Les livres inconnus d’auteurs connus,
inconnus-connus de moi. Edith trouve chez Emmaüs « un » Christiane
SINGER [1], un des cadeaux que m’a
fait la profonde Autriche, il y a vingt-cinq ans. J’ai entr’ouvert et lu :
nous vivons et nous mourons de nos
images, pas de la réalité. La réalité ne peut rien contre nous. La réalité n’a
pas de pouvoir contre nous. C’est la représentation que nous en avons qui nous
tue ou qui nous fait vivre. Et ce matin,
je le rouvre… l’histoire d’un âne, de sa mort : il s’est passé quelque
chose d’inoubliable au cours de ces derniers instants. Mon âne a poussé de très
profonds soupirs et au tout dernier, là où j’attendais encore un inspir qui n’est
pas venu, une immense larme cristalline s’est détache du coin de son œil et a
roulé dans le foin. Dans cette écurie, le ciel s’est ouvert, et ce que j’avais
connu à la mort d’êtres qui m’étaient proches et chers était là, dans la même
qualité, dans la même merveille. Le ciel s’est ouvert pour accueillir un âne ! [2] Elle l’avait adopté quand
il n’avait que douze ans, il l’a quitté à quarante-deux ans. L’euthanasier ou
pas : quelques jours avant Pâques, voilà qu’il tombe sur le flanc et
ne peut plus se relever. J’ai demandé au vétérinaire pourquoi il fallait l’endormir.
Il m’a répondu : pour lui éviter de souffrir. Mais je lui ai dit qu’il
avait déjà beaucoup souffrir : il avait perdu sa compagne, une ânesse
grecque, et deux enfants, il avait passé tant d’hivers solitaires dans son
écurie sombre… Il connaissait bien la vie et tout son cortège de misères et de
joies. Il connaissait tout et il était bien assez grand pour aller jusqu’au
bout de la vie ; La question était plutôt, lui ai-je dit, de savoir
combien de souffrances nous étions capable de supporter lui et moi – et de
combien de patience nous étions capables ! Le vétérinaire est reparti et
les longues journées ont commencé où je descendais toutes les heures donner à
boire à mon âne avec une cuillère – les longues, longues journées. Il y a eu un
matin où je me suis demandé si je n’avais pas pris une mauvaise décision et je
me suis sentie perdue : c’est lorsqu’il s’est mis à bouger, à ruer, à se
débattre. Mais en me rassérénant, en reprenant confiance en nous deux, j’ai cru
comprendre que c’était la vie une dernière fois qui se réveillait en lui, la fière
mémoire des cavalcades – et qu’il tentait de bondir à la rencontre de l’horizon
comme il l’avait fait si souvent. Puis mon jeune fils m’a conseillé de ne plus
m’éloigner – c’était pour bientôt – et il avait raison. Il s’est passé quelque
chose d’inoubliable…[3]
Admirable, si présente, si fervente, si
disponible et si décidée pourtant, tellement inentamable… Christiane
SINGER que
j’ai aimée. Morte aujourd’hui au sens convenu du terme et de cet état
qui sera
aussi le nôtre, à chacun, pour le dehors, pour les autres. La mort de
chacun de
nos chiens, l’atrocité de ceux qui ont été fusillés, sans méfiance, leur
face-à-face et un humain qui à bout portant… un tel mépris pour notre
animal,
pour la vie, et une telle haine pour moi, pour ma femme, les assassins,
les
empoisonneurs toujours pas identifiés, et ils sont ou viennent dans
notre
voisinage le plus immédiat. La mort de Snoopy, de Kiki, les lentes
agonies de
Boule-de-neige et de Maya, mais toujours avec nous. A la mort de ma
mère, je n’étais pas là. Une belle-sœur
est arrivée… pendant.. ou peu après, je ne sais. J’eusse été là que…
expérience
de la mort du cher et saint Frère Claude. L’écrit reste. Je resterai. Je
rencontre
celles et ceux qui restent. Le gros cartable, que ‘ma offert ma chère
belle-mère, et où je serre les lettres de ma mère : j’en retrouve tous
les
mois au moins, et depuis des années, je sais aussi une liasse sûrement
pas
disparue, seulement égarée, papier avion, tandis que je suis en
Mauritanie pour
mon service « militaire », il y a plus de cinquante ans. Boîte
postale 17, le DC4 qui s’entendait de loin, surtout quand le vent
portait, la
capitale des sables, Nouakchott, pas dix mille habitants.
VERCORS :
oui, pendant longtemps, le choix s’était
fait sans mal. Cela ne veut pas dire qu’il n’y eût pas souvent une offensive d’idées
fracassantes. Quelque fois la frontière était assez difficile à délimiter entre
les deux domaines ; le langage déborde largement sur les affaires
humaines, et réciproquement. Faire semblant de l’ignorer serait pure absurdité.
De sorte qu’on se trouvait mainte fois en danger de s’engager imprudemment. S’engager
veut dire ici : écrire. Deux choses sont la fin qu’on se donne à soi-même
de sa vie sur terre, et le bonheur qu’on tire de cette vie. ce bonheur, on peut
le défendre par les moyens qu’on veut, cela n’engage à rien. Ce qu’on écrit
(qui vous engage tout entier) jamais n’y doit être mêlé. Pendant l’entre-deux-guerres,
donc, la difficulté n’était pas énorme. On pouvait, bien sûr, penser ce qu’on voulait
de tel régime social ou de tel autre. Aller même jusqu’à ressentir une
préférence. Et même jusqu’à lutter pour cette préférence ; cela n’allait
pas loin, jamais en tout cas jusqu’à intervenir dans le jeu authentique de la
pensée pure. On pouvait écrire tranquillement, sans craindre qu’une « distraction »
(dans le sens fort, étymologique du mot), qu’une colère, un mouvement de
passion vinssent vous faire faire un faux pas et salir votre plume [4]Tout à fait ce qu’a vécu BRASILLACH… et ce
qu’à la publication de mon premier papier par Le Monde (30 Mars 1972), je sus : avoir à répondre de ce que l’on écrit,
de ce que l’on a écrit.
Pas
d’écho encore, au moins en dépêches diverses du débat américain. Dans
l’espèce,
évidemment il s’est agi d’évaluer la résistance physique d’Hillary
CLINTON et
de constater si TRUMP pouvait n’être pas intempérant. Mais d’une manière
générale, je ne suis pas pour ces pugilats qui n’ont rien à voir avec la
capacité, l’art de gouverner, de présider. De tels dialogues n’auraient
de sens
que s’ils préparent un accord sur certains points, dûment reconnu de
part et d’autre,
et concourent donc au consensus, à l’esprit national. Pas davantage des
primaires, au moins pour chez nous. Le tissu politique est déjà
tellement mité
et déchiré… Alors, comment dégager, choisir une personnalité ? je ne
sais
pas. Ce dont je suis sûr, c’est que le choix, il est d’abord dans
l’inimité du
grand homme, non par ambition pire, mais par conscience de soi et
surtout par
la msie en jeu soudaine, miraculeuse parfois de l’adéquation entre une
personnalité et les circonstances. A l‘évidence DG en Juin 1940, la
guerre
était son métier, sa partie, il en avait été le prophète technique, mais
il s’y
est ajouté un autre talent : celui de communiquer sa foi. BONAPARTE
rentrant d’Egypte. La meilleure élection est celle qui consacre, pas
celle qui
distingue. Nous nous sommes nationalement trompés depuis 1995. VGE et
DELORS
auraient dû alors se présenter, ils ont manqué à plus qu’eux-mêmes.
Prier
… [5] Jean encore, mais avec
son frère Jacques, dialogue avorté avec leur Maître … voir si les autres
synoptiques rapportent aussi ces propos ? L’évangéliste, lui, ne les donne
pas. « Seigneur, veux-tu que
nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » Mais
Jésus, se retournant, les réprimanda. Puis ils partirent pour un autre village.
Un peu comme Pierre au Mont-Thabor nos
chers prédécesseurs et exemples dans l’intimité du Christ, perdent la tête et
disent n’importe quoi : spontanéité…
Notation rare de Luc, et même unique je crois dans les évangiles : Jésus,
le visage déterminé… Il joue sa vie, son
destin, le sait… la route de Jérusalem. Mais
le visage de Jésus frappe. Quel est alors l’informateur de Luc ? Pour les
récits de l’Enfance, pas de doute, la Vierge Marie elle-même. Mais ensuite ?
Question qui n’est pas de sémantique, qui est existentielle : Job. Puis le
psalmiste… pourquoi Dieu donne-t-il la vie à un homme dont la route est
sans issue, et qu’il enferme de toutes parts ? Car mon âme est rassasiée
de malheur, ma vie est au bord de l’abîme ; on me voit déjà descendre dans
la fosse, je suis comme un homme fini. Evocation
par Job de ce qui me revient de plus en plus souvent, ainsi hier soir à
regarder ensemble, ma chère femme et moi, cette nouvelle évocation des
Magdalena sisters… comme l’avorton que l’on dissimule, je n’aurais pas
connu l’existence, comme les petits qui n’ont pas vu le jour. … le psaume, repris quotidiennement par les
communautés monastiques à leur sortie du réfectoire en milieu de journe, entre
Sexte et None : car mon péché, moi je le connais.
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