Depuis
mon arrivée en septembre, j'ai commencé plusieurs fois un mot,
jamais terminé, toujours trop personnel, souvent sans recul,
parfois l'orgueil m'empêchant d'oser dire que certains soirs,
c'est dur, c’est solitaire.
Plus
je remets le moment de me mettre à écrire, plus j'ai l'illusion
que je vais pouvoir mieux dire demain et cette procrastination
devient silence.
Et
puis ce soir comme tous les vendredis (et parfois d'autres jours
en semaine) je suis allé dire la messe dans la petite base
française. C'est pour moi une vraie joie : rencontrer des gens
nouveaux, hommes de troupe et officiers, célébrer en français,
et surtout prêcher. Ça se termine souvent par une bière à la
popote du camp. Petit à petit des liens se tissent, fragiles,
pudiques et vrais.
Ce
soir, avant le début de la messe, alors qu'on attendait encore
quelques participants, un militaire s'est avancé et m'a tendu
une boite en carton de ration de combat individuelle
réchauffable disant qu'au nom de tous il me faisait un cadeau.
Quelle n' pas été mon émotion d'ouvrir et de trouver ce crucifix
cassé ramassé dans l'église du village de Bartallah. Bartallah
village à une vingtaine de km à l’est de Mossoul a été libéré
fin octobre. Daesh en quittant les villages a souvent
partiellement incendié les églises (où depuis leur arrivée les
crucifix avaient été cassés, jetés à terre, détruits). Saccager
les lieux religieux et les maisons qu’avaient dû fuir les
chrétiens par haine de l’autre. Mais on ne détruit pas le Christ
même si certains gestes auraient cru pouvoir l'anéantir.
On
pourrait faire des discours sur la profanation au risque
d'attiser les haines. Cela serait vain, déplacé et probablement
inutile.
Je
suis surtout bouleversé par ce bout de crucifix (ce n'est qu'un
morceau de fonte) i est le Christ tout entier. Je repense à
cette femme syro-phénicienne, une "vraie" païenne, dans
l'évangile de Marc (Mc 7, 24-30) qui vient supplier Jésus de
guérir sa fille et se voit rabrouer : "il n'est pas bon de
prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiots" et cette
mère de répondre " les chiots sous la table mangent bien les
miettes des petits enfants." Jésus émerveillé dit alors " "A
cause de cette parole, le mal est sorti de ta fille"
Les
miettes tombées sous la table ne sont pas un petit bout de la
miséricorde du Christ, elles sont TOUTE sa miséricorde.
Ce
morceau de crucifix est TOUT le Christ qui souffre en Irak (et
il souffre pour tous, pas que pour les chrétiens)
Ce
bout de crucifix jeté à terre, abandonné comme mort, tombé comme
une miette à laquelle on n'attache plus d'importance, n'est que
la croix. Jésus, Lui va ressusciter, et j'espère l'Irak avec
lui, TOUT l'Irak.
Et je
pense aussi à Paul dans la 2 ème aux corinthiens et à cette
splendide phrase si souvent dite lors de la célébration de
sacrement des malades : ma puissance s'accomplit dans la
faiblesse.
Priez
pour que la Paix trouve une place dans le cœur de tous.
Priez
pour que les faiblesses des uns et des autres deviennent une
force de Résurrection.
Merci
Emmanuel
Devant
tous les reportages des média européens, beaucoup s’inquiètent
pour moi. Soyez rassurés, Ankawa, faubourg chrétien d’Erbil où
nous habitons semble mener une vie calme de bourgade de
province. Quelques « réfugiés » ont pu aller passer quelques
heures dans des villages libérés. Partout mêmes images de
dévastation et de désolation. Des photos des maisons des uns et
des autres circulent et s’échangent. Cela entretient évidemment
de très fors ressentiments. Tout à l’heure on m’a montré une
courte vidéo d’un village qui vient d’être libéré. Les femmes,
jeunes et agées, se débarassent avec rage des voiles qu’on
devait les forcer à porter et les jettent sur les barbelés qui
entourent le village !
La
vraie reconstruction de l’Irak, en dehors de toutes les
tractations politiques ou économiques va devoir se faire dans
les cœurs. Pour cela il n’y a pas de subventions
internationales. Il reste la prière, encore la prière et la
conviction que chacun doit être artisan de paix.
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