qu’est-ce
qu’une famille ? Fabrice Hadjadj
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Article rédigé par Fabrice Hadjadj, le 14
mars 2014
Communication
du philosophe Fabrice Hadjadj lors de la séance finale du Grenelle de la
Famille au palais de la Mutualité, le samedi 8 mars 2014. La famille est le
premier lieu où s'articule la différence des sexes et des générations ; sans le
sexe, avec toute son imperfection et ses exigences, l'alternative n'est plus
que l'excellence de l'orphelinat.
1.
Qu’est-ce qu’une famille ? On peut
s’étonner que nous soyons ici, ensemble, à poser cette question, et certains ne
manqueront pas de croire que notre démarche ne pourra que conduire soit au
ressassement de choses banales, soit à la complication de choses simples. Nous
n’aurions pas d’autre alternative, avec une telle question, que d’enfoncer des
portes ouvertes ou de couper les cheveux en quatre.
En même
temps, on le devine, les premières évidences se cachent toujours dans leur
lumière. Ce n’est pas seulement comme le nez au milieu de ma figure, trop
proche pour être vu ; ni comme le paysage cent fois retraversé, tellement connu
qu’il s’efface. C’est surtout comme une source qui éclaire et fonde les autres
choses, mais qui ne peut pas, dès lors, être elle-même fondée ni éclairée.
Devant cette source, nous sommes semblables à des oiseaux de nuit qui voudraient
regarder le soleil en face.
Nous
provenons tous d’une famille, nous commençons tous avec un nom de famille, nous
avons tous eu une certaine famille pour berceau. La famille est un fondement.
Or, si elle est un fondement, on ne saurait « fonder la famille ». Si elle se
situe au principe de nos vies concrètes, il devient impossible de la justifier
ou de l’expliquer, parce qu’il faudrait recourir à un principe antérieur, et la
famille ne serait plus qu’une réalité secondaire et dérivée, non pas une matrice.
Les théoriciens qui voudraient que la première communauté humaine fût issue
d’un contrat passé entre individus asexués et solitaires, déclarent eux - mêmes
qu’il s’agit là d’une fiction, d’une hypothèse de travail, et non d’une réalité[1]. Il
n’y a pas, au niveau humain, de principe antérieur à la famille. On ne peut
donc pas l’expliquer ni la justifier, on peut seulement expliciter sa présence,
qui nous devance toujours.
Et c’est
pourquoi ceux qui attaquent la famille dans son évidence sont si difficiles à
contester. Expliquer que l’homme descend du singe est plus facile que
d’expliquer qu’un enfant descend d’un homme et d’une femme, parce que dans le
premier cas, la thèse réclame effectivement des explications, et même des
explications nombreuses, alors que dans le second, il n’y a rien à expliquer,
il ne s’agit même pas d’une thèse, mais d’un donné absolument initial, comme
l’existence du monde extérieur. Or comment prouver que le monde extérieur
existe ? Comment montrer à quelqu’un que le soleil éclaire ?
2.
Et pourtant le soleil manifeste les couleurs et, par-là, indirectement, se
manifeste. Et la famille,
dont nous avons à parler, manifeste et se manifeste. On a beau contester, cela
se manifeste. Et cela ne se manifeste pas que dans les rues, cela se manifeste en nous,
dans nos culottes, si j’ose dire, qu’on le veuille ou non, cela se manifeste
aussi bien à l’église que dans une soirée LGBT, cela se manifeste par la barbe
d’un capucin aussi bien que par la poitrine d’une Femen. Pour que cela ne se
manifeste plus, il faudrait être un ange.
Cette
manifestation est si irrésistible que nous assistons depuis quelques décennies,
de la part de ceux-là mêmes qui voulaient se débarrasser de la famille, à un
étrange retour du refoulé familial. Ceux qui dénonçaient la famille comme
l’institution répressive et oppressive de base, veulent à présent faire de
l’enfant le produit d’une manipulation génétique (puisque l’égalité réclame que
deux femmes ou deux hommes puissent également en avoir avec leurs propres
gamètes), ce qui est aller bien au-delà de l’oppression ou de la répression,
puisque c’est courir vers une fabrication pure et simple, et faire despotiquement
de l’enfant l’objet d’un planning, la réalisation d’un fantasme, et plus encore
un cobaye de laboratoire. Cette contradiction prouve qu’on ne peut déconstruire
le naturel, mais seulement construire à côté son simulacre, comme on ne
fabrique une intelligence artificielle que d’après le peu que l’on a compris de
l’intelligence humaine.
3.
Qu’est-ce donc qu’une famille ? Les gens les mieux intentionnés à son égard insistent sur certains
éléments de définition. J’en retiendrai trois :
1) La
famille est d’abord le lieu du premier amour. Il est
fondamental que les parents s’aiment et que l’enfant soit aimé, sans quoi la
famille ne peut que se dessécher ou se décomposer ;
2) La
famille est le lieu de la première éducation. L’enfant y naît à partir d’un projet parental responsable, où l’on songe
à son futur, à son édification, à sa qualification avec la plus grande
compétence possible ;
3) La
famille humaine est aussi un lieu de respect des libertés. Les parents s’y sont unis par un contrat, et, à travers
leur mission éducative, ils contribuent, non à renforcer la dépendance, mais à
promouvoir l’autonomie de l’enfant.
Nous
insistons souvent sur ces caractéristiques, parce que nous songeons au bien de l’enfant. Mais ce faisant nous manquons l’essence de la famille, et, alors même que nous pensons la
défendre, nous fourbissons les armes qui permettent de l’attaquer. À trop se
préoccuper du bien de l’enfant, on oublie l’être de l’enfant. À trop s’attarder sur les devoirs des parents, on oublie l’être du père et de la mère. Les éléments que nous venons de proposer –
amour, éducation, liberté – disent tout sauf l’essentiel, à savoir que les
parents sont les parents, et l’enfant est leur enfant.
4.
Et voilà la conséquence fatale : en prétendant fonder la famille parfaite sur
l’amour, l’éducation et la liberté, ce qu’on fonde, en vérité, ce n’est pas la
perfection de la famille, mais l’excellence de l’orphelinat. Cela ne fait aucun doute : dans un excellent orphelinat, on aime les
enfants, on les éduque, on respecte leur personne. On y est même en quelque
sorte dans la plénitude du projet parental, puisque prendre soin des enfants
est le projet constitutif d’une telle entreprise.
Ne
considérer la famille qu’à partir de l’amour, de l’éducation et de la liberté,
la fonder sur le bien de l’enfant en tant qu’individu et non en tant qu’enfant,
et sur les devoirs des parents en tant qu’éducateurs et non en tant que
parents, c’est proposer une famille déjà défamilialisée. Car on pourra toujours
vous dire qu’un père et une mère peuvent être moins aimants, moins compétents
et moins respectueux que deux hommes ou deux femmes, et certainement moins
efficaces que toute une organisation composée des meilleurs spécialistes. Cette
organisation d’individus compétents pourra passer pour la meilleure des
familles, et la meilleure des familles s’identifiera au meilleur des
orphelinats.
5.
Pourquoi manquons-nous si facilement l’essence de la famille ? Parce que le principe de la famille est trop
élémentaire, trop humble, trop animal en apparence, et donc honteux (ne
parle-t-on pas de « parties honteuses » ?). Vous avez compris, le principe de
la famille est dans le sexe. Même quand il s’agit d’une famille
adoptive, même quand il s’agit d’une famille spirituelle, où le père est un
père abbé, et les frères sont des moines, les pures et hautes dénominations
qu’on emploie viennent d’abord de la sexualité. Les noms du père et du fils s’énoncent
à partir de ce fondement sensible qui est notre fécondité charnelle.
C’est
parce qu’un homme a connu une femme, et que de leur étreinte, par surabondance,
ont jailli des enfants, qu’il y a ces noms de famille, ces noms de père, de
mère, de fils, de fille, de soeurs et de frères. Le mot qui achève la devise
républicaine : « fraternité », procède lui-même du sexe et de la famille
naturelle. Quant aux fameuses théories du genre, qui croient pouvoir affirmer
que la masculinité et la féminité ne sont que des constructions sociales, elles
s’appuient elles aussi sur la différence des sexes, sans lesquels l’idée même
du masculin ou du féminin ne nous viendrait pas à l’esprit.
6.
La famille est donc d’abord le lieu où s’articulent la différence des sexes et
la différence des générations, ainsi que la différence de ces deux différences. La différence des sexes, à partir de la
fécondité propre à leur union, engendre la différence des générations, et cette
différence des générations n’a rien d’analogue avec la différence des sexes.
L’interdit fondamental de l’inceste nous le signale, mais aussi le fait que
lorsque l’homme s’unit à sa femme, il ne cherche pas d’abord à avoir un enfant,
il cherche d’abord à s’unir à sa femme, et l’enfant advient, comme un surcroît.
La
famille noue ainsi cinq types de liens : conjugal (de l’homme et de la femme),
filial (des parents aux enfants), fraternel (des enfants entre eux), à quoi
s’ajoutent deux autres que l’on oublie souvent, et qui sont pourtant décisifs
pour l’inscription historique et déjà politique de la famille. D’abord, le
lien des grands-parents aux petits-enfants, qui permet de tempérer l’influence
des parents, et d’ouvrir le temps de la famille à celui de la tradition[2]. Il
y a encore un cinquième type de lien que tend à occulter l’idéal du couple mais
que ne manque pas de rappeler la belle-mère : je veux parler du lien avec la
belle-famille – ce que l’on pourrait appeler la « théorie du gendre ». Avec
lui, l’alliance conjugale se double d’une alliance pour ainsi dire tribale, et
ouvre l’espace de la famille à celui de la société.
Or la
particularité de ces liens familiaux, c’est qu’ils ne se fondent pas d’abord
sur une décision, mais sur un désir, c’est
qu’ils ne viennent pas d’abord d’une convention, mais d’un élan naturel. Bien
sûr, le désir doit y être assumé dans la décision (ou plutôt le consentement),
et la nature s’y déploie à travers des aspects conventionnels. Mais il y va
d’abord de quelque chose qui nous traverse, une donation, qui vient de l’autre
et va à l’autre, et donc dépasse nos calculs. Cela nous emporte plus loin que
nous-mêmes, plus loin que nos projets individuels (qui peut former le projet
d’avoir une belle-mère ?), parce que cela nous ouvre à l’autre sexe et à
l’autre génération, parce que cela nous intéresse à un temps qui n’est déjà
plus le nôtre.
7.
Disons-le simplement : aucun calcul ne peut avoir pour résultat une naissance. Personne ne peut se dire honnêtement : « Ça
y est, je suis prêt, je suis assez mûr, assez compétent pour avoir un enfant,
je sais parfaitement comment il faut s’y prendre pour en faire un homme
accompli, j’ai le droit souverain de le faire venir au monde et d’être son
maître. » Comment donc pourrions-nous avoir le droit d’élever un enfant, quand
nous sommes nous-mêmes si bas, quand nous ne comprenons pas le mystère de la
vie ?
Il ne
s’agit donc pas d’un droit, mais d’un fait. L’enfant advient selon un don de la
nature, et de ce don nous ne sommes jamais vraiment dignes. Il est le surcroît
d’un amour sexuel, et non le résultat d’une visée directe. Car aucune assurance
humaine, technique ou morale, ne peut être légitimement à l’origine de sa
venue. Si sa présence relevait de notre compétence, alors nous le dominerions
absolument, il serait un rouage dans un dispositif, une étape dans un projet,
et non l’événement de la vie qui commence et toujours nous dépasse. Lorsqu’un
enfant lance à ses parents : « Je n’ai pas choisi de naître », les parents
peuvent toujours lui retourner la politesse : « Nous non plus, nous n’avons pas
choisi, cela nous a été donné, et nous essayons de changer notre surprise en
gratitude. »
8.
Nous pouvons à présent reprendre les trois éléments dont nous avons parlé plus
haut : l’amour, l’éducation, la liberté, et voir comment ils se spécifient au
sein de la famille, à partir de cette donation qui nous dépasse.
Première
spécificité : l’amour familial est essentiellement un amour sans préférence. Il ne relève pas du choix ni de la comparaison. Cela
vaut spécialement pour la relation entre les parents et les enfants. L’amour
des parents et des enfants est fondé sur la filiation elle-même et non sur des
affinités électives. On le sent très bien lorsque le père est un lecteur de
Tite-Live tandis que le fils se consacre aux jeux vidéo. Jamais ils n’auraient
songé à se trouver dans le même salon. Jamais ils n’auraient formé ensemble un
club. Mais la famille est le contraire du club électif ou sélectif. Les liens
du sang y brisent les chaînes du parti tout autant que les chaînettes du
caprice.
L’enfant
est toujours tel que les parents ne l’auraient pas voulu, mais aussi tel qu’ils
l’aiment, et donc qu’ils consentent inconditionnellement à l’accueillir. Les
parents sont toujours tels que les enfants leur auraient préféré des héros de
films : Charles Ingalls, par exemple, ou Yoda, mais aussi tels qu’ils les
aiment, malgré tout, de cet amour constitutif, qui précéda leur propre
conscience d’eux-mêmes, et donc tels qu’ils doivent inconditionnellement les
honorer.
La
famille, c’est toujours l’amour du vieux con et du jeune abruti, et c’est cela
qui la rend si admirable, c’est cela qui en fait l’école de la charité. La charité
est l’amour surnaturel du prochain, celui qu’on n’a pas choisi et qui nous est
de prime abord antipathique. Or les premiers prochains que l’on n’a pas
choisis, et qui nous sont souvent insupportables, ce sont nos proches.
9.
Deuxième spécificité : dans la famille, le lien éducatif se fonde sur une autorité sans compétence. On n’attend pas d’être un bon père ou une bonne mère pour avoir un enfant.
Sans quoi on attendrait toujours. La paternité vous tombe dessus, parce que le
désir vous a tourné vers une femme. Quel rapport entre les deux ? La biologie y
voit une continuité. Mais la phénoménologie, disons la lecture de l’expérience
vécue, montre une disproportion radicale, sinon une rupture entre le désir
érotique et l’accueil d’un enfant. La paternité n’est
pas une
anticipation. C’est la présence de l’enfant qui vous la donne, cette paternité,
c’est lui qui vous en investit soudain, comme d’un costume trop grand.
On peut
comprendre, s’il en va ainsi, la réticence des fabricateurs du Meilleur des mondes : « En quoi celui qui a simplement couché avec
une femme serait-il habilité à élever un enfant ? En quoi sa libido bestiale
lui octroie-t-elle une quelconque compétence éducative ? » Cette réticence
conduit fatalement au règne des incubateurs et des pédagogues, et à la mise au
rebut des véritables parents. Le père est alors
remplacé par l’expert, et la famille, par la firme
professionnelle.
Mais,
dans la famille, il ne s’agit pas d’abord de projet d’éducation mais de réalité de la filiation. Ce n’est pas la
compétence qui y fonde l’autorité. C’est l’autorité reçue, malgré ses
faiblesses, qui se met par la suite en quête d’une certaine compétence, sans
doute, mais qui possède aussi son efficacité propre quoique paradoxale.
L’autorité sans compétence a une valeur en soi, et même une valeur sans prix.
D’une part, le père y montre qu’il n’est pas le Père, avec une majuscule, qu’il
est lui-même un fils, et donc qu’il doit avec son fils se tourner vers une
autorité plus haute que la
sienne. D’autre part, puisque son autorité ne vient pas d’une
compétence, mais d’un don, le père ne peut pas faire de l’enfant sa créature,
et essayer de le valoriser sur sa propre échelle de valeurs : il doit
l’accueillir comme un mystère. Et c’est cela l’autorité la plus profonde, qui
se distingue de toute compétence fonctionnelle. Elle n’instruit pas l’enfant en
vue de telle ou telle qualification particulière, elle lui manifeste le mystère
de l’existence comme don reçu.
10.
Enfin, troisième spécificité en droite ligne de celles qui précèdent : dans la
famille s’exerce une liberté sans maîtrise, quelque
chose, nous l’avons déjà vu, qui n’est pas la liberté d’indépendance ou de pure
décision, mais une liberté de consentement à ce qui est donné. Le projet
parental est vite brisé par l’aventure familiale. Car il s’agit bien d’une
aventure, et non d’une projection. Toutes les tragédies antiques en témoignent,
qui mettent toujours en scène des histoires de famille. Mais il y a aussi ce
fait ordinaire qui appartient plutôt à la comédie selon Molière : le fils ou la
fille n’ont de père et de mère que pour les quitter, fonder une autre famille,
épouser un parti qui n’est souvent pas le meilleur aux yeux de leurs parents.
La
famille est toujours en excès sur elle-même, non seulement par le don de la
naissance, mais aussi par les alliances extérieures dont elle procède et vers
lesquelles elle va. Il y a votre belle-mère, et puis il y a la belle-mère de
votre propre fils, il y a cette extension de proche en proche qui, d’après
Aristote, constitue le village puis la cité.
Cette
liberté sans maîtrise, qui vous lance dans une aventure et même dans un drame,
répond à des liens qui ne sont pas contractuels. On aimerait bien ne vivre que
selon des contrats et pouvoir ajuster les rapports selon sa convenance, se
dégager dès que ça sent la
crise. Or, on peut changer d’associé, mais on ne peut pas
changer d’enfant. Et l’on peut devenir copain avec un plus âgé que soi, mais on
ne peut, sans fausseté, devenir le copain de son père. Comme la différence
sexuelle empêche la fusion, la différence générationnelle interdit le
nivellement. Il faut faire avec un ordre causal, une hiérarchie donnée, un patrimoine hérité, ce qui invite la liberté à
s’ouvrir aux distinctions du réel, et à ne pas sombrer dans l’indifférenciation d’une prétendue toute-puissance.
11.
Nous pouvons à présent approcher la famille dans le secret de son essence. Elle n’est pas une chose parmi d’autres,
mais foyer, et non pas « foyer clos », mais foyer
rayonnant. Un foyer, en peinture, n’est pas un objet qui apparaît dans une
perspective, mais le point à partir duquel s’ouvre la perspective. Un
foyer est aussi un feu, à savoir lumière et chaleur, et donc quelque chose
qu’on n’éclaire pas avec autre chose, mais qui s’éclaire de lui-même, qui se
manifeste de lui-même. Je veux dire par là que la famille, avant d’être un
objet de pensée, est ce à partir de quoi nous nous sommes mis à penser.
Souvent, on l’oublie, comme on oublie le sol, comme on ne voit pas ce qui nous
tient et nous pousse en avant. À partir de cet oubli et de la fiction
individualiste qui en découle, nous avons tendance à dissocier le logique et le généalogique. Nous posons l’homme comme individu doué de
raison, et refusons de le reconnaître comme fils de ses pères. Or il est l’un
avec l’autre. La tradition chrétienne nous le rappelle divinement. Pour elle,
le Logos est le nom grec de la raison, mais c’est
aussi le nom évangélique du Fils.
Qu’est-ce
donc qu’une famille ? On peut l’envisager à partir de ce que nous avons dit :
la famille est le socle
charnel de l’ouverture à la transcendance. La différence sexuelle, la différence générationnelle, et la
différence de ces deux différences, nous y apprennent à nous tourner vers
l’autre en tant qu’autre. C’est
le lieu du don et de la réception incalculables d’une vie qui se déploie avec
nous mais aussi malgré nous, et qui nous jette toujours plus avant dans le
mystère d’exister.
12.
C’est comme ce premier lieu de l’existence qu’elle est aussi lieu de
résistance. Résistance à
l’idéologie, à la bien-pensance, à la programmation. La
famille est la communauté originelle, donnée d’abord par nature et non
seulement instituée par convention. Elle offre donc toujours, par son ancrage
sexuel, un contrepoint à l’artifice, et ménage un espace pour ce qu’on peut
appeler une vérification.
L’homme
public peut cultiver son image de façade, montrer son plus beau profil sur les
réseaux sociaux, mais quel est son visage dans le privé, devant sa femme et ses
enfants ? Le grand Hercule, qui a vaincu les monstres, se trouve minable devant
Déjanire. Le jeune génie, qui perce sur les étalages, a honte d’être vu avec
son papa et sa maman, lesquels attestent de son origine commune. La volonté de
puissance est toujours contrariée par la proximité familiale. Et c’est pourquoi
le totalitarisme aussi bien que le libéralisme, l’emprise technologique aussi
bien que le fondamentalisme religieux, commencent toujours par mettre la
famille sous tutelle, avant d’essayer de la détruire.
F. H.
Le texte
intégral de l’intervention de Fabrice Hadjajd (PDF) dans sa version originelle
(LMPT/Grenelle de la Famille) : Qu’est-ce qu’une
famille ?
L'intervention de Fabrice Hadjadj en
vidéo :
Les autres interventions du
Grenelle de la Famille
[1]. Rousseau écrit
dans l’introduction de son Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) :« Commençons donc par écarter tous les faits. »
Mais, au début du Contrat
social (I, 2), il ne peut s’empêcher
d’admettre le fait fondamental : « La plus ancienne de toutes les sociétés et
la seule naturelle est celle de la famille. »
[2]. Je pense à
l’usage grec de la papponymie : « Selon cette coutume, le fait pour un homme de
prénommer son fils aîné du prénom de son propre père confirme à la fois et
transcende que tout parent retrouve ses propres parents à travers ses enfants.
La permutation symbolique implique au minimum la succession de trois
générations pour fabriquer de l’humain institué » (Pierre Legendre, Filiation, Filiation. Leçon IV, Éd. Fayard, 1990, p. 62).
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