le site d’Alésia, juste trois siècles après notre désastre… coincidences de
lieu, d’anniversaire. Et une jeune fille appelée Reine. D’autres traditions la
croient apocryphe et importée d’outre-Rhin, c’est-à-dire d’une signification
strictement contraire.
[1] - 1ère lettre de Paul aux Corinthiens VII 25 à 31 ; psaume
XLV ; évangile selon saint Luc VI 20 à 26
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