22 heures 24 + Passionnante matinée en réunion avec l’équipe
enseignante et pédagogique pour ce diplôme LIM’ART de l’école libre d’enseignement
supérieur : j’y ai la charge de l’expression orale et écrite, et du
français en général. De très loin aberrant dans l’équipe de sept que nous
sommes, puisque je pourrai être le père de chacune et chacun, et que tous ont
des diplômes de diverses écoles des Beaux-Arts et sont artistes plasticiens. J’ai
rarement entendu, à diverses voix, autant de sentences et de formulation d’expériences
ou de diagnostics en termes aussi peu redondants, aussi précis et surtout aussi
poétiques. YNOV, pur placement capitaliste d’une équipe de sportifs de très
hait niveau, a analysé un segment du marché de l’emploi et les lacunes du
dispositif public pour y accéder. C’est ingénieux. La vulnérabilité est sans
doute dans la gestion et l’organisation, la force est certainement dans la l’originalité
du concept. La matière première – les études coûtent de l’ordre de six mil
euros par an (ce qui ne se reflètent pas dans la rémunération à l’heure – est donc
faite de jeunes bacheliers se répartissant en deux principaux groupes :
les techniques de l’animation en cinéma, en jeux videos, en scénographie, en
infographie, d’une part la préparation des carrières d’architecte d’intérieur,
de décorateur, etc…Les « langues » sont non seulement celles de
techniques et de métiers que je n’ai jamais pratiqué (mais adolescent j’étais très
« bon en dessin » et les tests ensuite , bien avant dans ma carrière
diplomatique, ont toujours conclu à une orientation dans l’architecture…), mais
aussi celles de générations qui ne sont pas la mienne, avec en sus une contamination
par l’anglais dont on ne pouvait avoir l’idée quand fut votée la loi TOUBON, il
y a vingt ans. Ou trente ans.
Ce matin, la voiture, la quasi-nuit, notre fille que
je conduis à son collège. Elle apprend la mort de notre cher Jean de la manière
dont bien des couples se défont : en consultant mon portable pour
seulement savoir l’heure, et en passant machinalement sur les messages reçus. Elle
ne dit rien, puis évoque les promenades avec lui comme avec un grand-père que
ni de moi ni de ma chère femme, elle n’a eu. Comment en sommes-nous venus, sinon
à Dieu, du moins à la religion ? pas en évoquant notre cher ami, mais son
professeur de français et son tic d’expression : euh ! ou bien de son
professeur de technologie : vous me suivez ? vous me suivez ? Jésus
et la vie éternelle… aussi un tic d’expression ? et était-il d’accord pour
une telle mission aussi périlleuse que celle de l’annoncer et d’en périr ?
et puis assis à la droite du Père. Or, il est Dieu ? Un Dieu coupé en
trois ? tête, corps, jambes ? Que c’est compliqué ! pourquoi n’avoir
pas fait simple. Pour le prêtre à la messe, c’est simple mais pour nous ? Toujours
ému quand nous faisons ces trajets vers la séparation, sa silhouette plutôt
petite, le blouson à capuche, des pois blancs et des rouges, le fond vert
sombre, elle se fond dans la petite foule, cette sorte de flot qui monte
tranquillement les escaliers, j’ai peu répondu. Simplement, ce n’est pas nous
qui inventons, cela nous a été appris, dit. Plus tard, je lui dirai comment est
apparue dans nos textes la révélation trinitaire qui a certes sa logique, mais
tout son mystère puisque les trois personnes ne font qu’un. Séparées et amicales,
cela allait encore, mais… La route vers Nantes, la réunion si stimulante,
véritable entrée dans un pays totalement nouveau mais avec quelques outils personnels,
une arrivée en affectation comme j’en vivais pendant ma « carrière »
diplomatique. Bonne dynamique de groupe, bonne façon de nous auto-diriger
ensemble autant que d‘être conduits par la responsable du module d’enseignement.
Le retour puis de nouveau le salon funéraire, et le dialogue avec l’aînée de
notre ami. Marguerite fera une des lectures. Je dépose en travers sous le
registre des condoléances l’édition-papier de ce qu’il m’est venu hier au
chevet du gisant.
Prier maintenant… la journée terminée, si riche, avec
cette protection qui m’a été donnée : retrouver une énergie que j’ai plutôt
moins qu’antan, tous ces mois-ci. Rendez
vos cœurs attentifs à vos chemins, et c’est
l’adoption après qu’ait constaté par Dieu-même l’effort et la stérilité de l’effort
de son peuple, de son élu, de son aimé, de chacun de nous… vous avez semé
beaucoup, mais récolté peu ; vous mangez, mais sans être rassasiés ;
vous vous habillez mais sans vous réchauffer [1]… rapportez du bois pour rebâtir la
maison de Dieu. Je prendrai plaisir à y demeurer, et j’y serai glorifié… Que
votre nom soit sanctifié, Dieu nous fait
l’honneur que cela dépend un peu de nous…. Qui est cet homme dont j’entends
dire de telles choses ? Ma fille
chérie, notre foi n’est pas un legs philosophique, elle est notre rencontre
avec un homme qui a existé, parlé, vécu et mangé comme nous, qui s’est dit et
révélé Fils de Dieu et nous habite aujourd’hui : l’Esprit Saint nous en
donne le discernement intime, l’expérience autant naturelle que surnaturelle. Promesse
et mémoire : le Seigneur aime son peuple, il donne aux humbles l’éclat
de la victoire.
. . . à Surzur, salon funéraire – au
chevet du gisant de mon cher Jean MORGAND, 17 heures … 17 heures 45 + Très réussi,
visage très précisément restitué, le vivant vraiment revenu.
Il donne l’impression de parfait calme, de sérénité,
de simple sommeil sans fatigue, sans question – ce n’est pas non plus une
conclusion. C’est vraiment une impression d’attente, mais en parfaite sérénité.
Je crois que j’ai la réponse à mon interrogation. Comment
lui donner le bonheur de Dieu, l’y amener, l’y introduire et présenter ?
Il y est, il est arrivé par sa mort, n’ayant plus le souci de respirer qui
l’obsédait ces dernières semaines, ni la fatigue des traitements de cet été
qu’égayaient seules les « discussions » avec les ambulanciers.
Débarrassé de cela qui l’alourdissait, alors que ce
n’était en rien un homme, une personne qui se laissait alourdir, et qui était
elle-même alourdie,
débarrassé – délivré – il est enfin lui-même,
attentif, délicat, sachant écouter, et opiner pour mettre tout au plus simple,
à la vraie place, la place naturelle : circonstances, événements,
personnes – et manifestement il a reçu… il a reçu, je crois, la bénédiction
décisive, suprême, tellement méritée – naturelle – oui – car nous le
considérons comme un saint laïque, un saint apparemment sans Dieu explicite,
mais un saint parce que de toute sa personne, de toute sa vie, il a toujours
été tellement transparent, tellement à la rencontre d’autrui, tellement
patient, tolérant, compréhensif, aimant, une joie certaine au cœur de faire du
bien et d’en recevoir – qu’il a a ainsi parfaitement répondu à la vocation de
tout homme, selon Dieu, selon la véritable humanité.
« Sur la terre comme au ciel »… rarement une
personne de ma connaissance, de mon amitié, aura été aussi continue :
toutes époques de sa vie, telle qu’il savait la raconter avec sobriété, sans se
mettre en position de héros ou de victime – aussi continue, de la version
terrestre à la version achevée – celle de maintenant, c’est-à-dire celle de la
vie éternelle.
Le registre de condoléances.
Bertrand.
Un saint laïc, entièrement donné à l’écoute, à
l’amitié, à la bonne version des gens et des choses, aimant tout : la vie,
la nature, les siens, les anciens et les nouveaux.
Il demeure. Il nous inspire la paix et la sérénité,
comme il l’a continuellement fait de son vivant, pour ma femme, notre fille et
moi.
A toujours – d’ici le moment, cher Jean, mon aîné
d’amour – et de connaissance de la vie – d’ici le moment de vous rejoindre.
Merci de ce que vous nous avez donné, avez donné à
tout, et allez continuer de nous donner.
Avec vous.
Retour au chevet.
Il avait le don de connaître les gens, d’aller au cœur
de leur personnalité. C’est ce dont il m’a fortifié à notre première rencontre.
Et quand les choses n’allaient pas, il disait : ils ne vous connaissent
pas. Lui, il connaissait à l’état naturel, d’aller à l’autre et de le
connaître.
Jamais, je n’ai autant eu la sensation de quelqu’un me
donnant l’exemple. Il me donne ma mort. Il me donne la main, il aidera les
miens à accepter… vivre ma mort, et en fait la rendre avec moi, avec lui.
Mes morts, guillemets pour le possessif : ils ne
sont qu’à eux-mêmes et à Dieu. Ce qui revient au même. Cela fait beaucoup en
nombre, et en force de la relation. Celles et ceux qui se sont donné à moi, qui
se sont laissés aimer et qui m’ont aimé. Voici le plus récent des partants. Il
se distingue dans cette petite foule par sa pureté, par sa rectitude autant que
par sa personnalité. Il est rare, il est sans péché, il a su résister au péché,
pas dans un combat de tentation ou de déchéance, mais en se laissant faire par
la vie. Il a réussi.
[1] - Aggée I 1 à 8 ; psaume CXLIX ; évangile selon saint Luc IX 7 à
9
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