BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
17 mai 2006
Pierre, le pêcheur
Chers frères et soeurs,
Dans la nouvelle série de
catéchèses, nous avons tout d'abord cherché à mieux comprendre ce qu'est
l'Eglise, quelle est l'idée que le Seigneur se fait de cette nouvelle famille.
Nous avons ensuite dit que l'Eglise existe dans les personnes. Et nous avons vu
que le Seigneur a confié cette nouvelle réalité, l'Eglise, aux douze Apôtres. A
présent, nous voulons les voir un par un, pour comprendre à travers les personnes
ce que signifie vivre l'Eglise, ce que signifie suivre Jésus. Commençons par
saint Pierre.
Après Jésus, Pierre est le
personnage le plus célèbre et le plus cité dans les écrits du Nouveau
Testament: il est mentionné 154 fois avec le surnom de Pétros,
"pierre", "roc", qui est la traduction en grec du nom
araméen qui lui a été directement donné par Jésus, Kefa, attesté neuf fois, en
particulier dans les lettres de Paul; on doit ensuite ajouter le nom
fréquemment utilisé Simòn (75 fois), qui est la forme grécisée de son nom juif
original Simeòn (2 fois: Actes 15, 14; 2 P 1, 1). Fils de Jean (cf. Jn 1,
42) ou, dans la forme araméenne, bar-Jona, fils de Jonas (cf. Mt 16, 17), Simon
était de Béthsaïde (cf. Jn 1, 44), une petite ville à l'est de la mer de
Galilée, dont provenaient également Philippe et naturellement André, frère de
Simon. Sa façon de parler trahissait l'accent de Galilée. Lui aussi, comme son
frère, était pêcheur: avec la famille de Zébédée, père de Jacques et de
Jean, il dirigeait une petite activité de pêche sur le Lac de Génésareth (cf.
Lc 5, 10). Il devait donc jouir d'une certaine aisance économique et était
animé par un intérêt religieux sincère, par un désir de Dieu - il désirait que
Dieu intervienne dans le monde - un désir qui le poussa à se rendre avec son
frère jusqu'en Judée pour suivre la prédication de Jean le Baptiste (Jn 1,
35-42).
C'était un juif croyant,
pratiquant, confiant dans la présence agissante de Dieu dans l'histoire de son
peuple, et attristé de ne pas en voir l'action puissante dans les événements
dont il était alors le témoin. Il était marié et sa belle-mère,
guérie un jour par Jésus, vivait dans la ville de Capharnaüm, dans la maison où
Simon logeait lui aussi lorsqu'il était dans cette ville (cf. Mt 8, 14sq; Mc 1,
29sq; Lc 4, 38sq). De récentes fouilles archéologiques ont permis de mettre à
jour, sous le pavement en mosaïque octogonal d'une petite église byzantine, les
traces d'une église plus antique installée dans cette maison, comme l'attestent
les inscriptions comportant des invocations à Pierre. Les Evangiles nous
informent que Pierre appartient aux quatre premiers disciples du Nazaréen (cf.
Lc 5, 1-11), auxquels s'en ajoute un cinquième, selon la coutume de chaque
Rabbi d'avoir cinq disciples (cf. Lc 5, 27: appel de Levi). Lorsque Jésus
passera de cinq à douze disciples (cf. Lc 9, 1-6), la nouveauté de sa mission
sera claire: Il n'est pas un rabbin parmi tant d'autres, mais il est venu
rassembler l'Israël eschatologique, symbolisé par le nombre douze, qui était
celui des tribus d'Israël.
Simon apparaît dans les
Evangiles avec un caractère décidé et impulsif; il est disposé à faire valoir
ses propres raisons, même par la force (que l'on pense à l'usage de l'épée au
Jardin des Oliviers: cf. Jn 18, 10sq). Dans le même temps, il est parfois
naïf et peureux, mais cependant honnête, jusqu'au repentir le plus sincère (cf.
Mt 26, 75). Les Evangiles permettent d'en suivre pas à pas l'itinéraire
spirituel. Le point de départ est l'appel de Jésus. Il a lieu un jour
quelconque, alors que Pierre est occupé à son travail de pêcheur. Jésus se
trouve sur les rives du lac de Génésareth et la foule se bouscule autour de lui
pour l'écouter. Le nombre des auditeurs crée un certain malaise. Le Maître voit
deux barques ancrées au bord de la rive; les pêcheurs sont descendus et lavent
les filets. Il demande alors à monter sur la barque, celle de Simon, et le prie
de s'éloigner de la terre. S'étant assis sur cette chaire improvisée, il se met
à enseigner les foules de la barque (cf. Lc 5, 1-3). Et ainsi, la barque de
Pierre devient la Chaire de Jésus. Lorsqu'il a fini de parler, il dit à
Simon: "Avance au large, et jetez les filets pour prendre du
poisson". Simon répond: "Maître, nous avons peiné toute la nuit
sans rien prendre; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets" (Lc 5,
4-5). Jésus, qui était menuisier, n'était pas un expert en pêche:
pourtant, Simon le pêcheur se fie à ce Rabbi, qui ne lui donne pas de réponse
mais l'appelle à avoir confiance. Sa réaction devant la pêche miraculeuse est
d'émerveillement et d'agitation: "Seigneur, éloigne-toi de moi, car
je suis un homme pécheur" (Lc 5, 8). Jésus répond en l'invitant à la
confiance et à s'ouvrir à un projet qui dépasse toutes ses perspectives:
"Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras" (Lc
5, 10). Pierre ne pouvait pas encore imaginer qu'un jour, il serait arrivé à
Rome et aurait été ici "pêcheur d'hommes", pour le Seigneur. Il
accepte cet appel surprenant, de se laisser entraîner dans cette grande
aventure: il est généreux, il reconnaît ses limites, mais il croit en
celui qui l'appelle et suit le rêve de son coeur. Il dit oui - un oui courageux
et généreux -, et devient le disciple de Jésus.
Pierre vivra un autre moment
significatif de son chemin spirituel aux alentours de Césarée de Philippe,
lorsque Jésus pose une question précise aux disciples: "Pour les
gens, qui suis-je?" (Mc 8, 27). Jésus ne se contente cependant pas de la
réponse par ouï-dire. Il attend de la part de ceux qui ont accepté de s'engager
personnellement avec Lui une prise de position personnelle. C'est pourquoi, il
insiste: "Pour vous, qui suis-je?" (Mc 8, 29). Et Pierre répond
également au nom des autres: "Tu es le Christ" (ibid.), c'est-à-dire
le Messie. Cette réponse de Pierre, "ce n'est pas la chair et le sang qui
[lui] ont révélé cela", mais elle lui fut donnée par le Père qui est aux
cieux (cf. Mt 16, 17), et elle contient comme en germe la future confession de
foi de l'Eglise. Toutefois, Pierre n'avait pas encore compris le contenu
profond de la mission messianique de Jésus, le nouveau sens de cette
parole: Messie. Il le démontre peu après, en laissant comprendre que le
Messie qu'il poursuit dans ses rêves est très différent du véritable projet de
Dieu. Devant l'annonce de la passion, il se scandalise et proteste en suscitant
la vive réaction de Jésus (cf. Mc 8, 32-33). Pierre veut un Messie "homme
divin", qui accomplisse les attentes des gens en imposant sa puissance à
tous: c'est également notre désir que le Seigneur impose sa puissance et
transforme immédiatement le monde; Jésus se présente comme le "Dieu
humain", le serviteur de Dieu, qui bouleverse les attentes de la foule en
prenant un chemin d'humilité et de souffrance. C'est la grande alternative, que
nous aussi, nous devons toujours apprendre à nouveau: privilégier nos
propres attentes en repoussant Jésus ou accueillir Jésus dans la vérité de sa
mission et mettre de côté les attentes trop humaines. Pierre - impulsif comme
il l'est - n'hésite pas à prendre Jésus à part et à lui faire des reproches. La
réponse de Jésus anéantit toutes ses fausses attentes, lorsqu'il le rappelle à
la conversion et à le suivre: "Passe derrière moi, Satan! Tes
pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes" (Mc 8, 33). Ce
n'est pas à toi de m'indiquer la route, moi, je choisis mon chemin, et toi,
remets-toi à ma suite.
Pierre apprend ainsi ce que
signifie véritablement suivre Jésus. C'est son deuxième appel, semblable à
celui d'Abraham dans Gn 22, après celui de Gn 12: "Si quelqu'un veut
marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il
me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa
vie pour moi et pour l'Evangile la sauvera" (Mc 8, 34-35). C'est la loi exigeante
de la sequela Christi: il faut savoir renoncer, si nécessaire, au monde
entier pour sauver les vraies valeurs, pour sauver son âme, pour sauver la
présence de Dieu dans le monde (cf. Mc 8, 36-37). Bien qu'avec difficulté,
Pierre accueille l'invitation et poursuit son chemin sur les traces du Maître.
Et il me semble que ces
diverses conversions de saint Pierre et sa figure tout entière sont un grand
réconfort et un grand enseignement pour nous. Nous aussi, nous avons le désir
de Dieu, nous aussi, nous voulons être généreux, mais nous aussi, nous
attendons que Dieu soit fort dans le monde et transforme immédiatement le
monde selon nos idées, selon les besoins que nous constatons. Dieu choisit une
autre voie. Dieu choisit la voie de la transformation
des coeurs dans la souffrance et dans l'humilité. Et nous, comme Pierre, nous
devons toujours nous convertir à nouveau. Nous devons suivre Jésus et non pas
le précéder: c'est Lui qui nous montre la route. Ainsi,
Pierre nous dit: Tu penses connaître la recette et devoir transformer le
christianisme, mais c'est le Seigneur qui connaît le chemin. C'est le Seigneur
qui me dit, qui te dit: Suis-moi! Et nous devons avoir le courage et
l'humilité de suivre Jésus, car Il est le Chemin, la Vérité, et la Vie.
* * *
J’accueille avec plaisir les
pèlerins de langue française, présents à cette audience, en particulier le
groupe des Associations Raoul Follereau et les jeunes. Que votre pèlerinage
vous fortifie dans la foi et, qu’à l’exemple de l’Apôtre Pierre, vous ouvriez
généreusement vos cœurs à l’appel du Christ !
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BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
24 mai 2006
Chers frères et soeurs,
Dans ces catéchèses, nous
méditons sur l'Eglise. Nous avons dit que l'Eglise vit dans les personnes et,
dans la dernière catéchèse, nous avons donc commencé à méditer sur les figures
de chaque apôtre, en commençant par saint Pierre. Nous avons vu deux étapes
décisives de sa vie: l'appel sur les rives du Lac de Galilée, puis la
confession de foi: "Tu es le Christ, le Messie". Une
confession, avons-nous dit, encore insuffisante, à ses débuts et qui est
toutefois ouverte. Saint Pierre se place sur un chemin de "sequela".
Ainsi, cette confession initiale contient déjà en elle, comme en germe, la
future foi de l'Eglise. Aujourd'hui, nous voulons considérer deux autres
événements importants de la vie de saint Pierre: la multiplication des
pains - nous avons entendu dans le passage qui vient d'être lu la question du
Seigneur et la réponse de Pierre - et ensuite le Seigneur qui appelle Pierre à
être pasteur de l'Eglise universelle.
Commençons par l'épisode de la
multiplication des pains. Vous savez que la foule avait écouté le Seigneur
pendant des heures. A la fin, Jésus dit: ils sont fatigués, ils ont faim,
nous devons donner à manger à ces gens. Les apôtres demandent: mais
comment? Et André, le frère de Pierre, attire l'attention de Jésus sur un jeune
garçon, qui portait avec lui cinq pains et deux poissons. Mais cela est bien
peu pour tant de personnes, disent les Apôtres. Alors le Seigneur fait asseoir
la foule et distribuer ces cinq pains et ces deux poissons. Et tous se
rassasient. Le Seigneur charge même les Apôtres, et parmi eux Pierre, de
recueillir les restes abondants: douze paniers de pain (cf. Jn 6,
12, 13). Par la suite, la foule, voyant ce miracle, - qui semble être le
renouvellement, tant attendu, d'une nouvelle "manne", du don du pain
du ciel - veut en faire son roi. Mais Jésus n'accepte pas et se retire sur la
montagne, pour prier tout seul. Le jour suivant, sur l'autre rive du lac, dans
la synagogue de Capharnaüm, Jésus interpréta le miracle, -
non dans le sens d'une royauté sur Israël avec un pouvoir de
ce monde de la façon espérée par la foule, mais dans le sens d'un don de
soi: "Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du
monde" (Jn 6, 51). Jésus annonce la croix, et avec la croix, la
véritable multiplication des pains, le pain eucharistique - sa façon absolument
nouvelle d'être roi, une façon
totalement contraire aux attentes des gens.
Nous pouvons comprendre que
ces paroles du Maître - qui ne veut pas accomplir chaque jour une
multiplication des pains, qui ne veut pas offrir à Israël un pouvoir de ce
monde, - apparaissent véritablement difficiles, et même inacceptables pour les
gens. "Il donne sa chair": qu'est-ce que cela signifie? Pour
les disciples aussi, ce que Jésus dit à ce moment-là apparaît inacceptable.
C'était et c'est pour notre coeur, pour notre mentalité, un discours
"dur", qui met la foi à l'épreuve (cf. Jn 6, 60). Beaucoup de
disciples se rétractèrent. Ils voulaient quelqu'un qui renouvelle réellement
l'Etat d'Israël, de son peuple, et non pas quelqu'un qui disait: "Je
donne ma chair". Nous pouvons imaginer que les paroles de Jésus étaient
difficiles également pour Pierre, qui à Césarée de Philippe, s'était opposé à
la prophétie de la croix. Et toutefois, lorsque Jésus demanda aux Douze:
"Voulez-vous partir, vous aussi?", Pierre réagit avec l'élan de
son coeur généreux, guidé par l'Esprit Saint. Au nom de tous, il
répondit par les paroles immortelles, qui sont aussi les nôtres:
"Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la
vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous
savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu" (cf. Jn
6, 66-69).
Ici, comme à Césarée, Pierre
entame à travers ses paroles la confession de foi christologique de l'Eglise et
devient également la voix des autres Apôtres et de nous, croyants de tous les
temps. Cela ne veut pas dire qu'il avait déjà compris le mystère du Christ dans
toute sa profondeur. Sa foi était encore à ses débuts, une foi en marche; il ne
serait arrivé à la véritable plénitude qu'à travers l'expérience des événements
pascals. Mais toutefois, il s'agissait déjà de foi, une foi ouverte aux
réalités plus grandes - ouverte surtout parce que ce n'était pas une foi en
quelque chose, c'était une foi en Quelqu'un: en Lui, le Christ. Ainsi,
notre foi également est toujours une foi qui commence et nous devons encore
accomplir un grand chemin. Mais il est essentiel que ce soit une foi ouverte et
que nous nous laissions guider par Jésus, car non seulement Il connaît le
Chemin, mais il est le Chemin.
Cependant, la générosité
impétueuse de Pierre ne le sauve pas des risques liés à la faiblesse humaine.
Du reste, c'est ce que nous aussi, nous pouvons reconnaître sur la base de
notre vie. Pierre a suivi Jésus avec élan, il a surmonté l'épreuve de la foi,
en s'abandonnant à Lui. Toutefois, le moment vient où lui aussi cède à la peur
et chute: il trahit le Maître (cf. Mc 14, 66-72). L'école de la
foi n'est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et
d'amour, d'épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait
promis une fidélité absolue, connaît l'amertume et l'humiliation du
reniement: le téméraire apprend l'humilité à ses dépends. Pierre doit
apprendre lui aussi à être faible et à avoir besoin de pardon. Lorsque
finalement son masque tombe et qu'il comprend la vérité de son coeur faible de
pécheur croyant, il éclate en sanglots de repentir libérateurs. Après ces
pleurs, il est désormais prêt pour sa mission.
Un matin de printemps, cette
mission lui sera confiée par Jésus ressuscité. La rencontre aura lieu sur les
rives du lac de Tibériade. C'est l'évangéliste Jean qui nous rapporte le
dialogue qui a lieu en cette circonstance entre Jésus et Pierre. On y remarque
un jeu de verbes très significatif. En grec, le verbe "filéo" exprime
l'amour d'amitié, tendre mais pas totalisant, alors que le verbe
"agapáo" signifie l'amour sans réserves, total et inconditionné. La
première fois, Jésus demande à Pierre: "Simon... m'aimes-tu
(agapls-me)" de cet amour total et inconditionné (Jn 21, 15)? Avant
l'expérience de la trahison, l'Apôtre aurait certainement dit: "Je
t'aime (agapô-se) de manière inconditionnelle". Maintenant qu'il a connu
la tristesse amère de l'infidélité, le drame de sa propre faiblesse, il dit
avec humilité: "Seigneur, j'ai beaucoup d'amitié pour toi
(filô-se)", c'est-à-dire "je t'aime de mon pauvre amour humain".
Le Christ insiste: "Simon, m'aimes-tu de cet amour total que je
désire?". Et Pierre répète la réponse de son humble amour humain:
"Kyrie, filô-se", "Seigneur, j'ai beaucoup d'amitié pour toi,
comme je sais aimer". La troisième fois, Jésus dit seulement à
Simon: "Fileîs-me?, "As-tu de l'amitié pour moi?". Simon
comprend que son pauvre amour suffit à Jésus, l'unique dont il est capable,
mais il est pourtant attristé que le Seigneur ait dû lui parler ainsi. Il répond
donc: "Seigneur, tu sais tout: tu sais combien j'ai d'amitié
pour toi" (filô-se)". On pourrait dire que Jésus s'est adapté à
Pierre, plutôt que Pierre à Jésus! C'est précisément cette adaptation divine
qui donne de l'espérance au disciple, qui a connu la souffrance de
l'infidélité. C'est de là que naît la confiance qui le rendra capable de la
sequela Christi jusqu'à la fin: "Jésus disait cela pour signifier
par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Puis il lui dit encore:
"Suis-moi"" (Jn 21, 19).
A partir de ce jour, Pierre a
"suivi" le Maître avec la conscience précise de sa propre fragilité;
mais cette conscience ne l'a pas découragé. Il savait en effet pouvoir compter
sur la présence du Ressuscité à ses côtés. De l'enthousiasme naïf de l'adhésion
initiale, en passant à travers l'expérience douloureuse du reniement et des
pleurs de la conversion, Pierre est arrivé à mettre sa confiance en ce Jésus
qui s'est adapté à sa pauvre capacité d'amour. Et il nous montre ainsi le
chemin à nous aussi, malgré toute notre faiblesse. Nous savons que Jésus
s'adapte à notre faiblesse. Nous le suivons, avec notre pauvre capacité d'amour
et nous savons que Jésus est bon et nous accepte. Cela a été pour Pierre un
long chemin qui a fait de lui un témoin fiable, "pierre" de l'Eglise,
car constamment ouvert à l'action de l'Esprit de Jésus. Pierre lui-même se
qualifiera de: "témoin de la passion du Christ, et je communierai à
la gloire qui va se révéler" (1 P 5, 1). Lorsqu'il écrira ces paroles, il
sera désormais âgé, en route vers la conclusion de sa vie qu'il scellera par le
martyre. Il sera alors en mesure de décrire la joie véritable et d'indiquer où
on peut la puiser: la source est le Christ, auquel on croit et que l'on
aime avec notre foi faible mais sincère, malgré notre fragilité. C'est
pourquoi, il écrira aux chrétiens de sa communauté, et il nous le dit à nous
aussi: "Lui que vous aimez sans l'avoir vu, en qui vous croyez sans
le voir encore; et vous tressaillez d'une joie inexprimable qui vous transfigure,
car vous allez obtenir votre salut qui est l'aboutissement de votre foi"
(1 P 1, 8-9).
***
Je salue cordialement les
pèlerins francophones, en particulier le groupe de l’oeuvre des écoles
d’Orient, la communauté de l’Arche de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, ainsi que les
jeunes du Foyer de Charité de Châteauneuf-de-Galaure. Que votre pèlerinage aux
tombeaux des Apôtres Pierre et Paul ravive votre foi en Jésus Christ, et qu’il
renouvelle en vous le désir de chercher toujours plus le visage de Dieu.
***
Chers frères et soeurs,
demain je me rendrai en Pologne, patrie du bien-aimé Pape Jean-Paul II; je
reparcourrai les lieux de sa vie et de son ministère sacerdotal et épiscopal.
Je rends grâce au Seigneur de l'opportunité qu'il m'offre de réaliser un désir
que je conservais depuis longtemps dans mon coeur. Chers frères et soeurs, je
vous invite à m'accompagner par la prière au cours de ce Voyage apostolique,
que je m'apprête à accomplir avec une grande espérance et que je confie à la
Sainte Vierge, si vénérée en Pologne. Que ce soit Elle qui guide mes pas afin
que je puisse confirmer dans la foi la bien-aimée communauté catholique
polonaise et l'encourager à affronter, par une action évangélisatrice incisive,
les défis du moment présent. Que ce soit Marie qui obtienne pour toute cette
nation un printemps renouvelé de foi et de progrès civil, en conservant
toujours vivante la mémoire de mon grand prédécesseur.
© Copyright 2006 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
7 juin 2006
Pierre, le roc sur lequel le Christ a fondé l'Eglise
Chers frères et soeurs,
Nous reprenons les catéchèses
hebdomadaires que nous avons commencées ce printemps. Dans la dernière, il y a
quinze jours, j'ai parlé de Pierre comme du premier des Apôtres. Nous voulons
aujourd'hui revenir encore une fois sur cette grande et importante figure de
l'Eglise. L'évangéliste Jean, racontant la première rencontre de Jésus avec
Simon, frère d'André, souligne un fait singulier: Jésus, "posa son
regard sur lui et dit: "Tu es Simon, fils de Jean; tu t'appelleras
Képha" (ce qui veut dire: pierre)" (Jn 1, 42). Jésus n'avait
pas l'habitude de changer le nom de ses disciples: à l'exception de la
dénomination de "fils du tonnerre", adressée dans une circonstance
précise aux fils de Zébédée (cf. Mc 3, 17) et qui ne fut plus utilisée par la
suite, Il n'a jamais attribué un nouveau nom à l'un de ses disciples. Il l'a
fait en revanche avec Simon, l'appelant Kepha, un nom qui fut ensuite traduit
en grec Petros, en latin Petrus, et il fut traduit précisément parce qu'il ne
s'agissait pas seulement d'un nom; c'était un "mandat", que Petrus
recevait de cette façon du Seigneur. Le nouveau nom Petrus reviendra plusieurs
fois dans les Evangiles et finira par supplanter le nom originel Simon.
Cette information acquiert une
importance particulière si l'on tient compte du fait que,
dans l'Ancien Testament, le changement du nom préfigurait en général une
mission qui est confiée (cf. Gn 17, 5; 32, 28sq. etc.). De fait, la volonté du
Christ d'attribuer à Pierre une importance particulière au sein du Collège
apostolique résulte de nombreux indices: à Capharnaüm, le Maître va
loger dans la maison de Pierre (Mc 1, 29); lorsque la foule se presse
autour de lui sur les rives du lac de Génésareth, entre les deux barques qui y
sont amarrées, Jésus choisit celle de Simon (Lc 5, 3); lorsque, dans des
circonstances particulières, Jésus ne se fait accompagner que par trois
disciples, Pierre est toujours rappelé comme le premier du groupe: c'est
le cas lors de la résurrection de la fille de Jaïre (cf. Mc 5, 37; Lc 8, 51),
de la Transfiguration (cf. Mc 9, 2; Mt 17, 1; Lc 9, 28) et enfin, au cours de
l'agonie dans le Jardin du Gethsémani (cf. Mc 14, 33; Mt 26, 37). Et
encore: c'est à Pierre que s'adressent les percepteurs de la taxe du
Temple, et le Maître paie pour lui-même et pour Pierre uniquement (cf. Mt 17,
24-27); c'est à Pierre qu'Il lave les pieds en premier lors de la Dernière Cène
(cf. Jn 13, 6) et c'est seulement pour lui qu'il prie afin que sa foi ne
disparaisse pas et qu'il puisse ensuite confirmer en celle-ci les autres
disciples (cf. Lc 22, 30-31).
Du reste, Pierre lui-même est
conscient de sa position particulière: c'est lui qui souvent, également
au nom des autres, parle en demandant l'explication d'une parabole difficile
(Mt 15, 15), ou le sens exact d'un précepte (Mt 18, 21), ou bien encore la
promesse formelle d'une récompense (Mt 19, 27). C'est lui en particulier qui
résout certaines situations embarrassantes en intervenant au nom de tous.
Ainsi, lorsque Jésus, attristé en raison de l'incompréhension de la
foule après le discours sur le "pain de vie", demande:
"Voulez-vous partir vous aussi?", la réponse de Pierre est
ferme: "Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles
de la vie éternelle" (cf. Jn 6, 67-69). C'est également de manière décidée
qu'il prononce la profession de foi, encore au nom des Douze, dans les environs
de Césarée de Philippe. A Jésus qui demande: "Et vous, que
dites-vous? Pour vous, qui suis-je?", Pierre répond: "Tu es le
Messie, le Fils du Dieu vivant!" (Mt 16, 15-16). En réponse, Jésus
prononce alors la déclaration solennelle qui définit, une fois pour toutes, le
rôle de Pierre dans l'Eglise: "Et moi, je te le déclare: Tu es
Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise... Je te donnerai les clefs
du Royaume des cieux: tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans
les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les
cieux" (Mt 16, 18-19). Les trois métaphores auxquelles Jésus a recours
sont en elles-mêmes très claires: Pierre sera le fondement rocheux sur
lequel reposera l'édifice de l'Eglise; il aura les clefs du Royaume des cieux
pour ouvrir ou fermer à qui lui semblera juste; enfin, il pourra lier ou délier,
au sens où il pourra établir ou interdire ce qu'il con-sidérera nécessaire pour
la vie de l'Eglise, qui est et qui demeure au Christ. Elle est toujours
l'Eglise du Christ, et non de Pierre. C'est ainsi qu'est décrit par des images
d'une évidence plastique ce que la réflexion successive appellera le
"primat de juridiction".
Cette position de prééminence
que Jésus a voulu conférer à Pierre se retrouve également après la
résurrection: Jésus charge les femmes d'en porter l'annonce à Pierre, de
manière distincte par rapport aux autres Apôtres (cf. Mc 16, 7); c'est à
lui et à Jean que s'adresse Marie-Madeleine pour informer que la pierre a été
déplacée devant l'entrée du sépulcre (cf. Jn 20, 2) et Jean lui cédera le pas
lorsque tous les deux arriveront devant la tombe vide (cf. Jn 20, 4-6); ce sera
ensuite Pierre, parmi les Apôtres, le premier témoin d'une apparition du
Ressuscité (cf. Lc 24, 34; 1 Co 15, 5). Son rôle, clairement souligné (cf.
Jn 20, 3-10), marque la continuité entre la prééminence qu'il a eue dans le
groupe apostolique et la prééminence qu'il continuera à avoir au sein de la
communauté née avec les événements pascals, comme l'atteste le livre des Actes
(cf. 1, 15-26; 2, 14-40; 3, 12-26; 4, 8-12; 5, 1-11.29; 8, 14-17; 10; etc.).
Son comportement est considéré à ce point décisif qu'il est au centre de
remarques et également de critiques (cf. Ac 11, 1-18; Ga 2, 11-14). Au
Concile dit de Jérusalem, Pierre exerce une fonc-tion directive (cf. Ac 15 et
Ga 2, 1-10), et c'est précisément parce qu'il est un témoin de la foi
authentique que Paul lui-même reconnaîtra en lui une certaine qualité de
"premier" (cf. 1 Co 15, 5; Ga 1, 18; 2, 7sq.; etc.). Ensuite, le fait
que plusieurs des textes clefs se référant à Pierre puissent être reconduits au
contexte de la Dernière Cène, où le Christ confère à Pierre le ministère de
confirmer ses frères (cf. Lc 22, 31sq.), montre comment l'Eglise qui naît du
mémorial pascal célébré dans l'Eucharistie trouve dans le ministère confié à
Pierre l'un de ses éléments constitutifs.
Ce cadre du Primat de Pierre
situé lors de la Dernière Cène, au moment de l'institution de l'Eucharistie,
Pâque du Seigneur, indique également le sens ultime de ce Primat: Pierre,
en tout temps, doit être le gardien de la communion avec le Christ; il doit
guider à la communion avec le Christ; il doit prendre garde à ce que la chaîne
ne se brise pas et que puisse ainsi perdurer la communion universelle. Ce n'est
qu'ensemble que nous pouvons être avec le Christ, qui est le Seigneur de tous.
La responsabilité de Pierre est de garantir ainsi la communion avec le Christ à
travers la charité du Christ, en conduisant à la réalisation de cette charité
dans la vie de chaque jour. Prions afin que le Primat de Pierre, confié aux
pauvres personnes humaines, puisse toujours être exercé dans ce sens originel
voulu par le Seigneur et puisse ainsi être toujours davantage reconnu dans sa
véritable signification par nos frères qui ne sont pas encore en pleine
communion avec nous.
* * *
Je salue cordialement les
pèlerins francophones, en particulier les membres du Conseil épiscopal de Lille
avec Mgr Gérard Defois, archevêque-évêque du diocèse et Mgr Pascal Delannoy,
évêque auxiliaire, ainsi que les pèlerins de La Réunion, du Luxembourg, de
Belgique et du Canada. Puisse votre séjour à Rome vous aider à aimer davantage
le Christ et son Église. Avec ma Bénédiction apostolique.
© Copyright 2006 - Libreria Editrice Vaticana
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