Méconnaissable
d’un visage demeuré intact il y a encore un mois malgré qu’il fondait de corps –
il disait : je pars en sucette… expression du pays natal ? – les narines
pincées par le fil à oxygène, son répétitif de l’oppression, la peur de
suffoquer, le sang bien oxygéné insiste-t-il mais la machine
inspiration-respiration ne se faisant qu’en luttant. Il n’a plus sa casquette,
il n’a jamais accepté sa calvitie. Mais il veut vivre. Et l’âme est
lumineusement bienveillante et calme. Dieu n’existe pas, il ne le cherche pas,
c’est lui, ses filles, nous en trinité le visitons. La chambre à deux :
vide pour ce samedi et ce dimanche. Et moi je l’éveille avec la sensation du non-sensde m’être
gaspillé à longueur de décennies de toute mon existence, aucun de ces mots :
vie, existence ne rend compte de ce présent, de cette gratification, de cette
immense responsabilité, avoir à faire quelque chose, quelqu’un de soi même si
ce « soi » semble si entravé et si peu malléable. Ce ne sont pourtant
pas des circonstances et les déterminismes qui nous lient mais bien nous-mêmes.
Nous sommes certainement bien plus que ce que nous paraissons être et même bien
plus que ce que nous vivons, instant par instant, ou de mémoire ce qui est bien
différent, nous sommes dans le projet et le cœur de Dieu, et ce qui, en nous, y
correspond le plus, ce sont bien ce que nous projetons, ce que nous aimons, qui
nous voulons aimer, de qui nous avons la responsabilité à travers nous-mêmes. Je
le dis mal et de façon compliquée. Mais c’est vrai – Hier, l’émerveillement de
la cohérence entre les six ou sept enseignants de notre fille se succédant dans
sa classe (Marguerite, seule enfant avec le charmant Jules qu’elle apprécie et
qui est atteint de mucoviscidose) pour nous commenter leur travail avec nos
enfants. Les plus convaincants, ceux d’histoire-géographie et d’éducation
physique et sportive. Je n’ai pas vécu cela à âge égal, ou plutôt je ne crois
pas que c’était aussi explicite. L’approche des mathématiques que je n’ai
jamais ressentie ou qu’on ne m’a jamais donnée ainsi, l’histoire-chronologie
enfin restaurée au moins partie, le français reste en revue de nos lettres
nationales cette distribution découverte l’année dernière en soutien d’Alexis
M. pour le bac : les genres, mais pour cette sixième il est plus encore
lecture, écriture, compte-rendu, entretien, exposé, ce que nous ne faisions
guère. Sans doute maintenant l’informatique, la calculatrice. L’ensemble me
rassure d’autant que c’est censément l’exécution – aussi – des programmes de l’Education
nationale. Il y a les misères dans l’investissement du bâti et de la ressource
humaine que ma chère femme expérimentées en lycée pour l’économie et la
gestion, et maintenant en collège pour l’allemand. Mais ce serait une mauvaise
information que de condamner en bloc et cette administration et la pédagogie
que nous tentons en France de mettre en œuvre. Il y a évidemment des erreurs
fondamentales comme la suppression du grec et du latin, mais cela nous renvoie
à cette déperdition de notre esprit français, à cette fascination pour l’anglo-saxon
et l’étranger (le modèle ceci, l’excellence d’outre-Atlantique, l’économie
allemande), l’exode et l’émigration mentale sinon physique, nos écoles
principales écartées délibérément de leurs vocation respectives (Sciences-Po. Paris
certainement, sur l’E.N.A., je n’ai plus d‘expérience actuellement. Le résultat
de cette trahison des élites par individualisme et cupidité puisque le salaire
devienne critère de hiérarchie dans la vie des entreprises, est évidemment la
philosophie ambiante dans le gouvernement de la France et celui de l’Europe,
face à la demande explicite des réfugiés et implicite de l’ensemble des
relations internationales à qui l’Europe, donc la France, font défaut. – Ces enseignements
que je vais assurer à Nantes dans une université privée émergente vont me faire
rencontrer des 20-25 ans, je compte apprendre par eux la ressource française
contemporaine. Sans doute la charge de travail sera grande, je n’en ai plus eue
depuis 1995, sauf quatre-cinq ans, une soixantaine d’heures à enseigner l’Europe
à Paris VIII. Ce changement de rythme devrait m’aider à être prolifique, précis
et fécond pour ce que j’envisage de nécessaire et à ma portée – dans un
registre proche de l’enseignement – mais pour une cause et des destinataires
infiniment plus vastes et nombreux. Revenant encore à ce qui m’a tant
impressionné hier après-midi : la succession des exposés et présentation donnés
aux parents par les enseignants de notre fille : classe de sixième, je
suis frappé de ce que les politiques non seulement n’ont aucune idée ni
perception de la dérive de notre esprit national (la responsabilité qu’ils
auront à assumer de la dilapidation de notre patrimoine matériel les en empêchent
peut-être, ce qui serait un bon début de prise de conscience), mais surtout
aucune expérience de ce dont ils parlent ou dont ils ont à décider ou à
contre-proposer…
Divagation ou
bilan m’amenant quotidiennement au prie-Dieu … non des conversions mais des
rencontres avec Dieu que je souhaite et prie pour d’autres, très précis et
vivants dans mon esprit : deux camarades de mon collège jésuite, notre ami
peut-être mourant et celui que nous considérons comme un frère entre son
handicap et sa douleur physique permanente, et le divorce qui lui est cruellement
imposé… la semence c’est la parole de
Dieu. Il y a ceux qui sont au bord du chemin… il y a ceux qui sont dans les
pierres… et ce qui est tombé dans la bonne terre … [1] Je suis partout (sans que ce soit le titre
de cet hebdomadaire qui emmena plusieurs des talents les plus vrais au poteau d’exécution
en 1945) au bord du chemin… dans les pierres… au milieu des ronces… dans la
bonne terre… ou plutôt la semence tombe
partout et à profusion du même geste divin, mais je suis, nous sommes tous les
sols et sans doute cette pluralité de nos accueils, de nos possibles, de notre
relation au devoir, aux valeurs, à l’autre, tous appels et repères de Dieu,
font notre condition humaine. Nous ne sommes pas « tout faits ». Qu’est-ce
que la semence dans nos vies : tout, tout ce qu’il nous arrive, tout ce
qui nous entoure et celles et ceux que nous rencontrons, que nous aimons, et même
aussi ceux que nous détestons ou dont toute la relation avec nous semble être
de nous nuire ou de nous mésestimer. Nous sommes l’objet d’un débat : le « diable »,
nous-mêmes à combattre Dieu en nous, arrivé en nous (et il a habité parmi
nous). Ceux-là ont entendu, puis le
diable survient et il enlève de leur cœur la Parole, pour les empêcher de
croire et d’être sauvés… lorsqu’ils entendent, ils accueillent la Parole avec
joie mais ils n’ont pas de racines, ils croient pour un moment et, au moment de
l’épreuve, ils abandonnent… les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés,
chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie et ne
parviennent pas à maturité… Imagée et
explicite, la parabole du semeur est en réalité très difficile, car où est la
liberté, notre ambiance intime semble toute faite : chemin, pierres,
ronces, bonne terre… pourquoi et comment ? changerons-nous ? de
pierre devenir humus ? Il y a aussi cette dogmatique ambiante de notre
Eglise depuis deux millénaires : la foi… ne pas croire, c’est le malheur
(je le veux bien, cela a sa vérité
psychologique pour notre vie terrestre, le vide d’une âme et d’une intelligence
privée de foi, se détournant de la foi… il est vrai aussi que la prière de tout
être humain parce que tous nous vivons la souffrance et le besoin, peut tenir
lieu de foi, et même de désir de Dieu jusqu’à « l’article de la mort »).
La parabole va de la condamnation à la constatation. Je crois que c’est à nous
de la continuer et aussi de considérer que cette pluralité des terrains où
tombe la semence, la Parole divine, Son appel, c’est notre pluralité à chacun. Un
cœur bon et généreux… de naissance ?
par grâce ? un jour enfin ? je crois et veux croire que c’est le fond
de toute personne mais cela s’étouffe ou est empêché. L’Eglise nous propose
aujourd’hui un rapprochement singulier entre l’icône paulinienne et ce geste du
semeur : lui seul possède l’immortalité, habite une lumière
inaccessible, aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir. Abondance de ce matin dans ces textes,
abondance de ce que je reçois, notamment par les autres, ma chère femme, notre
fille, le grand malade que nous visitons, le frère dans la peine, la
perplexité, la douleur physique et chacun avec des joies et des fulgurances. Le
métier de vivre, l’échange sur notre métier de vivant… Jésus nous a parlé du Sien,
Lui le semeur à travers toute la Palestine, en un temps précis, pour ensemencer
tous les temps et lieux, nous tous, chacun.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire