BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
2 juillet 2008
Chers frères et sœurs,
Je voudrais entamer
aujourd'hui un nouveau cycle de catéchèses, dédié au grand Apôtre saint Paul.
C'est à lui, comme vous le savez, qu'est consacrée cette année qui s'étend de
la fête liturgique des saints Pierre et Paul du 29 juin 2008 jusqu'à la même
fête de 2009. L'apôtre
Paul, figure extraordinaire et presque inimitable, mais pourtant stimulante, se
présente à nous comme un exemple de dévouement total au Seigneur et à son
Eglise, ainsi que de grande ouverture à l'humanité et à ses cultures. Il est
donc juste que nous lui réservions une place particulière, non seulement dans
notre vénération, mais également dans l'effort de comprendre ce qu'il a à nous
dire à nous aussi, chrétiens d'aujourd'hui. Au cours de cette première
rencontre, nous voulons nous arrêter pour prendre en considération le milieu
dans lequel il vécut et œuvra. Un thème de ce genre semblerait nous conduire loin
de notre époque, vu que nous devons nous replacer dans le monde d'il y a deux
mille ans. Mais toutefois cela n'est vrai qu'en apparence et seulement en
partie, car nous pourrons constater que, sous divers aspects, le contexte
socio-culturel d'aujourd'hui ne diffère pas beaucoup de celui de l'époque.
Un facteur primordial et
fondamental qu'il faut garder à l'esprit est le rapport entre le milieu dans
lequel Paul naît et se développe et le contexte global dans lequel il s'inscrit
par la suite. Il provient d'une culture bien précise et circonscrite,
certainement minoritaire, qui est celle du peuple d'Israël et de sa tradition.
Dans le monde antique et particulièrement au sein de l'empire romain, comme
nous l'enseignent les spécialistes en la matière, les juifs devaient
correspondre à environ 10% de la population totale; mais ici à Rome, vers la
moitié du I siècle, leur nombre était encore plus faible, atteignant au maximum
3% des habitants de la ville. Leurs croyances et leur style de vie, comme cela
arrive encore aujourd'hui, les différenciaient nettement du milieu environnant;
et cela pouvait avoir deux résultats: ou la dérision, qui pouvait
conduire à l'intolérance, ou bien l'admiration, qui s'exprimait sous diverses
formes de sympathie comme dans le cas des "craignants Dieu" ou des
"prosélytes", païens qui s'associaient à la Synanogue et
partageaient la foi dans le Dieu d'Israël. Comme exemples concrets de cette
double attitude nous pouvons citer, d'une part, le jugement lapidaire d'un
orateur tel que Cicéron, qui méprisait leur religion et même la ville de
Jérusalem (cf. Pro Flacco, 66-69) et, de l'autre, l'attitude de la femme de
Néron, Popée, qui est rappelée par Flavius Josèphe comme
"sympathisante" des Juifs (cf. Antiquités juives 20, 195.252; Vie 16),
sans oublier que Jules César leur avait déjà officiellement reconnu des droits
particuliers qui nous ont été transmis par l'historien juif Flavius Josèphe
(cf. ibid. 4, 200-216). Il est certain que le nombre de juifs, comme du reste
c'est le cas aujourd'hui, était beaucoup plus important en dehors de la terre
d'Israël, c'est-à-dire dans la diaspora, que sur le territoire que les autres
appelaient Palestine.
Il n'est donc pas étonnant que
Paul lui-même ait été l'objet de la double évaluation, opposée, que nous avons
évoquée. Une chose est certaine: le particularisme de la culture et de la
religion juive trouvait sans difficulté place au sein d'une institution aussi
omniprésente que l'était l'empire romain. Plus difficile et plus compliquée
sera la position du groupe de ceux, juifs ou païens, qui adhéreront avec foi à
la personne de Jésus de Nazareth, dans la mesure où ceux-ci se distingueront
aussi bien du judaïsme que du paganisme régnant. Quoi qu'il en soit, deux
facteurs favorisèrent l'engagement de Paul. Le premier fut la culture
grecque ou plutôt hellénistique, qui après Alexandre le Grand était devenue le
patrimoine commun de l'ouest méditerranéen et du Moyen-Orient, tout en
intégrant en elle de nombreux éléments des cultures de peuples traditionnellement
jugés barbares. A cet égard, l'un des écrivains de l'époque affirme
qu'Alexandre "ordonna que tous considèrent comme patrie l'œkoumène tout
entier... et que le Grec et le Barbare ne se différencient plus"
(Plutarque De Alexandri Magni fortuna aut virtute, 6.8). Le deuxième facteur
fut la structure politique et administrative de l'empire romain, qui
garantissait la paix et la stabilité de la Britannia jusqu'à l'Egypte du sud,
unifiant un territoire aux dimensions jamais vues auparavant. Dans cet espace,
il était possible de se déplacer avec une liberté et une sécurité suffisantes,
en profitant, entre autres, d'un système routier extraordinaire, et en trouvant
en chaque lieu d'arrivée des caractéristiques culturelles de base qui, sans
aller au détriment des valeurs locales, représentaient cependant un tissu
commun d'unification vraiment super partes, si bien que le philosophe juif
Philon d'Alexandrie, contemporain de Paul, loue l'empereur Auguste car "il
a composé en harmonie tous les peuples sauvages... en se faisant le gardien de
la paix" (Legatio ad Caium, 146-147).
La vision universaliste
typique de la personnalité de saint Paul, tout au moins du Paul chrétien après
l'événement du chemin de Damas, doit certainement son impulsion de base à la
foi en Jésus Christ, dans la mesure où la figure du Ressuscité se place
désormais au-delà de toute limitation particulariste; en effet, pour l'apôtre
"il n'y a plus ni juif ni païen, il n'y a plus esclave ni homme libre, il
n'y a plus l'homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu'un dans le
Christ Jésus" (Ga 3, 28). Toutefois, la situation historique et culturelle
de son époque et de son milieu ne peut elle aussi qu'avoir influencé ses choix
et son engagement. Certains ont défini Paul comme l'"homme des trois
cultures", en tenant compte de son origine juive, de sa langue grecque, et
de sa prérogative de "civis romanus", comme l'atteste également le
nom d'origine latine. Il faut en particulier rappeler la philosophie
stoïcienne, qui dominait à l'époque de Paul et qui
influença, même si c'est de manière marginale, également le christianisme. A ce
propos, nous ne pouvons manquer de citer plusieurs noms de philosophes
stoïciens comme Zénon et Cléanthe, et ensuite ceux chronologiquement plus
proches de Paul comme Sénèque, Musonius et Epictète: on trouve chez eux
des valeurs très élevées d'humanité et de sagesse, qui seront naturellement
accueillies par le christianisme. Comme l'écrit très justement un chercheur
dans ce domaine, "la Stoa... annonça un nouvel idéal, qui imposait en
effet des devoirs à l'homme envers ses semblables, mais qui dans le même temps
le libérait de tous les liens physiques et nationaux et en faisait un être
purement spirituel" (M. Pohlenz, La Stoa, I, Florence 1978, pp. 565sq). Que
l'on pense, par exemple, à la doctrine de l'univers entendu comme un unique
grand corps harmonieux, et en conséquence à la doctrine de l'égalité entre tous
les hommes sans distinctions sociales, à l'équivalence tout au moins de
principe entre l'homme et la femme, et ensuite à l'idéal de la frugalité, de la
juste mesure et de la maîtrise de soi pour éviter tout excès. Lorsque Paul
écrit aux Philippiens: "Tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui
est juste et pur, tout ce qui est digne d'être aimé et honoré, tout ce qui
s'appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le à
votre compte" (Ph 4, 8), il ne fait que reprendre une conception
typiquement humaniste propre à cette sagesse philosophique.
A l'époque de saint Paul,
était également en cours une crise de la religion traditionnelle, tout au moins
dans ses aspects mythologiques et également civiques. Après que Lucrèce, déjà
un siècle auparavant, avait de manière polémique affirmé que "la religion
a conduit à tant de méfaits" (De rerum natura, 1, 101), un philosophe
comme Sénèque, en allant bien au-delà de tout ritualisme extérieur, enseignait
que "Dieu est proche de toi, il est avec toi, il est en toi" (Lettres
à Lucilius, 41, 1). De même, quand Paul s'adresse à un auditoire de philosophes
épicuriens et stoïciens dans l'Aréopage d'Athènes, il dit textuellement que
"Dieu... n'habite pas les temples construits par l'homme... En effet,
c'est en lui qu'il nous est donné de vivre, de nous mouvoir, d'exister"
(Ac 17, 24.28). Avec ces termes, il fait certainement écho à la foi juive dans
un Dieu qui n'est pas représentable en termes anthropomorphiques, mais il se
place également sur une longueur d'onde religieuse que ses auditeurs
connaissaient bien. Nous devons, en outre, tenir compte du fait que de nombreux
cultes païens n'utilisaient pas les temples officiels de la ville, et se
déroulaient dans des lieux privés qui favorisaient l'initiation des adeptes.
Cela ne constituait donc pas un motif d'étonnement si les réunions chrétiennes
(les ekklesíai), comme nous l'attestent en particulier les lettres
pauliniennes, avaient lieu dans des maisons privées. A cette époque, du reste,
il n'existait encore aucun édifice public. Les réunions des chrétiens devaient
donc apparaître aux contemporains comme une simple variante de leur pratique
religieuse plus intime. Les différences entre les cultes païens et le culte
chrétien ne sont pourtant pas de moindre importance et concernent aussi bien la
conscience de l'identité des participants que la participation en commun d'hommes
et de femmes, la célébration de la "cène du Seigneur" et la lecture
des Ecritures.
En conclusion, de cette rapide
vue d'ensemble du milieu culturel du premier siècle de l'ère chrétienne il
ressort qu'il n'est pas possible de comprendre comme il se doit saint Paul sans
le placer sur la toile de fond, aussi bien juive que païenne, de son temps. De
cette manière, sa figure acquiert une force historique et idéale, en révélant à
la fois les points communs et l'originalité par rapport au milieu. Mais cela vaut
également pour la christianisme en général, dont l'apôtre Paul est un paradigme
de premier ordre, dont nous avons encore tous beaucoup à apprendre. Tel est
l'objectif de l'Année paulinienne: apprendre de saint Paul, apprendre la
foi, apprendre le Christ, apprendre enfin la route d'une vie juste.
* * *
Je salue cordialement les
pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier ceux de l’École
Notre Dame de Lourdes de Paris et du Collège Saint François de Sales de Dijon,
et les membres de l’Association Charles de Foucauld de la Principauté de
Monaco. Avec ma Bénédiction apostolique.
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
27 août 2008
Chers frères et sœurs,
Dans la dernière catéchèse
avant les vacances - il y a deux mois, au début de juillet - j'avais commencé
une nouvelle série de thématiques à l'occasion de l'année paulinienne, en
considérant le monde dans lequel vécut saint Paul. Je voudrais aujourd'hui
reprendre et continuer la réflexion sur l'apôtre des nations, en proposant une
brève biographie. Etant donné que nous consacrerons mercredi prochain à
l'événement extraordinaire qui eut lieu sur la route de Damas, la conversion de
Paul, tournant fondamental de son existence à la suite de sa rencontre avec le
Christ, nous nous arrêtons aujourd'hui brièvement sur l'ensemble de sa vie. Les
informations sur la vie de Paul se trouvent respectivement dans la Lettre à
Philémon, dans laquelle il se déclare "vieux" (Fm 9: Presbytes)
et dans les Actes des Apôtres, qui au moment de la lapidation d'Etienne le
qualifient de "jeune" (7, 58: neanías). Les deux
désignations sont évidemment génériques, mais, selon la manière antique de
calculer l'âge d'un homme, l'homme autour de trente ans était qualifié de
"jeune", alors que celui qui arrivait à
soixante ans était appelé "vieux". En termes absolus la date de la
naissance de Paul dépend en grande partie de la datation de la Lettre à
Philémon. Traditionnellement sa rédaction est datée de son emprisonnement à
Rome, au milieu des années soixante. Paul serait né en l'an 8, donc il aurait
eu plus ou moins soixante ans, alors qu'au moment de la lapidation d'Etienne il
en avait trente. Telle devrait être la chronologie exacte. Et la célébration de
l'année paulinienne en cours suit cette chronologie. L'année 2008 a été choisie en
pensant à la naissance autour de l'an 8.
Il naquit en tous les cas à
Tarse, en Cilicie (cf. Ac 22, 3). La ville était le chef-lieu administratif de
la région et, en 51 av. J.C., son proconsul n'avait été autre que Marc Tullius
Cicéron, alors que dix ans plus tard, en 41, Tarse avait été le lieu de la
première rencontre entre Marc Antoine et Cléopâtre. Juif de la diaspora, il
parlait grec tout en ayant un nom d'origine latine, qui dérive par ailleurs par
assonance du nom originel hébreu Saul/Saulos, et il avait reçu la citoyenneté
romaine (cf. Ac 22, 25-28). Paul apparaît donc se situer à la frontière de
trois cultures différentes - romaine, grecque et juive - et peut-être est-ce
aussi pour cela qu'il était disponible à des ouvertures universelles fécondes,
à une médiation entre les cultures, à une véritable universalité. Il apprit
également un travail manuel, peut-être transmis par son père, qui consistait
dans le métier de "fabricant de tentes" (cf. Ac 18, 3: skenopoiòs),
qu'il faut comprendre probablement comme tisseur de laine brute de chèvre ou de
fibres de lin pour en faire des nattes ou des tentes (cf. Ac 20, 33-35). Vers
12 ou 13 ans, l'âge auquel un jeune garçon juif devient bar mitzvà
("fils du précepte"), Paul quitta Tarse et s'installa à Jérusalem
pour recevoir l'enseignement du rabbin Gamaliel l'Ancien, neveu du grand rabbin
Hillèl, selon les règles les plus rigides du pharisianisme et acquérant une
grand dévotion pour la Toràh mosaïque (cf. Ga 1, 14; Ph 3, 5-6; Ac 22, 3; 23,
6; 26, 5).
Sur la base de cette profonde
orthodoxie, qu'il avait apprise à l'école de Hillèl à Jérusalem, il entrevit
dans le nouveau mouvement qui se réclamait de Jésus de Nazareth un risque, une
menace pour l'identité juive, pour la vraie orthodoxie des pères. Cela explique
le fait qu'il ait "fièrement persécuté l'Eglise de Dieu", comme il
l'admet à trois reprises dans ses lettres ( 1 Co 15, 9; Ga 1, 13; Ph 3, 6).
Même s'il n'est pas facile de s'imaginer concrètement en quoi consista cette
persécution, son attitude fut cependant d'intolérance. C'est ici que se situe
l'événement de Damas, sur lequel nous reviendrons dans la prochaine catéchèse.
Il est certain qu'à partir de ce moment sa vie changea et qu'il devint un
apôtre inlassable de l'Evangile. De fait, Paul passa à l'histoire davantage
pour ce qu'il fit en tant que chrétien, ou mieux en tant qu'apôtre, qu'en tant
que pharisien. On divise traditionnellement son activité apostolique sur la
base de ses trois voyages missionnaires, auxquels s'ajoute le quatrième
lorsqu'il se rendit à Rome en tant que prisonnier. Ils sont tous racontés par
Luc dans les Actes. A propos des trois voyages missionnaires, il faut cependant
distinguer le premier des deux autres.
En effet, Paul n'eut pas la
responsabilité directe du premier (cf. Ac 13, 14), qui fut en revanche confié
au chypriote Barnabé. Ils partirent ensemble d'Antioche sur l'Oronte, envoyés
par cette Eglise (cf. Ac 13, 1-3), et, après avoir pris la mer du port de
Séleucie sur la côte syrienne, ils traversèrent l'île de Chypre de Salamine à
Paphos; de là ils parvinrent sur les côtes méridionales de l'Anatolie,
l'actuelle Turquie, et arrivèrent dans les villes d'Attalìa, de Pergè en
Pamphylie, d'Antioche de Pisidie, d'Iconium, de Lystres et Derbé, d'où ils
revinrent à leur point de départ. C'est ainsi que naquit l'Eglise des peuples,
l'Eglise des païens. Et entre temps, en particulier à Jérusalem, une âpre
discussion était née pour savoir jusqu'à quel point ces chrétiens provenant du
paganisme étaient obligés d'entrer également dans la vie et dans la loi
d'Israël (diverses observances et prescriptions qui séparaient Israël du reste
du monde) pour faire réellement partie des promesses des prophètes et pour
entrer effectivement dans l'héritage d'Israël. Pour résoudre ce problème
fondamental pour la naissance de l'Eglise future, ce que l'on appelle le
Concile des apôtres se réunit à Jérusalem pour trancher sur ce problème dont
dépendait la naissance effective d'une Eglise universelle. Et il fut décidé de
ne pas imposer aux païens convertis l'observance de la loi mosaïque (cf. Ac 15,
6, 30): c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas obligés de se conformer aux
prescriptions du judaïsme; la seule nécessité était d'appartenir au Christ, de
vivre avec le Christ et selon ses paroles. Ainsi, appartenant au Christ, ils
appartenaient aussi à Abraham, à Dieu et faisaient partie de toutes les
promesses. Après cet événement décisif Paul se sépara de Barnabé; il choisit
Silas et commença son deuxième voyage missionnaire (cf. Ac 15, 36-18, 22).
Ayant dépassé la Syrie et la Cilicie, il revit la ville de Lystres, où il
accueillit Timothée (figure très importante de l'Eglise naissante, fils d'une
juive et d'un païen), et il le fit circoncire; il traversa l'Anatolie centrale
et rejoint la ville de Troas sur la côte nord de la mer Egée. C'est là qu'eut à
nouveau lieu un événement important: il vit en rêve un macédonien de
l'autre côté de la mer, c'est-à-dire en Europe, qui disait "Viens et
aide-nous!". C'était la future Europe qui demandait l'aide et la lumière
de l'Evangile. De là il prit la mer pour la Macédoine, entrant ainsi en Europe.
Ayant débarqué à Neapoli, il arriva à Philippes, où il fonda une belle communauté,
puis il passa ensuite à Thessalonique, et, ayant quitté ce lieu à la suite de
difficultés créés par les juifs, il passa par Bérée, parvint à Athènes.
Dans cette capitale de
l'antique culture grecque il prêcha d'abord dans l'Agorà, puis dans l'Aréopage
aux païens et aux grecs. Et le discours de l'aréopage rapporté dans les Actes
des apôtres est le modèle de la manière de traduire l'Evangile dans la culture
grecque, de la manière de faire comprendre aux grecs que ce Dieu des chrétiens,
des juifs, n'était pas un Dieu étranger à leur culture mais le Dieu inconnu
qu'ils attendaient, la vraie réponse aux questions les plus profondes de leur
culture. Puis d'Athènes il arriva à Corinthe, où il s'arrêta une année et demi.
Et nous avons ici un événement chronologiquement très sûr, le plus sûr de toute
sa biographie, parce que durant ce premier séjour à Corinthe il dut se
présenter devant le gouverneur de la province sénatoriale d'Achaïe, le
proconsul Gallion, accusé de culte illégitime. A propos de Gallion et de son
époque à Corinthe il existe une inscription antique retrouvée à Delphes, où il
est dit qu'il était proconsul à Corinthe de l'an 51 à l'an 53. Nous avons donc
une date absolument certaine. Le séjour de Paul à Corinthe se déroula dans ces
années-là. Par conséquent nous pouvons supposer qu'il est arrivé plus ou moins
en 50 et qu'il est resté jusqu'en 52. Puis de Corinthe en passant par Cencrées,
port oriental de la ville, il se dirigea vers la Palestine rejoignant Césarée
maritime, de là il remonta à Jérusalem pour revenir ensuite à Antioche sur
l'Oronte.
Le troisième voyage
missionnaire (cf. Ac 18, 23-21, 16) commença comme toujours par Antioche, qui
était devenue le point de départ de l'Eglise des païens, de la mission aux
païens, et c'était aussi le lieu où naquit le terme "chrétiens". Là
pour la première fois, nous dit saint Luc, les disciples de Jésus furent
appelés "chrétiens". De là Paul alla directement à Ephèse, capitale
de la province d'Asie, où il séjourna pendant deux ans, exerçant un ministère
qui eut de fécondes répercussions sur la région. D'Ephèse Paul écrivit les
lettres aux Thessaloniciens et aux Corinthiens. La population de la ville fut
cependant soulevée contre lui par les orfèvres locaux, qui voyaient diminuer
leurs entrées en raison de l'affaiblissement du culte d'Artémis (le temple qui
lui était dédié à Ephèse, l'Artemysion, était l'une des sept merveilles du
monde antique); il dut donc fuir vers le nord. Ayant retraversé la Macédoine,
il descendit de nouveau en Grèce, probablement à Corinthe, où il resta trois
mois et écrivit la célèbre Lettre aux Romains.
De là il revint sur ses
pas: il repassa par la Macédoine, rejoignit Troas en bateau et, ensuite,
touchant à peine les îles de Mytilène, Chios, et Samos, il parvint à Milet où il
tint un discours important aux Anciens de l'Eglise d'Ephèse, traçant un
portrait du vrai pasteur de l'Eglise: cf. Ac 20. Il repartit de là en
voguant vers Tyr, d'où il rejoint Césarée Maritime pour remonter encore une
fois vers Jérusalem. Il y fut arrêté à cause d'un malentendu: plusieurs
juifs avaient pris pour des païens d'autres juifs d'origine grecque, introduits
par Paul dans l'aire du temple réservée uniquement aux Israélites. La
condamnation à mort prévue lui fut épargnée grâce à l'intervention du tribun
romain de garde dans l'aire du temple (cf. Ac 21, 27-36); cet événement eut
lieu alors qu'Antoine Félix était gouverneur impérial en Judée. Après une
période d'emprisonnement (dont la durée est discutée), et Paul ayant fait appel
à César (qui était alors Néron) en tant que citoyen romain, le gouverneur
suivant Porcius Festus l'envoya à Rome sous surveillance militaire.
Le voyage vers Rome aborda les
îles méditerranéennes de Crète et Malte, et ensuite les villes de Syracuse,
Reggio Calabria et Pozzuoli. Les chrétiens de Rome allèrent à sa rencontre sur
la via Appia jusqu'au forum d'Appius (environ à 70km au sud de la capitale) et
d'autres jusqu'aux Tre Taverne (environ 40km). A Rome, il rencontra les
délégués de la communauté juive, à qui il confia que c'était à cause de
"l'espérance d'Israël" qu'il portait ces chaînes (cf. Ac 28, 20).
Mais le récit de Luc se termine sur la mention de deux années passées à Rome
sous une légère surveillance militaire, sans mentionner aucune sentence de César
(Néron) pas plus que la mort de l'accusé. Des traditions successives parlent de
sa libération, qui aurait permis un voyage missionnaire en Espagne, ainsi qu'un
passage en Orient et spécifiquement à Crète, à Ephèse et à Nicopolis en Epire.
Toujours sur une base hypothétique, on parle d'une nouvelle arrestation et d'un
deuxième emprisonnement à Rome (d'où il aurait écrit les trois Lettres appelés
pastorales, c'est-à-dire les deux Lettres à Timothée et celle à Tite) avec un
deuxième procès, qui lui aurait été défavorable. Toutefois, une série de motifs
pousse de nombreux spécialistes de saint Paul à terminer la biographie de
l'apôtre par le récit des Actes de Luc.
Nous reviendrons plus avant
sur son martyre dans le cycle de nos catéchèses. Il est pour le moment suffisant
dans cette brève revue des voyages de Paul de prendre acte de la façon dont il
s'est consacré à l'annonce de l'Evangile sans épargner ses énergies, en
affrontant une série d'épreuves difficiles, dont il nous a laissé la liste dans
la deuxième Lettre aux Corinthiens (cf. 11, 21-28). Du reste, c'est lui qui
écrit: "Je le fais à cause de l'Evangile" (1 Co 9, 23),
exerçant avec une générosité absolue ce qu'il appelle le "souci de toutes
les Eglises" (2 Co 11, 28). Nous voyons un engagement qui ne s'explique
que par une âme réellement fascinée par la lumière de l'Evangile, amoureuse du
Christ, une âme soutenue par une conviction profonde: il est nécessaire
d'apporter au monde la lumière du Christ, d'annoncer l'Evangile à tous. Tel
est, me semble-t-il, ce qui reste de cette brève revue des voyages de saint
Paul: sa passion pour l'Evangile, avoir ainsi l'intuition de la
grandeur, de la beauté et même de la nécessité profonde de l'Evangile pour nous
tous. Prions afin que le Seigneur qui a fait voir à Paul sa lumière, lui a fait
entendre sa Parole, a touché intimement son cœur, nous fasse également voir sa
lumière, pour que notre cœur aussi soit touché par sa Parole et que
nous puissions ainsi donner nous aussi au monde d'aujourd'hui, qui en a soif,
la lumière de l'Evangile et la vérité du Christ.
* * *
Je salue cordialement les
pèlerins francophones présents, en particulier les pèlerins venus d’Égypte, les
pèlerins belges de Louvain et de Lavaux-Sainte-Anne ainsi que le groupe du
sanctuaire « Notre-Dame des Anges » de Pignans en France. Avec ma Bénédiction
apostolique.
Appel face à la grave situation en
Inde
J'ai appris avec une profonde
tristesse les nouvelles concernant les violences contre les communautés
chrétiennes dans l'Etat indien de l'Orissa, qui ont explosé
suite au déplorable assassinat
du leader hindou Swami Lakshmananda
Saraswati. Jusqu'à présent plusieurs personnes ont été tuées et plusieurs
autres blessées. On a assisté en outre à la destruction de centres de culte,
propriété de l'Eglise, et d'habitations privées.
Tandis que je condamne avec
fermeté toute attaque contre la vie humaine, dont le caractère sacré exige le
respect de tous, j'exprime ma proximité spirituelle et ma solidarité aux frères
et sœurs dans la foi si durement mis à l'épreuve. J'implore le Seigneur de les
accompagner et de les soutenir en cette période de souffrance et de leur donner
la force de continuer dans le service d'amour en faveur de tous.
J'invite les responsables
religieux et les autorités civiles à travailler ensemble pour rétablir parmi
les membres des diverses communautés la coexistence pacifique et l'harmonie qui
ont toujours été la marque distinctive de la société indienne.
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
3 septembre 2008
Chers frères et sœurs,
La catéchèse d'aujourd'hui
sera consacrée à l'expérience que saint Paul fit sur le chemin de Damas et donc
sur ce que l'on appelle communément sa conversion. C'est précisément sur le
chemin de Damas, au début des années 30 du i siècle, et après une période où il
avait persécuté l'Eglise, qu'eut lieu le moment décisif de la vie de Paul. On a
beaucoup écrit à son propos et naturellement de différents points de vue. Il
est certain qu'un tournant eut lieu là, et même un renversement de perspective.
Alors, de manière inattendue, il commença à considérer "perte" et
"balayures" tout ce qui auparavant constituait pour lui l'idéal le
plus élevé, presque la raison d'être de son existence (cf. Ph 3, 7-8).
Que s'était-il passé?
Nous avons à ce propos deux
types de sources. Le premier type, le plus connu, est constitué par des récits
dus à la plume de Luc, qui à trois reprises raconte l'événement dans les Actes
des Apôtres (cf. 9, 1-19; 22, 3-21; 26, 4-23). Le lecteur moyen est
peut-être tenté de trop s'arrêter sur certains détails, comme la lumière du
ciel, la chute à terre, la voix qui appelle, la nouvelle condition de cécité,
la guérison comme si des écailles lui étaient tombées des yeux et le jeûne.
Mais tous ces détails se réfèrent au centre de l'événement: le Christ
ressuscité apparaît comme une lumière splendide et parle à Saul, il transforme
sa pensée et sa vie elle-même. La splendeur
du Ressuscité le rend aveugle: il apparaît ainsi extérieurement ce qui
était sa réalité intérieure, sa cécité à l'égard de la vérité, de la lumière
qu'est le Christ. Et ensuite son "oui" définitif au Christ dans le
baptême ouvre à nouveau ses yeux, le fait réellement voir.
Dans l'Eglise antique le
baptême était également appelé "illumination", car ce sacrement donne
la lumière, fait voir réellement. Ce qui est ainsi indiqué théologiquement, se
réalise également physiquement chez Paul: guéri de sa cécité intérieure,
il voit bien. Saint Paul a donc été transformé, non par une pensée, mais par un
événement, par la présence irrésistible du Ressuscité, de laquelle il ne pourra
jamais douter par la suite tant l'évidence de l'événement, de cette rencontre,
avait été forte. Elle changea fondamentalement la vie de Paul; en ce sens on peut
et on doit parler d'une conversion. Cette rencontre est le centre du récit de
saint Luc, qui a sans doute utilisé un récit qui est probablement né dans la
communauté de Damas. La couleur locale donnée par la présence d'Ananie et par
les noms des rues, ainsi que du propriétaire de la maison dans laquelle Paul
séjourna (cf. Ac 9, 11) le laisse penser.
Le deuxième type de sources
sur la conversion est constitué par les Lettres de saint Paul lui-même.
Il n'a jamais parlé en détail de cet événement, je pense que c'est parce qu'il
pouvait supposer que tous connaissaient l'essentiel de cette histoire, que tous
savaient que de persécuteur il avait été transformé en apôtre fervent du
Christ. Et cela avait eu lieu non à la suite d'une réflexion personnelle,
mais d'un événement fort, d'une rencontre avec le Ressuscité. Bien que ne
mentionnant pas de détails, il mentionne plusieurs fois ce fait très important,
c'est-à-dire que lui aussi est témoin de la résurrection de Jésus, de laquelle
il a reçu directement de Jésus lui-même la révélation, avec la mission
d'apôtre. Le texte le plus clair sur ce point se trouve dans son
récit sur ce qui constitue le centre de l'histoire du salut: la mort et
la résurrection de Jésus et les apparitions aux témoins (cf. 1 Co 15).
Avec les paroles de la très ancienne tradition, que lui aussi a reçues de
l'Eglise de Jérusalem, il dit que Jésus mort crucifié, enseveli, ressuscité,
apparut, après la résurrection, tous d'abord à Céphas, c'est-à-dire à Pierre,
puis aux Douze, puis à cinq cents frères qui vivaient encore en grande partie à
cette époque, puis à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et à ce récit reçu de la
tradition, il ajoute: "Et en tout dernier lieu, il est même apparu à
l'avorton que je suis" (1 Co 15, 8). Il fait ainsi comprendre que
cela est le fondement de son apostolat et de sa nouvelle vie. Il existe
également d'autres textes dans lesquels la même chose apparaît:
"Nous avons reçu par lui [Jésus] grâce et mission d'Apôtre" (cf. Rm
1, 5); et encore: "N'ai-je pas vu Jésus notre Seigneur?" (1 Co
9, 1), des paroles avec lesquelles il fait allusion à une chose que tous
savent. Et finalement le texte le plus diffusé peut être trouvé dans Ga
1, 15-17: "Mais Dieu m'avait mis à part dès le sein de ma mère, dans
sa grâce il m'avait appelé, et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la
révélation de son Fils, pour que moi, je l'annonce parmi les nations païennes.
Aussitôt, sans prendre l'avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y
rencontrer ceux qui étaient les Apôtres avant moi, je suis parti pour l'Arabie;
de là, je suis revenu à Damas". Dans cette "auto-apologie" il
souligne de manière décidée qu'il est lui aussi un véritable témoin du
Ressuscité, qu'il a une mission reçue directement du
Ressuscité.
Nous pouvons ainsi voir que
les deux sources, les Actes des Apôtres et les Lettres de saint Paul,
convergent et s'accordent sur un point fondamental: le Ressuscité a parlé
à Paul, il l'a appelé à l'apostolat, il a fait de lui un véritable apôtre,
témoin de la résurrection, avec la charge spécifique d'annoncer l'Evangile aux
païens, au monde gréco-romain. Et dans le même temps, Paul a appris que, malgré
le caractère direct de sa relation avec le Ressuscité, il doit entrer dans la
communion de l'Eglise, il doit se faire baptiser, il doit vivre en harmonie
avec les autres apôtres. Ce n'est que dans cette communion avec tous qu'il
pourra être un véritable apôtre, ainsi qu'il l'écrit explicitement dans la
première Epître aux Corinthiens: "Eux ou moi, voilà ce que nous prêchons.
Et voilà ce que vous avez cru" (15, 11). Il n'y a qu'une seule annonce du
Ressuscité car le Christ est un.
Comme on peut le voir, dans
tous ces passages Paul n'interprète jamais ce moment comme un fait de
conversion. Pourquoi? Il y a beaucoup d'hypothèses, mais selon moi le motif
était tout à fait évident. Ce tournant dans sa vie, cette transformation de
tout son être ne fut pas le fruit d'un processus psychologique, d'une
maturation ou d'une évolution intellectuelle et morale, mais il vint de l'extérieur:
ce ne fut pas le fruit de sa pensée, mais de la rencontre avec Jésus Christ. En
ce sens, ce ne fut pas simplement une conversion, une maturation de son
"moi", mais ce fut une mort et une résurrection pour lui-même:
il mourut à sa vie et naquit à une autre vie nouvelle avec le Christ
ressuscité. D'aucune autre manière on ne peut expliquer ce renouveau de Paul.
Toutes les analyses psychologiques ne peuvent pas éclairer et résoudre le
problème. Seul l'événement, la rencontre forte avec le Christ, est la clé pour
comprendre ce qui était arrivé; mort et résurrection, renouveau de la part de
Celui qui s'était montré et avait parlé avec lui. En ce sens plus profond, nous
pouvons et nous devons parler de conversion. Cette rencontre est un réel
renouveau qui a changé tous ses paramètres. Maintenant il peut dire que ce qui
auparavant était pour lui essentiel et fondamental, est devenu pour lui
"balayures"; ce n'est plus un "gain", mais une perte, parce
que désormais seul compte la vie dans le Christ.
Nous ne devons toutefois pas
penser que Paul ait été ainsi enfermé dans un événement aveugle. Le contraire
est vrai, parce que le Christ ressuscité est la lumière de la vérité, la
lumière de Dieu lui-même. Cela a élargi son cœur, l'a ouvert à tous. En cet
instant il n'a pas perdu ce qu'il y avait de bon et de vrai dans sa vie, dans
son héritage, mais il a compris de manière nouvelle la sagesse, la vérité, la
profondeur de la loi et des prophètes, il se l'est réapproprié de manière
nouvelle. Dans le même temps, sa raison s'est ouverte à la sagesse des païens;
s'étant ouvert au Christ de tout son cœur, il est devenu capable d'un large
dialogue avec tous, il est devenu capable de se faire tout pour tous. C'est
ainsi qu'il pouvait réellement devenir l'apôtre des païens.
Si l'on en revient à présent à
nous-mêmes, nous nous demandons: qu'est-ce que tout cela veut dire pour
nous? Cela veut dire que pour nous aussi le christianisme n'est pas une
nouvelle philosophie ou une nouvelle morale. Nous ne sommes chrétiens que si nous
rencontrons le Christ. Assurément, il ne se montre pas à nous de manière
irrésistible, lumineuse, comme il l'a fait avec Paul pour en faire l'apôtre de
toutes les nations. Mais nous aussi nous pouvons rencontrer le Christ, dans la
lecture de l'Ecriture Sainte, dans la prière, dans la vie liturgique de
l'Eglise. Nous pouvons toucher le cœur du Christ et sentir qu'il touche le
nôtre. C'est seulement dans cette relation personnelle avec le Christ,
seulement dans cette rencontre avec le Ressuscité que nous devenons réellement
chrétiens. Et ainsi s'ouvre notre raison, s'ouvre toute la sagesse du Christ et
toute la richesse de la vérité. Prions donc le Seigneur de nous éclairer, de
nous offrir dans notre monde de rencontrer sa présence: et qu'ainsi il nous
donne une foi vivace, un cœur ouvert, une grande charité pour tous, capable de
renouveler le monde.
* * *
Je suis heureux de vous
accueillir chers pèlerins francophones. A l’exemple de saint Paul laissez-vous
saisir par le Christ. C’est en lui que se trouve le sens ultime de votre vie.
Vous aussi, soyez des témoins ardents du Sauveur des hommes, parmi vos frères
et vos sœurs. Que Dieu vous bénisse !
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Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
10 septembre 2008
Chers frères et sœurs,
Mercredi dernier, j'ai parlé
du grand tournant qui eut lieu dans la vie de saint Paul à la suite de sa
rencontre avec le Christ ressuscité. Jésus entra dans sa vie et le transforma
de persécuteur en apôtre. Cette rencontre marqua le début de sa mission:
Paul ne pouvait pas continuer à vivre comme avant, à présent il se sentait
investi par le Seigneur de la mission d'annoncer son Evangile en qualité
d'apôtre. Et c'est précisément de cette nouvelle condition de vie, c'est-à-dire
d'être apôtre du Christ, que je voudrais vous parler aujourd'hui. Normalement,
en suivant les Evangiles, nous identifions les Douze avec le titre d'apôtres,
entendant ainsi indiquer ceux qui étaient les compagnons de vie et les
auditeurs de l'enseignement de Jésus. Mais Paul aussi se sent un véritable
apôtre et il apparaît donc clair que le concept paulinien d'apostolat ne se
limite pas au groupe des Douze. Naturellement Paul sait bien distinguer son
propre cas de celui de ceux "qui étaient Apôtres avant" lui (Ga 1,
17): il leur reconnaît une place toute particulière dans la vie de
l'Eglise. Et pourtant, comme chacun le sait, saint Paul s'interprète lui aussi
comme Apôtre au sens strict. Il est certain que, à l'époque des origines
chrétiennes, personne ne parcourut autant de kilomètres que lui, sur la terre
et sur la mer, dans le seul but d'annoncer l'Evangile.
Il possédait donc un concept
d'apostolat qui allait au-delà de celui lié uniquement au groupe des Douze et
transmis en particulier par saint Luc dans les Actes (cf. Ac 1,2.26; 6, 2). En
effet, dans la première Lettre aux Corinthiens Paul effectue une claire
distinction entre "les Douze" et "tous les apôtres",
mentionnés comme deux groupes différents de bénéficiaires des apparitions du
Ressuscité (cf. 15, 5.7). Dans ce même texte, il se nomme ensuite humblement
lui-même comme "le plus petit des Apôtres", se comparant même à un
avorton et affirmant textuellement: "Je ne suis pas digne d'être
appelé apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. Mais ce que je suis, je
le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été
stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres; à vrai dire ce
n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi" (1 Co 15, 9-10). La
métaphore de l'avorton exprime une extrême modestie; on la trouvera également
dans la Lettre aux Romains de saint Ignace d'Antioche: "Je
suis le dernier de tous, je suis un avorton; mais il me sera accordé d'être
quelque chose, si je rejoins Dieu" (9, 2). Ce que l'évêque d'Antioche dira
à propos de son martyre imminent, prévoyant que celui-ci transformerait sa
condition d'indignité, saint Paul le dit lui-même en relation avec son propre
engagement apostolique: c'est dans celui-ci que se manifeste la fécondité
de la grâce de Dieu, qui sait précisément transformer un homme mal réussi en un
apôtre splendide. De persécuteur à fondateur d'Eglises: c'est ce qu'a
fait Dieu chez une personne qui, du point de vue évangélique, aurait pu être
considérée comme un rebut!
Qu'est-ce donc, selon la
conception de Paul, qui fait de lui et d'autres personnes des apôtres? Dans ses
Lettres apparaissent trois caractéristiques principales, qui constituent
l'apostolat. La première est d'avoir "vu le Seigneur" (cf. 1 Co 9,
1), c'est-à-dire d'avoir eu avec lui une rencontre déterminante pour sa propre
vie. De même, dans la Lettre aux Galates (cf. 1, 15-16) il dira qu'il a
été appelé, presque sélectionné par la grâce de Dieu avec la révélation de son
Fils en vue de l'heureuse annonce aux païens. En définitive, c'est le Seigneur
qui appelle à l'apostolat, et non la propre présomption. L'apôtre ne se fait
pas tout seul, mais il est fait tel par le Seigneur; l'apôtre a donc besoin de
se référer constamment au Seigneur. Ce n'est pas pour rien que Paul dit qu'il
est "apôtre par vocation" (Rm 1, 1), c'est-à-dire "envoyé non
par les hommes, ni par un intermédiaire humain, mais par Jésus Christ et par
Dieu le Père" (Ga 1, 1). Telle est la première caractéristique:
avoir vu le Seigneur, avoir été appelé par Lui
La deuxième caractéristique
est d'"avoir été envoyés". Le terme grec apóstolos signifie
précisément "envoyé, mandaté", c'est-à-dire ambassadeur et porteur
d'un message; il doit donc agir comme responsable et représentant d'un mandant.
Et c'est pour cela que Paul se définit "apôtre du Christ Jésus"
(1 Co 1, 1; 2 Co 1, 1), c'est-à-dire son délégué, entièrement placé à son
service, au point de s'appeler également "serviteur de Jésus Christ"
(Rm 1, 1). Encore une fois apparaît au premier plan l'idée de l'initiative
d'une autre personne, celle de Dieu dans le Christ Jésus, à laquelle on doit
une pleine obéissance; mais il est en particulier souligné que l'on a reçu de
lui une mission à accomplir en son nom, en mettant absolument au deuxième plan
tout intérêt personnel.
La troisième condition est
l'exercice de l'"annonce de l'Evangile", avec la fondation
conséquente d'Eglises. En effet, le titre d'"apôtre" n'est pas et ne
peut pas être un titre honorifique. Il engage concrètement et même
dramatiquement toute l'existence du sujet concerné. Dans la première Lettre
aux Corinthiens Paul s'exclame: "Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je
pas vu Jésus notre Seigneur? Et vous, n'êtes-vous pas mon œuvre dans le
Seigneur?" (9, 1). De même, dans la deuxième Lettre aux Corinthiens
il affirme: "C'est vous-mêmes qui êtes ce document..., vous êtes ce
document venant du Christ, confié à notre ministère, écrit non pas avec de
l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant" (3, 2-3).
Il ne faut donc pas s'étonner
si saint Jean Chrysostome parle de Paul comme d'"une âme de diamant"
(Panégyriques, 1, 8), et poursuit en disant: "De la même
manière que le feu se renforce encore davantage en prenant sur des matériaux
différents..., la parole de Paul gagnait à sa propre cause tous ceux avec qui
il entrait en relation, et ceux qui lui faisaient la guerre, capturés par ses
discours, devenaient une nourriture pour ce feu spirituel" (ibid.
7, 11). Cela explique pourquoi Paul définit les apôtres comme des
"collaborateurs de Dieu" (1 Co 3, 9; 2 Co 6, 1), dont la grâce agit
avec eux. Un élément typique du véritable apôtre, bien mis en lumière par saint
Paul, est une sorte d'identification entre Evangile et évangélisateur, tous
deux destinés au même sort. En effet, personne autant que Paul n'a souligné que
l'annonce de la croix du Christ apparaît comme "scandale et folie" (1
Co 1, 23), à laquelle nombreux sont ceux qui réagissent par l'incompréhension
et le refus. L'apôtre Paul participe donc à ce sort d'apparaître "scandale
et folie" et il le sait: telle est l'expérience de sa vie. Il écrit
aux Corinthiens, non sans une nuance d'ironie: "Mais nous les
Apôtres, il me semble que Dieu a fait de nous les derniers de tous, comme on
expose des condamnés à mort, livrés en spectacle au monde entier, aux anges et
aux hommes. Nous passons pour des fous à cause du Christ, et vous, pour des
gens sensés dans le Christ; nous sommes faibles, et vous êtes forts; vous êtes
à l'honneur, et nous, dans le mépris. Maintenant encore, nous avons faim, nous
avons soif, nous n'avons pas de vêtements, nous sommes maltraités, nous n'avons
pas de domicile, nous peinons dur à travailler de nos mains. Les gens nous
insultent, nous les bénissons. Ils nous persécutent, nous supportons. Ils nous
calomnient, nous avons des paroles d'apaisement. Jusqu'à maintenant, nous
sommes pour ainsi dire les balayures du monde, le rebut de l'humanité" (1
Co 4, 9-13). C'est un autoportrait de la vie apostolique de saint Paul:
dans toutes ces souffrances prévaut la joie d'être le porteur de la bénédiction
de Dieu et de la grâce de l'Evangile
Paul partage par ailleurs avec
la philosophie stoïcienne de son temps l'idée d'une constance tenace face à
toutes les difficultés qui se présentent à lui; mais il dépasse la perspective
purement humaniste, rappelant la composante de l'amour de Dieu et du
Christ: "Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ? la détresse?
l'angoisse? la persécution? la faim? le dénuement? le danger? le supplice?
L'Ecriture dit en effet: C'est pour toi qu'on nous massacre sans
arrêt, on nous prend pour des moutons d'abattoir. Oui, en tout cela nous
sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J'en ai la
certitude: ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le
présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune
autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus
Christ notre Seigneur" (Rm 8, 35-39). Telle est la certitude, la joie
profonde qui guide l'apôtre Paul dans tous ces événements: rien ne peut
nous séparer de l'amour de Dieu. Et cet amour est la véritable richesse de la
vie humaine.
Comme on le voit, saint Paul
s'était donné à l'Evangile avec toute son existence; nous pourrions dire
vingt-quatre heures sur vingt-quatre! Et il accomplissait son ministère avec
fidélité et avec joie, "pour en sauver à tout prix quelques-uns" (1
Co 9, 22). Et il se situait à l'égard des Eglises, tout en sachant qu'il avait
avec elles une relation de paternité (cf. 1 Co 4, 15), voire de maternité (cf.
Ga 4, 19), dans une attitude de service complet, déclarant admirablement:
"Il ne s'agit pas d'exercer un pouvoir sur votre foi, mais de collaborer à
votre joie" (2 Co 1, 24). Telle demeure la mission de tous les apôtres du
Christ à toutes les époques: être les collaborateurs de la joie
véritable.
* * *
Je souhaite la bienvenue aux
pèlerins de langue française présents ce matin. Que l’exemple de saint Paul
vous aide à vous laisser transformer par la grâce de Dieu afin de devenir
d’authentiques disciples du Christ, ardents à annoncer son Évangile. Avec ma
Bénédiction apostolique.
Message
à la France en vue de la Visite Apostolique
Chers Frères et Sœurs,
Vendredi prochain
j’entreprendrai mon premier voyage pastoral en France en tant que Successeur de
Pierre. A la veille de mon arrivée, je tiens à adresser mon cordial salut au
peuple français et à tous les habitants de cette Nation bien-aimée. Je viens
chez vous en messager de paix et de fraternité. Votre pays ne m’est pas
inconnu. A plusieurs reprises j’ai eu la joie de m’y rendre et d’apprécier sa
généreuse tradition d’accueil et de tolérance, ainsi que la solidité de sa foi
chrétienne comme sa haute culture humaine et spirituelle. Cette fois,
l’occasion de ma venue est la célébration du cent cinquantième anniversaire des
apparitions de la Vierge Marie à Lourdes. Après avoir visité Paris, la capitale
de votre pays, ce sera une grande joie pour moi de m’unir à la foule des
pèlerins qui viennent suivre les étapes du chemin du Jubilé, à la suite de
sainte Bernadette, jusqu’à la grotte de Massabielle. Ma prière se fera intense
aux pieds de Notre Dame aux intentions de toute l’Église, particulièrement pour
les malades, les personnes les plus délaissées, mais aussi pour la paix dans le
monde. Que Marie soit pour vous tous, et particulièrement pour les jeunes, la
Mère toujours disponible aux besoins de ses enfants, une lumière d’espérance
qui éclaire et guide vos chemins ! Chers amis de France, je vous invite à
vous unir à ma prière pour que ce voyage porte des fruits abondants. Dans
l’heureuse attente d’être prochainement parmi vous, j’invoque sur chacun, sur
vos familles et sur vos communautés, la protection maternelle de la Vierge
Marie, Notre Dame de Lourdes. Que Dieu vous bénisse !
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Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
24 septembre 2008
Chers frères et sœurs,
Je voudrais parler aujourd'hui
des relations entre saint Paul et les Apôtres qui l'avaient précédé à la suite
de Jésus. Ces relations furent toujours marquées par un profond respect et par
une franchise qui, chez saint Paul, dérive de la défense de la vérité de
l'Evangile. Même s'il était, dans les faits, contemporain de Jésus de Nazareth,
il n'eut jamais l'occasion de le rencontrer, au cours de sa vie publique. C'est
pourquoi, après avoir été foudroyé sur le chemin de Damas, il ressentit le
besoin de consulter les premiers disciples du Maître, qui avaient été choisis par
Lui pour en porter l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre.
Dans la Lettre aux Galates,
Paul rédige un compte-rendu important sur les contacts entretenus avec
plusieurs des Douze: avant tout avec Pierre qui avait été choisi comme Kephas,
le terme araméen qui signifie le roc sur lequel l'on édifiait l'Eglise (cf. Ga
1, 18), avec Jacques, "le frère du Seigneur" (cf. Ga 1, 19), et avec
Jean (cf. Ga 2, 9): Paul n'hésite pas à les reconnaître comme "les
colonnes" de l'Eglise. La rencontre avec Céphas (Pierre), qui eut lieu à
Jérusalem, est particulièrement significative: Paul resta chez lui
pendant 15 jours pour "le consulter" (cf. Ga 1, 19), c'est-à-dire
pour être informé sur la vie terrestre du Ressuscité, qui l'avait "saisi"
sur la route de Damas et qui était en train de lui changer, de manière
radicale, l'existence: de persécuteur à l'égard de l'Eglise de Dieu, il
était devenu évangélisateur de cette foi dans le Messie crucifié et Fils de
Dieu, que par le passé il avait cherché à détruire (cf. Ga 1, 23).
Quel genre d'informations Paul
obtint-il sur Jésus Christ pendant les trois années qui suivirent la rencontre
de Damas? Dans la première Lettre aux Corinthiens nous pouvons noter deux
passages, que Paul a connus à Jérusalem, et qui avaient déjà été formulés comme
éléments centraux de la tradition chrétienne, tradition constitutive. Il les
transmet verbalement, tels qu'il les a reçus, avec une formule très
solennelle: "Je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu".
C'est-à-dire qu'il insiste sur la fidélité à ce qu'il a lui-même reçu et qu'il
transmet fidèlement aux nouveaux chrétiens. Ce sont des éléments constitutifs
et ils concernent l'Eucharistie et la Résurrection; il s'agit de passages déjà
formulés dans les années trente. Nous arrivons ainsi à la mort, la sépulture au
cœur de la terre et à la résurrection de Jésus (cf. 1 Co 15, 3-4). Prenons l'un
et l'autre: les paroles de Jésus au cours de la Dernière Cène (cf. 1 Co
11, 23-25) sont réellement pour Paul le centre de la vie de l'Eglise: l'Eglise
s'édifie à partir de ce centre, en devenant ainsi elle-même. Outre ce centre
eucharistique, dans lequel naît toujours à nouveau l'Eglise - également pour
toute la théologie de saint Paul, pour toute sa pensée - ces paroles ont eu une
profonde répercussion sur la relation personnelle de Paul avec Jésus. D'une
part, elles attestent que l'Eucharistie illumine la malédiction de la croix, la
transformant en bénédiction (Ga 3, 13-14) et, de l'autre, elles expliquent la
portée de la mort et de la résurrection de Jésus. Dans ses Lettres le
"pour vous" de l'institution eucharistique devient le "pour
moi" (Ga 2, 20), personnalisant, sachant qu'en ce "vous" il
était lui-même connu et aimé de Jésus et d'autre part "pour tous" (2
Co 5, 14): ce "pour vous" devient "pour moi" et
"pour l'Eglise (Ep 5, 25)", c'est-à-dire également "pour
tous" du sacrifice expiatoire de la croix (cf. Rm 3, 25). A partir de
l'Eucharistie et dans celle-ci, l'Eglise s'édifie et se reconnaît comme
"Corps du Christ" (1 Co 12, 27), nourrie chaque jour par la puissance
de l'Esprit du Ressuscité.
L'autre texte sur la
Résurrection nous transmet à nouveau la même formule de fidélité. Saint Paul
écrit: "Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même
reçu: le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Ecritures, et
il a été mis au tombeau; il est ressuscité le troisième jour conformément aux
Ecritures, et il est apparu à Pierre, puis aux Douze" (1 Co 15, 3-5). Dans
cette tradition transmise à Paul revient également ce "pour nos péchés",
qui met l'accent sur le don que Jésus a fait de lui-même au Père, pour nous
libérer des péchés et de la mort. De ce don de soi, Paul tirera les expressions
les plus captivantes et fascinantes de notre relation avec le Christ:
"Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché
des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de
Dieu" (2 Co 5, 21); "Vous connaissez en effet la générosité de notre
Seigneur Jésus Christ: lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de
vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté" (2 Co 8, 9). Il vaut
la peine de rappeler le commentaire par lequel celui qui était alors un moine
augustin, Martin Luther, accompagnait ces expressions paradoxales de
Paul: "Tel est le mystère grandiose de la grâce divine envers les
pécheurs: que par un admirable échange nos péchés ne sont plus les
nôtres, mais du Christ, et la justice du Christ n'est plus du Christ, mais la
nôtre" (Commentaire sur les Psaumes de 1513-1515). Et ainsi nous sommes
sauvés.
Dans le kerygma
original, transmis de bouche à oreille, il faut souligner l'usage du verbe
"il est ressuscité", au lieu de "il fut ressuscité" qu'il
aurait été plus logique d'utiliser, en continuité avec "il mourut... et
fut enseveli". La forme verbale est choisie pour souligner que la
résurrection du Christ influence jusqu'à l'heure actuelle l'existence des
croyants: nous pouvons le traduire par "il est ressuscité et
continue à vivre" dans l'Eucharistie et dans l'Eglise. Ainsi toutes les Ecritures
rendent témoignage de la mort et de la résurrection du Christ car - comme
l'écrira Ugo di San Vittore - "toute la divine Ecriture constitue un
unique livre et cet unique livre est le Christ, car toute l'Ecriture parle du
Christ et trouve dans le Christ son accomplissement" (De arca Noe,
2, 8). Si saint Ambroise de Milan peut dire que "dans l'Ecriture nous
lisons le Christ", c'est parce que l'Eglise des origines a relu toutes les
Ecritures d'Israël en partant du Christ et en revenant à Lui.
L'énumération des apparitions
du Ressuscité à Céphas, aux Douze, à plus de cinq cent frères et à Jacques se
termine par la mention de l'apparition personnelle, reçue par Paul sur le
chemin de Damas: "Et en tout dernier lieu, il est même apparu à
l'avorton que je suis" (1 Co 15, 8). Ayant persécuté l'Eglise de Dieu, il
exprime dans cette confession son indignité à être considéré apôtre, au même
niveau que ceux qui l'ont précédé: mais la grâce de Dieu en lui n'a pas
été vaine (1 Co 15, 10). C'est pourquoi l'affirmation puissante de la grâce
divine unit Paul aux premiers témoins de la résurrection du Christ:
"Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres, voilà notre message, et voilà
notre foi" (1 Co 15, 11). L'identité et le caractère unique de l'Evangile
sont importants: aussi bien eux que moi prêchons la même foi, le même
Evangile de Jésus Christ mort et ressuscité qui se donne dans la Très Sainte
Eucharistie.
L'importance qu'il confère à
cette Tradition vivante de l'Eglise, qu'il transmet à ses communautés, démontre
à quel point est erronée la vision de ceux qui attribuent à Paul l'invention du
christianisme: avant de porter l'évangile de Jésus Christ, son Seigneur,
il l'a rencontré sur le chemin de Damas et il l'a fréquenté dans l'Eglise, en
observant sa vie chez les Douze et chez ceux qui l'ont suivi sur les routes de
la Galilée. Dans les prochaines catéchèses, nous aurons l'opportunité
d'approfondir les contributions que Paul a apportées à l'Eglise des origines;
mais la mission reçue par le Ressuscité en vue d'évangéliser les païens a
besoin d'être confirmée et garantie par ceux qui lui donnèrent leur main
droite, ainsi qu'à Barnabé, en signe d'approbation de leur apostolat et de leur
évangélisation et d'accueil dans l'unique communion de l'Eglise du Christ (cf. Ga
2, 9). On comprend alors que l'expression "nous avons compris le Christ à
la manière humaine" ( 2 Co 5, 16) ne signifie pas que son existence
terrestre ait eu une faible importance pour notre maturation dans la foi, mais
qu'à partir du moment de sa Résurrection, notre façon de nous rapporter à Lui
se transforme. Il est, dans le même temps, le Fils de Dieu, "né de la race
de David; selon l'Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de
Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les morts, lui, Jésus Christ, notre
Seigneur", comme le rappellera Paul au début de la Lettres aux Romains
(1, 3-4).
Plus nous cherchons à nous
mettre sur les traces de Jésus de Nazareth sur les routes de la Galilée, plus
nous pouvons comprendre qu'il a pris en charge notre humanité, la partageant en
tout, hormis le péché. Notre foi ne naît pas d'un mythe, ni d'une idée, mais
bien de la rencontre avec le Ressuscité, dans la vie de l'Eglise.
* * *
Je suis heureux de vous
accueillir, chers pèlerins francophones, en particulier les pèlerins du Diocèse
de Chartres avec leur Évêque Monseigneur Michel Pansard, ainsi que les pèlerins
du Diocèse de Tournai, avec leur Évêque Monseigneur Guy Harpigny. A la suite de
saint Paul, prions afin que le Seigneur envoie beaucoup d’ouvriers apostoliques
dans sa vigne. Avec ma Bénédiction Apostolique.
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Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
1 octobre 2008
Chers frères et sœurs,
Le respect et la vénération
que Paul a toujours cultivés à l'égard des Douze ne font pas défaut lorsqu'il
défend avec franchise la vérité de l'Evangile, qui n'est autre que Jésus
Christ, le Seigneur. Nous voulons aujourd'hui nous arrêter sur deux épisodes
qui démontrent la vénération et, dans le même temps, la liberté avec laquelle
l'Apôtre s'adresse à Céphas et aux autres Apôtres: ce qu'on appelle le
"Concile" de Jérusalem et l'incident d'Antioche de Syrie, rapportés
dans la Lettre aux Galates (cf. 2, 1-10; 2, 11-14).
Chaque Concile et Synode de
l'Eglise est "un événement de l'Esprit" et contient dans son
accomplissement les instances de tout le peuple de Dieu: ceux qui ont
reçu le don de participer au Concile Vatican II en ont fait personnellement
l'expérience. C'est pourquoi saint Luc, en nous informant sur le premier
Concile de l'Eglise, qui s'est déroulé à Jérusalem, commence ainsi la lettre
que les Apôtres envoyèrent en cette circonstance aux communautés chrétiennes de
la diaspora: "L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé..." (Ac
15, 28). L'Esprit, qui agit dans toute l'Eglise, conduit les Apôtres par la
main pour entreprendre de nouvelles routes en vue de réaliser ses
projets: c'est Lui l'artisan principal de l'édification de l'Eglise.
L'assemblée de Jérusalem se
déroula pourtant à un moment de tension importante au sein de la Communauté des
origines. Il s'agissait de répondre à la question de savoir s'il fallait
demander aux païens qui adhéraient à Jésus Christ, le Seigneur, la circoncision
ou s'il était licite de les laisser libres de la Loi mosaïque, c'est-à-dire de
l'observance des normes nécessaires pour être des hommes justes, qui
obtempèrent à la Loi, et surtout libres des normes concernant les purifications
cultuelles, les aliments purs et impurs et le Sabbat. Saint Paul parle
également de l'assemblée de Jérusalem dans Ga 2, 1-10: quatorze ans après
la rencontre avec le Ressuscité à Damas - nous sommes dans la deuxième moitié
des années 40 ap. J.C. - Paul part avec Barnabé d'Antioche de Syrie et se fait
accompagner par Tite, son fidèle collaborateur qui, bien qu'étant d'origine
grecque, n'avait pas été obligé de se faire circoncire pour entrer dans
l'Eglise. A cette occasion, Paul expose aux Douze, définis comme les personnes
les plus remarquables, son évangile de la liberté de la Loi (cf. Ga 2, 6). A la
lumière de la rencontre avec le Christ ressuscité, il avait compris qu'au
moment du passage à l'Evangile de Jésus Christ, pour les païens n'étaient plus
nécessaire la circoncision, les règles sur la nourriture, sur le sabbat comme
signes de la justice: le Christ est notre justice et "juste"
est tout ce qui lui est conforme. Il n'y pas besoin d'autres signes pour être
des justes. Dans la Lettre aux Galates, en quelques lignes, il rapporte
le déroulement de l'assemblée: il rappelle avec enthousiasme que
l'évangile de la liberté à l'égard de la Loi fut approuvé par Jacques, Céphas
et Jean, "les colonnes", qui lui offrirent ainsi qu'à Barnabé la main
droite de la communion ecclésiale dans le Christ (cf. Ga 2, 9). Si, comme nous
l'avons remarqué, pour Luc le Concile de Jérusalem exprime l'action de l'Esprit
Saint, pour Paul il représente la reconnaissance décisive de la liberté
partagée entre tous ceux qui y participèrent: une liberté des obligations
provenant de la circoncision et de la Loi; cette liberté pour laquelle "le
Christ nous a libérés, pour que nous restions libres" et pour que nous ne
nous laissions plus imposer le joug de l'esclavage (cf. Ga 5, 1). Les deux
modalités avec lesquelles Paul et Luc décrivent l'assemblée de Jérusalem ont en
commun l'action libératrice de l'Esprit, car "là où l'Esprit du Seigneur
est présent, là est la liberté", dira-t-il dans la deuxième Lettre aux
Corinthiens (cf. 3, 17).
Toutefois, comme il apparaît
avec une grande clarté dans les Lettres de saint Paul, la liberté
chrétienne ne s'identifie jamais avec le libertinage ou avec le libre arbitre
de faire ce que l'on veut; elle se réalise dans la conformité au Christ et donc
dans le service authentique pour les frères, en particulier pour les plus
indigents. C'est pourquoi, le compte-rendu de Paul sur l'assemblée se termine
par le souvenir de la recommandation que les Apôtres lui adressèrent:
"Ils nous demandèrent seulement de penser aux pauvres de leur communauté,
ce que j'ai toujours fait de mon mieux" (Ga 2, 10). Chaque Concile naît de
l'Eglise et retourne à l'Eglise: en cette occasion, il y retourne avec
une attention pour les pauvres qui, selon les diverses annotations de Paul dans
ses Lettres, sont tout d'abord ceux de l'Eglise de Jérusalem. Dans sa
préoccupation pour les pauvres, attestée en particulier dans la deuxième Lettre
aux Corinthiens (cf. 8-9) et dans la partie finale de la Lettre aux
Romains (cf. Rm 15), Paul démontre sa fidélité aux décisions qui ont mûri
pendant l'assemblée.
Peut-être ne sommes-nous plus
en mesure de comprendre pleinement la signification que Paul et ses communautés
attribuèrent à la collecte pour les pauvres de Jérusalem. Ce fut une initiative
entièrement nouvelle dans le cadre des activités religieuses: elle ne fut
pas obligatoire, mais libre et spontanée; toute les Eglises fondées par Paul
vers l'Occident y prirent part. La collecte exprimait la dette de ses
communautés à l'égard de l'Eglise mère de la Palestine, dont elles avaient reçu
le don extraordinaire de l'Evangile. La valeur que Paul attribue à ce geste de
partage est tellement grande que rarement il l'appelle simplement
"collecte": pour lui celle-ci est plutôt "service",
"bénédiction", "amour", grâce", et même
"liturgie" (2 Co 9). On est en particulier surpris par ce dernier
terme, qui confère à la collecte d'argent une valeur également cultuelle:
d'une part, celle-ci est un geste liturgique ou "service", offert par
chaque communauté à Dieu, de l'autre, elle est une action d'amour accomplie en
faveur du peuple. Amour pour les pauvres et liturgie divine vont ensemble,
l'amour pour les pauvres est liturgie. Les deux horizons sont présents dans
chaque liturgie célébrée et vécue dans l'Eglise, qui par sa nature s'oppose à
la séparation entre le culte et la vie, entre la foi et les oeuvres, entre la
prière et la charité pour les frères. Le Concile de Jérusalem naît ainsi pour
résoudre la question sur la façon de se comporter avec les païens qui adhéraient
à la foi, en optant pour la liberté à l'égard de la circoncision et des
observances imposées par la Loi, et elle se résout dans l'instance ecclésiale
et pastorale, qui place en son centre la foi dans le Christ et l'amour pour les
pauvres de Jérusalem et de toute l'Eglise.
Le deuxième épisode est le
célèbre incident d'Antioche, en Syrie, qui atteste la liberté intérieure dont
Paul jouissait: comment se comporter à l'occasion de la communion à la
table entre les croyants d'origine juive et ceux d'origine païenne? Ici se fait
jour l'autre épicentre de l'observance mosaïque: la distinction entre les
aliments purs et impurs, qui divisaient profondément les juifs observants des
païens. Au début, Céphas, Pierre partageait sa table avec les uns et les autres;
mais avec l'arrivée de plusieurs chrétiens liés à Jacques, "le frère du
Seigneur" (Ga 1, 19), Pierre avait commencé à éviter les contacts à table
avec les païens, pour ne pas scandaliser ceux qui continuaient à observer les
lois sur les aliments purs; et le choix avait été partagé par Barnabé. Ce choix
divisait profondément les chrétiens venus de la circoncision et les chrétiens
venus du paganisme. Ce comportement, qui menaçait réellement l'unité et la
liberté de l'Eglise, suscita les réactions enflammées de Paul, qui parvint à
accuser Pierre et les autres d'hypocrisie; "Toi, tout juif que tu es, il
t'arrive de suivre les coutumes des païens et non celles des juifs; alors,
pourquoi forces-tu les païens à faire comme les juifs?" (Ga 2, 14). En réalité,
les préoccupations de Paul, d'une part, et celles de Pierre et Barnabé, de
l'autre, étaient différentes: pour ces derniers la séparation des païens
représentait une manière de protéger et de ne pas scandaliser les croyants
provenant du judaïsme; pour Paul, elle constituait en revanche un danger de
mauvaise compréhension du salut universel en Christ, offert aussi bien aux
païens qu'aux juifs. Si la justification ne se réalise qu'en vertu de la foi
dans le Christ, de la conformité avec lui, sans aucune œuvre de la Loi, quel
sens cela a-t-il d'observer la pureté des aliments à l'occasion du partage de
la table? Les perspectives de Pierre et de Paul étaient probablement
différentes: pour le premier ne pas perdre les juifs qui avaient adhéré à
l'Evangile, pour le deuxième ne pas réduire la valeur salvifique de la mort du
Christ pour tous les croyants.
Cela paraît étrange, mais en
écrivant aux chrétiens de Rome, quelques années après (vers le milieu des
années 50 ap. J.C.), Paul lui-même se trouvera face à une situation analogue et
demandera aux forts de ne pas manger de nourriture impure pour ne pas perdre ou
pour ne pas scandaliser les faibles: "C'est bien de ne pas manger de
viande, de ne pas boire de vin, bref de ne rien faire qui fasse tomber ton frère"
(Rm 14, 21). L'incident d'Antioche se révéla donc une leçon aussi bien pour
Pierre que pour Paul. Ce n'est que le dialogue sincère, ouvert à la vérité de
l'Evangile, qui put orienter le chemin de l'Eglise: "En effet, le
Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson;
il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint" (Rm 14, 17). C'est une
leçon que nous devons apprendre nous aussi: avec les différents charismes
confiés à Pierre et à Paul, laissons-nous guider par l'Esprit, en cherchant à
vivre dans la liberté qui trouve son orientation dans la foi en Christ et se
concrétise dans le service à nos frères. Ce qui est essentiel c'est d'être
toujours plus conforme au Christ. C'est ainsi qu'on devient réellement libre,
c'est ainsi que s'exprime en nous le noyau le plus profond de la Loi:
l'amour pour Dieu et pour notre prochain. Prions le Seigneur pour qu'il nous
enseigne à partager ses sentiments, pour apprendre de Lui la vraie liberté et
l'amour évangélique qui embrasse tout être humain.
* * *
Je salue tous les pèlerins
francophones présents à cette audience, en particulier les participants au
pèlerinage œcuménique Saint-Paul présidé par Monseigneur Robert Le Gall,
archevêque de Toulouse, ainsi que les pèlerins venus du Canada et de la Guadeloupe.
Puisse la méditation des lettres de Paul faire aimer toujours davantage
l’Église en son mystère. Bon pèlerinage à tous !
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
8 octobre 2008
Chers frères et sœurs!
Dans les dernières catéchèses
sur saint Paul, j'ai parlé de sa rencontre avec le Christ ressuscité, qui a
changé profondément sa vie, puis de sa relation avec les douze Apôtres, appelés
par Jésus - en particulier avec Jacques, Céphas et Jean - et de sa relation
avec l'Eglise de Jérusalem. Il reste à présent la question de ce que saint Paul
a su du Jésus terrestre, de sa vie, de ses enseignements, de sa passion. Avant
d'aborder cette question, il peut être utile d'avoir à l'esprit que saint Paul
lui-même distingue deux façons de connaître Jésus et plus généralement deux
façons de connaître une personne. Il écrit dans la Deuxième Lettre aux
Corinthiens: "Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne
selon la chair. Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant
ce n'est plus ainsi que nous le connaissons" (5, 16). Connaître
"selon la chair", de manière charnelle, cela veut dire connaître de
manière seulement extérieure, avec des critères extérieurs: on peut avoir
vu une personne plusieurs fois, connaître ainsi son aspect et les divers
détails de son comportement: la manière dont il parle, la manière dont il
bouge, etc. Toutefois, même en connaissant quelqu'un de cette manière on ne le
connaît pas réellement, on ne connaît pas le noyau de la personne. C'est
seulement avec le cœur que l'on connaît vraiment une personne. De fait, les
pharisiens et les saducéens ont connu Jésus de manière extérieure, ils ont
appris son enseignement, beaucoup de détails sur lui, mais ils ne l'ont pas
connu dans sa vérité. Il y a une distinction analogue dans une parole de Jésus.
Après la Transfiguration, il demande aux apôtres: "Le Fils de
l'homme qui est-il, d'après ce que disent les gens?" (Mt 16, 13) "Et
vous que dites-vous? Pour vous qui suis-je?" (Mt 16, 15). Les gens le
connaissent, mais de manière superficielle; ils savent plusieurs choses de lui,
mais ils ne l'ont pas réellement connu. En revanche, les Douze, grâce à
l'amitié qui fait participer le cœur, ont au moins compris dans la substance et
ont commencé à connaître qui est Jésus. Aujourd'hui aussi existe cette manière
différente de connaître: il y a des personnes savantes qui connaissent
Jésus dans ses nombreux détails et des personnes simples qui n'ont pas
connaissance de ces détails, mais qui l'ont connu dans sa vérité:
"le cœur parle au cœur". Et Paul veut dire essentiellement qu'il faut
connaître Jésus ainsi, avec le cœur et connaître essentiellement de cette manière
la personne dans sa vérité; puis, dans un deuxième temps, en connaître les
détails.
Cela dit, demeure toutefois la
question: qu'a connu saint Paul de la vie concrète, des paroles, de la
passion, des miracles de Jésus? Il semble confirmé qu'il ne l'a pas rencontré
pendant sa vie terrestre. A travers les apôtres et l'Eglise naissante il a
assurément connu aussi les détails sur la vie terrestre de Jésus. Dans ses
Lettres, nous pouvons trouver trois formes de référence au Jésus pré-pascal.
En premier lieu, on trouve des
références explicites et directes. Paul parle de l'ascendance davidique de
Jésus (cf. Rm 1, 3), il connaît l'existence de ses "frères" ou
consanguins (1 Co 9, 5; Ga 1, 19), il connaît le déroulement de la Dernière
Cène (cf. 1 Co 11, 23), il connaît d'autres paroles de Jésus, par exemple, sur
l'indissolubilité du mariage (cf. 1 Co 7, 10 avec Mc 10, 11-12), sur la
nécessité que celui qui annonce l'Evangile soit nourri par la communauté dans
la mesure où l'ouvrier est digne de son salaire (cf. 1 Co 9, 14 et Lc 10, 7);
Paul connaît les paroles prononcées par Jésus lors de la Dernière Cène (cf. 1
Co 11, 24-25 et Lc 22, 19-20) et il connaît aussi la croix de Jésus. Telles
sont les références directes à des paroles et des faits de la vie de Jésus.
En deuxième lieu, nous pouvons
entrevoir dans certaines phrases des Lettres pauliniennes plusieurs
allusions à la tradition attestée dans les Evangiles synoptiques. Par exemple,
les paroles que nous lisons dans la première Lettre aux Thessaloniciens,
selon lesquelles "le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la
nuit" (5, 2), ne s'expliqueraient pas comme un renvoi aux prophéties
vétéro-testamentaires, car la comparaison avec le voleur nocturne ne se trouve
que dans l'Evangile de Matthieu et de Luc, donc elle est tirée précisément de
la tradition synoptique. Ainsi, quand nous lisons que: "ce qu'il y a
de faible dans le monde, voilà ce que Jésus a choisi..." (1 Co 1, 27-28),
on entend l'écho fidèle de l'enseignement de Jésus sur les simples et sur les
pauvres (cf. Mt 5, 3; 11, 25; 19, 30). Il y a ensuite les paroles prononcée par
Jésus dans la joie messianique: "Père, Seigneur du ciel et de la
terre, je proclame ta louange: ce que tu as caché aux sages et aux
savants, tu l'as révélé aux tout-petits" (Mt 11, 25). Paul sait - c'est
son expérience missionnaire - combien ces paroles sont vraies, c'est-à-dire que
ce sont précisément les simples qui ont le coeur ouvert à la connaissance de
Jésus. La mention de l'obéissance de Jésus "jusqu'à la mort", que
l'on trouve dans Ph 2, 8, ne peut également que rappeler la totale
disponibilité du Jésus terrestre à l'accomplissement de la volonté de son Père
(cf. Mc 3, 35; Jn 4, 34). Paul connaît donc la passion de Jésus, sa croix, la
manière dont il a vécu les derniers moments de sa vie. La croix de Jésus et la
tradition sur cet événement de la croix sont au centre du Kérygme paulinien. Un
autre pilier de la vie de Jésus connu par saint Paul est le Discours de la
Montagne, dont il cite certains éléments presque à la lettre, quand il écrit
aux Romains: "Aimez-vous les uns les autres... Bénissez ceux qui
vous persécutent... Vivez en paix avec tous... Vainc le mal par le
bien...". Donc, dans ses lettres, on trouve un reflet fidèle du Discours
de la Montagne (cf. Mt 5-7).
Enfin, il est possible de
trouver une troisième manière dont sont présentes les paroles de Jésus dans les
Lettres de Paul: c'est lorsqu'il opère une forme de transposition de la
tradition pré-pascale à la situation d'après la Pâque. Un cas typique est le
thème du Royaume de Dieu. Il se trouve assurément au centre de la prédication
du Jésus historique (cf. Mt 3, 2; Mc 1, 15; Lc 4, 43). Chez Paul on peut
trouver une transposition de cette thématique, parce qu'après la résurrection
il est évident que Jésus en personne, le ressuscité, est le Royaume de Dieu. Le
Royaume arrive donc là où Jésus arrive. Et ainsi, nécessairement, le thème du
Royaume de Dieu, où était anticipé le mystère de Jésus, se transforme en
christologie. Toutefois, les mêmes dispositions demandées par Jésus pour entrer
dans le Royaume de Dieu sont tout à fait valables pour Paul en ce qui concerne
la justification au moyen de la foi: autant l'entrée dans le Royaume que
la justification exigent une attitude de grande humilité et disponibilité,
libre de présomptions, pour accueillir la grâce de Dieu. Par exemple, la
parabole du pharisien et du publicain (cf. Lc 18, 9-14) donne un enseignement
que l'on retrouve tel quel chez Paul, lorsqu'il insiste sur le fait de devoir
exclure toute vanterie à l'égard de Dieu. Les phrases de Jésus sur les
publicains et les prostituées, plus disponibles que les pharisiens à accueillir
l'Evangile (cf. Mt 21, 31; Lc 7, 36-50), et son choix de partager la table avec
eux (cf. Mt 9, 10-13; Lc 15, 1-2) se retrouvent elles aussi entièrement dans la
doctrine de Paul sur l'amour miséricordieux de Dieu envers les pécheurs (cf. Rm
5, 8-10; et aussi Ep 2, 3-5). Ainsi le thème du Royaume de Dieu est reproposé
sous une forme nouvelle, mais toujours dans une pleine fidélité à la tradition
du Jésus historique.
Un autre exemple de
transformation fidèle du noyau doctrinal tel que l'entendait Jésus se trouve
dans les "titres" qui lui sont attribués. Avant Pâques, il se
qualifie lui-même de Fils de l'homme; après la Pâque, il devient évident que le
Fils de l'homme est aussi le Fils de Dieu. Par conséquent, le titre préféré par
Paul pour qualifier Jésus est Kyrios, "Seigneur" (cf. Ph 2,
9-11), qui indique la divinité de Jésus. Avec ce titre, le Seigneur Jésus
apparaît dans toute la lumière de la résurrection. Sur le Mont des Oliviers, au
moment de l'extrême angoisse de Jésus (cf. Mc 14, 36), les disciples avant de
s'endormir avaient entendu comment il parlait avec le Père et l'appelait "Abbà-Père".
C'est un terme très familier, équivalent à notre "papa", utilisé
uniquement par les enfants en communion avec leur père. Jusqu'à ce moment-là il
était impensable qu'un juif utilise une parole semblable pour s'adresser à
Dieu; mais Jésus, étant vrai Fils, en ce moment d'intimité, parle ainsi et
dit: "Abbà, Père". Dans les Lettres de saint Paul aux Romains
et aux Galates, de manière surprenante ce terme "Abbà", qui exprime
le caractère exclusif de la filiation de Jésus, apparaît dans la bouche des
baptisés (cf. Rm 8, 15; Ga 4, 6), parce qu'ils ont reçu l'"esprit du
Fils" et à présent ils portent en eux-mêmes cet Esprit et ils peuvent
parler comme Jésus et avec Jésus en vrais fils de leur Père, ils peuvent dire
"Abbà" parce qu'ils sont devenus fils dans le Fils.
Et enfin, je voudrais évoquer
la dimension salvifique de la mort de Jésus, que nous trouvons dans la phrase
évangélique selon laquelle "le Fils de l'homme n'est pas venu pour être
servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude" (Mc
10, 45; Mt 20, 28). Le reflet fidèle de cette parole de Jésus apparaît dans la
doctrine paulinienne sur la mort de Jésus comme rachat (cf. 1 Co 6, 20), comme
rédemption (cf. Rm 3, 24), comme libération (cf. Ga 5, 1) et comme
réconciliation (cf. Rm 5, 10; 2 Co 5, 18-20). C'est là le centre de la
théologie paulinienne, qui se fonde sur cette parole de Jésus.
En conclusion, saint Paul ne
pense pas à Jésus en tant qu'historien, comme à une personne du passé. Il
connaît assurément la grande tradition sur la vie, les paroles, la mort et la
résurrection de Jésus, mais il ne traite pas de tout cela comme d'une chose du
passé; il le propose comme réalité du Jésus vivant. Pour Paul, les paroles et
les actions de Jésus n'appartiennent pas au temps historique, au passé. Jésus
vit maintenant et parle maintenant avec nous et vit pour nous. Telle est la
vraie manière de connaître Jésus et d'accueillir la tradition le concernant.
Nous devons nous aussi apprendre à connaître Jésus non selon la chair, comme
une personne du passé, mais comme notre Seigneur et Frère, qui est aujourd'hui
avec nous et nous montre comment vivre et comment mourir.
* * *
Je suis heureux d’accueillir
les pèlerins de langue française, particulièrement les servants de messe du
Jura pastoral, dans le diocèse de Bâle. Que par son enseignement saint Paul vous
aide à mettre la personne du Christ au cœur de votre vie et à reconnaître en
elle le salut de Dieu offert à tous ! Avec ma bénédiction apostolique !
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
15 octobre 2008
Chers frères et sœurs,
Dans la catéchèse de mercredi
dernier j'ai parlé de la relation de Paul avec le Jésus pré-pascal dans sa vie
terrestre. La question était: "Qu'a su Paul de la vie de Jésus, de
ses paroles, de sa passion"? Aujourd'hui je voudrais parler de
l'enseignement de saint Paul sur l'Eglise. Nous devons commencer par la
constatation que ce mot "Eglise" en français - comme en italien
"Chiesa" et en espagnol "Iglesia" - est tiré du grec "ekklesia"!
Il vient de l'Ancien Testament et signifie l'assemblée du peuple d'Israël,
convoquée par Dieu, en particulier l'assemblée exemplaire au pied du Sinaï.
Avec ce mot est à présent signifiée la nouvelle communauté des croyants dans le
Christ qui se sentent assemblée de Dieu, la nouvelle convocation de tous les
peuples par Dieu et devant Lui. Le terme ekklesia fait son apparition
pour la première fois sous la plume de Paul, qui est le premier auteur d'un
écrit chrétien. Cela a lieu dans l'incipit de la première Lettre aux
Thessaloniciens, où Paul s'adresse textuellement "à l'Eglise des
thessaloniciens" (cf. ensuite également à "l'Eglise de Laodicée"
dans Col 4, 16). Dans d'autres Lettres il parle de l'Eglise de Dieu qui est à
Corinthe (1 Co 1, 2; 2 Co 1, 1), qui est en Galatie (Ga 1, 2 etc.) -
des Eglises particulières donc - mais il dit aussi avoir persécuté "l'Eglise
de Dieu": non pas une communauté locale déterminée, mais
"l'Eglise de Dieu". Ainsi, nous voyons que ce mot "Eglise"
a une signification pluridimensionnelle: il indique, d'une part, les
assemblées de Dieu dans des lieux déterminés (une ville, un pays, une maison),
mais il signifie aussi toute l'Eglise dans son ensemble. Et ainsi nous voyons
que "l'Eglise de Dieu" n'est pas seulement une somme de différentes
Eglises locales, mais que les différentes Eglises locales sont à leur tour une
réalisation de l'unique Eglise de Dieu. Toutes ensemble elles sont
"l'Eglise de Dieu", qui précède les Eglises locales singulières et
s'exprime, se réalise dans celles-ci.
Il est important d'observer
que presque toujours le mot "Eglise" apparaît avec l'adjonction de la
qualification "de Dieu": ce n'est pas une association humaine,
née d'idées ou d'intérêts communs, mais d'une convocation de Dieu. Il l'a convoquée
et c'est pourquoi elle est une dans toutes ses réalisations. L'unité de Dieu
crée l'unité de l'Eglise dans tous les lieux où elle se trouve. Plus tard, dans
la Lettre aux Ephésiens, Paul élaborera longuement le concept d'unité de
l'Eglise, en continuité avec le concept de Peuple de Dieu, Israël, considéré
par les prophètes comme "épouse de Dieu", appelée à vivre une
relation sponsale avec Lui. Paul présente l'unique Eglise de Dieu comme
"épouse du Christ" dans l'amour, un seul corps et un seul esprit avec
le Christ lui-même. Il est bien connu que le jeune Paul avait été un adversaire
acharné du nouveau mouvement constitué par l'Eglise du Christ. Il en avait été
un adversaire, parce qu'il avait vu menacée, dans ce nouveau mouvement, la
fidélité à la tradition du peuple de Dieu, animé par la foi dans le Dieu
unique. Cette fidélité s'exprimait surtout dans la circoncision, dans
l'observance des règles de la pureté cultuelle, dans l'abstention de certains
aliments, dans le respect du Sabbat. Cette fidélité, les juifs l'avaient payée
avec le sang des martyrs, pendant la période des Maccabées, quand le régime
hellénistique voulait obliger tous les peuples à se conformer à l'unique
culture hellénistique. Beaucoup de juifs avaient défendu avec leur sang la vocation
propre d'Israël. Les martyrs avaient payé par leur vie l'identité de leur
peuple, qui s'exprimait à travers ces éléments. Après la rencontre avec le
Christ ressuscité, Paul comprit que les chrétiens n'étaient pas des traîtres;
au contraire, dans la nouvelle situation le Dieu d'Israël à travers le Christ,
avait élargi son appel à toutes les nations, en devenant le Dieu de tous les
peuples. De cette manière, se réalisait la fidélité au Dieu unique; les signes
distinctifs constitués par les règles et les observances particulières
n'étaient plus nécessaires, par ce que tous étaient appelés, dans leur variété,
à faire partie de l'unique peuple de Dieu de "l'Eglise de Dieu" dans
le Christ.
Une chose fut pour Paul
immédiatement claire dans la nouvelle situation: la valeur fondamentale
et fondatrice du Christ et de la "parole" qui l'annonçait. Paul
savait que non seulement on ne devient pas chrétien par la force, mais
également que dans la configuration interne de la nouvelle communauté la composante
institutionnelle était inévitablement liée à la "parole" vivante, à
l'annonce du Christ vivant dans lequel Dieu s'ouvre à tous les peuples et les
unit en un unique peuple de Dieu. Il est symptomatique que dans les Actes
des Apôtres, Luc emploie plusieurs fois, également à propos de Paul, le
syntagme "annoncer la parole" (Ac 4, 29.31; 8, 25; 11, 19; 13, 46;
14, 25; 16, 6.32), avec l'intention évidente de souligner au maximum la portée
décisive de la "parole" de l'annonce. Concrètement cette parole est
constitué par la croix et la résurrection du Christ, dans lesquelles les
Ecritures se sont réalisées. Le mystère pascal, qui a provoqué le tournant de
sa vie sur le chemin de Damas, se trouve bien sûr au centre de la prédication
de l'apôtre (cf. 1 Co 2, 2; 15, 14). Ce Mystère annoncé dans la parole se
réalise dans les sacrements du baptême et de l'Eucharistie et devient ensuite
réalité dans la charité chrétienne. L'œuvre évangélisatrice de Paul n'a pas
d'autre finalité que celle d'implanter la communauté des croyants dans le
Christ. Cette idée est comprise dans l'étymologie même du terme ekklesia,
que Paul, et avec lui tout le christianisme, a préféré à l'autre terme de
"synagogue": non seulement parce qu'à l'origine le premier est
plus "laïc" (dérivant de la pratique grecque de l'assemblée politique
et pas précisément religieuse), mais également parce qu'il implique directement
l'idée plus théologique d'un appel ab extra, et donc pas seulement
l'idée d'une simple réunion ensemble; les croyants sont appelés par Dieu, qui
les réunit en une communauté, son Eglise.
Dans cette optique, nous
pouvons également comprendre le concept original, exclusivement paulinien, de
l'Eglise comme "Corps du Christ". A cet égard, il faut avoir à
l'esprit les deux dimensions de ce concept. L'une est à caractère sociologique,
selon laquelle le corps est constitué par ses composantes et n'existerait pas
sans elles. Cette interprétation apparaît dans la Lettre aux Romains et
dans la première Lettre aux Corinthiens, où Paul reprend une image qui existait
déjà dans la sociologie romaine: il dit qu'un peuple est comme un corps
avec divers membres, dont chacun à sa fonction, même les plus petits et
apparemment le plus insignifiants, sont nécessaires pour que le corps puisse
vivre et réaliser ses fonctions. De manière opportune, l'apôtre observe que
dans l'Eglise il y a beaucoup de vocations: prophètes, apôtres, maîtres,
personnes simples, tous appelés à vivre chaque jour la charité, tous
nécessaires pour construire l'unité vivante de cet organisme spirituel. L'autre
interprétation fait référence au Corps même du Christ. Paul soutient que
l'Eglise n'est pas seulement un organisme, mais devient réellement corps du
Christ dans le sacrement de l'Eucharistie, où tous nous recevons son Corps et
nous devenons réellement son Corps. Ainsi se réalise le mystère sponsal que
tous deviennent un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Ainsi la
réalité va bien au-delà de l'image sociologique, en exprimant sa véritable
essence profonde, à savoir l'unité de tous les baptisés dans le Christ,
considérés par l'Apôtre "un" dans le Christ, conformés au sacrement
de son Corps.
En disant cela Paul montre
qu'il sait bien et il nous fait comprendre à tous que l'Eglise n'est pas sienne
et n'est pas nôtre: l'Eglise est corps du Christ, elle est "Eglise de
Dieu", "champ de Dieu, édification de Dieu, (...)
temple de Dieu" (1 Co 3, 9.16). Cette dernière qualification est
particulièrement intéressante, car elle attribue à un tissu de relations
interpersonnelles, un terme qui communément servait pour indiquer un lieu
physique, considéré comme sacré. Le rapport entre Eglise et temple finit donc
par assumer deux dimensions complémentaires: d'une part, est appliqué à
la communauté ecclésiale la caractéristique de dimension séparée et de pureté
qui revenait à l'édifice sacré, mais, de l'autre, est également dépassé le
concept d'un espace matériel, pour transférer cette valeur à la réalité d'une
communauté de foi vivante. Si auparavant les temples étaient considérés comme
des lieux de la présence de Dieu, à présent l'on sait et l'on voit que Dieu
n'habite pas dans des édifices faits en pierres, mais le lieu de la présence de
Dieu dans le monde est la communauté vivante des croyants.
La qualification de
"peuple de Dieu", qui chez Paul est appliquée substantiellement au
peuple de l'Ancien Testament, puis aux païens qui étaient "le
non-peuple" et sont devenus eux aussi le peuple de Dieu grâce à leur
insertion dans le Christ à travers la Parole et le sacrement, mériterait un discours
à part. Et enfin, une dernière nuance. Dans la Lettre à Timothée, Paul
qualifie l'Eglise de "maison de Dieu" (1 Tm 3, 15); et il s'agit
d'une définition vraiment originale, car elle se réfère à l'Eglise comme
structure communautaire où sont vécues de chaleureuses relations
interpersonnelles à caractère familial. L'apôtre nous aide donc a comprendre
toujours plus profondément le mystère de l'Eglise dans ses différentes
dimensions d'assemblée de Dieu dans le monde. Telle est la grandeur de l'Eglise
et la grandeur de notre appel: nous sommes temple de Dieu dans le monde,
lieu où Dieu habite réellement, et nous sommes, dans le même temps, communauté,
famille de Dieu dont Il est charité. Comme famille et maison de Dieu, nous
devons réaliser dans le monde la charité de Dieu et être ainsi avec la force
qui vient de la foi, le lieu et le signe de sa présence. Prions le Seigneur
afin qu'il nous concède d'être toujours davantage son Eglise, son Corps, le
lieu de la présence de sa charité dans notre monde et dans notre histoire.
* * *
Je salue tous les pèlerins
francophones présents aujourd’hui, en particulier ceux venus de France
métropolitaine, de l’Île de la Réunion et du Canada. Que votre prière auprès de
la tombe des apôtres Pierre et Paul affermisse votre amour de l’Église, Corps
du Christ. Bon pèlerinage à tous !
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
22 octobre 2008
Chers frères et sœurs,
Dans les catéchèses des
semaines dernières nous avons médité sur la "conversion" de saint
Paul, fruit de sa rencontre personnelle avec Jésus crucifié et ressuscité, et
nous nous sommes interrogés sur ce qu'a été la relation de l'apôtre des nations
avec Jésus terrestre. Aujourd'hui je voudrais parler de l'enseignement que
saint Paul nous a laissé sur le caractère central du Christ
ressuscité dans le mystère du salut, sur sa christologie. En vérité, Jésus
Christ ressuscité, "exalté au dessus de tous les noms", est au centre
de toutes ses réflexions. Le Christ est pour l'apôtre le critère d'évaluation
des événements et des choses, l'objectif de chaque effort qu'il accomplit pour
annoncer l'Evangile, la grande passion qui soutient ses pas sur les routes du
monde. Et il s'agit d'un Christ vivant, concret: le Christ - dit Paul -
"qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (Ga 2, 20). Cette personne
qui m'aime, avec laquelle je peux parler, qui m'écoute et me répond, telle est
réellement le principe pour comprendre le monde et pour trouver le chemin dans
l'histoire.
Celui qui a lu les écrits de
saint Paul sait bien qu'il ne s'est pas soucié de rapporter chacun des faits
qui composent la vie de Jésus, même si nous pouvons penser que dans ses
catéchèses il a raconté bien davantage sur Jésus pré-pascal que ce qu'il écrit
dans les Lettres, qui sont des avertissements dans des situations précises. Son
intention pastorale et théologique visait à un tel point à l'édification des
communautés naissantes, qu'il concentrait spontanément tout dans l'annonce de
Jésus Christ comme "Seigneur" vivant aujourd'hui et présent
aujourd'hui parmi les siens. D'où le caractère essentiel de la christologie
paulinienne, qui développe les profondeurs du mystère avec un souci constant et
précis: annoncer, bien sûr, Jésus vivant, son enseignement, mais annoncer
surtout la réalité centrale de sa mort et de sa résurrection, comme sommet de
son existence terrestre et racine du développement successif de toute la foi
chrétienne, de toute la réalité de l'Eglise. Pour l'apôtre, la résurrection
n'est pas un événement isolé, séparé de la mort: le Ressuscité est
toujours celui qui, auparavant, a été crucifié. Même ressuscité il porte ses
blessures: la passion est présente en Lui et l'on peut dire avec Pascal
qu'il est souffrant jusqu'à la fin du monde, tout en étant ressuscité et en
vivant avec nous et pour nous. Cette identité du Ressuscité avec le Christ
crucifié, Paul l'avait compris lors de la rencontre sur le chemin de
Damas: à cet instant-là, lui avait été clairement révélé que le Crucifié
est le Ressuscité et que le Ressuscité est le Crucifié, qui dit à Paul:
"Pourquoi me persécutes-tu?" (Ac 9, 4). Paul persécute le Christ dans
l'Eglise et comprend alors que la croix est une "une malédiction de
Dieu" (Dt 21, 23), mais un sacrifice pour notre rédemption.
L'apôtre contemple avec
fascination le secret caché du Crucifié-ressuscité et, à travers les
souffrances vécues par le Christ dans son humanité (dimension terrestre),
il remonte à cette existence éternelle dans laquelle Il ne fait qu'un avec le
Père (dimension pré-temporelle): "Mais lorsque les temps
furent accomplis - écrit-il -, Dieu a envoyé son Fils; il est né d'une femme,
il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient
sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils" (Ga 4, 4-5).
Ces deux dimensions, la préexistence éternelle auprès du Père et la
descente du Seigneur dans l'incarnation, s'annoncent déjà dans l'Ancien
Testament, dans la figure de la Sagesse. Nous trouvons dans les Livres sapientiaux
de l'Ancien Testament certains textes qui exaltent le rôle de la Sagesse
préexistante à la création du monde. C'est dans ce sens que doivent être lus
des passages comme celui du Psaume 90: "Avant que naissent les
montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi,
tu es Dieu" (v. 2); ou des passages comme celui qui parle de la Sagesse
créatrice: "Yahvé m'a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres
les plus anciennes. Dès l'éternité je fus établie, dès le principe, avant
l'origine de la terre" (Pr 8, 22-23). L'éloge de la Sagesse, contenu dans
le livre homonyme, est également suggestif: "Elle s'étend avec force
d'un bout du monde à l'autre et elle gouverne l'univers pour son bien" (Sg
8, 1).
Ces mêmes textes sapientiaux
qui parlent de la préexistence éternelle de la Sagesse, parlent également de la
descente, de l'abaissement de cette Sagesse, qui s'est créée une tente parmi
les hommes. Nous entendons ainsi déjà résonner les paroles de l'évangile de
Jean qui parle de la tente de la chair du Seigneur. Elle s'est créé une tente
dans l'Ancien Testament: là est indiqué le temple, le culte selon la
"Torah"; mais du point de vue du Nouveau Testament nous pouvons dire
que celle-ci n'était qu'une préfiguration de la tente bien plus réelle et
significative: la tente de la chair du Christ. Et nous voyons déjà dans
les Livres de l'Ancien Testament que cet abaissement de la Sagesse, sa descente
dans la chair, implique également la possibilité qu'elle soit refusée. Saint Paul,
en développant sa christologie, fait précisément référence à cette perspective
sapientielle: il reconnaît en Jésus la sagesse éternelle existant depuis
toujours, la sagesse qui descend et se crée une tente parmi nous et ainsi il
peut décrire le Christ, comme "puissance et sagesse de Dieu", il peut
dire que le Christ est devenu pour nous "par lui [Dieu] notre sagesse,
pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption" (1 Co 1,
24.30). De même, Paul explique que le Christ, de même que la Sagesse, peut être
refusé en particulier par les dominateurs de ce monde (cf. 1 Co 2, 6-9), si
bien que dans les desseins de Dieu peut se créer une situation paradoxale, la
croix, qui se retournera en chemin de salut pour tout le genre humain.
Un développement ultérieur de
ce cycle sapientiel, qui voit la Sagesse s'abaisser pour ensuite être exaltée
malgré le refus qu'on peut lui opposer, se trouve dans le célèbre hymne contenu
dans la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11). Il s'agit de l'un des
textes les plus élevés de tout le Nouveau Testament. La plus grande majorité
des exégètes s'accordent désormais à considérer que ce passage reproduit une
composition antérieure au texte de la Lettre aux Philippiens. Il s'agit
d'une donnée très importante, car cela signifie que le judéo-christianisme,
avant saint Paul, croyait dans la divinité de Jésus. En d'autres termes, la foi
dans la divinité de Jésus n'est pas une invention hellénistique, apparue bien
après la vie terrestre de Jésus, une invention qui, oubliant son humanité,
l'aurait divinisé; nous voyons en réalité que le premier judéo-christianisme
croyait en la divinité de Jésus, et nous pouvons même dire que les Apôtres
eux-mêmes, dans les grands moments de la vie de leur Maître, ont compris qu'Il
était le Fils de Dieu, comme le dit saint Pierre à Césarée de Philippes:
"Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16, 16). Mais revenons
à l'hymne de la Lettre aux Philippiens. La structure de ce texte peut
être articulée en trois strophes, qui illustrent les moments principaux du
parcours accompli par le Christ. Sa préexistence est exprimée par les
paroles: "lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé
bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu" (v. 6); suit
alors l'abaissement volontaire du Fils dans la deuxième strophe:
"mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de
serviteur" (v. 7), jusqu'à s'humilier lui-même "en devenant obéissant
jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix" (v. 8). La troisième strophe de
l'hymne annonce la réponse du Père à l'humiliation du Fils: "C'est
pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le nom qui surpasse
tous les noms" (v. 9). Ce qui frappe est le contraste entre l'abaissement
radical et la glorification successive dans la gloire de Dieu. Il est évident
que cette seconde strophe est en opposition avec la prétention d'Adam qui
voulait lui-même se faire Dieu, est en opposition également avec le geste des
bâtisseurs de la tour de Babel qui voulaient édifier seuls le pont vers le ciel
et devenir eux-mêmes des divinités. Mais cette initiative de l'orgueil s'acheva
dans l'autodestruction: ce n'est pas ainsi que l'on arrive au ciel, au
bonheur véritable, à Dieu. Le geste du Fils de Dieu est exactement le
contraire: non l'orgueil, mais l'humilité, qui est la réalisation de
l'amour et l'amour est divin. L'initiative d'abaissement, d'humilité radicale
du Christ, à laquelle s'oppose l'orgueil humain, est réellement l'expression de
l'amour divin; celle-ci est suivie par cette élévation au ciel vers laquelle
Dieu nous attire avec son amour.
Outre la Lettre aux
Philippiens, il y a d'autres passages de la littérature paulinienne où les
thèmes de la préexistence et de la descente du Fils de Dieu sur la terre sont
reliés entre eux. Une réaffirmation de l'assimilation entre Sagesse et Christ,
avec toutes les conséquences cosmiques et anthropologiques qui en découlent, se
retrouve dans la première Lettre à Timothée: "C'est le Christ
manifesté dans la chair, justifié par l'Esprit, apparu aux anges, proclamé chez
les païens, accueilli dans le monde par la foi, enlevé au ciel dans la
gloire" (3, 16). C'est surtout sur ces prémisses que l'on peut mieux
définir la fonction du Christ comme Médiateur unique, avec en toile de fond
l'unique Dieu de l'Ancien Testament (cf. 1 Tm 2, 5 en relation avec Is 43,
10-11; 44, 6). C'est le Christ le vrai pont qui nous conduit au ciel, à la
communion avec Dieu.
Et enfin quelques mots sur les
derniers développements de la christologie de saint Paul dans les Lettres
aux Colossiens et aux Ephésiens. Dans la première, le Christ est
qualifié de: "Premier né par rapport à toutes les créatures"
(1, 15-20). Ce terme de "Premier né" implique que le premier parmi
tant de fils, le premier parmi tant de frères et de sœurs est descendu pour
nous attirer à lui et faire de nous ses frères et sœurs. Dans la Lettre aux
Ephésiens nous trouvons une belle présentation du plan divin du salut,
lorsque Paul dit que dans le Christ Dieu voulait récapituler toute chose (cf.
Ep 1, 23). Le Christ est la récapitulation de toutes les choses, il résume
toutes choses et nous guide vers Dieu. Et ainsi il nous implique dans un
mouvement de descente et de montée, en nous invitant à participer à son
humilité, c'est-à-dire à son amour envers le prochain, pour participer ainsi
également de sa glorification en devenant comme lui fils dans le Fils. Prions
le Seigneur afin qu'il nous aide à nous conformer à son humilité, à son amour,
pour qu'il nous soit ainsi permis de participer de sa divinisation.
* * *
Je suis heureux de vous
accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement le groupe du
diocèse d’Aire et Dax, ainsi que tous les pèlerins des paroisses et collèges de
Suisse et de France. En cette année paulinienne, que votre pèlerinage à Rome
soit pour vous l’occasion de redécouvrir l’enseignement de l’Apôtre des Nations
qui nous invite à approfondir toujours plus notre connaissance et notre amour
du Christ. Que Dieu vous bénisse !
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
29 octobre 2008
Chers frères et sœurs,
Dans l'expérience personnelle
de saint Paul se trouve un fait incontestable: alors qu'au début il avait
été un persécuteur et avait utilisé la violence contre les chrétiens, à partir
du moment de sa conversion sur le chemin de Damas, il passa du côté du Christ
crucifié, en faisant de celui-ci la raison de sa vie et le motif de sa
prédication. Son existence fut entièrement dépensée pour les âmes (cf. 2 Co 12,
15), et ne fut pas du tout calme ni à l'abri des embûches et des difficultés.
Lors de sa rencontre avec Jésus lui était clairement apparue la signification
centrale de la Croix: il avait compris que Jésus était mort et était
ressuscité pour tous et pour lui-même. Les deux choses étaient importantes;
l'universalité: Jésus est mort réellement pour tous, et la
subjectivité: Il est mort également pour moi. Dans la Croix s'était donc
manifesté l'amour gratuit et miséricordieux de Dieu. C'est tout d'abord en lui-même
que Paul fit l'expérience de cet amour (cf. Ga 2, 20), et de pécheur il devint
croyant, de persécuteur apôtre. Jour après jour, dans sa nouvelle vie, il se
rendait compte que le salut est "grâce", que tout provient de la mort
du Christ et non de ses mérites, qui du reste n'existaient pas.
L'"évangile de la grâce" devint ainsi pour lui l'unique façon de
comprendre la Croix, non seulement le critère de sa nouvelle existence, mais
aussi la réponse à ses interlocuteurs. Parmi ceux-ci se trouvaient tout d'abord
les juifs, qui plaçaient leur espérance dans les œuvres et en espéraient le
salut; il y avait ensuite les grecs, qui opposaient leur sagesse humaine à la
Croix; et enfin il y avait des groupes d'hérétiques qui s'étaient formé leur
propre idée du christianisme selon leur modèle de vie.
Pour saint Paul, la Croix a un
primat fondamental dans l'histoire de l'humanité; elle représente le point
central de sa théologie, car dire Croix signifie dire salut comme grâce donnée
à chaque créature. Le thème de la Croix du Christ devient un élément essentiel
et primordial de la prédication de l'Apôtre: l'exemple le plus clair
concerne la communauté de Corinthe. Face à une Eglise où étaient présents de
manière préoccupante des désordres et des scandales, où la communion était
menacée par des partis et des divisions internes qui fissuraient l'unité du
Corps du Christ, Paul se présente non pas avec une sublimité de parole ou de
sagesse, mais avec l'annonce du Christ, du Christ crucifié. Sa force n'est pas
le langage persuasif mais, paradoxalement, la faiblesse et l'impatience de
celui qui ne se remet qu'à la "puissance de Dieu" (cf. 1 Co 2, 1-4).
La Croix, en raison de tout ce qu'elle représente, et donc également en raison
du message théologique qu'elle contient, est scandale et folie. L'apôtre
l'affirme avec une force impressionnante, qu'il est bon d'écouter avec ses
propres paroles: "Car le langage de la Croix est folie pour ceux qui
vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il
est puissance de Dieu (...) il a plu a Dieu de sauver les croyants par cette
folie qu'est la proclamation de l'Evangile. Alors que les Juifs réclament les
signes du Messie, et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous
proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les
païens" (1 Co 1, 18-23).
Les premières communautés
chrétiennes auxquelles Paul s'adresse, savent très bien que Jésus est désormais
ressuscité et vivant; l'apôtre veut rappeler non seulement aux Corinthiens et
aux Galates, mais à nous tous que le Ressuscité est toujours Celui qui a été
crucifié. Le "scandale" et la "folie" de la Croix se
trouvent précisément dans le fait que, là où il semble n'y avoir qu'échec,
douleur, défaite, précisément là se trouve toute la puissance de l'Amour infini
de Dieu, car la Croix est expression d'amour et l'amour est la vraie puissance
qui se révèle justement dans cette faiblesse apparente. Pour les juifs, la
Croix est skandalon, c'est-à-dire piège ou pierre d'achoppement:
elle semble faire obstacle à la foi du juif religieux qui ne trouve rien de
semblable dans les Saintes Ecritures. Paul, avec beaucoup de courage, semble
dire ici que l'enjeu est très élevé: pour les juifs, la Croix contredit
l'essence même de Dieu, qui s'est toujours manifesté à travers des signes
prodigieux. Accepter la Croix du Christ signifie donc accomplir une profonde
conversion dans la manière de se rapporter à Dieu. Si pour les juifs, le motif
du refus de la Croix se trouve dans la Révélation, c'est-à-dire la fidélité au
Dieu des Pères, pour les Grecs, c'est-à-dire les païens, le critère de jugement
pour s'opposer à la Croix est la raison. Pour ce dernier, en effet, la Croix
est moría, folie, littéralement insipidité, c'est-à-dire une
nourriture sans sel; non pas une erreur, donc, mais une insulte au bon sens.
A plus d'une occasion,
Paul lui-même fit l'amère expérience du refus de l'annonce chrétienne jugée
"insipide", sans importance, pas même digne d'être prise en
considération sur le plan de la logique rationnelle. Pour ceux qui, comme les
grecs, voyaient la perfection dans l'esprit, dans la pensée pure, il était déjà
inacceptable que Dieu puisse devenir un homme, en acceptant toutes les limites
de l'espace et du temps. Ensuite, croire qu'un Dieu puisse finir sur une Croix
était décidément inconcevable! Et nous voyons que cette logique grecque est
également la logique commune de notre temps. Le concept d'apátheia,
indifférence, comme absence de passions en Dieu, aurait-il pu comprendre un
Dieu devenu homme et vaincu, qui aurait ensuite repris son corps pour vivre
comme ressuscité? "Sur cette question nous t'écouterons une autre
fois" (Ac 17, 32) dirent de manière méprisante les Athéniens à Paul,
lorsqu'ils entendirent parler de résurrection des morts. Ils considéraient
comme perfection de se libérer du corps, conçu comme une prison; comment ne pas
considérer une aberration de reprendre son corps? Dans la culture antique il ne
semblait pas y avoir de place pour le message du Dieu incarné; tout l'événement
"Jésus de Nazareth" semblait être caractérisé par la plus totale
insipidité et la Croix en était certainement le point le plus emblématique.
Mais pourquoi saint Paul a-t-il fait précisément de la parole de la Croix le point fondamental de sa prédication? La réponse n'est pas difficile: la Croix révèle "la puissance de Dieu" (cf. 1 Co 1, 24) qui est différente du pouvoir humain; elle révèle en effet son amour: "La folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme" (ibid., v. 25). A des siècles de distance de Paul, nous voyons que c'est la Croix, et non la sagesse qui s'oppose à la Croix, qui a gagné dans l'histoire. Le Crucifié est sagesse, car il manifeste vraiment qui est Dieu, c'est-à-dire la puissance d'amour qui arrive jusqu'à la Croix pour sauver l'homme. Dieu utilise des méthodes et des instruments qui, à première vue, ne nous semblent que faiblesse. Le Crucifié révèle, d'une part, la faiblesse de l'homme et, de l'autre, la véritable puissance de Dieu, c'est-à-dire la gratuité de l'amour: c'est précisément cette gratuité totale de l'amour qui est la véritable sagesse. Une fois encore saint Paul en a fait l'expérience jusque dans sa chair et il en témoigne dans différents passages de son parcours spirituel, devenus des points de référence précis pour chaque disciple de Jésus: "Ma grâce te suffit: ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co 12, 9); et aussi: "Ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort" (1 Co 1, 28). L'apôtre s'identifie à tel point avec le Christ que lui aussi, malgré les nombreuses épreuves, vit dans la foi du Fils de Dieu qui l'a aimé et s'est donné lui-même pour ses péchés et pour ceux de tous (cf. Ga 1, 4; 2, 20). Ce fait autobiographique de l'Apôtre devient un paradigme pour nous tous.
Saint Paul a offert une admirable synthèse de la théologie de la Croix dans la deuxième Lettre aux Corinthiens (5, 14-21), où tout est contenu dans deux affirmations fondamentales: d'une part le Christ, que Dieu a identifié pour nous au péché (v. 21), est mort pour tous (v. 14); de l'autre, Dieu nous a réconciliés avec lui en ne nous comptant pas nos péchés (vv. 18-20). C'est par ce "ministère de la réconciliation" que chaque esclavage est désormais racheté (cf. 1 Co 6, 20; 7, 23). Il apparaît ici comme tout cela est important pour notre vie. Nous aussi nous devons entrer dans ce "ministère de la réconciliation" qui implique toujours le renoncement à sa propre supériorité et le choix de la folie de l'amour. Saint Paul a renoncé à sa vie en se donnant totalement pour le ministère de la réconciliation, de la Croix qui est salut pour nous tous. Et nous aussi devons savoir le faire: nous pouvons justement trouver notre force dans l'humilité de l'amour et notre sagesse dans la faiblesse de renoncer pour entrer ainsi dans la force de Dieu. Nous devons tous former notre vie sur cette véritable sagesse: ne pas vivre pour nous-mêmes, mais vivre dans la foi en ce Dieu dont nous pouvons tous dire: "Il m'a aimé et s'est donné pour moi".
Mais pourquoi saint Paul a-t-il fait précisément de la parole de la Croix le point fondamental de sa prédication? La réponse n'est pas difficile: la Croix révèle "la puissance de Dieu" (cf. 1 Co 1, 24) qui est différente du pouvoir humain; elle révèle en effet son amour: "La folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme" (ibid., v. 25). A des siècles de distance de Paul, nous voyons que c'est la Croix, et non la sagesse qui s'oppose à la Croix, qui a gagné dans l'histoire. Le Crucifié est sagesse, car il manifeste vraiment qui est Dieu, c'est-à-dire la puissance d'amour qui arrive jusqu'à la Croix pour sauver l'homme. Dieu utilise des méthodes et des instruments qui, à première vue, ne nous semblent que faiblesse. Le Crucifié révèle, d'une part, la faiblesse de l'homme et, de l'autre, la véritable puissance de Dieu, c'est-à-dire la gratuité de l'amour: c'est précisément cette gratuité totale de l'amour qui est la véritable sagesse. Une fois encore saint Paul en a fait l'expérience jusque dans sa chair et il en témoigne dans différents passages de son parcours spirituel, devenus des points de référence précis pour chaque disciple de Jésus: "Ma grâce te suffit: ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co 12, 9); et aussi: "Ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort" (1 Co 1, 28). L'apôtre s'identifie à tel point avec le Christ que lui aussi, malgré les nombreuses épreuves, vit dans la foi du Fils de Dieu qui l'a aimé et s'est donné lui-même pour ses péchés et pour ceux de tous (cf. Ga 1, 4; 2, 20). Ce fait autobiographique de l'Apôtre devient un paradigme pour nous tous.
Saint Paul a offert une admirable synthèse de la théologie de la Croix dans la deuxième Lettre aux Corinthiens (5, 14-21), où tout est contenu dans deux affirmations fondamentales: d'une part le Christ, que Dieu a identifié pour nous au péché (v. 21), est mort pour tous (v. 14); de l'autre, Dieu nous a réconciliés avec lui en ne nous comptant pas nos péchés (vv. 18-20). C'est par ce "ministère de la réconciliation" que chaque esclavage est désormais racheté (cf. 1 Co 6, 20; 7, 23). Il apparaît ici comme tout cela est important pour notre vie. Nous aussi nous devons entrer dans ce "ministère de la réconciliation" qui implique toujours le renoncement à sa propre supériorité et le choix de la folie de l'amour. Saint Paul a renoncé à sa vie en se donnant totalement pour le ministère de la réconciliation, de la Croix qui est salut pour nous tous. Et nous aussi devons savoir le faire: nous pouvons justement trouver notre force dans l'humilité de l'amour et notre sagesse dans la faiblesse de renoncer pour entrer ainsi dans la force de Dieu. Nous devons tous former notre vie sur cette véritable sagesse: ne pas vivre pour nous-mêmes, mais vivre dans la foi en ce Dieu dont nous pouvons tous dire: "Il m'a aimé et s'est donné pour moi".
* * *
Je suis heureux de saluer les
évêques et les séminaristes de Basse-Normandie, les évêques et prêtres qui
guident différents pèlerinages diocésains et paroissiaux français et suisse. Je
salue plus particulièrement le pèlerinage diocésain de l'enseignement
catholique de Soisson, les différents groupes présents, les confirmés adultes,
et surtout les jeunes et collégiens, ainsi que les servants de Messe des
diocèses du Mans et de Metz, et de la paroisse de Dompierre en Suisse.
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Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
5 novembre 2008
Chers frères et sœurs,
"Et si le Christ n'est
pas ressuscité, notre message est sans objet, et votre foi est sans objet (...)
vous n'êtes pas libérés de vos péchés" (1 Co 15, 14.17). Avec ces
puissantes paroles de la première Lettre aux Corinthiens, saint Paul
fait comprendre quelle importance décisive il attribue à la résurrection de
Jésus. Dans cet événement, en effet, se trouve la solution du problème posé par
le drame de la Croix. A elle seule, la Croix ne pourrait pas expliquer la foi
chrétienne, elle resterait même une tragédie, l'indication de l'absurdité de l'être.
Le mystère pascal consiste dans le fait que ce Crucifié "est ressuscité le
troisième jour conformément aux Ecritures" (1 Co 15, 4)- c'est ce
qu'atteste la tradition proto-chrétienne. C'est là que se trouve la clef de
voûte de la christologie paulinienne: tout tourne autour de ce centre de
gravité. Tout l'enseignement de l'apôtre Paul part de et arrive toujours
au mystère de Celui que le Père a ressuscité de la mort. La résurrection
est une donnée fondamentale, une sorte d'axiome préalable (cf. 1 Co 15,
12), à partir duquel Paul peut formuler son annonce (kerygma)
synthétique: Celui qui a été crucifié, et qui a ainsi manifesté l'immense
amour de Dieu pour l'homme, est ressuscité et il est vivant parmi nous.
Il est important de saisir le
lien entre l'annonce de la résurrection, telle que Paul la formule, et celle en
usage dans les premières communautés chrétiennes pré-pauliniennes. On peut
véritablement voir ici l'importance de la tradition qui précède l'Apôtre et
qu'avec un grand respect et attention il veut à son tour transmettre. Le texte
sur la résurrection, contenu dans le chapitre 15, 1-11 de la première Lettre
aux Corinthiens, met bien en évidence le lien entre "recevoir" et
"transmettre". Saint Paul attribue une grande importance à la
formulation littérale de la tradition; au terme du passage examiné, il
souligne: "Bref, qu'il s'agisse de moi ou des autres, voilà notre
message" (1 Co 15, 11), mettant ainsi en lumière l'unité du kerygma,
de l'annonce pour tous les croyants et pour tous ceux qui annonceront la
résurrection du Christ. La tradition à laquelle il se rattache est la
source à laquelle il puise. L'originalité de sa christologie ne se fait jamais
au détriment de la fidélité à la tradition. Le kerygma des Apôtres
préside toujours à la réélaboration personnelle de Paul; chacun de ses
arguments part de la tradition commune, dans laquelle s'exprime la foi partagée
par toutes les Eglises qui sont une seule Eglise. Et ainsi saint Paul offre un
modèle pour tous les temps sur la manière de faire de la théologie et de
prêcher. Le théologien, le prédicateur, ne crée pas de nouvelles visions du
monde et de la vie, mais il est au service de la vérité transmise, au service
du fait réel du Christ, de la Croix, de la résurrection. Sa tâche est de nous aider
à comprendre aujourd'hui, derrière les paroles anciennes, la réalité du
"Dieu avec nous", et donc la réalité de la vraie vie.
Il est ici opportun de
préciser: saint Paul, en annonçant la résurrection, ne se soucie pas d'en
présenter une exposition doctrinale organique - il ne veut pas écrire une sorte
de manuel de théologie -, mais il affronte le thème en répondant à des doutes
et à des questions concrètes qui lui étaient présentés par les fidèles; un
discours d'occasion donc, mais rempli de foi et de théologie vécue. On y trouve
une concentration sur l'essentiel: nous avons été "justifiés",
c'est-à-dire rendus justes, sauvés, par le Christ mort et ressuscité pour
nous. Le fait de la résurrection apparaît tout d'abord, sans lequel la
vie chrétienne serait tout simplement absurde. En ce matin de Pâques, eut lieu
quelque chose d'extraordinaire, de nouveau et, dans le même temps, de très
concret, caractérisé par des signes bien précis, enregistrés par de nombreux
témoins. Pour Paul aussi, comme pour les autres auteurs du Nouveau Testament,
la résurrection est liée au témoignage de celui qui a fait une
expérience directe du Ressuscité. Il s'agit de voir et de sentir non seulement
avec les yeux ou avec les sens, mais également avec une lumière intérieure qui
pousse à reconnaître ce que les sens extérieurs attestent comme un fait
objectif. Paul accorde donc - comme les quatre Evangiles - une importance
fondamentale au thème des apparitions, qui sont la condition
fondamentale pour la foi dans le Ressuscité qui a laissé la tombe vide. Ces
deux faits sont importants: la tombe est vide et Jésus est
apparu réellement. Ainsi se constitue cette chaîne de la tradition qui, à
travers le témoignage des Apôtres et des premiers disciples, parviendra aux
générations successives, jusqu'à nous. La première conséquence, ou la première
manière d'exprimer ce témoignage, est de prêcher la résurrection du Christ
comme synthèse de l'annonce évangélique et comme point culminant d'un
itinéraire salvifique.
Paul effectue tout cela en
plusieurs occasions: on peut consulter les Lettres et les Actes des
apôtres, où l'on voit toujours que le point essentiel pour lui est d'être
témoin de la résurrection. Je ne voudrais citer qu'un seul texte: Paul,
arrêté à Jérusalem, se trouve devant le sanhédrin en tant qu'accusé. En cette
circonstance, dans laquelle est en jeu pour lui la mort ou la vie, il indique
quel est le sens et le contenu de toute sa prédication: "C'est à
cause de notre espérance en la résurrection des morts que je passe en jugement"
(Ac 23, 6). Paul répète sans cesse ce même refrain dans ses Lettres (cf.
1 Th 1, 9sq; 4, 13-18; 5, 10), dans lesquelles il fait aussi appel à son
expérience personnelle, à sa rencontre personnelle avec le Christ ressuscité
(cf. Ga 1, 15-16; 1 Co 9, 1).
Mais nous pouvons nous
demander: quel est pour saint Paul le sens profond de l'événement de la
résurrection de Jésus? Que nous dit-il à nous, deux mille ans plus tard?
L'affirmation "le Christ est ressuscité", est-elle actuelle pour nous
également? Pourquoi la résurrection est-elle pour lui et pour nous aujourd'hui
un thème aussi déterminant? Paul donne solennellement une réponse à cette
question au début de la Lettre aux Romains, où il commence en
disant: "Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils: selon la
chair, il est né de la race de David, selon l'Esprit qui sanctifie, il a été
établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d'entre les
morts" (Rm 1, 3-4). Paul sait bien, et il le dit de nombreuses fois, que
Jésus a toujours été le Fils de Dieu, dès le moment de son incarnation. La
nouveauté de la résurrection consiste dans le fait que Jésus, élevé de
l'humilité de son existence terrestre, est constitué Fils de Dieu "dans sa
puissance". Jésus, humilié jusqu'à la mort sur la croix, peut à présent
dire aux Onze: "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la
terre" (Mt 28, 18). Ce que dit le Psaume 2, 8 s'est réalisé:
"Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre
tout entière". C'est pourquoi avec la résurrection commence l'annonce de
l'Evangile du Christ à tous les peuples - commence le Royaume du Christ, ce
nouveau Royaume qui ne connaît d'autre pouvoir que celui de la vérité et de
l'amour. La résurrection révèle donc définitivement quelle est l'identité authentique
et la stature extraordinaire du Crucifié. Une dignité incomparable et très
élevée: Jésus est Dieu! Pour saint Paul, l'identité secrète de
Jésus se révèle dans le mystère de la résurrection plus encore que dans
l'incarnation. Alors que le titre de Christ, c'est-à-dire de
"Messie", "Oint", tend chez saint Paul à devenir le nom
propre de Jésus et celui de Seigneur spécifie son rapport personnel avec
les croyants, à présent le titre de Fils de Dieu vient illustrer la
relation intime de Jésus avec Dieu, une relation qui se révèle pleinement dans
l'événement pascal. On peut donc dire que Jésus est ressuscité pour être le
Seigneur des morts et des vivants (cf. Rm 14, 9; et 2 Co 5, 15) ou, en
d'autres termes, notre Sauveur (cf. Rm 4, 25).
Tout cela comporte
d'importantes conséquences pour notre vie de foi: nous sommes appelés à
participer jusqu'au plus profond de notre être à tout l'événement de la mort et
de la résurrection du Christ. L'Apôtre dit: nous sommes "passés par
la mort avec le Christ" et nous croyons que "nous vivrons aussi avec
lui. Nous le savons en effet: ressuscité d'entre les morts, le Christ ne
meurt plus; sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir" (Rm 6, 8-9). Cela se
traduit par un partage des souffrances du Christ, qui prélude à cette pleine
configuration avec Lui à travers la résurrection, à laquelle nous aspirons dans
l'espérance. C'est ce qui est arrivé également à saint Paul, dont l'expérience
personnelle est décrite dans les Lettres avec des accents à la fois
poignants et réalistes: "Il s'agit de connaître le Christ,
d'éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de
sa passion, en reproduisant en moi sa mort, dans l'espoir de parvenir, moi
aussi, à ressusciter d'entre les morts" (Ph 3, 10-11; cf. 2 Tm 2, 8-12).
La théologie de la Croix n'est pas une théorie - elle est la réalité de la vie
chrétienne. Vivre dans la foi en Jésus Christ, vivre la vérité et l'amour
implique des renoncements quotidiens, implique des souffrances. Le
christianisme n'est pas la voie de la facilité; il est plutôt une ascension
exigeante, cependant éclairée par la lumière du Christ et par la grande
espérance qui naît de Lui. Saint Augustin dit: aux chrétiens n'est pas
épargnée la souffrance, au contraire ils leur en revient en peu plus en
partage, parce que vivre la foi exprime le courage d'affronter la vie et
l'histoire plus en profondeur. Toutefois, ce n'est qu'ainsi, en faisant
l'expérience de la souffrance, que nous connaissons la vie dans sa profondeur,
dans sa beauté, dans la grande espérance suscitée par le Christ crucifié et
ressuscité. Le croyant se trouve donc placé entre deux pôles: d'un côté,
la résurrection qui d'une certaine manière est déjà présente et à l'oeuvre en
nous (cf. Col 3, 1-4; Ep 2, 6); de l'autre, l'urgence de s'insérer dans ce
processus qui conduit tout et tous vers la plénitude, décrite dans la Lettre
aux Romains avec une image hardie: de même que toute la création
gémit et souffre des douleurs de l'enfantement, nous aussi nous gémissons dans
l'attente de la rédemption de notre corps, de notre rédemption et résurrection
(cf. Rm 8, 18-23).
En résumé, nous pouvons dire
avec Paul que le véritable croyant obtient le salut en professant par sa bouche
que Jésus est le Seigneur et en croyant avec son coeur que Dieu l'a
ressuscité des morts (cf. Rm 10, 9). Avant tout, ce qui est important,
c'est le coeur qui croit dans le Christ et qui dans la foi "touche"
le Ressuscité; mais il ne suffit pas de porter la foi dans son coeur, nous
devons la confesser, en témoigner par notre bouche, par notre vie, en rendant
ainsi présente la vérité de la croix et de la résurrection dans notre histoire.
En effet, de cette manière le chrétien s'insère dans le processus grâce auquel
le premier Adam, terrestre et sujet à la corruption et à la mort, se transforme
progressivement en dernier Adam, céleste et incorruptible (cf. 1 Co 15,
20-22.42-49). Ce processus a commencé avec la résurrection du Christ, dans
laquelle se fonde donc l'espérance de pouvoir un jour entrer nous aussi avec le
Christ dans notre véritable patrie qui est aux Cieux. Soutenus par cette
espérance, nous poursuivons avec courage et avec joie.
* * *
Je salue tous les pèlerins
francophones présents aujourd’hui, en particulier les jeunes du collège
Notre-Dame de Bourbourg ainsi que les pèlerins du diocèse de Montpellier.
Puisse la résurrection du Christ être votre espérance et orienter tous vos
choix et votre vie vers les biens que Dieu promet. Bon pèlerinage à tous !
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
12 novembre 2008
Chers frères et sœurs,
Le thème de la résurrection,
sur lequel nous nous sommes arrêtés la semaine dernière, ouvre une nouvelle
perspective, celle de l'attente du retour du Seigneur, et nous conduit donc à
réfléchir sur le rapport entre le temps présent, temps de l'Eglise et du
Royaume du Christ, et l'avenir (éschaton) qui nous attend, lorsque le
Christ remettra le Royaume au Père (cf. 1 Co 15, 24). Chaque discours
chrétien sur les choses ultimes, appelé eschatologie, part toujours de
l'événement de la résurrection: dans cet événement les choses ultimes
sont déjà commencées et, dans un certain sens, déjà présentes.
C'est probablement en l'an 52
que Paul a écrit la première de ses lettres, la première Lettre aux
Thessaloniciens, où il parle de ce retour de Jésus, appelé parousie,
avent, présence nouvelle, définitive et manifeste (cf. 4, 13-18). Aux
Thessaloniciens, qui ont leurs doutes et leurs problèmes, l'Apôtre écrit
ainsi: "Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité; de même,
nous le croyons, ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les
emmènera avec son Fils" (4, 14). Et il poursuit: "Les morts
unis au Christ ressusciteront d'abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui
sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps
qu'eux, à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le
Seigneur" (4, 16-17). Paul décrit la parousie du Christ avec un ton
très vif et avec des images symboliques qui transmettent cependant un message
simple et profond: à la fin nous serons toujours avec le Seigneur. Tel
est, au-delà des images, le message essentiel: notre avenir est
"être avec le Seigneur"; en tant que croyants dans notre vie nous sommes
déjà avec le Seigneur; notre avenir, la vie éternelle, est déjà commencé.
Dans la deuxième Lettre aux
Thessaloniciens Paul change la perspective; il parle des événements
négatifs qui devront précéder l'événement final et conclusif. Il ne faut pas se
laisser tromper - dit-il - comme si le jour du Seigneur était vraiment
imminent, selon un calcul chronologique: "Frères, nous voulons vous
demander une chose, au sujet de notre Seigneur Jésus Christ et de notre
rassemblement auprès de lui: si on nous attribue une révélation, une
parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n'allez pas
aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. Ne laissez personne vous
égarer d'aucune manière" (2, 1-3). La suite de ce texte annonce qu'avant
l'arrivée du Seigneur il y aura l'apostasie et que devra se révéler
"l'homme de l'impiété", le "fils de perdition" (2, 3), qui
n'est pas mieux défini et que la tradition appellera par la suite l'antéchrist.
Mais l'intention de cette lettre de saint Paul est avant tout pratique; il
écrit: "Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cette
consigne: si quelqu'un ne veut pas travailler qu'il ne mange pas non
plus. Or, nous apprenons que certains parmi vous vivent dans l'oisiveté,
affairés sans rien faire. A ceux-la nous adressons dans le Seigneur Jésus
Christ cet ordre et cet appel: qu'ils travaillent dans le calme pour
manger le pain qu'ils auront gagné" (3, 10-12). En d'autres termes,
l'attente de la parousie de Jésus ne dispense pas de l'engagement dans
ce monde, mais au contraire crée une responsabilité devant le Juge divin à
propos de nos actions dans ce monde. C'est justement ainsi que grandit notre
responsabilité de travailler dans et pour ce monde. Nous verrons
la même chose dimanche prochain dans l'évangile des talents, où le Seigneur
nous dit qu'il nous a confié des talents à tous et que le Juge en demandera des
comptes en disant: Avez-vous porté du fruit? L'attente du retour implique
donc une responsabilité pour ce monde.
La même chose et le même lien
entre parousie - retour du Juge/Sauveur - et notre engagement dans notre
vie apparaît dans un autre contexte et sous de nouveaux aspects dans la Lettre
aux Philippiens. Paul est en prison et attend la sentence qui peut le
condamner à mort. Dans cette situation il pense à sa future présence auprès du
Seigneur, mais il pense aussi à la communauté de Philippes qui a besoin de son
père, de Paul, et écrit: "En effet, pour moi, vivre c'est le Christ,
et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un
travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les
deux: je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien
cela le meilleur; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus
nécessaire. J'en suis fermement convaincu; je sais donc que je resterai, et que
je continuerai à être avec vous tous pour votre progrès et votre joie dans la
foi. Ainsi, quand je serai de retour parmi vous, vous aurez en moi un nouveau
motif d'orgueil dans le Christ Jésus" (1, 21-26). Paul n'a pas peur de la
mort, au contraire: elle implique en effet d'être complètement avec le
Christ. Mais Paul participe également des sentiments du Christ, qui n'a pas
vécu pour lui-même, mais pour nous. Vivre pour les autres devient le programme
de sa vie et démontre ainsi sa disponibilité parfaite à la volonté de Dieu, à
ce que Dieu décidera. Il est surtout disponible, même à l'avenir, à vivre sur
cette terre pour les autres, à vivre pour le Christ, à vivre pour sa présence
vivante et ainsi pour le renouveau du monde. Nous voyons que cette présence
auprès du Christ crée une grande liberté intérieure: liberté devant la
menace de la mort, mais liberté aussi face à tous les engagements et toutes les
souffrances de la vie. Il est simplement disponible pour Dieu et réellement
libre.
Et interrogeons nous à
présent, après avoir examiné les différents aspects de l'attente de la parousie
du Christ: quelles sont les attitudes fondamentales du chrétien face aux
choses ultimes: la mort, la fin du monde? La première attitude est la
certitude que Jésus est ressuscité, est avec le Père et est ainsi justement
avec nous, pour toujours. Et personne n'est plus fort que le Christ, parce
qu'il est avec le Père, parce qu'il est avec nous. Nous nous sentons ainsi plus
sûrs, libérés de la peur. Cela était un effet essentiel de la prédication
chrétienne. La peur des esprits, des divinités était répandue dans tout le
monde antique. Et aujourd'hui également les missionnaires trouvent la peur des esprits,
des puissance négatives qui nous menacent, mêlés à de nombreux éléments
positifs des religions naturelles. Le Christ vit, a vaincu la mort et a vaincu
tous ces pouvoirs. Nous vivons dans cette certitude, dans cette liberté, dans
cette joie. C'est le premier aspect de notre vie concernant l'avenir.
En deuxième lieu la certitude que le Christ est avec moi. Et comme dans le Christ le monde à venir est déjà commencé, cela nous donne aussi la certitude de l'espérance. L'avenir n'est pas un trou noir dans lequel personne ne s'oriente. Il n'en est pas ainsi. Sans le Christ, l'avenir est sombre même pour le monde d'aujourd'hui, il y a une grande crainte de l'avenir. Le chrétien sait que la lumière du Christ est plus forte, aussi vit-il dans une espérance qui n'est pas vague, dans une espérance qui donne de l'assurance et du courage pour affronter l'avenir.
En deuxième lieu la certitude que le Christ est avec moi. Et comme dans le Christ le monde à venir est déjà commencé, cela nous donne aussi la certitude de l'espérance. L'avenir n'est pas un trou noir dans lequel personne ne s'oriente. Il n'en est pas ainsi. Sans le Christ, l'avenir est sombre même pour le monde d'aujourd'hui, il y a une grande crainte de l'avenir. Le chrétien sait que la lumière du Christ est plus forte, aussi vit-il dans une espérance qui n'est pas vague, dans une espérance qui donne de l'assurance et du courage pour affronter l'avenir.
Enfin, la troisième attitude.
Le Juge qui revient - il est juge et sauveur en même temps - nous a laissé
l'engagement de vivre dans ce monde selon son mode de vie. Il nous a remis ses
talents. Aussi notre troisième attitude est-elle: une responsabilité pour
le monde, pour nos frères face au Christ, et en même temps également une
certitude de sa miséricorde. Les deux choses sont importantes. Nous ne vivons
pas comme si le bien et le mal étaient égaux, parce que Dieu seul peut être
miséricordieux. Il serait trompeur de dire cela. En réalité, nous vivons dans
une grande responsabilité. Nous avons nos talents, nous sommes chargés de
travailler pour que ce monde s'ouvre au Christ, soit renouvelé. Mais même en
travaillant et en sachant dans notre responsabilité que Dieu est un vrai juge,
nous sommes également certains que ce juge est bon, nous connaissons son
visage, le visage du Christ ressuscité, du Christ crucifié pour nous. Aussi
pouvons-nous être sûrs de sa bonté et aller de l'avant avec un grand
courage.
Un autre élément de
l'enseignement paulinien concernant l'eschatologie est celui de l'universalité
de l'appel à la foi, qui réunit les Juifs et les Gentils, c'est-à-dire les
païens, comme signe et anticipation de la réalité future, ce qui nous
permet de dire que nous siégeons déjà dans les cieux avec Jésus Christ, mais
pour montrer dans les siècles futurs la richesse de la grâce (cf. Ep 2,
6sq): l'après devient un avant pour mettre en évidence
l'état de début de réalisation dans lequel nous vivons. Cela rend tolérables
les souffrances du moment présent, qui ne sont cependant pas comparables à la
gloire future (cf. Rm 8, 18). Nous marchons dans la foi et non dans une
vision, et même s'il était préférable de partir en exil du corps et d'habiter
auprès du Seigneur, ce qui compte en définitive, que l'on demeure dans le corps
ou que l'on en sorte, est qu'on Lui soit agréables (cf. 2 Co 5, 7-9).
Enfin, un dernier point qui
peut nous paraître un peu difficile. Saint Paul en conclusion de sa première Lettre
aux Corinthiens, répète et fait dire aux Corinthiens une prière née dans
les premières communautés chrétiennes de la région palestinienne: Maranà,
thà! qui signifie littéralement "Notre Seigneur, viens!" (16,
22). C'était la prière de la première chrétienté et le dernier livre du Nouveau
Testament, l'Apocalypse, se termine lui aussi par cette prière:
"Seigneur, viens!". Pouvons-nous nous aussi prier ainsi? Il me semble
que pour nous aujourd'hui, dans notre vie, dans notre monde, il est difficile
de prier sincèrement pour que périsse ce monde, pour que vienne la nouvelle
Jérusalem, pour que vienne le jugement dernier et le juge, le Christ. Je pense
que si sincèrement nous n'osons pas prier ainsi pour de nombreux motifs, nous
pouvons cependant également dire d'une manière juste et correcte, avec la
première chrétienté: "Viens, Seigneur Jésus!". Bien sûr nous ne
voulons pas qu'arrive la fin du monde. Mais d'autre part, nous voulons
également que se termine ce monde injuste. Nous voulons également que le monde
soit fondamentalement changé, que commence la civilisation de l'amour,
qu'arrive un monde de justice, de paix, sans violence, sans faim. Nous voulons
tout cela: et comment cela pourrait-il arriver sans la présence du
Christ? Sans la présence du Christ, un monde réellement juste et renouvelé
n'arrivera jamais. Et même si d'une autre manière, totalement et en profondeur,
nous pouvons et nous devons dire nous aussi, avec une grande urgence dans les
circonstances de notre époque: Viens, Seigneur! Viens à ta manière, selon
les manières que tu connais. Viens où règnent l'injustice et la violence. Viens
dans les camps de réfugiés, au Darfour, au Nord-Kivu, dans de nombreuses
parties du monde. Viens où règne la drogue. Viens également parmi ces riches
qui t'ont oublié, qui vivent seulement pour eux-mêmes. Viens là où tu n'es pas
connu. Viens à ta manière et renouvelle le monde d'aujourd'hui. Viens également
dans nos cœurs, viens et renouvelle notre vie, viens dans notre cœur pour que
nous-mêmes puissions devenir lumière de Dieu, ta présence. Prions en ce sens
avec saint Paul: Maranà, thà! "Viens, Seigneur Jésus!".
Et prions pour que le Christ soit réellement présent aujourd'hui dans notre
monde et le renouvelle.
* * *
Je suis heureux d’accueillir
les pèlerins de langue française. À tous je souhaite de prendre une conscience
renouvelée que la foi chrétienne est aussi pour nous aujourd’hui une espérance
qui transforme et soutient notre vie. Avec ma Bénédiction apostolique.
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
19 novembre 2008
La doctrine de la justification chez saint Paul
Chers frères et sœurs,
Sur le chemin que nous
accomplissons sous la direction de saint Paul, nous voulons à présent nous
arrêter sur un thème qui se trouve au centre des controverses du siècle de la
Réforme: la question de la justification. Comment l'homme devient-il
juste aux yeux de Dieu? Lorsque Paul rencontra le Ressuscité sur le chemin de
Damas, il était un homme réalisé: irrépréhensible quant à la justice
dérivant de la Loi (cf. Ph 3, 6), il observait les prescriptions mosaïques
mieux que beaucoup de personnes de son âge et soutenait avec zèle les
traditions des pères (cf. Ga 1, 14). L'illumination de Damas changea
radicalement son existence: il commença à considérer tous les mérites,
acquis dans une carrière religieuse intègre, comme "balayures" face
au caractère sublime de la connaissance de Jésus Christ (cf. Ph 3, 8). La Lettre
aux Philippiens nous offre un témoignage touchant du passage de Paul d'une
justice fondée sur la Loi et acquise avec l'observance des œuvres prescrites, à
une justice fondée sur la foi dans le Christ: il avait compris que ce qui
lui avait paru jusqu'alors comme un avantage était en réalité une perte face à
Dieu, et il avait donc décidé de miser toute son existence sur Jésus Christ
(cf. Ph 3, 7). Le trésor caché dans le champ et la perle précieuse dans l'achat
de laquelle il faut investir tout le reste n'étaient plus les œuvres de la Loi,
mais Jésus Christ, son Seigneur.
La relation entre Paul et le
Ressuscité devint tellement profonde qu'elle le poussa à soutenir que le Christ
n'était plus seulement sa vie mais sa façon de vivre, au point que pour pouvoir
le rejoindre même mourir devenait un avantage (cf. Ph 1, 21). Non pas qu'il
méprisât la vie, mais il avait compris que pour lui vivre n'avait désormais
plus d'autre but et il ne nourrissait donc pas d'autre désir que de rejoindre
le Christ, comme dans une compétition d'athlétisme, pour rester toujours avec
Lui: le Ressuscité était devenu le principe et la finalité de son
existence, la raison et le but de sa course. Seules la préoccupation pour la
maturation de la foi de ceux qu'il avait évangélisés et la sollicitude pour
toutes les Eglises qu'il avait fondées (cf. 2 Co 11, 28) le poussaient à
ralentir sa course vers son unique Seigneur, pour attendre les disciples afin
qu'ils puissent courir avec lui vers le but. Si dans l'observance précédente de
la Loi il n'avait rien à se reprocher du point de vue de l'intégrité morale,
une fois le Christ rejoint il préférait ne pas prononcer de jugement sur
lui-même (cf. 1 Co 4, 3-4), mais il se limitait à se proposer de courir pour
conquérir Celui par lequel il avait été conquis (cf. Ph 3, 12).
C'est précisément en raison de
cette expérience personnelle de la relation avec Jésus Christ que Paul place
désormais au centre de son Evangile une opposition irréductible entre deux
parcours alternatifs vers la justice: l'un construit sur les œuvres de la
Loi, l'autre fondé sur la grâce de la foi dans le Christ. L'alternative entre
la justice par les œuvres de la Loi et celle par la foi dans le Christ devient
ainsi l'un des motifs dominants qui parcourt ses Lettres: "Nous,
nous sommes Juifs de naissance, nous ne sommes pas de ces pécheurs que sont les
païens; cependant nous le savons bien, ce n'est pas en observant la Loi que
l'homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ;
c'est pourquoi nous avons cru en Jésus Christ pour devenir des justes par la
foi au Christ, mais non par la pratique de la loi de Moïse, car personne ne
devient juste en pratiquant la Loi" (Ga 2, 15-16). Et il répète aux
chrétiens de Rome: "Tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous
privés de la gloire de Dieu, lui qui leur donne d'être des justes par sa seule
grâce, en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus" (Rm 3,
23-24). Et il ajoute: "En effet, nous estimons que l'homme devient
juste par la foi, indépendamment des actes prescrits par la loi de Moïse"
(ibid. 28). A ce point, Luther traduisit: "justifié par la seule
foi". Je reviendrai sur ce point à la fin de la catéchèse. Nous devons
tout d'abord éclaircir ce qu'est cette "Loi" de laquelle nous sommes
libérés et ce que sont ces "œuvres de la Loi" qui ne justifient pas.
L'opinion - qui allait ensuite systématiquement revenir dans l'histoire - selon
laquelle il s'agissait de la loi morale et que la liberté chrétienne consistait
donc dans la libération par rapport à l'éthique, existait déjà dans la
communauté de Corinthe. Ainsi, à Corinthe, circulait la parole "πάντα
μοι έξεστιν" (tout est licite pour moi). Il est évident que cette
interprétation est erronée: la liberté chrétienne n'est pas libertinisme,
la libération dont parle saint Paul ne libère pas de devoir accomplir le bien.
Mais que signifie par conséquent
la Loi dont nous sommes libérés et qui ne sauve pas? Pour saint Paul comme pour
tous ses contemporains, le mot Loi signifiait la Torah dans sa totalité,
c'est-à-dire les cinq livres de Moïse. La Torah impliquait, dans
l'interprétation pharisienne, celle étudiée et reprise par saint Paul, un
ensemble de comportements qui allaient du noyau éthique jusqu'aux observances
rituelles et cultuelles qui déterminaient substantiellement l'identité de
l'homme juste. En particulier la circoncision, les observances concernant les
aliments purs et plus généralement la pureté rituelle, les règles sur
l'observance du sabbat, etc. Des comportements qui apparaissent souvent
également dans les débats entre Jésus et ses contemporains. Toutes ces
observances qui expriment une identité sociale, culturelle et religieuse
étaient devenues tout particulièrement importantes à l'époque de la culture
hellénistique qui commence au iii siècle avant Jésus Christ. Cette culture, qui
était devenue la culture universelle de l'époque et qui était une culture
apparemment rationnelle, une culture polythéiste, apparemment tolérante,
constituait une forte pression vers l'uniformité culturelle et menaçait ainsi
l'identité d'Israël qui était politiquement obligée d'entrer dans cette
identité commune de la culture hellénistique, perdant de ce fait sa propre
identité; et perdant également, par conséquent, le précieux héritage de la foi
des Pères, de la foi en l'unique Dieu et dans les promesses de Dieu.
Contre cette pression
culturelle qui menaçait non seulement l'identité israélite mais aussi la foi
dans l'unique Dieu et dans ses promesses, il était nécessaire de créer un mur
de distinction, un bouclier de défense pour protéger le précieux héritage de la
foi; un tel mur consistait précisément dans les observances et les
prescriptions judaïques. Paul, qui avait appris ces observances précisément
dans leur fonction de défense du don de Dieu, de l'héritage de la foi en un
unique Dieu, a vu cette identité menacée par la liberté des chrétiens:
c'est pour cette raison qu'il les persécutait. Au moment de sa rencontre avec
le Ressuscité, il comprit qu'avec la résurrection du Christ la situation avait
radicalement changée. Avec le Christ, le Dieu d'Israël, l'unique vrai Dieu,
devenait le Dieu de tous les peuples. Le mur - ainsi dit-il dans la Lettre
aux Ephésiens - entre Israël et les païens n'était plus nécessaire:
c'est le Christ qui nous protège contre le polythéisme et toutes ses déviances;
c'est le Christ qui nous unit avec et dans l'unique Dieu; c'est
le Christ qui garantit notre identité véritable dans la diversité des cultures.
Le mur n'est plus nécessaire, notre identité commune dans la diversité des
cultures est le Christ, et c'est lui qui nous rend juste. Etre juste veut
simplement dire être avec le Christ et en Christ. Et cela suffit. Les autres
observances ne sont plus nécessaires. C'est pourquoi l'expression "sola
fide" de Luther est vraie, si l'on n'oppose pas la foi à la charité, à
l'amour. La foi c'est regarder le Christ, s'en remettre au Christ, s'attacher
au Christ, se conformer au Christ, à sa vie. Et la forme, la vie du Christ
c'est l'amour; donc croire c'est se conformer au Christ et entrer dans son
amour. C'est pourquoi saint Paul dans la Lettre aux Galates, dans
laquelle il a notamment développé sa doctrine sur la justification, parle de la
foi qui œuvre au moyen de la charité (cf. Ga 5, 14).
Paul sait que dans le double
amour de Dieu et du prochain est présente et s'accomplit toute la Loi. Ainsi
dans la communion avec le Christ, dans la foi qui crée la charité, toute la Loi
est réalisée. Nous devenons justes en entrant en communion avec le Christ qui
est l'amour. Nous verrons la même chose dans l'Evangile de dimanche prochain,
solennité du Christ Roi. C'est l'Evangile du juge dont l'unique critère est
l'amour. Ce qu'il demande c'est seulement cela: m'as-tu visité quand
j'étais malade? Quand j'étais en prison? M'as-tu donné à manger quand j'ai eu
faim, m'as-tu vêtu quand j'étais nu? Et ainsi la justice se décide dans la
charité. Ainsi, au terme de cet Evangile, nous pouvons presque dire:
juste l'amour, juste la charité. Mais il n'y a pas de contradiction entre cet
Evangile et saint Paul. C'est la même vision, selon laquelle la communion avec
le Christ, la foi dans le Christ crée la charité. Et la charité est la
réalisation de la communion avec le Christ. Ainsi, en étant unis à lui, nous
sommes justes, et d'aucune autre manière.
A la fin, nous ne pouvons que
prier le Seigneur qu'il nous aide à croire. Croire réellement; croire devient
ainsi vie, unité avec le Christ, transformation de notre vie. Et ainsi,
transformés par son amour, par l'amour de Dieu et du prochain, nous pouvons
être réellement justes aux yeux de Dieu.
* * *
Je suis heureux de saluer les
pèlerins de Montréal avec Son Éminence le Cardinal Jean-Claude Turcotte, les
membres de la Conférence Internationale Catholique du Scoutisme, et la paroisse
de Béziers. Avec saint Paul, vivons du Christ qui est le centre de notre foi et
de notre vie ! Avec ma Bénédiction Apostolique.
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2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
26 novembre 2008
Chers frères et sœurs,
Dans la catéchèse de mercredi
dernier, j'ai parlé de la question de la façon dont l'homme devient juste
devant Dieu. En suivant Paul, nous avons vu que l'homme n'est pas en mesure de
devenir "juste" par ses propres actions, mais qu'il peut réellement
devenir "juste" devant Dieu uniquement parce que Dieu lui confère sa
"justice" en l'unissant au Christ son Fils. Et cette union au Christ,
l'homme l'obtient au moyen de la foi. C'est en ce sens que saint Paul nous dit
que ce ne sont pas nos œuvres, mais la foi qui nous rend "justes".
Toutefois, cette foi n'est pas une pensée, une opinion, une idée. Cette foi est
communion avec le Christ, que le Seigneur nous donne et elle devient donc vie,
elle se conforme à Lui. Ou, en d'autres termes, si la foi est vraie, si elle
est réelle, elle devient amour, elle devient charité, elle s'exprime dans la
charité. Une foi sans charité, sans ce fruit, ne serait pas une vraie foi. Ce
serait une foi morte.
Nous avons donc trouvé deux
niveaux dans la dernière catéchèse: celui du peu d'importance de nos
actions, de nos œuvres pour obtenir le salut et celui de la
"justification" à travers la foi que produit le fruit de l'Esprit. La
confusion entre ces deux niveaux a causé, au cours des siècles, de nombreux
malentendus dans la chrétienté. Dans ce contexte, il est important que saint
Paul, dans la Lettre aux Galates, d'une part, place l'accent de manière
radicale sur la gratuité de la justification qui n'est pas due à nos œuvres,
mais que, dans le même temps, il souligne également la relation entre la foi et
la charité, entre la foi et les œuvres: "En effet, dans le Christ
Jésus, peu importe qu'on ait reçu ou non la circoncision: ce qui importe,
c'est la foi agissant par la charité" (Ga 5, 6). En conséquence, il y a,
d'une part, les "œuvres de la chair" qui sont "débauche,
impureté, obscénité, idolâtrie..." (Ga 5, 19-21): des œuvres qui
sont toutes contraires à la foi; de l'autre, il y a l'action de l'Esprit Saint,
qui alimente la vie chrétienne en suscitant "amour, joie, paix, patience,
bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi" (Ga 5, 22):
tels sont les fruits de l'Esprit qui naissent de la foi.
Au début de cette liste des
vertus est cité l'agapè, l'amour, et dans la conclusion la maîtrise de soi. En
réalité, l'Esprit, qui est l'Amour du Père et du Fils, répand son premier don,
l'agapè, dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5); et, l'agapè, l'amour, pour s'exprimer en
plénitude, exige la maîtrise de soi. Dans ma première encyclique, Deus
caritas est, j'ai traité de l'amour du Père et du Fils, qui nous
rejoint et transforme notre existence en profondeur. Les croyants savent que
dans l'amour réciproque s'incarne l'amour de Dieu et du Christ, au moyen de
l'Esprit. Revenons à la Lettre aux Galates. Ici, saint Paul dit que, en
portant les poids les uns des autres, les croyants accomplissent le
commandement de l'amour (cf. Ga 6, 2). Justifiés par le don de la foi dans le
Christ, nous sommes appelés à vivre dans l'amour du Christ pour le prochain,
car c'est sur ce critère que nous seront jugés à la fin de notre existence. En
réalité, Paul ne fait que répéter ce qu'avait dit Jésus lui-même et qui nous a
été reproposé par l'Evangile de dimanche dernier, dans la parabole du Jugement
dernier. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, saint Paul offre un
célèbre éloge de l'amour. C'est ce qu'on appelle l'hymne à la charité:
"J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je
n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui
résonne, une cymbale retentissante [...] L'amour prend patience; l'amour rend
service; l'amour ne jalouse pas; il ne se vante pas, ne se gonfle pas
d'orgueil; il ne fait rien de malhonnête; il ne cherche pas son intérêt..."
(1 Co 13, 1.4-5). L'amour chrétien est plus exigeant que tout car il naît de
l'amour total du Christ pour nous: cet amour qui nous réclame, nous
accueille, nous embrasse, nous soutient, jusqu'à nous tourmenter, car il oblige
chacun à ne plus vivre pour lui-même, enfermé dans son propre égoïsme, mais
pour "Celui qui est mort et ressuscité pour nous"
(cf. 2 Co 5, 15). L'amour du Christ nous fait être en Lui cette créature
nouvelle (cf. 2 Co 5, 17) qui commence à devenir une partie de son Corps mystique
qui est l'Eglise.
Envisagée dans cette
perspective, la place centrale de la justification sans les œuvres, objet
primordial de la prédication de Paul, n'entre pas du tout en contradiction avec
la foi agissant dans l'amour; au contraire, elle exige que notre foi elle-même
s'exprime dans une vie selon l'Esprit. On a souvent vu une opposition sans
fondement entre la théologie de saint Paul et celle de saint Jacques, qui dans
sa Lettre écrit: "En effet, comme le corps qui ne respire plus est mort,
la foi qui n'agit pas est morte" (2, 26). En réalité, alors que Paul est
avant tout préoccupé de démontrer que la foi dans le Christ est nécessaire et
suffisante, Jacques place l'accent sur les relations de conséquence entre la
foi et les œuvres (cf. Jc 2, 2-4). C'est pourquoi, tant pour Paul que pour
Jacques, la foi qui œuvre dans l'amour témoigne donc du don gratuit de la
justification dans le Christ. Le salut, reçu dans le Christ, a besoin d'être
conservé et témoigné "dans la crainte de Dieu et en tremblant. [...] Car
c'est l'action de Dieu qui produit en vous la volonté et l'action, parce qu'il
veut votre bien. Faites tout sans récriminer et sans discuter [...] en tenant
fermement la parole de vie", dira encore saint Paul aux chrétiens de
Philippes (cf. Ph 2, 12-14.16).
Nous sommes souvent entraînés
dans les mêmes incompréhensions qui ont caractérisé la communauté de
Corinthe: ces chrétiens pensaient que ayant été justifiés gratuitement
dans le Christ par la foi, "tout leur était licite". Et ils pensaient,
et souvent il semble que le pensent également certains chrétiens d'aujourd'hui,
qu'il est licite de créer des divisions au sein de l'Eglise, Corps du Christ,
de célébrer l'Eucharistie sans prendre en charge nos frères les plus démunis,
d'aspirer aux meilleurs charismes sans nous rendre compte que nous sommes
membres les uns des autres, et ainsi de suite. Les conséquences d'une foi qui
ne s'incarne pas dans l'amour sont désastreuses, car elle se réduit à
l'arbitraire et au subjectivisme le plus nuisible pour nous et pour nos frères.
Au contraire, en suivant saint Paul, nous devons prendre une conscience
renouvelée du fait que, précisément parce que nous sommes justifiés dans le
Christ, nous ne nous appartenons plus, mais nous sommes devenus le temple de
l'Esprit et nous sommes donc appelés à glorifier Dieu dans notre corps avec
toute notre existence (cf. 1 Co 6, 19). Ce serait solder la valeur inestimable
de la justification si, achetés au prix fort par le sang du Christ, nous ne le
glorifions pas avec notre corps. En réalité, tel est précisément notre culte
"raisonnable" et en même temps "spirituel", pour lequel
nous sommes exhortés par Paul à "lui offrir notre personne et notre vie en
sacrifice saint, capable de plaire à Dieu" (cf. Rm 12, 1). A quoi se
réduirait une liturgie adressée uniquement au Seigneur, sans devenir, dans le
même temps, un service pour nos frères, une foi qui ne s'exprimerait pas dans
la charité? Et l'apôtre place souvent ses communautés face au jugement dernier,
à l'occasion duquel tous "il nous faudra apparaître à découvert devant le
tribunal du Christ, pour que chacun reçoive ce qu'il a mérité, soit en bien
soit en mal, pendant qu'il était dans son corps" (2 Co 5, 10; cf.
également Rm 2, 16). Et cette pensée du Jugement doit nous éclairer dans notre
vie de chaque jour.
Si l'éthique que Paul propose
aux croyants ne dégénère pas dans des formes de moralisme et se révèle actuelle
pour nous, c'est parce qu'à chaque fois, elle repart toujours de la relation
personnelle et communautaire avec le Christ, pour devenir véritable dans la vie
selon l'Esprit. Cela est essentiel: l'éthique chrétienne ne naît pas d'un
système de commandements, mais elle est la conséquence de notre amitié avec le
Christ. Cette amitié influence la vie: si elle est véritable elle
s'incarne et elle se réalise dans l'amour pour le prochain. C'est pourquoi
toute décadence éthique ne se limite pas à la sphère individuelle, mais elle
est dans le même temps une dévaluation de la foi personnelle et
communautaire: elle dérive de celle-ci et influe sur elle de manière
déterminante. Laissons-nous toucher par la réconciliation, que Dieu nous a
donnée dans le Christ, par l'amour "fou" de Dieu pour nous:
rien ni personne ne pourra jamais nous séparer de son amour (cf. Rm 8, 39).
C'est dans cette certitude que nous vivons. C'est cette certitude qui nous
donne la force de vivre concrètement la foi qui œuvre dans l'amour.
* * *
Je salue cordialement les
pèlerins francophones, en particulier le groupe d’Aix-en-Provence. À la suite
de l’enseignement de saint Paul, que le culte que vous rendez à Dieu devienne
en même temps service de vos frères et que votre foi s’exprime vraiment dans la
charité ! Que Dieu vous bénisse !
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BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
3 décembre 2008
Chers frères et sœurs,
Dans la catéchèse
d'aujourd'hui, nous nous arrêterons sur les relations entre Adam et le Christ,
dont parle saint Paul dans la célèbre page de la Lettre aux Romains (5,
12-21), dans laquelle il remet à l'Eglise les lignes essentielles de la
doctrine sur le péché originel. En vérité, dans la première Lettre aux
Corinthiens, en traitant de la foi dans la résurrection, Paul avait déjà présenté
la confrontation entre notre ancêtre et le Christ: "En effet, c'est
en Adam que meurent tous les hommes; c'est dans le Christ que tous revivront...
Le premier Adam était un être humain qui avait reçu la vie; le dernier Adam -
le Christ - est devenu l'être spirituel qui donne la vie" (1 Co 15,
22.45). Avec Rm 5, 12-21 la confrontation entre le Christ et Adam devient plus
articulée et éclairante: Paul reparcourt l'histoire du salut, d'Adam à la
Loi et de celle-ci au Christ. Ce n'est pas tellement Adam, avec les
conséquences du péché sur l'humanité, qui se trouve au centre de la scène, mais
Jésus Christ et la grâce qui, à travers Lui, a été déversée en abondance sur
l'humanité. La répétition du "beaucoup plus" concernant le Christ
souligne que le don reçu en Lui dépasse, de beaucoup, le péché d'Adam et les
conséquences qu'il produit sur l'humanité, de sorte que Paul peut parvenir à la
conclusion: "Mais là où le péché s'était multiplié, la grâce a
surabondé" (Rm 5, 20). La comparaison que Paul effectue entre Adam et le
Christ met donc en lumière l'infériorité du premier homme par rapport à la
prééminence du deuxième.
D'autre part, c'est
précisément pour mettre en évidence l'incommensurable don de la grâce, dans le
Christ, que Paul mentionne le péché d'Adam: on dirait que si cela n'avait
pas été pour démontrer l'aspect central de la grâce, il ne se serait pas
attardé à traiter du péché qui "par un seul homme... est entré dans le
monde, et par le péché est venue la mort" (Rm 5, 12). C'est pour cette raison
que si dans la foi de l'Eglise a mûri la conscience du dogme du péché originel,
c'est parce qu'il est lié de manière indissoluble avec l'autre dogme, celui du
salut et de la liberté dans le Christ. Nous ne devrions donc jamais traiter du
péché d'Adam et de l'humanité en le détachant du contexte du salut,
c'est-à-dire sans les placer dans le contexte de la justification dans le
Christ.
Mais en tant qu'hommes
d'aujourd'hui, nous devons nous demander: quel est ce péché originel?
Qu'est-ce que Paul enseigne, qu'est-ce que l'Eglise enseigne? Est-il possible
de soutenir cette doctrine aujourd'hui encore? Un grand nombre de personnes
pense que, à la lumière de l'histoire de l'évolution, il n'y a plus de place
pour la doctrine d'un premier péché, qui ensuite se diffuserait dans toute
l'histoire de l'humanité. Et, en conséquence, la question de la Rédemption et
du Rédempteur perdrait également son fondement. Le péché originel existe-il
donc ou non? Pour pouvoir répondre, nous devons distinguer deux aspects de la
doctrine sur le péché originel. Il existe un aspect empirique, c'est-à-dire une
réalité concrète, visible, je dirais tangible pour tous. Et un aspect
mystérique, concernant le fondement ontologique de ce fait. La donnée empirique
est qu'il existe une contradiction dans notre être. D'une part, chaque homme
sait qu'il doit faire le bien et intérieurement il veut aussi le faire. Mais,
dans le même temps, il ressent également l'autre impulsion à faire le
contraire, à suivre la voie de l'égoïsme, de la violence, de ne faire que ce
qui lui plaît tout en sachant qu'il agit ainsi contre le bien, contre Dieu et
contre son prochain. Saint Paul, dans sa Lettre aux Romains, a ainsi
exprimé cette contradiction dans notre être: "En effet, ce qui est à
ma portée, c'est d'avoir envie de faire le bien, mais non pas de l'accomplir.
Je ne réalise pas le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne
voudrais pas" (7, 18-19). Cette contradiction intérieure de notre être
n'est pas une théorie. Chacun de nous l'éprouve chaque jour. Et nous voyons
surtout autour de nous la prédominance de cette deuxième volonté. Il suffit de
penser aux nouvelles quotidiennes sur les injustices, la violence, le mensonge,
la luxure. Nous le voyons chaque jour: c'est un fait.
En conséquence de ce pouvoir
du mal dans nos âmes s'est développé dans l'histoire un fleuve de boue, qui
empoisonne la géographie de l'histoire humaine. Le grand penseur français
Blaise Pascal a parlé d'une "seconde nature", qui se superpose à
notre nature originelle, bonne. Cette "seconde nature" fait
apparaître le mal comme normal pour l'homme. Ainsi, l'expression
habituelle: "cela est humain" possède aussi une double
signification. "Cela est humain" peut vouloir signifier: cet homme
est bon, il agit réellement comme devrait agir un homme. Mais "cela est
humain" peut également signifier la fausseté: le mal est normal, est
humain. Le mal semble être devenu une seconde nature. Cette contradiction de
l'être humain, de notre histoire doit susciter, et suscite aujourd'hui aussi,
le désir de rédemption. Et, en réalité, le désir que le monde soit changé et la
promesse que sera créé un monde de justice, de paix et de bien est présent
partout: dans la politique, par exemple, tous parlent de cette nécessité
de changer le monde, de créer un monde plus juste. Et cela exprime précisément
le désir qu'il y ait une libération de la contradiction dont nous faisons
l'expérience en nous-mêmes.
Le fait du pouvoir du mal dans
le cœur humain et dans l'histoire humaine est donc indéniable. La question
est: comment ce mal s'explique-t-il? Dans l'histoire de la pensée, en
faisant abstraction de la foi chrétienne, il existe un modèle principal
d'explication, avec différentes variations. Ce modèle dit: l'être
lui-même est contradictoire, il porte en lui aussi bien le bien que le mal.
Dans l'antiquité, cette idée impliquait l'opinion qu'il existe deux principes
également originels: un principe bon et un principe mauvais. Ce dualisme
serait infranchissable; les deux principes se trouvent au même niveau, il y
aura donc toujours, dès l'origine de l'être, cette contradiction. La
contradiction de notre être refléterait donc uniquement la position contraire
des deux principes divins, pour ainsi dire. Dans la version évolutionniste,
athée, du monde, la même vision revient. Même si, dans cette conception, la
vision de l'être est moniste, on suppose que l'être comme tel porte dès le
début en lui le mal et le bien. L'être lui-même n'est pas simplement bon, mais
ouvert au bien et au mal. Le mal est aussi originel, comme le bien. Et
l'histoire humaine ne développerait que le modèle déjà présent dans toute
l'évolution précédente. Ce que les chrétiens appellent le péché originel ne
serait en réalité que le caractère mixte de l'être, un mélange de bien et de
mal qui, selon cette théorie, appartiendrait à l'étoffe même de l'être. C'est
une vision qui au fond est désespérée: s'il en est ainsi, le mal est
invincible. A la fin seul le propre intérêt compte. Et chaque progrès serait
nécessairement à payer par un fleuve de mal et celui qui voudrait servir le
progrès devrait accepter de payer ce prix. Au fond, la politique est
précisément fondée sur ces prémisses: et nous en voyons les effets. Cette
pensée moderne peut, à la fin, ne créer que la tristesse et le cynisme.
Et ainsi, nous nous demandons
à nouveau: que dit la foi, témoignée par saint Paul? Comme premier point,
elle confirme le fait de la compétition entre les deux natures, le fait de ce
mal dont l'ombre pèse sur toute la création. Nous avons entendu le chapitre 7
de la Lettre aux Romains, nous pourrions ajouter le chapitre 8. Le mal
existe, simplement. Comme explication, en opposition avec les dualismes et les
monismes que nous avons brièvement considérés et trouvés désolants, la foi nous
dit: il existe deux mystères de lumière et un mystère de nuit, qui est
toutefois enveloppé par les mystères de lumière. Le premier mystère de lumière
est celui-ci: la foi nous dit qu'il n'y a pas deux principes, un bon et
un mauvais, mais il y a un seul principe, le Dieu créateur, et ce principe est
bon, seulement bon, sans ombre de mal. Et ainsi, l'être également n'est pas un
mélange de bien et de mal; l'être comme tel est bon et c'est pourquoi il est
bon d'être, il est bon de vivre. Telle est la joyeuse annonce de la foi:
il n'y a qu'une source bonne, le Créateur. Et par conséquent, vivre est un
bien, c'est une bonne chose d'être un homme, une femme, la vie est bonne.
S'ensuit un mystère d'obscurité, de nuit. Le mal ne vient pas de la source de
l'être lui-même, il n'est pas également originel. Le mal vient d'une liberté
créée, d'une liberté dont on a abusé.
Comment cela a-t-il été
possible, comment est-ce arrivé? Cela demeure obscur. Le mal n'est pas logique.
Seul Dieu et le bien sont logiques, sont lumière. Le mal demeure mystérieux. On
l'a représenté dans de grandes images, comme le fait le chapitre 3 de la
Genèse, avec cette vision des deux arbres, du serpent, de l'homme pécheur. Une
grande image qui nous fait deviner, mais ne peut pas expliquer ce qui est en
soi illogique. Nous pouvons deviner, pas expliquer; nous ne pouvons pas même le
raconter comme un fait détaché d'un autre, parce que c'est une réalité plus
profonde. Cela demeure un mystère d'obscurité, de nuit. Mais un mystère de
lumière vient immédiatement s'y ajouter. Le mal vient d'une source subordonnée.
Dieu avec sa lumière est plus fort. Et c'est pourquoi le mal peut être
surmonté. C'est pourquoi la créature, l'homme peut être guéri. Les visions
dualistes, même le monisme de l'évolutionnisme, ne peuvent pas dire que l'homme
peut être guéri; mais si le mal ne vient que d'une source subordonnée, il reste
vrai que l'homme peut être guéri. Et le Livre de la Sagesse dit:
"Les créatures du monde sont salutaires" (1, 14 volg). Et
enfin, dernier point, l'homme non seulement peut être guéri, mais il est guéri
de fait. Dieu a introduit la guérison. Il est entré en personne dans
l'histoire. A la source constante du mal, il a opposé une source de bien pur.
Le Christ crucifié et ressuscité, nouvel Adam, oppose au fleuve sale du mal un
fleuve de lumière. Et ce fleuve est présent dans l'histoire: nous voyons
les saints, les grands saints, mais aussi les saints humbles, les simples
fidèles. Nous voyons que le fleuve de lumière qui vient du Christ est présent,
il est fort.
Frères et sœurs, c'est le
temps de l'Avent. Dans le langage de l'Eglise, le mot Avent a deux
significations: présence et attente. Présence: la lumière est
présente, le Christ est le nouvel Adam, il est avec nous et au milieu de nous.
La lumière resplendit déjà et nous devons ouvrir les yeux du cœur pour voir la
lumière et pour nous introduire dans le fleuve de la lumière. Et surtout être
reconnaissants du fait que Dieu lui-même est entré dans l'histoire comme
nouvelle source de bien. Mais Avent veut aussi dire attente. La nuit obscure du
mal est encore forte. C'est pourquoi nous prions dans l'Avent avec l'antique
peuple de Dieu: "Rorate caeli desuper". Et nous prions
avec insistance: viens Jésus; viens, donne force à la lumière et au bien;
viens là où dominent le mensonge, l'ignorance de Dieu, la violence,
l'injustice; viens, Seigneur Jésus, donne force au bien dans le monde et
aide-nous à être porteurs de ta lumière, artisans de paix, témoins de la
vérité. Viens Seigneur Jésus!
* * *
Je salue tous les pèlerins
francophones présents aujourd’hui. Puisse ce temps de l’Avent faire grandir en
chacun le désir de voir le visage du Christ, unique Sauveur du monde, afin
d’être prêt lorsque viendra son Jour. Bon et saint temps de l’Avent à tous!
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BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
10 décembre 2008
Chers frères et soeurs,
Dans la catéchèse de mercredi
dernier, en suivant saint Paul, nous avons vu deux choses. La première est que
notre histoire humaine, depuis le début, est contaminée par l'abus de la
liberté créée, qui veut s'émanciper de la Volonté divine. Et ainsi, elle ne
trouve pas la véritable liberté, mais s'oppose à la vérité et falsifie, par
conséquent, nos réalités humaines. Elle falsifie surtout les relations
fondamentales: avec Dieu, entre l'homme et la femme, entre l'homme et la
terre. Nous avons dit que cette contamination de notre histoire se diffuse dans
tout son tissu et que ce défaut hérité s'est étendu et qu'il est maintenant
visible partout. Cela est le premier point. Le deuxième point est
celui-ci: nous avons appris de saint Paul qu'il existe un nouveau début dans
l'histoire et de l'histoire en Jésus Christ, Celui qui est homme et
Dieu. Avec Jésus, qui vient de Dieu, commence une nouvelle histoire formée par
son oui au Père, et donc fondée non pas sur l'orgueil d'une fausse
émancipation, mais sur l'amour et sur la vérité.
Mais à présent se pose la
question: comment pouvons-nous entrer dans ce nouveau début, dans cette
nouvelle histoire? Comment cette nouvelle histoire arrive-t-elle à moi? A la
première histoire contaminée, nous sommes inévitablement liés en vertu de notre
descendance biologique, étant donné que nous appartenons tous à l'unique corps
de l'humanité. Mais la communion avec Jésus, la nouvelle naissance pour faire
partie de la nouvelle humanité, comment se réalise-t-elle? Comment Jésus
arrive-t-il dans ma vie, dans mon être? La réponse fondamentale de saint Paul,
de tout le nouveau Testament, est: il arrive au moyen de l'Esprit Saint.
Si la première histoire commence, pour ainsi dire, avec la biologie, la seconde
commence dans l'Esprit Saint, l'Esprit du Corps ressuscité. Cet Esprit a créé à
la Pentecôte le début de la nouvelle humanité, de la nouvelle communauté,
l'Eglise, le Corps du Christ.
Mais nous devons toutefois
être encore plus concrets: cet Esprit du Christ, l'Esprit Saint, comment
peut-il devenir mon Esprit? La réponse est que cela se produit de trois façons,
intimement liées l'une à l'autre. La première est la suivante: l'Esprit
du Christ frappe à la porte de mon coeur, me touche intérieurement. Mais étant
donné que la nouvelle humanité doit être un véritable corps, étant donné que
l'Esprit doit nous réunir et créer réellement une communauté, étant donné que
surmonter les divisions et rassembler les personnes dispersées est
caractéristique du nouveau commencemnet, cet Esprit du Christ se sert de deux
éléments de rassemblement visible: la Parole de l'annonce et les Sacrements,
en particulier le Baptême et l'Eucharistie. Dans la Lettre aux Romains, saint
Paul dit: "Si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton
coeur croit que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé" (10, 9),
c'est-à-dire que tu entreras dans la nouvelle histoire, une histoire de vie et
non de mort. Puis, saint Paul poursuit: "Mais comment l'invoquer
sans d'abord croire en lui? Et comment croire sans d'abord l'entendre? Et
comment entendre sans prédicateur? Et comment prêcher sans être d'abord
envoyés?" (Rm 10, 14-15). Dans un passage successif, il dit encore:
"La foi naît de la prédication" (Rm 10, 17). La foi n'est pas le
produit de notre pensée, de notre réflexion, c'est quelque chose de nouveau que
nous ne pouvons pas inventer, mais uniquement recevoir comme don, comme une
nouveauté produite par Dieu. Et la foi ne vient pas de la lecture, mais de
l'écoute. Il ne s'agit pas uniquement de quelque chose d'intérieur, mais d'une
relation avec Quelqu'un. Elle suppose une rencontre avec l'annonce, elle
suppose l'existence de l'autre qui annonce et crée la communion.
Et enfin l'annonce:
celui qui annonce ne parle pas de lui, mais est envoyé. Il s'inscrit dans une
structure de mission qui commence avec Jésus envoyé par le Père, passe aux
apôtres - le terme apôtres signifie "envoyés" - et continue dans le
ministère, dans les missions transmises par les apôtres. Le nouveau tissu de
l'histoire apparaît dans cette structure des missions, dans laquelle nous
entendons parler en ultime analyse Dieu lui-même, sa Parole personnelle, le
Fils parle avec nous, arrive jusqu'à nous. La Parole s'est faite chair, en
Jésus, pour créer réellement une nouvelle humanité. C'est pourquoi, la parole
de l'annonce devient Sacrement dans le baptême, qui est renaissance de l'eau et
de l'Esprit, comme le dira saint Jean. Dans le sixième chapitre de la Lettre
aux Romains, saint Paul parle de façon très profonde du Baptême. Nous avons
entendu le texte. Mais sans doute est-il utile de le répéter: "Ou
bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que
tous nous avons été baptisés? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le
baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la
gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle" (Rm 6,
3-4).
Evidemment, dans cette
catéchèse, je ne peux pas entrer dans une interprétation détaillée de ce texte
qui n'est pas facile. Je voudrais brièvement souligner trois points. Le
premier: "nous avons été baptisés" est une action passive.
Personne ne peut se baptiser lui-même, il a besoin de l'autre. Personne ne peut
devenir chrétien de lui-même. Devenir chrétiens est un processus passif. Nous
ne pouvons être faits chrétiens que par quelqu'un d'autre. Et cet "auctre
qui fait de nous des chrétiens, qui nous donne le don de la foi, est avant tout
la communauté des croyants, l'Eglise. Nous recevons de l'Eglise la foi, le
baptême. Sans nous laisser former par cette communauté, nous ne devenons pas
chrétiens. Un christianisme autonome, auto-produit, est une contradiction en
soi. En premier lieu, cette autre personne est la communauté des croyants,
l'Eglise, mais en second lieu, cette communauté n'agit pas non plus
d'elle-même, selon ses propres idées et désirs. La communauté vit elle aussi dans
ce même processus passif: seul le Christ peut constituer l'Eglise. Le
Christ est le véritable dispensateur des Sacrements. Tel est le premier
point: personne ne se baptise tout seul, personne ne se fait chrétien.
Nous devenons chrétiens.
Le second point est
celui-ci: le Baptême est plus qu'un lavement. Il est mort et
résurrection. Paul lui-même, en parlant dans la Lettre aux Galates, du
tournant de sa vie qui s'est réalisé avec la rencontre avec le Christ
ressuscité, la décrit en ces termes: je suis mort. A ce moment-là,
commence réellement une nouvelle vie. Devenir chrétiens est plus qu'une
opération cosmétique, qui ajouterait quelque chose de beau à une existence déjà
plus ou moins complète. Il s'agit d'un nouveau début, d'une nouvelle naissance:
mort et résurrection. Bien sûr, dans la résurrection ressort ce qu'il y avait
de bon dans l'existence précédente.
Le troisième point est:
la matière fait partie du Sacrement. Le christianisme n'est pas une réalité
purement spirituelle. Il implique le corps. Il implique l'univers. Il s'étend
vers la nouvelle terre et les nouveaux cieux. Revenons au dernier mot du texte
de saint Paul: ainsi - dit-il - nous pouvons "marcher dans une vie
nouvelle". Voici un élément pour un examen de conscience pour nous tous:
marcher dans une vie nouvelle. Voilà pour le Baptême.
Venons-en à présent au
Sacrement de l'Eucharistie. J'ai déjà montré dans d'autres catéchèses le
profond respect avec lequel saint Paul transmet verbalement la tradition sur
l'Eucharistie qu'il a reçue des témoins mêmes de la dernière nuit. Il transmet
ces paroles comme un trésor précieux confié à sa fidélité. Et ainsi, dans ces
paroles, nous entendons réellement les témoins de la dernière nuit. Nous
entendons les paroles de l'Apôtre: "Pour moi, en effet, j'ai reçu du
Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, la nuit
où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et
dit: "Ceci est mon corps, livré pour vous; faites ceci en mémoire de
moi". De même, après le repas, il prit la coupe en disant:
"Cette Coupe est la nouvelle alliance dans mon sang; chaque fois que vous
en boirez, faites-le en mémoire de moi"" (1 Co 11, 23-25). Il s'agit
d'un texte inépuisable. Ici aussi, dans cette catéchèse, je ne ferai que deux
brèves observations. Paul transmet les paroles du Seigneur sur la coupe de
cette façon: cette coupe est "la nouvelle alliance dans mon
sang". Ces paroles recèlent une allusion à deux textes fondamentaux de
l'Ancien Testament. La première allusion concerne la promesse d'une nouvelle
alliance dans le Livre du prophète Jérémie. Jésus dit aux disciples et
nous dit: maintenant, en cette heure, avec moi et par ma mort se réalise
la nouvelle alliance; à partir de mon sang commence dans le monde cette nouvelle
histoire de l'humanité. Mais dans ces paroles est également présente une
allusion au moment de l'alliance du Sinaï, lorsque Moïse avait dit:
"Ceci est le sang de l'Alliance que le Seigneur a conclue avec vous
moyennant toutes ces clauses" (Ex 24, 8). Il s'agissait là du sang
d'animaux. Le sang des animaux ne pouvait être que l'expression d'un désir,
l'attente d'un véritable sacrifice, du véritable culte. Avec le don de la
coupe, le Seigneur nous donne le véritable sacrifice. L'unique véritable sacrifice
est l'amour du Fils. Avec le don de cet amour, amour éternel, le monde entre
dans la nouvelle alliance. Célébrer l'Eucharistie signifie que le Christ se
donne lui-même, donne son amour, pour nous conformer à lui et pour créer ainsi
le monde nouveau.
Le deuxième aspect important
de la doctrine sur l'Eucharistie apparaît dans la même première Lettre aux
Corinthiens, où saint Paul dit: "La coupe de bénédiction que
nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous
rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ? Parce qu'il n'y a qu'un
pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons à ce
pain unique" (10, 16-17). Dans ces paroles apparaît également le caractère
personnel et le caractère social du Sacrement de l'Eucharistie. Le Christ
s'unit personnellement à chacun de nous, mais le même Christ s'unit également
avec l'homme et la femme à mes côtés. Et le pain est pour moi, mais également
pour l'autre. Ainsi, le Christ nous unit tous à lui et nous unit tous, l'un
avec l'autre. Nous recevons le Christ dans la communion. Mais le Christ s'unit
également avec mon prochain: le Christ et le prochain sont inséparables
dans l'Eucharistie. Et ainsi, nous ne formons tous qu'un seul pain, un seul
corps. Une Eucharistie sans solidarité avec les autres est une Eucharistie dont
on abuse. Et ici, nous sommes aussi à la racine et dans le même temps au centre
de la doctrine sur l'Eglise comme Corps du Christ, du Christ ressuscité.
Nous voyons également tout le
réalisme de cette doctrine. Le Christ nous donne son corps dans l'Eucharistie,
il se donne lui-même dans son corps et il fait de nous son corps, il nous unit
à son corps ressuscité. Si l'homme mange le pain normal, ce pain, dans le
processus de la digestion, devient partie de son corps, transformé en substance
de vie humaine. Mais dans la sainte Communion, se réalise le processus inverse.
Le Christ, le Seigneur, nous assimile à lui, nous introduit dans son Corps
glorieux et ainsi, tous ensemble, nous devenons son Corps. Celui qui ne lit que
le chapitre 12 de la première Lettre aux Corinthiens et le chapitre 12
de la Lettre aux Romains, pourrait penser que la parole sur le Corps du
Christ comme organisme des charismes n'est qu'une sorte de parabole
sociologique-théologique. En réalité, dans la politologie romaine, cette
parabole du corps avec plusieurs membres qui forment une unité, était utilisée
par l'Etat lui-même, pour dire que l'Etat est un organisme dans lequel chacun a
sa fonction, la multiplicité et la diversité des fonctions forment un corps et
chacun a sa place. En ne lisant que le chapitre 12 de la première Lettre aux
Corinthiens, on pourrait penser que Paul se limite à transférer uniquement
cela à l'Eglise, qu'ici aussi, il ne s'agit que d'une sociologie de l'Eglise.
Mais en tenant compte de ce dixième chapitre, nous voyons que le réalisme de
l'Eglise se situe bien ailleurs, il est beaucoup plus profond et vrai que celui
d'un Etat-organisme. Parce que le Christ nous donne réellement son corps et
fait de nous son corps. Nous devenons réellement unis au corps ressuscité du
Christ, et ainsi, unis l'un à l'autre. L'Eglise n'est pas seulement une
corporation comme l'Etat, c'est un corps. Ce n'est pas simplement une
organisation, mais un véritable organisme.
Enfin, quelques très brèves
réflexions sur le Sacrement du mariage. Dans la Lettre aux Corinthiens ne
se trouvent que quelques allusions, tandis que la Lettre aux Ephésiens a
véritablement développé une profonde théologie du Mariage. Paul définit ici le
Mariage comme "mystère de grande portée". Il dit qu'"il
s'applique au Christ et à l'Eglise" (5, 32). Il faut souligner dans ce
passage une réciprocité qui se configure dans une dimension verticale. La
soumission respective doit adopter le langage de l'amour, qui trouve son modèle
dans l'amour du Christ envers l'Eglise. Ce rapport entre le Christ et l'Eglise,
rend premier l'aspect théologal de l'amour matrimonial, il exalte la relation
affective entre les époux. Un authentique mariage sera bien vécu si, dans la
constante croissance humaine et affective, il s'efforcera de rester toujours
lié à l'efficacité de la parole et au sens du baptême: le Christ a
sanctifié l'Eglise, en la purifiant à travers le lavement de l'eau, accompagné
par la Parole. La participation au corps et au sang du Seigneur ne fait que
cimenter, et rendre visible, une union rendue indissoluble par la grâce.
Ecoutons enfin les paroles de
saint Paul aux Philippiens: "Le Seigneur est proche" (Ph 4, 5).
Il me semble que nous avons compris que, au moyen de la Parole et à travers les
Sacrements, dans toute notre vie le Seigneur est proche. Prions-le afin que
nous puissions toujours être touchés au plus profond de notre être par sa
proximité, afin que naisse la joie - cette joie qui naît lorsque Jésus est réellement
proche.
* * *
Je suis heureux d’accueillir
les pèlerins francophones, en particulier les religieuses du cours de formation
de formatrices à la vie consacrée et le groupe de la République du Congo. Que
l’enseignement de saint Paul vous aide à approfondir votre communion au Christ
et à l’Église, notamment par la vie sacramentelle. Avec ma Bénédiction
apostolique!
©
Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
7 janvier 2009
Chers frères et sœurs,
En cette première audience
générale de 2009, je désire adresser à tous mes vœux fervents pour la nouvelle
année qui vient de commencer. Ravivons en nous l'engagement à ouvrir au Christ notre
esprit et notre cœur, pour être et vivre comme ses véritables amis. Sa
compagnie aura pour effet que cette année, malgré ses inévitables difficultés,
soit un chemin plein de joie et de paix. En effet, ce n'est que si nous restons
unis à Jésus, que l'année nouvelle sera bonne et heureuse.
L'engagement d'union avec le
Christ est l'exemple que nous offre également saint Paul. En poursuivant les
catéchèses qui lui sont consacrées, nous nous arrêtons aujourd'hui pour
réfléchir sur l'un des aspects importants de sa pensée, celui qui concerne le
culte que les chrétiens sont appelés à exercer. Par le passé, on aimait parler
d'une tendance plutôt anti-cultuelle de l'apôtre, d'une
"spiritualisation" de l'idée du culte. Aujourd'hui, on comprend mieux
que Paul voit dans la Croix du Christ un tournant historique, qui transforme et
renouvelle radicalement la réalité du culte. C'est en particulier dans trois
textes de la Lettre aux Romains qu'apparaît cette nouvelle vision du
culte.
1. Dans Rm 3, 25, après
avoir parlé de la "rédemption accomplie dans le Christ Jésus", Paul
continue par une formule mystérieuse pour nous et dit ceci: Dieu
"l'a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la
foi". Avec cette expression pour nous plutôt étrange - "instrument de
propitiation" - saint Paul fait allusion à ce qu'on appelle la
"propitiation" du temple antique, c'est-à-dire le couvercle de
l'arche de l'alliance, que l'on pensait être un point de contact entre Dieu et
l'homme, un point de sa présence mystérieuse dans le monde des hommes. Le grand
jour de la réconciliation - "yom kippur" -, cette
"propitiation" était aspergée avec le sang d'animaux sacrifiés - un
sang qui portait symboliquement les péchés de l'année écoulée au contact de
Dieu, et ainsi les péchés jetés dans l'abîme de la bonté divine étaient presque
absorbés par la force de Dieu, dépassés, pardonnés. La vie commençait à
nouveau.
Saint Paul évoque ce rite et
dit: ce rite était l'expression du désir que l'on puisse réellement
mettre toutes nos fautes dans l'abîme de la miséricorde divine et les faire
ainsi disparaître. Mais avec le sang des animaux, ce processus ne se réalise
pas. Un contact plus réel entre faute humaine et amour divin était nécessaire.
Ce contact a eu lieu dans la croix du Christ. Le Christ, vrai Fils de Dieu, qui
s'est fait vrai homme, a assumé en lui toute notre faute. Il est lui-même le
lieu de contact entre la misère humaine et la miséricorde divine; dans son cœur
se dilue la masse triste du mal accompli par l'humanité et la vie se
renouvelle.
En révélant ce changement,
saint Paul nous dit: Avec la croix du Christ - l'acte suprême de l'amour
divin devenu amour humain - le vieux culte comprenant des sacrifices d'animaux
dans le temple de Jérusalem est terminé. Ce culte symbolique, culte de désir,
est à présent remplacé par le culte réel: l'amour de Dieu incarné en
Christ et porté à sa plénitude dans la mort sur la croix. Ce n'est donc pas la
spiritualisation d'un culte réel, mais au contraire le culte réel, le vrai amour
divin-humain remplace le culte symbolique et provisoire. La croix du Christ,
son amour à travers la chair et le sang est le culte réel, qui correspond à la
réalité de Dieu et de l'homme. Déjà avant la destruction extérieure du temple,
selon Paul, l'ère du temple et de son culte est terminée: Paul se trouve
ici en parfaite harmonie avec les paroles de Jésus, qui avait annoncé la fin du
temple et annoncé un autre temple "pas fait de mains d'homme" - le
temple de son corps ressuscité (cf. Mc 14, 58; Jn 2, 19sq). Cela est le
premier texte.
2. Le deuxième texte dont
je voudrais aujourd'hui parler se trouve dans le premier verset du chapitre 12
de la Lettre aux Romains. Nous l'avons écouté et je le répète
encore: "Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à
offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là
le culte spirituel que vous avez à rendre". Dans ces paroles a lieu un
paradoxe apparent: alors que le sacrifice exige généralement la mort de
la victime, Paul en parle en revanche en relation avec la vie du
chrétien. L'expression "offrir vos personnes", étant donné le concept
qui suit de sacrifice, prend la nuance cultuelle de "donner en oblation,
offrir". L'exhortation à "offrir les corps" se réfère alors à la
personne tout entière; en effet, dans Rm 6, 13, il invite à "s'offrir
soi-même". Du reste, la référence explicite à la dimension physique du
chrétien coïncide avec l'invitation à "glorifier Dieu dans votre
corps" (cf. 1 Co 6, 20): il s'agit d'honorer Dieu dans l'existence
quotidienne la plus concrète, faite de visibilité relationnelle et perceptible.
Un comportement de ce genre
est qualifié par Paul de "sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu".
C'est précisément ici que nous rencontrons le terme "sacrifice". Dans
l'usage courant, ce terme fait partie d'un contexte sacré et sert
à désigner l'égorgement d'un animal, dont une partie peut être brûlée en
l'honneur des dieux et une autre partie peut être consommée par ceux qui font
l'offrande au cours d'un banquet. Paul l'applique en revanche à la vie du
chrétien. En effet, il qualifie un tel sacrifice en se servant de trois
adjectifs. Le premier - "vivant" - exprime la vitalité. Le deuxième -
"saint" - rappelle l'idée paulinienne d'une sainteté liée non pas à
des lieux ou à des objets, mais à la personne même des chrétiens. Le troisième
- "agréable à Dieu" - rappelle peut-être la fréquente expression
biblique du sacrifice "en parfum d'apaisement" (cf. Lv 1, 13.17; 23,
18; 26, 31; etc.).
Immédiatement après, Paul
définit ainsi cette nouvelle façon de vivre: tel est "votre culte
spirituel". Les commentateurs du texte savent bien que l'expression
grecque (ten logiken latreían) n'est pas facile à traduire. La Bible
latine traduit: "rationabile obsequium". Le même mot
"rationabile" apparaît dans la première prière eucharistique,
le Canon romain: dans celui-ci, on prie pour que Dieu accepte cette
offrande comme "rationabile". La traduction française
habituelle "culte spirituel" ne reflète pas toutes les nuances du
texte grec (ni du texte latin). Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'un culte
moins réel, ou même uniquement métaphorique, mais d'un culte plus concret et
réaliste - un culte dans lequel l'homme lui-même, dans sa totalité d'être doté
de raison, devient adoration, glorification du Dieu vivant.
Cette formule paulinienne, qui
revient ensuite dans la Prière eucharistique romaine, est le fruit d'un long
développement de l'expérience religieuse au cours des siècles précédant le
Christ. Dans cette expérience, on rencontre des développements théologiques de
l'Ancien Testament et des courants de la pensée grecque. Je voudrais au moins
montrer quelques éléments de ce développement. Les Prophètes et de nombreux
Psaumes critiquent avec force les sacrifices sanglants du temple. Le Psaume 50
(49), dans lequel c'est Dieu qui parle, dit par exemple: "Si j'ai
faim, je n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu. Vais-je
manger la chair des taureaux, le sang des boucs, vais-je le boire? Offre à Dieu
un sacrifice d'action de grâces..." (vv. 12-14). Dans le même sens, le Psaume
suivant, 51 (50) dit: "... Car tu ne prends aucun plaisir au
sacrifice: un holocauste tu n'en veux pas. Le sacrifice à Dieu c'est un
esprit brisé; d'un cœur brisé, broyé, Dieu n'a point de mépris" (vv.
18sq). Dans le Livre de Daniel, à l'époque de la nouvelle destruction du
temple par le régime hellénistique (ii siècle av. j.c.), nous trouvons un
nouveau pas dans la même direction. Au milieu du feu, - c'est-à-dire de la
persécution, de la souffrance - Azarias prie ainsi: "Il n'est plus,
en ce temps, chef, prophète ni prince, holocauste, sacrifice, oblation ni
encens, lieu où te faire des offrandes et trouver grâce auprès de toi. Mais
qu'une âme brisée et un esprit humilié soient agréés de toi, comme des
holocaustes de béliers et de taureaux... que tel soit notre sacrifice
aujourd'hui devant toi et qu'il te plaise" (Dn 3, 38sq). Dans la
destruction du sanctuaire et du culte, dans cette situation de manque de tout
signe de la présence de Dieu, le croyant offre comme véritable holocauste, le
cœur plein de contrition - son désir de Dieu.
Nous voyons un développement
important, beau, mais avec un danger. Il y a une spiritualisation, une
moralisation du culte: le culte devient uniquement une chose du cœur, de
l'esprit. Mais il manque le corps, il manque la communauté. On comprend par
exemple que le Psaume 51 et également le Livre de Daniel, malgré
la critique du culte, souhaitent le retour au temps des sacrifices. Mais il
s'agit d'un temps renouvelé, d'un sacrifice renouvelé, dans une synthèse qui
n'était pas encore prévisible, ou ne pouvait pas encore être pensée.
Revenons à saint Paul. Il est
l'héritier de ces développements, du désir du vrai culte, dans lequel l'homme
lui-même devient gloire de Dieu, adoration vivante avec tout son être. Dans ce
sens, il dit aux Romains: "Offrez vos personnes en hosties
vivantes... c'est là le culte spirituel" (Rm 12, 1). Paul répète ainsi ce
qu'il avait déjà indiqué dans le chapitre 3: le temps des sacrifices d'animaux,
des sacrifices de remplacement, est terminé. Le temps est venu du culte
véritable. Mais il y a là aussi le risque d'un malentendu: on peut
facilement interpréter ce nouveau culte dans un sens moralisant: en
offrant notre vie, c'est nous qui faisons le vrai culte. De cette manière, le
culte avec les animaux serait remplacé par le moralisme: l'homme lui-même
accomplirait tout à lui seul, avec son effort moral. Et cela n'était
certainement pas l'intention de saint Paul. Mais la question demeure: Comment
devons-nous donc interpréter ce "culte spirituel, raisonnable"? Paul
suppose toujours que nous sommes devenus "un dans le Christ Jésus"
(Ga 3, 28), que nous sommes morts dans le baptême (cf. Rm 1) et que nous vivons
à présent avec le Christ, pour le Christ, en Christ. Dans cette union - et
seulement ainsi - nous pouvons devenir en Lui et avec Lui "hostie
vivante", offrir le "culte vrai". Les animaux sacrifiés auraient
dû remplacer l'homme, le don de soi de l'homme, et ils ne pouvaient pas le
faire. Jésus Christ, dans son don au Père et à nous, n'est pas un remplacement,
mais il porte réellement en lui l'être humain, nos fautes et notre désir; il
nous représente réellement, il nous assume en lui. Dans la communion avec le
Christ, réalisée dans la foi et dans les sacrements, nous devenons, malgré tous
nos manquements, un sacrifice vivant: le "culte vrai"
s'accomplit.
Cette synthèse se trouve à la
fin du Canon romain, dans lequel on prie afin que cette offrande devienne
"rationabile" - que se réalise le culte spirituel. L'Eglise
sait que, dans la Très Sainte Eucharistie, le don de soi du Christ, son
sacrifice véritable devient présent. Mais l'Eglise prie pour que la communauté
célébrante soit vraiment unie au Christ, soit transformée; elle prie, afin que nous-mêmes
devenions ce que nous ne pouvons pas être avec nos forces: une offrande
"rationabile" qui plaît à Dieu. Ainsi, la prière eucharistique
interprète les paroles de saint Paul de manière juste. Saint Augustin a
éclairci tout cela de façon merveilleuse dans le 10 livre de sa Cité de
Dieu. Je ne cite que deux phrases: "Tel est le sacrifice des
chrétiens: Bien qu'étant nombreux, nous ne sommes qu'un seul corps dans
le Christ"... "Toute la communauté (civitas) rachetée,
c'est-à-dire la congrégation et la société des saints, est offerte à Dieu à
travers le Prêtre suprême qui s'est donné lui-même" (10, 6: ccl 47,
27sq).
3. Pour finir, encore une
très brève parole sur le troisième texte de la Lettre aux Romains
concernant le nouveau culte. Saint Paul s'exprime ainsi dans le chapitre
15: "En vertu de la grâce que Dieu m'a faite d'être un officiant (hierourgein)
du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l'Evangile de Dieu, afin que les
païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint"
(15, 15sq). Je ne voudrais souligner que deux aspects de ce texte merveilleux à
propos de la terminologie unique dans les lettres pauliniennes. Tout d'abord,
saint Paul interprète son action missionnaire parmi les peuples du monde pour
construire l'Eglise universelle comme action sacerdotale. Annoncer l'Evangile
pour unir les peuples dans la communion du Christ ressuscité est une action
"sacerdotale". L'apôtre de l'Evangile est un véritable prêtre, il
accomplit ce qui est le centre du sacerdoce: il prépare le vrai
sacrifice. Et le deuxième aspect: l'objectif de l'action missionnaire est
- ainsi pouvons-nous dire - la liturgie cosmique: que les peuples unis
dans le Christ, le monde, devienne comme tel gloire de Dieu, "offrande
agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint". Ici apparaît l'aspect
dynamique, l'aspect de l'espérance dans le concept paulinien du culte: le
don de soi du Christ implique la tendance à attirer chacun à la communion de
son corps, d'unir le monde. Ce n'est qu'en communion avec le Christ,
l'Homme-modèle, un avec Dieu, que le monde devient tel que nous le désirons
tous: miroir de l'amour divin. Ce dynamisme est toujours présent dans
l'Eucharistie - ce dynamisme doit inspirer et former notre vie. Et avec ce
dynamisme, nous commençons la nouvelle année. Merci de votre patience.
* * *
Je suis heureux de vous
saluer, chers pèlerins de langue française, et particulièrement vous tous qui
venez du diocèse de Bordeaux avec votre Archevêque, le Cardinal Jean-Pierre
Ricard, et son Auxiliaire, Monseigneur Jacques Blaquart. Que votre pèlerinage
vous confirme dans votre engagement à servir Dieu par toute votre vie!
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Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
14 janvier 2009
La vision théologique des Lettre aux Colossiens et aux Ephésiens
Chers frères et sœurs,
Parmi les lettres de Paul, il
y en a deux, la Lettre aux Colossiens et la Lettre aux Ephésiens, qui, dans une
certaine mesure, peuvent être considérées comme jumelles. En effet, l'une et
l'autre présentent des expressions que l'on ne trouve que dans celles-ci, et il
a été calculé que plus d'un tiers des mots de la Lettre aux Colossiens
se trouve également dans celle aux Ephésiens. Par exemple, alors que
dans la Lettre aux Colossiens on lit littéralement l'invitation,
"par des psaumes, des hymnes et de libres louanges, de chanter à Dieu,
dans vos cœurs, votre reconnaissance" (cf. Col 3, 16), dans la Lettre
aux Ephésiens, on recommande également de "dire entre vous des
psaumes, des hymnes et de libres louanges, de chanter le Seigneur et le
célébrer de tout votre cœur" (cf. Ep 5, 19). Nous pourrions méditer sur
ces mots: le cœur doit chanter, ainsi que la voix aussi, avec des psaumes
et des hymnes pour entrer dans la tradition de la prière de toute l'Eglise de
l'Ancien et du Nouveau Testament; nous apprenons ainsi à être ensemble avec
nous et entre nous, et avec Dieu. En outre, dans les deux Lettres, on
trouve ce qu'on appelle un "code domestique", absent dans les autres
Lettres pauliniennes, c'est-à-dire une série de recommandations adressées aux
maris et aux femmes, aux parents et aux enfants, aux maîtres et aux esclaves
(cf. respectivement Col 3, 18-4, 1 et Ep 5, 22-6, 9).
Il est plus important encore
de constater que ce n'est que dans ces deux Lettres qu'est attesté le
titre de "chef", kefalé, attribué à Jésus Christ. Et ce titre
est employé à un double niveau. Dans un premier sens, le Christ est entendu
comme le chef de l'Eglise (cf. Col 2, 18-19 et Ep 4, 15-16). Cela signifie deux
choses: tout d'abord, qu'il est le gouvernant, le dirigeant, le
responsable qui guide la communauté chrétienne comme son chef et son Seigneur
(cf. Col 1, 18: "Il est aussi la tête du corps, c'est-à-dire
l'Eglise"); et ensuite, l'autre signification est qu'il est comme la tête
qui innerve et vivifie tous les membres du corps auquel elle est préposée (en
effet, selon Col 2, 19, il faut "être en union avec la tête, par laquelle
tout le corps poursuit sa croissance grâce aux connexions
internes"): il n'est donc pas seulement quelqu'un qui commande, mais
quelqu'un qui est organiquement uni à nous, dont provient également la force
d'agir d'une juste manière.
Dans les deux cas, l'Eglise
est considérée comme soumise au Christ, que ce soit pour suivre sa direction
supérieure - les commandements -, ou pour accueillir également toutes les
influences vitales qui émanent de Lui. Ses commandements ne sont pas seulement
des paroles, des ordres, mais sont les forces vitales qui viennent de Lui et
nous aident.
Cette idée est particulièrement
développée dans la Lettre aux Ephésiens, où même les ministères de
l'Eglise, au lieu d'être reconduits à l'Esprit Saint (comme dans 1 Co 12) sont
conférés par le Christ ressuscité: "les dons qu'il a faits aux
hommes, ce sont d'abord les Apôtres, puis les prophètes et les missionnaires de
l'Evangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent" (4, 11). Et
c'est de Lui que "dans l'harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit
sa croissance, grâce aux connexions internes... Ainsi le corps se construit
dans l'amour" (4, 16). En effet, le Christ est entièrement tendu à
"présenter cette Eglise, resplendissante, sans tache ni ride, ni aucun
défaut,... sainte et irréprochable" (cf. Ep 5, 27). Avec cela, il nous dit
que la force avec laquelle il construit l'Eglise, avec laquelle il guide
l'Eglise, avec laquelle il donne aussi la juste direction à l'Eglise, est
précisément son amour.
La première signification est
donc le Christ Chef de l'Eglise: que ce soit par rapport à la direction
ou, surtout, par rapport à l'inspiration, à la vitalisation organique en vertu
de son amour. Ensuite, dans un deuxième sens, le Christ est considéré non
seulement comme chef de l'Eglise, mais comme chef des puissances célestes et de
tout l'univers. Ainsi, dans la Lettre aux Colossiens, nous lisons que le
Christ "a dépouillé les puissances de l'univers; il les a publiquement
données en spectacle et les a traînées dans le cortège triomphal de la
croix" (2, 15). De même, dans la Lettre aux Ephésiens, nous
trouvons écrit que, avec sa résurrection, Dieu plaça le Christ "au dessus
de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit
leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir" (1,
21). Avec ces mots, les deux Lettres nous remettent un message hautement
positif et fécond. Celui-ci: le Christ n'a pas à craindre un concurrent
éventuel, car il est supérieur à toute forme de pouvoir qui penserait humilier
l'homme. Lui seul "nous a aimés et s'est livré pour nous" (Ep 5, 2).
C'est pourquoi, si nous sommes unis au Christ, nous ne devons craindre aucun
ennemi et aucune adversité; mais cela signifie donc que nous devons nous tenir
bien solidement à Lui, sans lâcher prise!
Pour le monde païen, qui
croyait en un monde rempli d'esprits, en grande partie dangereux et contre
lesquels il fallait se défendre, l'annonce que le Christ était le seul
vainqueur et que celui qui était avec le Christ n'avait rien à craindre de
personne, apparaissait comme une véritable libération. Il en va de même pour le
paganisme d'aujourd'hui, car les disciples actuels de telles idéologies voient
aussi le monde rempli de pouvoirs dangereux. Il faut leur annoncer que le
Christ est le vainqueur, si bien que celui qui est avec le Christ, qui reste
uni à Lui, n'a rien ni personne à craindre. Il me semble que cela est important
également pour nous, qui devons apprendre à faire face à toutes les peurs, car
Il est au-dessus de tout pouvoir, il est le véritable Seigneur du monde.
L'univers entier Lui est même
soumis et va vers Lui comme vers le véritable chef. Les paroles de la Lettre
aux Ephésiens, qui parle du projet de Dieu de "saisir l'univers
entier, en réunissant tout sous un seul chef, le Christ" (1, 10) sont
célèbres. De même, dans la Lettre aux Colossiens, on lit que "c'est
en lui que tout a été créé, dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles
et les puissances invisibles" (1, 16) et qu'"il a voulu tout
réconcilier par lui et en lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la
paix par le sang de sa croix" (1, 20). Il n'y a donc pas, d'un côté, le
grand monde matériel et, de l'autre, cette petite réalité de l'histoire de
notre terre, le monde des personnes: tout est un dans le Christ. Il est
le chef de l'univers; l'univers est lui aussi créé par Lui, il est créé pour
nous dans la mesure où nous sommes unis à Lui. C'est une vision rationnelle et
personnaliste de l'univers. Et je dirais qu'il n'était pas possible de
concevoir une vision plus universaliste que celle-ci, et celle-ci ne convient
qu'au Christ ressuscité. Le Christ est le Pantokrator, à qui toutes les
choses sont soumises: la pensée va justement vers le Christ Pantocrator,
qui domine la voûte de l'abside des églises byzantines, parfois représenté
assis au-dessus du monde entier, ou même sur un arc-en-ciel pour indiquer son
assimilation à Dieu lui-même, à la droite duquel il est assis (cf. Ep 1, 20;
Col 3, 1), et donc également son inégalable fonction de conducteur des destins
humains.
Une vision de ce genre n'est
concevable que de la part de l'Eglise, non pas dans le sens qu'elle désire
indûment s'approprier ce qui ne lui revient pas, mais dans un autre double
sens: aussi bien dans la mesure où l'Eglise reconnaît que, d'une certaine
façon, le Christ est plus grand qu'elle, étant donné que sa puissance s'étend
également au-delà de ses frontières, que dans la mesure où l'Eglise seule est
qualifiée comme Corps du Christ, et non l'univers. Tout cela signifie que nous
devons considérer de façon positive les réalités terrestres car le Christ les
récapitule en lui, et dans le même temps, nous devons vivre en plénitude notre
identité ecclésiale spécifique, qui est la plus semblable à l'identité du
Christ lui-même.
Il existe ensuite un concept
particulier qui est propre à ces deux Lettres, et qui est le concept de
"mystère". Parfois, on parle du "mystère de la volonté" de
Dieu (Ep 1, 9), et d'autres fois, du "mystère du Christ" (Ep 3, 4;
Col 4, 3) ou encore du "mystère de Dieu, qui est le Christ, dans lequel
sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance" (Col 3,
2-3). Celui-ci signifie le dessein insondable de Dieu sur le destin de
l'humanité, des peuples et du monde. A travers ce langage, les deux Epîtres
nous disent que c'est dans le Christ que se trouve l'accomplissement de ce
mystère. Si nous sommes avec le Christ, même si nous ne pouvons pas
intellectuellement tout comprendre, nous savons que nous sommes dans le noyau
du "mystère" et sur le chemin de la vérité. C'est Lui, dans sa
totalité, et non pas dans un aspect de sa personne ou à un moment de son
existence, qui porte en lui la plénitude du dessein divin insondable de salut.
En lui prend forme ce qui est appelée "la sagesse infinie en ressources
déployées par Dieu" (Ep 3, 10), car en Lui "habite corporellement
toute la plénitude de la Divinité" (Col 2, 9). C'est pourquoi, désormais,
il n'est pas possible de penser et d'adorer la volonté de Dieu, sa disposition
souveraine, sans nous confronter personnellement avec le Christ en personne,
dans lequel ce "mystère" s'incarne et peut être perçu de façon
tangible. On parvient ainsi à contempler l'"insondable richesse du
Christ" (Ep 3, 8) qui va au-delà de toute compréhension humaine. Ce n'est
pas que Dieu a laissé des traces de son passage, car le Christ lui-même est la
trace de Dieu, son empreinte suprême; mais on se rend compte de ce qu'est
"la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur" de ce
"mystère" qui "surpasse toute connaissance" (Ep 3, 18-19).
Les simples catégories intellectuelles apparaissent ici insuffisantes, et, en
reconnaissant que de nombreuses choses vont au-delà de nos capacités
rationnelles, il faut s'en remettre à la contemplation humble et joyeuse non
seulement de l'esprit, mais également du cœur. Les Pères de l'Eglise,
d'ailleurs, nous disent que l'amour comprend plus que la seule raison.
Il faut dire un dernier mot
sur le concept, déjà évoqué plus haut, relatif à l'Eglise comme épouse du
Christ. Dans la deuxième Lettre aux Corinthiens, l'apôtre Paul avait
comparé la communauté chrétienne à une fiancée, écrivant ceci: "J'éprouve
à votre égard en effet une jalousie divine; car je vous ai fiancés à un Epoux
unique, comme une vierge pure à présenter au Christ" (2 Co 11, 2). La Lettre
aux Ephésiens développe cette image, en précisant que l'Eglise n'est pas
seulement une épouse promise, mais la réelle épouse du Christ. Celui-ci l'a,
pour ainsi dire, conquise, et il l'a fait au prix de sa vie: comme le dit
le texte, "il s'est livré pour elle" (Ep 5, 25). Quelle preuve
d'amour peut être plus grande que celle-ci? Mais, en plus, il se préoccupe de
sa beauté: non seulement de celle déjà acquise par le baptême, mais
également de celle qui doit grandir chaque jour grâce à une vie irréprochable,
"sans tache ni ride" dans son comportement moral (Ep 5, 26-27). De là
à l'expérience commune du mariage chrétien il n'y a qu'un pas; et d'ailleurs,
le point de référence initial pour l'auteur de la Lettre n'apparaît pas
très clairement: s'il s'agit du rapport Christ-Eglise, à la lumière
duquel penser l'union de l'homme et de la femme, ou encore s'il s'agit de
l'expérience de l'union conjugale, à la lumière de laquelle penser le rapport
entre le Christ et l'Eglise. Mais les deux aspects s'illuminent
réciproquement: nous apprenons ce qu'est le mariage à la lumière de la
communion du Christ et de l'Eglise, nous apprenons que le Christ s'unit à nous
en pensant au mystère du mariage. Dans tous les cas, notre Lettre se
situe presque à mi-chemin entre le prophète Osée, qui indiquait le rapport
entre Dieu et son peuple en termes de noces ayant déjà eu lieu (cf
Os 2,4.16.21) et le Voyant de l'Apocalypse, qui prédira la rencontre
eschatologique entre l'Eglise et l'Agneau comme des épousailles joyeuses et
indéfectibles (cf. Ap 19,7-9; 21,9).
Il y aurait encore beaucoup à
dire, mais il me semble que, d'après ce qui a été exposé, il est déjà possible
de comprendre que ces deux Lettres forment une grande catéchèse, qui peut nous
apprendre non seulement comment être de bons chrétiens, mais également comment
devenir réellement des hommes. Si nous commençons à comprendre que l'univers
est l'empreinte du Christ, nous apprenons à connaître notre rapport étroit avec
l'univers, avec tous les problèmes de la sauvegarde de l'univers. Nous
apprenons à le voir avec la raison, mais avec une raison animée par l'amour, et
avec l'humilité et le respect qui permettent d'agir de façon juste. Et si nous
pensons que l'Eglise est le Corps du Christ, que le Christ s'est livré pour
elle, nous apprenons la façon de vivre avec le Christ l'amour réciproque,
l'amour qui nous unit à Dieu et qui nous fait voir dans l'autre l'image du
Christ, le Christ lui-même. Prions le Seigneur pour qu'il nous aide à bien
méditer l'Ecriture Sainte, sa Parole, et à apprendre ainsi réellement à bien
vivre.
* * *
Je suis heureux de saluer le
pèlerinage Sainte-Thérèse de Lisieux, qui, avec les Évêques de Bayeux-Lisieux
et de Séez, accompagne le reliquaire des Bienheureux Louis et Zélie Martin, les
parents de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui ont si profondément vécu ce
mystère d’amour du Christ. J’offre également mes vœux aux Religieuses
contemplatives de la Sainte-Famille de Bordeaux ainsi qu’aux jeunes de
l’Institution Jeanne d’Arc de Colombes.
©
Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
28 janvier 2009
Chers Frères et Sœurs,
Considérons aujourd’hui les
Lettres Pastorales de saint Paul. Elles étaient adressées à des Pasteurs de
l'Église: deux à Timothée et une à Tite, ses proches collaborateurs qu’il a
aimés comme des fils très chers et à qui il a confié des missions importantes
et délicates. Ces lettres évoquent une situation ecclésiale différente de celle
qu’a connue directement Paul: de nouveaux contextes culturels et des doctrines
erronées surgissent. L’auteur des Lettres les affronte en rappelant qu’il faut
faire une lecture intelligente des Écritures et se référer sans cesse au
«dépôt» transmis par les générations précédentes. Écriture et Tradition sont le
«fondement solide posé par Dieu» (2 Tm 2,19). Il faut donc être «attaché
à la parole sûre et conforme à la doctrine» (Tt 1,9). À la base de tout
il y a la foi dans la révélation historique de la bonté de Dieu.
La communauté chrétienne se
présente comme enracinée sur les points essentiels de la foi qui ici est
synonyme de «vérité». Elle est ouverte à l’universel et elle prie pour tous les
hommes afin qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité. Dans ces Lettres
apparaît pour la première fois le triple ministère d’évêque, de prêtre et de
diacre. L'Église est comme une maison familiale, la «maison de Dieu», dont
l’épiscope est le père. Prions saint Paul pour que nous puissions toujours plus
être perçus comme membres de la «famille de Dieu».
* * *
Je salue avec affection les
pèlerins de la paroisse Sainte-Croix et les jeunes de l’externat «Saint-Joseph»
d’Ollioules. Je vous souhaite d’être pleinement concitoyens des saints et
familiers de Dieu. Avec ma Bénédiction apostolique!
©
Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana
BENOÎT
XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi
4 février 2009
Le martyre et son héritage
Chers frères et sœurs,
La série de nos catéchèses sur
la figure de saint Paul est arrivée à sa conclusion: nous souhaitons
parler aujourd'hui de la fin de sa vie terrestre. L'antique tradition
chrétienne témoigne de manière unanime que la mort de Paul eut lieu suite au
martyre subi ici à Rome. Les écrits du nouveau Testament ne nous racontent pas
cet épisode. Les Actes des Apôtres achèvent leur récit en évoquant
l'emprisonnement de l'Apôtre, qui pouvait toutefois recevoir tous ceux qui
venaient le voir (cf. Ac 28, 30-31). C'est uniquement dans la deuxième Lettre
à Timothée que nous trouvons ces paroles prémonitoires: "Quant à
moi je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est venu"
(2 Tm 4, 6; cf. Ph 2, 17). On a ici recours à deux images, l'image cultuelle du
sacrifice, qu'il avait déjà utilisée dans la première Lettre aux Philippiens en
interprétant le martyre comme une partie du sacrifice du Christ, et l'image
marine de jeter les amarres: deux images qui ensemble, font discrètement
allusion à l'événement de la mort, et d'une mort dans le sang.
Le premier témoignage
explicite sur la fin de saint Paul nous vient du milieu des années 90 du Ier
siècle, c'est-à-dire un peu plus de trois décennies après sa mort effective. Il
s'agit précisément de la Lettre que l'Eglise de Rome, avec son évêque
Clément I, écrivit à l'Eglise de Corinthe. Dans ce texte épistolaire, l'on est
invité à garder devant les yeux l'exemple des apôtres, et, immédiatement après
avoir mentionné le martyre de Pierre, on lit ceci: "A cause de la
jalousie et de la discorde, Paul fut obligé de nous montrer comment l'on
obtient le prix de la patience. Arrêté sept fois, exilé, lapidé, il fut le
héraut du Christ en Orient et en Occident, et en raison de sa foi, il s'acquit
une gloire pure. Après avoir prêché la justice au monde entier, et après être
parvenu à l'extrémité de l'Occident, il subit le martyre devant les
gouvernants; c'est ainsi qu'il quitta ce monde et qu'il parvint au lieu saint,
devenu ainsi le plus grand modèle de patience" (1 Clem 5, 2). La
patience dont il parle est l'expression de sa communion à la passion du Christ,
de la générosité et de la constance avec laquelle il a accepté le long chemin
de souffrance, afin de pouvoir dire: "Je porte dans mon corps les
marques de Jésus" (Ga 6, 17). Nous avons entendu dans le texte de saint
Clément que Paul serait arrivé jusqu'à "l'extrémité de l'occident".
L'on se demande s'il s'agit d'une allusion à un voyage en Espagne, que saint
Paul aurait fait. Il n'existe pas de certitudes sur ce point, mais il est vrai
que saint Paul dans sa Lettre aux Romains exprime son intention d'aller en
Espagne (cf. Rm 15, 24).
Ce qui est en revanche très
intéressant dans la lettre de Clément, c'est la succession des deux noms de Pierre
et de Paul, même s'ils seront intervertis dans le témoignage d'Eusèbe de
Césarée du iv siècle, qui en parlant de l'Empereur Néron écrivait:
"Pendant son règne, Paul fut décapité précisément à Rome et Pierre y fut
crucifié. Le récit est confirmé par le nom de Pierre et de Paul, qui est encore
aujourd'hui conservé sur leurs sépulcres dans cette ville" (Hist. eccl.
2, 25, 5). Eusèbe poursuit ensuite en rapportant la déclaration précédente
d'un prêtre romain du nom de Gaius, remontant aux débuts du ii siècle:
"Je peux te montrer les trophées des apôtres: si tu vas au Vatican
ou sur la Via Ostiense, tu y trouveras les trophées des fondateurs de
l'Eglise" (ibid., 2, 25, 6-7). Les "trophées" sont les
monuments sépulcraux, et il s'agit des sépultures elles-mêmes de Pierre et de
Paul qu'aujourd'hui encore, deux mille ans après, nous vénérons nous aussi dans
les mêmes lieux: que ce soit ici au Vatican en ce qui concerne Pierre, ou
dans la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs sur la Via Ostiense en ce qui concerne
l'Apôtre des nations.
Il est intéressant de noter
que les deux grands apôtres sont mentionnés ensemble. Même si aucune source
antique ne parle d'un éventuel ministère commun à Rome, la conscience
chrétienne qui suivra sur la base de leur sépulture à tous deux dans la
capitale de l'empire, les associera également comme fondateurs de l'Eglise de
Rome. C'est en effet ce que l'on lit chez Irénée de Lyon, vers la fin du ii
siècle, à propos de la succession apostolique dans les diverses Eglises:
"Comme il serait trop long d'énumérer les successions de toutes les
Eglises, nous prendrons la très grande et très antique Eglise connue de tous,
l'Eglise fondée et établie à Rome par les deux très glorieux apôtres Pierre et
Paul" (Adv. haer. 3, 3, 2).
Laissons cependant à présent
de côté la figure de Pierre et concentrons-nous sur celle de Paul. Son martyre
est raconté pour la première fois par les Actes de Paul, écrits vers la
fin du II siècle. Ceux-ci rapportent que Néron le condamna à mort par
décollation, et que celle-ci fut exécutée immédiatement après (cf. 9, 5). La
date de la mort varie déjà dans les sources antiques, qui la situent entre la
persécution lancée par Néron lui-même après l'incendie de Rome, qui eut lieu en
juillet de l'an 64, et la dernière année de son règne, c'est-à-dire 68 (cf. Jérôme,
De viris ill., 5, 8). Le calcul dépend beaucoup de la chronologie de
l'arrivée de Paul à Rome, un débat dans lequel nous ne pouvons pas entrer ici.
Des traditions successives précisèrent deux autres éléments. L'un, le plus
légendaire, est que le martyre eut lieu aux Acquae Salviae, sur la via
Laurentina, et que sa tête rebondit trois fois, ce qui à chaque fois suscita
l'écoulement d'un flot d'eau, c'est la raison pour laquelle le lieu porte le
nom, aujourd'hui encore, de "Tre fontane", Trois fontaines (Actes de
Pierre et Paul du Pseudo Marcel, du v siècle). L'autre, en harmonie avec
l'antique témoignage, déjà mentionné, du prêtre Gaius, est que sa sépulture eut
lieu non seulement "en dehors de la ville... au deuxième mille sur la via
Ostiense", mais plus précisément "dans le domaine de Lucina",
qui était une femme chrétienne (Passion de Paul du Pseudo Abdia, du vi
siècle). C'est là que, au IV siècle, l'empereur Constantin érigea une première
église, ensuite largement agrandie entre le IV et le V siècle par les empereurs
Valentinien II, Théodose et Arcadius. Après l'incendie de 1800, fut ici érigée
l'actuelle basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.
Quoi qu'il en soit, la figure
de saint Paul a un rayonnement qui va bien au-delà de sa vie terrestre et de sa
mort; en effet, il a laissé un extraordinaire héritage spirituel. Lui aussi,
comme un véritable disciple de Jésus, devint un signe de contradiction. Alors
que parmi ceux qu'on appelait les "ébionites" - un courant judéo-chrétien
- il était considéré comme apostat par la loi mosaïque, dans le livre des Actes
des Apôtres apparaît une grande vénération envers l'apôtre Paul. Je
voudrais à présent faire abstraction de la littérature apocryphe, comme les Actes
de Paul et Tecla et un recueil de lettres apocryphes entre l'Apôtre Paul et
le philosophe Sénèque. Il est surtout important de constater que, très vite,
les Lettres de saint Paul entrent dans la liturgie, où la structure
prophète-apôtre-Evangile est déterminante pour la forme de la liturgie de la
Parole. Ainsi, grâce à cette "présence" dans la liturgie de l'Eglise,
la pensée de l'Apôtre devient dès le début une nourriture spirituelle pour les
fidèles de tous les temps.
Il est évident que les Pères
de l'Eglise et ensuite tous les théologiens se sont nourris des Lettres de
saint Paul et de sa spiritualité. Il est ainsi resté au cours des siècles,
jusqu'à aujourd'hui, le véritable maître et apôtre des nations. Le premier
commentaire patristique qui nous soit parvenu sur un écrit du Nouveau Testament
est celui du grand théologien d'Alexandrie, Origène, qui commente la Lettre de
Paul aux Romains. Ce commentaire n'est malheureusement conservé qu'en
partie. Saint Jean Chrysostome, en plus des commentaires de ses Lettres, a
écrit sur lui sept Panégyriques mémorables. Saint Augustin lui devra le
pas décisif de sa propre conversion, et il fera référence à Paul tout au long
de sa vie. De ce dialogue permanent avec l'Apôtre dérive sa grande théologie
catholique et également la théologie protestante de tous les temps. Saint
Thomas d'Aquin nous a laissé un beau commentaire aux Lettres pauliniennes,
qui représente le fruit le plus mûr de l'exégèse médiévale. Un véritable
tournant eut lieu au xvi siècle avec la Réforme protestante. Le moment décisif
de la vie de Luther fut ce que l'on appelle "Turmerlebnis", (1517) au
cours duquel il trouva en un instant une nouvelle interprétation de la doctrine
paulinienne de la justification. Une interprétation qui le libéra des scrupules
et des angoisses de sa vie précédente et lui donna une nouvelle confiance
radicale dans la bonté de Dieu qui pardonne tout sans condition. A partir de ce
moment, Luther identifia le droit judéo-chrétien, condamné par l'Apôtre, avec
l'ordre de la vie de l'Eglise catholique. Et l'Eglise lui apparut donc comme
l'expression de l'esclavage de la loi, à laquelle il opposa la liberté de
l'Evangile. Le Concile de Trente, de 1545 à 1563, interpréta de manière
profonde la question de la justification et trouva en continuité avec toute la
tradition catholique la synthèse entre la loi et l'Evangile, conformément au
message de l'Ecriture Sainte lue dans sa totalité et son unité.
Le XIX siècle, recueillant le
meilleur héritage du siècle des Lumières, connut un renouveau du paulinisme, en
particulier sur le plan du travail scientifique développé par l'interprétation
historique et critique de l'Ecriture Sainte. Nous laisserons de côté le fait
qu'à ce siècle-là également, comme ensuite au xx siècle, apparut un véritable
dénigrement de saint Paul. Je pense en particulier à Nietzsche, qui dénigrait
la théologie de l'humilité de saint Paul, en opposant à celle-ci sa théologie
de l'homme fort et puissant. Mais laissons tout cela de côté, et examinons le
courant essentiel de la nouvelle interprétation scientifique de l'Ecriture
Sainte et du nouveau paulinisme de ce siècle. On a souligné ici en particulier
comme central dans la pensée paulinienne le concept de liberté: dans
celui-ci a été identifié le cœur de la pensée paulinienne, comme par ailleurs
l'avait déjà pressenti Luther. Or le concept de liberté était toutefois
réinterprété dans le contexte du libéralisme moderne. De plus, on souligne
fortement la différence entre l'annonce de saint Paul et l'annonce de Jésus. Et
saint Paul apparaît presque comme un nouveau fondateur du christianisme. Il est
vrai que chez saint Paul, le caractère central du Royaume de Dieu, déterminant
pour l'annonce de Jésus, est transformé dans le caractère central de la
christologie, dont le point déterminant est le mystère pascal. Et du mystère
pascal découlent les Sacrements du Baptême et de l'Eucharistie, comme présence
permanente de ce mystère, à partir duquel croît le Corps du Christ et se
construit l'Eglise. Mais, je dirais, sans entrer à présent dans les détails, que
c'est précisément dans le nouveau caractère central de la christologie et du
mystère pascal que se réalise le Royaume de Dieu, l'annonce authentique de
Jésus devenant concrète, présente et active. Nous avons vu dans les catéchèses
précédentes que cette nouveauté paulinienne est précisément la fidélité la plus
profonde à l'annonce de Jésus. Dans le progrès de l'exégèse, en particulier au
cours des deux cents dernières années, croissent également les convergences
entre exégèse catholique et exégèse protestante, réalisant ainsi un consensus
remarquable précisément sur le point qui fut à l'origine du plus grand
désaccord historique. Il s'agit donc d'une grande espérance pour la cause de
l'œcuménisme, si centrale pour le Concile Vatican ii.
Enfin, je voudrais brièvement évoquer une fois de plus les divers mouvements religieux, apparus à l'époque moderne au sein de l'Eglise catholique, et qui se réfèrent au nom de saint Paul. C'est ce qui a eu lieu au xvi siècle avec la "Congrégation de saint Paul", dite des barnabites, au xix siècle avec les missionnaires de saint Paul, ou Paulistes, et au XX siècle avec la "Famille paulinienne" sous de multiples formes, fondée par le bienheureux Giacomo Alberione, pour ne pas parler de l'Institut séculier de la "Compagnie de saint Paul". En résumé, demeure lumineuse devant nous la figure d'un apôtre et d'un penseur chrétien extrêmement fécond et profond, dont chacun peut tirer profit de l'étude. Dans l'un de ses panégyriques, saint Jean Chrysostome fit une comparaison originale entre Paul et Noé, en s'exprimant ainsi: Paul "n'assembla pas des planches pour fabriquer une arche; au contraire, au lieu d'unir des planches de bois, il composa des lettres et ainsi arracha aux flots non pas deux, trois ou cinq membres de sa famille, mais tout l'œkoumène qui était sur le point de périr" (Paneg. 1, 5). C'est précisément cela que peut encore et toujours faire l'apôtre Paul. Puiser chez lui, tant dans son exemple apostolique que dans sa doctrine, sera donc un encouragement, sinon une garantie, pour la consolidation de l'identité chrétienne de chacun de nous et le rajeunissement de l'Eglise tout entière.
Enfin, je voudrais brièvement évoquer une fois de plus les divers mouvements religieux, apparus à l'époque moderne au sein de l'Eglise catholique, et qui se réfèrent au nom de saint Paul. C'est ce qui a eu lieu au xvi siècle avec la "Congrégation de saint Paul", dite des barnabites, au xix siècle avec les missionnaires de saint Paul, ou Paulistes, et au XX siècle avec la "Famille paulinienne" sous de multiples formes, fondée par le bienheureux Giacomo Alberione, pour ne pas parler de l'Institut séculier de la "Compagnie de saint Paul". En résumé, demeure lumineuse devant nous la figure d'un apôtre et d'un penseur chrétien extrêmement fécond et profond, dont chacun peut tirer profit de l'étude. Dans l'un de ses panégyriques, saint Jean Chrysostome fit une comparaison originale entre Paul et Noé, en s'exprimant ainsi: Paul "n'assembla pas des planches pour fabriquer une arche; au contraire, au lieu d'unir des planches de bois, il composa des lettres et ainsi arracha aux flots non pas deux, trois ou cinq membres de sa famille, mais tout l'œkoumène qui était sur le point de périr" (Paneg. 1, 5). C'est précisément cela que peut encore et toujours faire l'apôtre Paul. Puiser chez lui, tant dans son exemple apostolique que dans sa doctrine, sera donc un encouragement, sinon une garantie, pour la consolidation de l'identité chrétienne de chacun de nous et le rajeunissement de l'Eglise tout entière.
* * *
Je suis heureux de vous
accueillir, chers pèlerins francophones. Je salue particulièrement le groupe
des Ukrainiens de Belgique, les séminaristes de Liège, Tournai et
Malines-Bruxelles, ainsi que les responsables et les lecteurs de la Documentation
catholique venus à Rome célébrer le quatre-vingt dixième anniversaire de la
revue. Que l’exemple de saint Paul soit pour vous tous un stimulant pour votre
amour de l’Église et pour votre fidélité envers son enseignement. Que Dieu vous
bénisse!
Appel à la paix au
Sri Lanka
La situation au Sri Lanka
continue à être une source de préoccupation. Les nouvelles de la cruauté du
conflit et du nombre croissant des victimes innocentes, me poussent à lancer un
appel fervent aux combattants afin qu'ils respectent le droit humanitaire et la
liberté de mouvement de la population. Qu'ils fassent le possible pour garantir
l'assistance aux blessés et la sécurité des civils et qu'ils leur permettent de
répondre à leurs nécessités alimentaires et médicales urgentes.
Que la Sainte Vierge de Madhu,
très vénérée par les catholiques mais aussi par les fidèles d'autres religions,
fasse que soit proche le jour de la paix et de la réconciliation dans ce pays
bien-aimé.
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Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana
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