Quelle leçon !
recherchant un nom, une adresse, une date pour résoudre mon affaire de bateau
échoué sur le domaine public maritime, plusieurs fois repassé en vain mon
répertoire d’adresses manuscrit, puis diverses chronologies… ce que j’ai noté
sur le moment de chaque événement et incident ne correspond que très peu à la
mémoire que j’ai de ces vingt dernières années. Il y a vraiment deux lectures :
sur le champ ou sur le coup, et puis la rumination. De laquelle sommes-nous le
produit pour le présent et pour la suite ? Et puis des fichiers de
correspondances anciennes montrant des égards envers qui me manque aujourd’hui
et que j’avais redoublés même après qu’il ait commencé de me blesser…
Chronologies factuelles en finances, en sentiments, en rencontres, en relations
avec des mentors que je croyais linéaires, d’amour que je croyais avoir été
totalement interrompues, rompues… Je reçois au moins cela à défaut des noms et
adresses recherchés.
Camarade d’enfance
et de collège (jésuite), il me courielle souvent : cet envoi du matin et
ce qui peut se qualifier son agnosticisme ou plus précisément sa certitude que
le christianisme est un synchrétisme des religions d’orient antérieures ou
contemporaines, et qu’aujourd’hui ou hier, la bondieuserie (les capucinades que
des compagnons d’armes de BONAPARTE jugeaient triomphantes à l’entrée dans
Notre Dame de Paris pour le couronnement impérial), discussion ? non,
échange d’observations très structurées et passionnantes que je reçois de lui,
ainsi encore hier soir [1]et auxquelles je me suis donné de répondre très largement, mais sans doute cela sera-t-il mon projet de
livre depuis quelques années : psychologie de ma foi, en quoi la foi que j’ai
reçue de naissance et qui se maintient, me fait-elle tenir et donne à ma
psychologie et donc à ma façon de recevoir les événements, les coups et le
bonheur, un trait particulier, plus que personnel puisque me venant d’un Autre
mais qui me recrée, me façonne et m’appelle ainsi pour ma plus grande
liberté-libération. Je lui réponds ce matin : comment tiens-tu ? –
Notre fille, hier, moments de cafard profond et très durement exprimés :
je donnerai tout l’or du monde pour qu’on me fasse une piqûre. Le malheur de
vivre.. et puis des regains pour des causes ou rencontres fortuites, ainsi à l’animalerie
pour les fournitures de son aquarium. Les scènes pour les devoirs à faire
tandis qu’elle est revenue chez nous pour l’après-midi, la soirée, la nuit. Et
moi, ce matin, la déposer au collège après notre demi-heure de conversation, la
nuit encore là, la voiture, j’ai le cœur fendu, je souffre de cette séparation
et je sais que chaque année elle sera plus grande, au moins physiquement. –
Réponse l’amour. Réponses aussi que j’esquisse depuis quelques semaines ou
mois, une autre « catégorie de saints » à caractériser et magnifier
par l’Eglise, et donc à préciser pour l’humanité entière : ces hommes et
ces femmes aux vertus et au rayonnement remarquables, quoiqu’apparemment sans
référence à Dieu, ou au Dieu annoncé par les Ecritures. Cela vaudrait aussi
pour les saints ou les personnages de religions ou de grandes morales autres
que la nôtre. Ce n’est pas la référence des hommes, ni mêmes celles de des
saints non chrétiens se donnent, qui importent mais ce qui est fait d’eux-mêmes –
par Dieu, je le crois – selon l’humanité ce que reconnaissent la plupart de
leurs contemporains puis la postérité, qui élague et qui consacre. L’amour
réponse à mon ami et réponse à ma détresse. Cela ne clôt rien mais fait passer
à la dimension autre, qui est sans doute la vraie.
Justement,
Marie-Madeleine [2].
J’ai quelque chose à te dire… Lequel
des deux l’aimera davantage ? – Je suppose que c'est celui à qui on a fait
grâce de la plus grande dette … Si cet homme était prophète, il saurait qui est
cette femme qui le touche. Le dialogue
avec ladite pécheresse, Jésus ne le donnera à Marie-Madeleine que brièvement et
même sèchement – Noli me tangere que
devant Son propre tombeau ouvert pour la Résurrection. Il est dans le moment
de ce repas et de cette scène intense : elle se mit à mouiller de ses
larmes les pieds de Jésus, regret de ses
propres fautes ? coup de foudre pour le Seigneur ? vision prémonitoire
de la Passion et des tortures, de la mort que va subir le Christ qu’elle
reconnaît d’instinct et pleure sans espérance, violemment ? Et c’est à son
hôte, médiocre critique et zéro spirituel que Jésus s’adresse. Mais
Marie-Madeleine, si elle L’aime Lui le Seigneur et Rédempteur, ce n’est pas
parce qu’Il va lui remettre tout péché, mais simplement parce qu’Il est là et
qu’elle sait qu’Il mourra affreusement, et qu’elle n’est digne ni de lui ni de
Son sacrifice. Paul essaie de montrer à son fils spirituel comment en être
digne : sois pour les croyants (Timothée
a charge d’âmes et de communauté ecclésiale) un modèle par ta parole et ta
conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté…
[1] - Mon cher Bertrand,
De temps en temps,
j'ouvre les pièces jointes que tu nous envoies si gentiment. Comme toi, je suis
convaincu que nous avons besoin d'exemple, et que chacun d'entre nous a son
panthéon personnel. Pour moi, ce serait Jacques Lusseyran, Paris de
Bollardière, Nelson Mandela, Germaine Tillion, Marie Curie, Savorgnan de
Brazza, Mgr Camara, Martin Luther King, Dietrich Bonhoeffer, Sophie Scholl,
Abdelkader, sœur Emmanuelle, l'abbé Grégoire …
les trois exemples que tu nous
donnes sont intéressants en ce qui concerne la névrose chrétienne. Les
invocations au père Pio sont d'une bondieuserie inimitable, à la limite de la
parodie, et relèvent d'une spiritualité masochiste et doloriste. De Saint
Corneille et Saint-Cyprien je ne dirai pas grand-chose, si ce n'est
qu'effectivement on n'en sait pas grand-chose, et qu'une fois de plus ce sont
des clercs qui sont honorés.
L'exemple le plus déprimant
est celui de cette brave Sainte edith de Wilton, qui magnifie la virginité, la
haine de la chair, la religiosité… tout ce qui a fait des générations de
chrétiens et de chrétiennes mal baisés, et qui se retrouve encore chez nombre
des partisans de la manif pour tous. Les ravages que cette vision du divin ont
faits dans des générations et des générations sont considérables.
Je sais bien qu'il est
impossible de faire le ménage parmi les saints, mais aucun de ceux-là ne
m'enthousiasme, bien au contraire : ils auraient plutôt tendance à me faire
fuir.
Ce qui est assez
amusant, c'est que par moments tu as une pensée tout à fait contemporaine, qui
semble avoir réalisé combien le catholicisme était l'héritier des grandes
religions mythologiques et en avait repris nombre de travers, et, à d'autres
moments, tu te coules dans une religion ultra classique dans le genre XIXe
siècle et XXe siècle commençant. C'est assez amusant à suivre.
Amicalement
[2] - 1ère lettre de Paul à Timothée IV 12 à 16 ; psaume CXIévangile
selon saint Luc VII 36 à 50
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