lundi 5 octobre 2015

Jean Paul II - homélie pour le jubilé des responsables politiques . 5 novembre 2000


JUBILÉ DES RESPONSABLES DE GOUVERNEMENTS,
DES PARLEMENTAIRES ET DES HOMMES POLITIQUES

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

5 novembre 2000



1. "Écoute, Israël !" (Dt 6, 4).
La parole de Dieu, sous une forme solennelle et en même temps affectueuse, nous a invités il y a un instant à "écouter". À écouter "aujourd'hui", "maintenant"; et à le faire non pas tout seuls ou en privé, mais ensemble : "Écoute, Israël !"
Cet appel vous parvient ce matin de manière particulière, à vous, chers Responsables de Gouvernements, Parlementaires, Hommes politiques, Administrateurs, réunis à Rome pour célébrer votre jubilé. Je vous salue tous cordialement, avec une pensée spéciale pour les Chefs d'État présents parmi nous.
Dans la célébration liturgique s’actualise, ici et maintenant, l'événement de l'Alliance avec Dieu. Quelle réponse Dieu attend-il de nous ? L'indication reçue à l'instant dans la proclamation du texte biblique est péremptoire : il faut avant tout se mettre à l’écoute. Non pas une écoute passive et désengagée. Les israélites comprirent bien que Dieu attendait d'eux une réponse active et responsable. C’est pourquoi ils promirent à Moïse : "Tu nous répéteras ce que le Seigneur notre Dieu t'aura dit; nous l'écouterons et le mettrons en pratique" (Dt 5, 27).
En prenant cet engagement, ils savaient qu'ils avaient à faire à un Dieu en qui ils pouvaient avoir confiance. Dieu aimait son peuple et voulait son bonheur. En échange, il demandait l'amour. Dans le "Shema Israël", que nous avons entendu dans la première lecture, conjointement à l’exigence de la foi dans le Dieu unique est exprimé le commandement fondamental, celui de l'amour pour Lui : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force" (Dt 6, 5).
2. La relation de l'homme avec Dieu n'est pas une relation de peur, d'esclavage ou d'oppression; au contraire, c'est une relation de confiance sereine, qui jaillit d'un libre choix motivé par l'amour. L'amour que Dieu attend de son peuple est la réponse à l'amour fidèle et prévenant qu'il lui a manifesté le premier à travers les diverses étapes de l'histoire du salut.
C’est précisément pour cette raison que les commandements, avant d'être compris comme un code légal et un règlement juridique, ont été compris par le peuple élu comme un événement de grâce, comme un signe de son appartenance privilégiée au Seigneur. Il est significatif qu'Israël ne parle jamais de la Loi comme d'un fardeau, de quelque chose d'imposé, mais comme d'un don et d'une faveur : "Heureux sommes-nous, Israël ! - s'exclame le prophète - Car ce qui plaît à Dieu, nous le connaissons" (Ba 4, 4).
Le peuple sait que le Décalogue est un engagement contraignant, mais aussi que c’est la condition pour la vie: voici, dit le Seigneur, je te propose la vie et la mort, c’est-à-dire le bien et le mal; je te prescris d’observer mes commandements, pour que tu aies la vie (cf. Dt 30, 15). Par sa loi, Dieu n’entend pas forcer la volonté de l’homme, mais au contraire le libérer de tout ce qui peut compromettre son authentique dignité et sa pleine réalisation.
3 J’ai voulu réfléchir avec vous, Responsables de Gouvernements, Parlementaires et Hommes politiques, sur le sens et sur la valeur de la Loi divine, car il s’agit d’une question qui vous touche de près. N’est-ce pas votre labeur quotidien que d’élaborer des lois justes, et de les faire accepter et appliquer ? En réalisant cela, vous êtes convaincus de rendre un service important à l’homme, à la société, à la liberté elle-même. Et cela à bon droit. En effet, la loi humaine, si elle est juste, n’est jamais contre la liberté, mais à son service. C’est ce que le sage païen avait déjà perçu lorsqu’il déclarait: “Legum servi sumus, ut liberi esse possimus” - “Nous sommes les esclaves des lois, pour pouvoir être libres” (Cicéron, De legibus, II, 13).
Cependant, la liberté à laquelle Cicéron fait référence se situe principalement au niveau des relations extérieures entre les citoyens. Comme telle, elle risque de se réduire à un équilibre convenable entre des intérêts respectifs, et à la rigueur entre des égoïsmes contradictoires. Au contraire, la liberté à laquelle fait appel la parole de Dieu s’enracine dans le cœur de l’homme, un cœur que Dieu peut libérer de l’égoïsme, le rendant capable de s’ouvrir à l’amour désintéressé.
Ce n’est pas par hasard que, dans la page évangélique que nous venons d’écouter, au scribe qui lui demande quel est le premier de tous les commandements, Jésus répond en citant le “Shema”: “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force” (Mc 12, 30). L’accent est mis sur le “tout”: l’amour de Dieu ne peut qu’être “totalitaire”. Mais Dieu seul est en mesure de purifier le cœur de l’homme de l’égoïsme et de “le libérer” en vue de la pleine capacité d’aimer.
Un homme au cœur “rendu aussi bon” peut s’ouvrir à son frère et prendre soin de lui avec la même attention avec laquelle il se préoccupe de lui-même. C’est pourquoi Jésus ajoute: “Voici le second (commandement): Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Mc 12, 31). Celui qui aime Dieu de tout son cœur et le reconnaît comme “Dieu unique”, et donc comme Père de tous, ne peut considérer ceux qu’il rencontre que comme des frères.
4.  Aimer son prochain comme soi-même. Ces paroles trouvent certainement un écho dans vos cœurs, chers Responsables de Gouvernements, Parlementaires, Hommes politiques et Administrateurs. À l’occasion de votre jubilé, elles posent à chacun de vous une question essentielle: de quelle manière, dans votre service de l’État et des citoyens, qui requiert délicatesse et engagement, pouvez-vous appliquer ce commandement ? La réponse est claire: en vivant l’engagement politique comme un service. C’est une perspective lumineuse autant qu’exigeante! Elle ne peut en effet se réduire à une nouvelle affirmation générique de principes ou à une déclaration de bonnes intentions. Le service politique passe par un engagement précis et quotidien, qui exige une grande compétence dans l’accomplissement de son devoir et une moralité à toute épreuve dans la gestion désintéressée et transparente du pouvoir.
D’autre part, la cohérence personnelle de l’homme politique a besoin de s’exprimer aussi par une conception correcte de la vie sociale et politique, qu’il est appelé à servir. Dans cette perspective, un homme politique chrétien ne peut pas faire autrement que de se référer aux principes que la doctrine sociale de l’Église a développés au cours de l’histoire. Comme on le sait, ces principes ne constituent pas une “idéologie” et moins encore un “programme politique”, mais ils offrent les lignes de force d’une compréhension de l’homme et de la société à la lumière de la loi éthique universelle, qui est présente dans le cœur de l’homme et qui a été approfondie par la révélation évangélique (cf. Sollicitudo rei socialis, n. 41). Il vous revient, chers Frères et Sœurs engagés dans la vie politique, de vous en faire des interprètes convaincus et actifs.
Certes, dans l’application de ces principes à la réalité politique complexe, il sera souvent inévitable de rencontrer des domaines, des problèmes et des circonstances qui peuvent légitimement donner lieu à des évaluations concrètes différentes. Mais en même temps, on ne peut justifier un pragmatisme qui, même en ce qui concerne les valeurs essentielles et fondatrices de la vie sociale, réduirait la politique à une pure médiation d’intérêts ou, pire encore, à une question de démagogie ou de calculs électoralistes. Si le droit ne peut pas et ne doit pas couvrir toute la sphère de la loi morale, il faut aussi rappeler qu’il ne peut aller “à l’encontre” de la loi morale.
5. Cela prend une importance particulière dans la période actuelle d’intenses transformations, qui voit apparaître une nouvelle dimension de la politique. Le déclin des idéologies s’accompagne d’une crise des formations politiques, qui pousse à entendre de manière renouvelée la représentation politique et le rôle des institutions. Il convient de redécouvrir le sens de la participation, en engageant davantage les citoyens dans la recherche de voies opportunes pour aller dans le sens d’une réalisation toujours plus satisfaisante du bien commun.
Dans un tel engagement, le chrétien se gardera de céder à la tentation de l’opposition violente, souvent source de grandes souffrances pour la communauté. Le dialogue reste l’instrument irremplaçable pour toute confrontation constructive, au sein même des États comme dans les relations internationales. Et qui pourrait assumer cette “charge” du dialogue mieux que l’homme politique chrétien qui, chaque jour, doit se confronter avec ce que le Christ a qualifié de “premier” des commandements, le commandement de l’amour ?
6. Chers Responsables de Gouvernements, Parlementaires, Hommes politiques, Administrateurs, nombreux et exigeants sont les devoirs qui attendent, au début du nouveau siècle et du nouveau millénaire, les responsables de la vie publique. C’est précisément en pensant à cela que, dans le cadre du grand Jubilé, j’ai voulu, comme vous le savez, vous offrir le soutien d’un Patron spécial: le saint martyr Thomas More.
Sa figure est vraiment exemplaire pour quiconque est appelé à servir l’homme et la société dans le cadre civil et politique. Le témoignage éloquent qu’il a rendu est on ne peut plus actuel dans un moment historique qui présente des défis cruciaux pour la conscience des responsables directs de la gestion des affaires publiques. Comme homme d’État, il s’est toujours mis au service de la personne, spécialement quand elle était faible et pauvre; les honneurs et les richesses n’eurent aucune prise sur lui, guidé qu’il était par un sens aigu de l’équité. Par-dessus tout, il ne s’abaissa jamais à des compromis avec sa conscience, allant jusqu’au sacrifice suprême plutôt que de ne pas en écouter la voix. Invoquez-le, suivez-le, imitez-le ! Son intercession ne manquera jamais de vous obtenir force, bonne humeur, patience et persévérance, même dans les situations les plus inextricables.
Ce souhait, nous voulons l’affermir avec la force du sacrifice eucharistique, dans lequel une fois encore le Christ se fait nourriture et orientation de notre vie. Que le Seigneur vous accorde d’être des hommes politiques selon son Cœur, émules de saint Thomas More, lui qui fut un courageux témoin du Christ et un serviteur parfaitement intègre de l’État.
         


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