L’image est forte, sans précédent et
n’aura sans doute jamais sa pareille. Deux papes pour célébrer la messe en
l’honneur de deux autres papes, leurs proches prédécesseurs aujourd’hui
canonisés.
Pour l’anecdote, cette concélébration a
un succès de curiosité, comme l’avait eu la renonciation de Benoît XVI. Le
symbole, sinon le sens directement voulu par le pontife au moment de sa
décision, a pourtant une très grande signification. D’une certaine manière, la
fonction est désacralisée pour être mieux servie. Paradoxe d’une institution
vivante et non plus figée. Une décision tout à fait personnelle rend une
institution à sa dimension humaine. L’indiscutable fait place au bon sens. Le
ministère pétrinien n’est pas une « déification » de celui à qui il
est viagèrement confié (quoique les textes n’ait jamais dit que la charge soit
viagère, mais de fait elle était vécue ainsi par le titulaire et par les
fidèles), il est un service même si celui-ci est rendu au sommet d’une hiérarchie.
La renonciation de Benoît XVI a été une sorte d « démocratisation »
de la charge.
Aussitôt ensuite, le comportement du successeur a fait revenir
le dogme de l’infaiilibilité pontificale – second élément de
« déification » ou du caractère surhumain de la charge – à ce qu’il
est vraiment : l’expression de la foi de l’Eglise, une expression
davantage marqué par le collectif que par l’individuel. Le pape François l’a
défini, spontanément à peu près dans cs termes, et il y a trois jours une mise
au point de son service
de presse a rappelé la distinction de bon sens à opérer entre
le magistère et des propos perssonnels, familiers, d’ordre formellement privés,
tenus en dialogue particulier.
Ces deux faits – nouvaux – situent la
charge d’être à la tête de l’Eglise autrement qu’elle était jusqu’à présent
ressentie. Rien ne change dans les textes, rien non plus dans le sentiment de
très haute responsabilité qui anime la conscience du pape, quelle que soit sa
personnalité. La distinction se fait rétrospectivement plus précisément entre
la fonctoon et la personne du pape, quand intervient une évaluation
particulière, menée de façon rigureuse et contradictoire, à leur endroit post
mortem. Un procès en canonisation. Il st clair qu’un des éléments que constituent
leurs écrits et leurs aroles, peut difficilement être mise n cause, ce qui est
exceptionnel. En revanche, la conduite de leur vie et l’exemplarité,
l’inspiration divine de celle-ci est plus malaisée.
Elle pose deux qustions.
La première est commune, non aux personnes
canonisées, mais à la distinction, la « promotion » dont elles sont
l’objet. Toute personne, toute créature voulue sainte par le créateur, est
appelée à une sainteté effective laquelle peut se définir comme un rapport
parfait, abouti avec Dieu. Les conséquences concrètes ne sont pas tant une
réussite humaine, mais un rayonnement envers les autres. Reconnu ou pas, lié ou
pas par les tiers à la foi et à la pratique chrétienne en l’espèce – des vertus
théologales. En ce sens, il y beaucoup de saintes et de saints, au vrai, qu’il
n’y a dans ces catalogues et liturgies de l’Rglise. L’humain est relationnel,
les morts sont encore plus appréhensibles que les vivants en communion
quotidienne, en invitation et aussi en méditation d’un parcours, de difficultés
surmontées.
La canonisation ne change rien
intrinsèquement à ce qu’a vécu et a été telle personne, mais elle offre aux
fidèles et aux bonnes volontés des modèles. Cette labellisation est-elle une
pédagogie ? qui peut paraître puérile ? est-elle une incitation à
approfondir l’oeuvre de Dieu chez ses créatures ? elle est certainement un
chant de reconnaissance, un salut déférent, la reconnaissance d’une coopération
réussie entre un Créateur attaché à la liberté de ses créatures, et une
créature qui a retrouvé le sens, la
force et la dialectique de son existence. C’est assez rare pour être salué.
Quand le personnage a occupé des
fonctions exceptionnelles – quand il a été public pour tout ou partie de son
existence – les rois et reines, les grands politiques et militaires, les
hiérarques de l’Eglise – ce qui est canonisé st sa personne, non son œuvre. Là
commence la difficulté.
Si cette œuvre est d’ordre gouvernemental et politique, les
circonstances expliquent généralement et relativisent ce qui peut choquer. Ou
au contraire faciliter la mise sur les autels d’un personnalité plus illustre
par les faits d’une époque et et des réponses apportées par le saint, que par
sa vie personnelle. Il y aussi ds canonisations de circonstances même si la
personne qui en fait l’objet est par elle-même vénérable. Ainsi Jeanne d‘Arc –
relapse et sainte – participe-t-elle de la volonté de reconnaissance, en tant
que réconciliation après la Grande guerre, de la République française avec le
Saint-Siège. Saint Louis, ses croisades outre-Méditerranée ou contre les
Albigeois reste controversé, pas seulement dans le sud de son royaume : la France et se
distingue mal de ce qui est historiquement ressenti, en terre d’islam, comme
une agression. L’Opus Dei, distingué en la personne de son fondateur, est
suspect pour beaucoup de catholiques, pas seulement en Espagne ou à raison de ses
liens avec le franquisme. Les exemples abondent. A l’inverse, des personnalités,
des tempéraments, voire des souverainetés, ont été rayonnantes et de foi à
l’évidence, mais leur action ou certains épisodes très notoires de leur vie
troublent la propension à les vénérer. Pie XII est certainement dans ce cas et
l’Abbé Pierre, admirable fondateur, en imagination, en acte, puis en droit,
passionnant et passionné, a choqué par son concours à Roger Garaudy. Il y a
dans une canonisation une bonne part d’acquiescement d’un public, d’une opinion
générale qui ne traite pas en terme de doctrine, de foi et encore moins
d’escathologie.
La recension des miracles – réels selon les
données de la science – semble se circonscrire dans le seul médical, ce qui est
bien étroit, et en revient à enregistrer de l’extraordinaire au sens étymologique
mais pas toujours du spectaculaire. Des faits dont l’attestation est établie pour
les uns, restent douteux ou de l’ordre de légende dorée pour les autres. Ce
qui est attribuée à Mère Yvonne-Aimée de son vivant, est étonnant et semble
rendre plus difficile la marche de son procès. Une évidente prophétesse,
Madeleine Delbrel, manque de notoriété. Mais rien que ces « candidatures »
poussées par des entourages ou par des bénéficiaires de grâces très spécifiquement
et efficacement ressenties, a l’avantage de faire lire des vies selon leur
rapport à Dieu.
Reste la question d’appliquer cette façon
de lire en Eglise des biographies et, pour une ou un fidèle, de se lier
librement par une dévotion affectueuse, fraternelle, admirative, avec une autre
personne connue de son vivant ou non, à des papes contemporains. Tous ne
sont-ils pas effectivement saints ? dans leur vie intime, et auraient pu
gouverner l’Eglise dans une voie de foi, et une spiritualité
exceptionnelles ?
sans doute continué de quelques lignes en
fin de journée demain
2
Bertrand
Fessard de Foucault
n route de la Bretagne à la Savoie, dimanche
27 avril 2014
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