Saint Jean de la Croix
Carme, Docteur de l'Église
1542 + 1591
J
ean de la Croix (Juan de
Yepes Álvarez) naît en 1542 dans le petit village de Fontiveros, proche
d'Avila, en Vieille Castille, de Gonzalo de Yepes et Catalina Álvarez.
Jouant
un jour au bord d'un étang, il glissa au fond de l'eau ; une grande et
belle dame vint lui offrir la main pour le sauver : « Non,
dit l'enfant, vous êtes trop belle, ma main salirait la vôtre. » Alors
un vieillard se présenta, marchant aussi dans l'eau, tendit son bâton à
l'enfant et le ramena sur le bord. Une autre fois il tomba dans un
puits ; on croyait l'y retrouver mort ; il était assis
paisiblement : « Une belle dame, dit-il, m'a reçu dans son
manteau et m'a gardé. »
Ainsi
Jean croissait sous le regard de Marie.
Un
jour qu'il priait Notre-Seigneur de lui faire connaître sa vocation, une
voix intérieure lui dit : « Tu entreras dans un ordre religieux,
dont tu relèveras la ferveur primitive. »
Il
avait vingt et un ans quand il entra au Carmel, et dépassa de beaucoup tous
ses frères, tout en cachant ses œuvres extraordinaires. Il habitait un
réduit obscur, mais dont la fenêtre donnait dans la chapelle, en face du
Très Saint-Sacrement. Il portait autour du corps une chaîne de fer hérissée
de pointes, et par-dessus cette chaîne un vêtement étroit et serré, composé
de joncs enlacés par de gros nœuds. Ses disciplines étaient si cruelles,
que le sang jaillissait en abondance.
Le
sacerdoce ne fit que redoubler son désir de la perfection. Il songeait à
s'ensevelir à la Chartreuse, quand sainte Thérèse, éclairée de Dieu sur son
mérite, lui confia ses projets de réforme du Carmel et l'engagea à se faire
son auxiliaire. Jean se retira dans une maison étroite, pauvre, et commença
seul un nouveau genre de vie, conforme aux règles primitives de l'Ordre du
Carmel. Peu de jours après, il avait deux compagnons : la réforme
était fondée.
Ce
ne fut pas sans tempêtes qu'elle se développa, car l'enfer sembla
s'acharner contre elle, et tandis que le peuple vénérait Jean comme un
saint, il eut à souffrir, de la part de ceux qui auraient dû le seconder,
d'incroyables persécutions, les injures, les calomnies, jusqu'à la prison.
Pour le consoler, Marie lui apparut et lui annonça sa délivrance
prochaine ; en effet, quelques jours après, il se trouva, sans savoir
comment, au milieu de la ville de Tolède. Dieu le récompensa de ses
épreuves par des extases fréquentes ; sainte Thérèse l'appelait un
homme tout divin. Il écrivit des ouvrages spirituels d'une
élévation sublime. Une colombe le suivait partout, et une odeur suave
s'exhalait de son corps.
Au
moment de sa mort, la nuit entre le 13 et le 14 décembre 1591, à Úbeda, en
Espagne, un globe de feu brillant comme un soleil entoura son corps.
Jean
de la Croix a été béatifié en 1675 par le Pp Clément X (Emilio Altieri,
1670-1676) ; canonisé par le pape Benoît XIII (Pietro Francesco
Orsini, 1724-1730), le 27 décembre 1726 ; déclaré docteur de l'Église
par le pape Pie XI (Ambrogio Damiano Achille Ratti, 1922-1939) le 24 août 1926.
Pour approfondir, lire la Catéchèse du pape Benoît
XVI :
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Salle
Paul VI
Mercredi 16 février 2011
Saint Jean de la Croix
Chers frères et sœurs,
Il y a deux semaines, j'ai
présenté la figure de la grande mystique espagnole Thérèse de Jésus. Je
voudrais aujourd'hui parler d'un autre saint important de ces territoires,
ami spirituel de sainte Thérèse, réformateur, avec elle, de la famille
religieuse carmélitaine: saint Jean de la Croix, proclamé Docteur de
l'Eglise par le Pape Pie
XI, en 1926, et surnommé dans la tradition Doctor mysticus,
«Docteur mystique».
Jean de la Croix naquit en
1542 dans le petit village de Fontiveros, proche d'Avila, en Vieille
Castille, de Gonzalo de Yepes et Catalina Alvarez. Sa famille était très
pauvre, car son père, issu d’une famille noble de Tolède, avait été chassé
de chez lui et déshérité pour avoir épousé Catalina, une humble tisseuse de
soie. Orphelin de père dans son jeune âge, Jean, à neuf ans, partit avec sa
mère et son frère Francisco pour Medina del Campo, non loin de Valladolid,
un pôle commercial et culturel. Il y fréquenta le Colegio de los
Doctrinos, en assurant également d'humbles travaux pour les sœurs de
l'église-couvent de la Madeleine. Par la suite, vues ses qualités humaines
et ses résultats dans les études, il fut admis d'abord comme infirmier dans
l'Hôpital de la Conception, puis au Collège des jésuites, qui venait d'être
fondé à Medina del Campo: Jean y entra à dix-huit ans et étudia pendant
trois ans les sciences humaines, la rhétorique et les langues classiques. A
la fin de sa formation, sa vocation lui était très claire: la vie
religieuse et, parmi tous les ordres présents à Medina, il se sentit appelé
au carmel.
Au cours de l'été 1563, il
débuta le noviciat chez les carmes de la ville, en prenant le nom religieux
de Mattia. L'année suivante, il fut destiné à la prestigieuse université de
Salamanque, où il étudia pendant un triennat les arts et la philosophie. En
1567, il fut ordonné prêtre et retourna à Medina del Campo pour célébrer sa
première Messe entouré de l'affection de sa famille. C'est là qu'eut lieu
la première rencontre entre Jean et Thérèse de Jésus. La rencontre fut
décisive pour tous les deux: Thérèse lui exposa son programme de réforme du
carmel, l’appliquant également à la branche masculine de l'ordre et proposa
à Jean d'y adhérer «pour la plus grande gloire de Dieu»; le jeune prêtre
fut fasciné par les idées de Thérèse, au point de devenir un grand
défenseur du projet. Ils travaillèrent ensemble quelques mois, partageant
les idéaux et les propositions pour inaugurer le plus rapidement possible
la première maison des carmes déchaux: l'ouverture eut lieu le 28 décembre
1568 à Duruelo, un lieu isolé de la province d'Avila. Avec Jean, trois
autres compagnons formaient cette première communauté masculine réformée.
En renouvelant leur profession de foi selon la Règle primitive, tous les
quatre adoptèrent un nouveau nom: Jean s'appela dès lors «de la Croix», nom
sous lequel il sera universellement connu. A la fin de 1572, à la demande
de sainte Thérèse, il devint confesseur et vicaire du monastère de
l’Incarnation d'Avila, où la sainte était prieure. Ce furent des années
d'étroite collaboration et d'amitié spirituelle, qui les enrichit tous
deux. C'est à cette période que remontent aussi les plus importantes œuvres
de Thérèse et les premiers écrits de Jean.
L’adhésion à la réforme du
carmel ne fut pas facile et coûta également de graves souffrances à Jean.
L’épisode le plus traumatisant fut, en 1577, son enlèvement et son
incarcération dans le couvent des carmes de l’antique observance de Tolède,
à la suite d’une accusation injuste. Le saint fut emprisonné pendant des
mois, soumis à des privations et des contraintes physiques et morales. En
ce lieu, il composa, avec d’autres poésies, le célèbre Cantique
spirituel. Finalement, dans la nuit du 16 au 17 août 1578, il réussit à
fuir de façon aventureuse, se réfugiant dans le monastère des carmélites
déchaussées de la ville. Sainte Thérèse et ses compagnons réformés
célébrèrent avec une immense joie sa libération et, après une brève période
pour retrouver ses forces, Jean fut destiné à l’Andalousie, où il passa dix
ans dans divers couvents, en particulier à Grenade. Il assuma des charges
toujours plus importantes dans l’ordre, jusqu’à devenir vicaire provincial,
et il compléta la rédaction de ses traités spirituels. Il revint ensuite
dans sa terre natale, comme membre du gouvernement général de la famille
religieuse thérésienne, qui jouissait désormais d’une pleine autonomie
juridique. Il habita au carmel de Ségovie, exerçant la charge de supérieur
de cette communauté. En 1591, il fut relevé de toute responsabilité et
destiné à la nouvelle province religieuse du Mexique. Alors qu’il se
préparait pour ce long voyage avec dix autres compagnons, il se retira dans
un couvent solitaire près de Jaén, où il tomba gravement malade. Jean
affronta avec une sérénité et une patience exemplaires d’immenses
souffrances. Il mourut dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, alors que
ses confrères récitaient l’office de mâtines. Il les quitta en disant:
«Aujourd’hui je vais chanter l’Office au ciel». Sa dépouille mortelle fut
transférée à Ségovie. Il fut béatifié par Clément X en 1675 et canonisé par
Benoît XIII en 1726.
Jean est considéré comme
l’un des plus importants poètes lyriques de la littérature espagnole. Ses
plus grandes œuvres sont au nombre de quatre: «La montée du Mont Carmel»,
«La nuit obscure», «Les cantiques spirituels» et «La vive flamme d’amour».
Dans les Cantiques
spirituels, saint Jean présente le chemin de purification de l’âme,
c’est-à-dire la possession progressive et joyeuse de Dieu, jusqu’à ce que
l’âme parvienne à sentir qu’elle aime Dieu avec le même amour dont Il
l’aime. La vive flamme d’amour poursuit dans cette perspective, en
décrivant plus en détail l’état de l’union transformante avec Dieu. Le
parallèle utilisé par Jean est toujours celui du feu: de même que le feu,
plus il brûle et consume le bois, plus il devient incandescent jusqu’à
devenir flamme, ainsi l’Esprit Saint, qui au cours de la nuit obscure
purifie et «nettoie» l’âme, avec le temps l’illumine et la réchauffe comme
si elle était une flamme. La vie de l’âme est une incessante fête de
l’Esprit Saint, qui laisse entrevoir la gloire de l’union avec Dieu dans
l’éternité.
La montée du Mont
Carmel présente l’itinéraire spirituel du point de vue de la
purification progressive de l’âme, nécessaire pour gravir le sommet de la
perfection chrétienne, symbolisée par le sommet du Mont Carmel. Cette
purification est proposée comme un chemin que l’homme entreprend, en collaborant
avec l’action divine, pour libérer l’âme de tout attachement ou lien
d’affection contraire à la volonté de Dieu. La purification, qui pour
parvenir à l’union d’amour avec Dieu doit être totale, commence par celle
de la vie des sens et se poursuit par celle que l’on obtient au moyen des
trois vertus théologales: foi, espérance et charité, qui purifient
l’intention, la mémoire et la volonté. La nuit obscure décrit
l’aspect «passif», c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans ce processus de
«purification» de l’âme. L’effort humain, en effet, est incapable tout seul
d’arriver jusqu’aux racines profondes des inclinations et des mauvaises
habitudes de la personne: il peut seulement les freiner, mais non les
déraciner complètement. Pour cela, l’action spéciale de Dieu est
nécessaire, qui purifie radicalement l’esprit et le dispose à l’union
d’amour avec Lui. Saint Jean qualifie de «passive» cette purification,
précisément parce que, bien qu’acceptée par l’âme, elle est réalisée par
l’action mystérieuse de l’Esprit Saint qui, comme la flamme du feu, consume
toute impureté. Dans cet état, l’âme est soumise à tous types d’épreuves,
comme si elle se trouvait dans une nuit obscure.
Ces indications sur les
œuvres principales du saint nous aident à nous familiariser avec les points
principaux de sa vaste et profonde doctrine mystique, dont l’objectif est
de décrire un chemin sûr pour parvenir à la sainteté, l’état de perfection
auquel Dieu nous appelle tous. Selon Jean de la Croix, tout ce qui existe,
créé par Dieu, est bon. A travers les créatures, nous pouvons parvenir à la
découverte de Celui qui a laissé en elles une trace de lui. La foi, quoi
qu’il en soit, est l’unique source donnée à l’homme pour connaître Dieu tel
qu’il est en soi, comme Dieu Un et Trine. Tout ce que Dieu voulait
communiquer à l’homme, il l’a dit en Jésus Christ, sa Parole faite chair.
Jésus Christ est le chemin unique et définitif vers le Père (cf. Jn
14, 6). Toute chose créée n’est rien par rapport à Dieu et ne vaut rien en
dehors de Lui: par conséquent, pour atteindre l’amour parfait de Dieu, tout
autre amour doit se conformer dans le Christ à l’amour divin. C’est de là
que découle l’insistance de saint Jean de la Croix sur la nécessité de la
purification et de la libération intérieure pour se transformer en Dieu,
qui est l’objectif unique de la perfection. Cette «purification» ne
consiste pas dans la simple absence physique des choses ou de leur
utilisation; ce qui rend l’âme pure et libre, en revanche, est d’éliminer
toute dépendance désordonnée aux choses. Tout doit être placé en Dieu comme
centre et fin de la vie. Le processus long et fatigant de purification
exige certainement un effort personnel, mais le véritable protagoniste est
Dieu: tout ce que l’homme peut faire est d’«être disposé», être ouvert à
l’action divine et ne pas lui opposer d’obstacle. En vivant les vertus
théologales, l’homme s’élève et donne une valeur à son engagement. Le
rythme de croissance de la foi, de l’espérance et de la charité va de pair
avec l’œuvre de purification et avec l’union progressive avec Dieu jusqu’à
se transformer en Lui. Lorsque l’on parvient à cet objectif, l’âme est
plongée dans la vie trinitaire elle-même, de sorte que saint Jean affirme
qu’elle parvient à aimer Dieu avec le même amour que celui avec lequel il
l’aime, car il l’aime dans l’Esprit Saint. Voilà pourquoi le Docteur
mystique soutient qu’il n’existe pas de véritable union d’amour avec Dieu
si elle ne culmine pas dans l’union trinitaire. Dans cet état suprême,
l’âme sainte connaît tout en Dieu et ne doit plus passer à travers les
créatures pour arriver à Lui. L’âme se sent désormais inondée par l’amour
divin et se réjouit entièrement en lui.
Chers frères et sœurs, à
la fin demeure la question: ce saint, avec sa mystique élevée, avec ce
chemin difficile vers le sommet de la perfection, a-t-il quelque chose à
nous dire à nous également, au chrétien normal qui vit dans les
circonstances de cette vie actuelle, ou est-il un exemple, un modèle
uniquement pour quelques âmes élues, qui peuvent réellement entreprendre ce
chemin de la purification, de l’ascèse mystique? Pour trouver la réponse,
nous devons avant tout tenir compte du fait que la vie de saint Jean de la
Croix n’a pas été un «envol sur les nuages mystiques», mais a été une vie
très dure, très pratique et concrète, tant comme réformateur de l’ordre, où
il rencontra de nombreuses oppositions, que comme supérieur provincial, ou
dans les prisons de ses confrères, où il était exposé à des insultes
incroyables et à de mauvais traitements physiques. Cela a été une vie dure,
mais précisément au cours des mois passés en prison, il a écrit l’une de
ses œuvres les plus belles. Et ainsi, nous pouvons comprendre que le chemin
avec le Christ, aller avec le Christ, «le Chemin», n’est pas un poids
ajouté au fardeau déjà assez difficile de notre vie, ce n’est pas quelque
chose qui rendrait encore plus lourd ce fardeau, mais il s’agit d’une chose
totalement différente, c’est une lumière, une force, qui nous aide à porter
ce fardeau. Si un homme porte en lui un grand amour, cet amour lui donne
presque des ailes, et il supporte plus facilement toutes les épreuves de la
vie, car il porte en lui cette grande lumière; telle est la foi: être aimé
par Dieu et se laisser aimer par Dieu en Jésus Christ. Se laisser aimer est
la lumière qui nous aide à porter le fardeau de chaque jour. Et la sainteté
n’est pas notre œuvre, très difficile, mais elle est précisément cette
«ouverture»: ouvrir les fenêtres de notre âme pour que la lumière de Dieu
puisse entrer, ne pas oublier Dieu car c’est précisément dans l’ouverture à
sa lumière que se trouve la force, la joie des rachetés. Prions le Seigneur
afin qu’il nous aide à trouver cette sainteté, à nous laisser aimer par
Dieu, qui est notre vocation à tous et la véritable rédemption. Merci.
* * *
Je salue cordialement les
pèlerins francophones, en particulier les jeunes et les formateurs du
séminaire de Bayonne, accompagnés de leur Évêque, Monseigneur Marc Aillet!
Recueillant le message de saint Jean de la Croix, je vous invite à approfondir
votre vie chrétienne et à expérimenter les vertus théologales, source d’une
vraie transformation de vos vies et d’une progressive union avec Dieu. Avec
ma Bénédiction!
©
Copyright 2011 - Libreria Editrice Vaticana
SAN GIOVANNI
DELLA CROCE SACERDOTE E DOTTORE DELLA CHIESA / F
©Evangelizo.org
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