Contemplation infuse
Le plus quotidien, banal et courant, oserait-on
écrire, dans le surnaturel est sans doute qu’il puisse s’éprouver. Dans la vie
spirituelle, le surnaturel n’est pas un accident ou la matière à une
interrogation pour que soit retrouvée la cohérence avec des acquis
scientifiques ou des routines de l’expérience ; il est l’objet suprême de
la dialectique humaine. L’extraordinaire est ce qui est le plus propre au
divin, et – quand il est rencontré d’expérience – fait vivre combien la vie
naturelle est atrophiée par rapport à la plénitude que l’homme devrait
connaître : dans la contemplation, un être vivant reçoit d’anticiper hic et nunc la totalité et l’éternité de
la réalité, de la vérité. Ce à quoi la philosophie et la science ne parviennent
pas d’elles-mêmes. De participant qu’il est par nature à un ensemble créé et
contingent, l’homme peut recevoir par destinée, par prédilection la conscience
la plus nette et sensitive de l’essence de ce qu’il est, et de ce qu’est la
totalité du créé et du créateur. L’expérience est de toutes les époques et de
toutes les confessions spirituelles. (sous la direction d’André Ravier, La
mystique et les mystiques, op. cit.). Les
religions produisent toutes de la contemplation.
Tout en évoquant ce que d’autres voies ont en
partage avec la voie chrétienne, et en dégageant ce à quoi la philosophie et la
science aboutissent ou s’arrêtent, la présentation qui suit est dédiée à la
manière et au contenu de la contemplation en tant que dialogue ou rencontre avec
le Dieu trinitaire dont attestent la Bible et l’Eglise. Le chrétien a la grâce
particulière – dans l’histoire comparée des religions - d’une participation
personnelle autant à l’acte divin mettant au jour la totalité de la Création et
de l’Histoire du vivant, qu’à la vie-même de Dieu. La contemplation chrétienne
n’est ni une dissolution ni une fusion ; elle est un paroxysme de
personne, elle est la matrice de tout amour, en fait de toute relation et elle
donne selon des sens que les plus grands mystiques eux-mêmes ne surent décrire
une connaissance supérieure, totale alors que tout semble se produire dans
l’inconnaissance et l’obscurité.
Ne serait-on pas chrétien, qu’il serait tentant
d’élucider de préférence à tout autre chemin de contemplation, celui qu’expérimente,
enseigne et propose – avec discrétion – une Eglise qui, en cela, ne peut être
ni élitiste ni dogmatique. La référence sera ainsi donnée qui peut cependant
faire aller à la découverte d’autres héritages et d’autres témoignages, mais
avec un surcroît d’exigence. Hors le christianisme, et notamment selon les
démarches scientfiques ou philosophiques, la contemplation n’est pas un
dialogue, il n’existe qu’un tout dans lequel le contemplant s’absorbe ou est
absorbé : de grands auteurs européens encore contemporains s’en sont
directement ou littérairement inspiré : Mircea Elliade, Hermann Hesse,
Stefan Zweig. Et plutôt que d’une expérience dans la vie, il s’agit d’une
intuition quant à l’état d’aboutissement de l’univers, sans distinction particulière
de ce que l’on appelle le vivant. S’ils ont renoncé à imaginer la contemplation
chrétienne, c’est bien qu’ils ont reconnu la supériorité qu’aurait sur leur
inspiration, la relation directe d’une expérience, celle de Thérèse d’Avila,
d’Ignace de Loyola par exemple. Expérience culturellement datée et pourtant
fleurant absolument l’universel. La contemplation chrétienne ne s’invente pas
parce qu’elle est faite de colloque, de participation, de communion,
d’information réciproque ; elle a sa dialectique propre quoiqu’elle soit
indépendante des sens ordinaires et des dilenions que sont l’space et le temps.
Cette dialectique, pourquoi ne pas penser qu’elle est à beaucoup de points de
vue assimilable à la création-même. Les créatures en communion avec leur créateur
collaborent à la création, la leur propre, et celle de tout l’univers. Mais ce
n’est pas cette activité – pouvant intéresser le scientifique et le philosphe
s’ils parvenaient à la discerner – qui est l’objet ni le milieu de la
contemplation. Celle-ci est communion unitaire de plusieurs personnes et elle
donne de communier par le créateur à l’ensemble du créé, passé, contemporain et
à venir, si l’on reprend les références spatio-temporelles. La contemplation
est essentiellement active puisqu’elle comprend tout, le tout sans que la
personne individuelle soit en rien dissoute ; au contraire, elle a
d’autant plus conscience d’elle-même (une conscience comblée et exaucée).
Dans la contemplation, le surnaturel se manifeste
parfois par des faits susceptibles d’observation par des tiers, mais surtout
dans le secret d’un cœur qui, spontanément, répugne à en faire confidence. Rien
ne se passe qu’à l’intime de la créature ; rien n’est observable qu’un
mouvement qui survient dans l’âme et, s’arrêtant, la laisse encore toute
changée. (Jean Gouverrnaire, op. cit,
p. 22). Parce que la contemplation
embrasse des expériences et des leçons que présentent toute la littérature
spirituelle, voire la littérature de fiction ou de spéculation, le sujet n’est
ici traitée qu’avec l’humilité imposée par le sujet-même et que selon quelques
pistes et quelques mises en résonnances. Si l’on veut aller plus loin que des
définitions et approfondir les partenaires, mis en relation par la
contemplation, on est acculé à choisir selon soi ou selon un mystique
introduisant à quelques autres par association ou par contraste. Ainsi, cette
présentation est-elle doublement subjective, ce qui n’est pas réducteur mais
introductif.
1° Approches
et définitions : contemplation acquise, contemplation infuse
2° Le Dieu des scientifiques
et philosophes
3°
L’expérience : Thérèse d’Avila… Ignace de Loyola…
4° Limites de l’analogie entre pulsions
amoureuses et contemplation
5° Absolu et
contemplation
6° Vie
monastique et contemplation
7° Le recours
à un tiers vérificateur ou accompagnateur
8° Créativité
et contemplation
9°
Contemplation, vision, connaissance
*
* *
1°
Contemplation acquise,
contemplation infuse
Le portail nord de la cathédrale de Chartres montre
en une succession de poses une femme assise qui se recueille, qui lit, qui
contemple, qui entre en extase. La statuaire donne à voir l’extérieur, elle
peut qualifier les étapes successives, mais elle n’entre pas dans le double
mystère que sont le contenu de la contemplation et la manière dont celle-ci est
produite ou se produit.
La doctrine a la même humilité. La théologie contrôlera les lumières contemplatives mais pour les faire
entrer dans le cadre de sa pensée, elle veillera à ne point détruire le souffle
vivant qui les anime jusque dans leur expression. C’est dans ce domaine de
l’expression que les rapports de la théologie et de la contemplation seront le
plus délicats. (…) Ces expériences du divin ont quelque chose de très puissant
en même temps que d’indéterminé, qui est le cachet de l’infini. Parce qu’elles
procèdent du fond de l’être, en épousent les formes, en font vibrer toutes les
puissances, elles empruntent pour s’exprimer ce qu’il y a de plus profond, de
plus fort et de plus personnel. La vibration produite et son expression seront
tributaires des qualités et des déficiences du tempérament du mystique.
(…)Divine par le souffle qui l’anime, qui y règne, et la saveur qu’elle laisse,
cette poésie est humaine aussi et variée comme les âmes. (…) Même lorsqu’elle
ne se présente pas avec la perfection que nous découvrons chez ces géants de
sainteté, la contemplation enrichit singulièrement de vie et de lumière
l’expression des vérités qu’elle a vécues et communique au verbe une force et
une chaleur qui lui assurent pénétration et rayonnement fécond. (Père Marie Eugène de l’Enfant
Jésus, op. cit. p. 442)
La distinction scolaire opérée entre la
contemplation acquise et la contemplation infuse, entre ce qui est poursuivi
avec voies et moyens choisis en méthode ou en état de vie, et ce qui est reçu
en don gratuit, n’st-elle pas artificielle. Puisque quel que soit le chemin –
court ou long – établi dans la volonté ou accueilli dans l’humilité, on ne
parvient au commerce divin que du fait de Dieu ; rien neesty jamais reproductible
ni acquis sans Lui, qui surprend toujours et ne serait plus Qui il est s’il ne
surpassait toute connaissance et ne demeurait inaccessible, sauf à Se
communiquer de Lui-même. N’importe le processus, le surnaturel – Dieu-même et
la façon dont Il crée et fait vivre – n’est pas le fait d’un vouloir humain. La
contemplation dite infuse, c’est-à-dire reçue par ou dans une âme qui n’a pris
comme moyen que d’être attentive à son Créateur, donc à tout don venant de Lui,
est improviste et situante. Elle n’est pas une réponse de l’objet divin aux
efforts ou à la consécration de sa créature, elle se distingue donc de la
prière, de laméditation même si elle peut en constituer le fruit. Elle convie
la totalité de l’être contemplant à l’unique activité de recevoir la contemplation,
d’en faire partie tandis que sont abolies les habituelles notions
d’intériorité, d’extériorité, de temps, d’espace, et que les sens habituels
autant que les facultés de mémoire, d’analyse, d’imagination, de synthèse sont
anéantis pour faire place à une unification de la conscience que garde de
lui-même le contemplant, en sorte qu’il n’y a plus que mutuelle présence de
Dieu et de sa créature. Ce n’est donc ni une motion, ni une vision, ni un rêve,
ni une intuition, même si la contemplation infuse peut en être la conséquence
ou la cause.
Distinguer la contemplation infuse de la
contemplation acquise semble revenir à résoudre une opposition apparente entre deux traits également soulignés par la
tradition de la destinée surnaturelle offerte à l’homme : d’une part, son
caractère fondamental ; d’autre part, son caractère de gratuité totale. (Henri de Lubac, Le
mystère du surnaturel op. cit. p. 219).
On peut également le faire – comme le proposent Albert le Grand et le
« divin Docteur » - en remarquant la différence existant entre
« intellectus » et « ratio ». Ce serait peu utile si la
distinction dissertée n’était pas vécue comme disant le mieux ce qui appartient
à l’homme et tient à sa liberté, et ce qui est de Dieu et y reviendra toujours.
Définie en soi, la contemplation dite infuse invite
à opérer autant de distinctions que de rapprochements.
Distinction de la contemplation dite acquise,
puisque celle-ci participe de la volonté humaine et du désir de la perfection –
volonté qui peut être efficace et désir qui de soi peut être saint – de la
contemplation infuse laquelle est le propre de l’homme saisi par Dieu et se
connaissant en Celui-ci. Thérèse d’Avila dit plutôt de cette contemplation
qu’elle est parfaite, la distinguant de l’oraison mentale et de toutes formes
de méditations. Distinction des dons que peut cultiver et mettre en œuvre la
première, du don divin qui est le tout de la seconde – Dieu se donne, se
communique, et Il donne à l’homme la capacité de recevoir ce don-même.
Distinction de ce qu’il y a de naturel dans l’homme, observé en tant qu’être
spirituel, et ce qu’il y a de surnaturel dans une activité échappant à toute
description interne. Distinction aussi entre ce à quoi peut accéder tout être
vivant, selon son ordre, en sorte qu’il saisit consciemment ou inconsciemment
la totalité de l’être dont il fait partie en tant qu’individu, et la
participation à la vie divine selon l’expérience chrétienne et l’enseignement
de l’Eglise. Distinction qui amène d’ailleurs à caractériser la contemplation
chrétienne vis-à-vis de la contemplation telle qu’en font part les adeptes
d’autres religions révélées. Distinction enfin de la contemplation en elle-même
qui participe de la prière, de la vision, de nombreux exercices ou états, d’une
soudaine visitation, voire d’un « coup de foudre » mais leur reste
irréductible, puiqu’elle est surnaturelle en objet et en posture. Chacune de
ces distinctions permet de discerner des analogies et d’ainsi aller à la pointe
de la contemplation, en ce qu’elle a de commun pour tous ceux qui en reçoivent
l’expérience, et de personnel puisque la contemplation est un état de rencontre
absolu, total et immédiat, intégrant tout l’être et le tout de la vie.
Dieu aurait
pu se refuser à sa créature, tout comme Il a pu et voulu se donner. La gratuité
de l’ordre surnaturel est particulière et totale. Elle l’est en elle-même. Elle
l’est pour chacun de nous. Elle l’est par rapport à ce qui pour nous,
temporellement ou logiquement, le précède. Bien plus, cette gratuité est
toujours intacte. Elle le demeure en toute hypothèse. Elle est toujours
nouvelle. Elle le demeure à toutes les étapes de la préparation du Don, à
toutes les étapes du Don lui-même. Aucune « disposition » dans la
créature ne pourra jamais, en aucune manière, lier le Créateur. (Henri de Lubac, Le
mystère du surnaturel op. cit. p. 290).
Bien sûr, les divers moyens que mettent en œuvre des
états de vie délibérément choisis – ainsi vouer sa vie selon la règle de saint
Benoît ou selon les constitutions de la Compagnie de Jésus – ou plus
quotidiennement des dévotions éprouvées, peuvent préparer à cette contemplation
infuse, mais ils ne la garantissent pas. L’homme ne peut voir Dieu de lui-même,
quels que soient ses efforts ou les mérites qu’il accumule. La vision béatifique
n’est pas – dans l’expérience chrétienne – le résultat d’une ascèse et de
pratiques telles que dans les religions et morales orientales l’homme peut s’en
approcher. Encore moins est-elle le fruit de méditations si systématiques et
émancipées qu’elles soient. Pour faire une méditation sérieuse et
fructueuse, nous devons nous mettre en prière avec le sentiment sincère que
nous avons besoin de ce qu’elle nous apportera. Il ne suffit pas d’appliquer
notre esprit aux choses spirituelles comme si nous le ferions si nous avions à
observer quelque phénomène naturel, ou à conduire une expérience scientifique
quelconque. La prière mentale nous fait entrer dans un domaine où nous ne
sommes plus les maîtres ; où nous considérons des vérités qui dépassent
notre compréhension naturelle et qui, cependant, renferment le secret de notre
destinée. Nous cherchons à pénétrer plus profondément dans la vie de Dieu. Mais
Dieu est infiniment au-dessus de nous, bien qu’Il soit en nous et le Principe
de nos êtres. Et la grâce d’union intime avec Lui, bien que nous puissions
l’obtenir par notre prière et nos bonnes actions, demeure cependant un don
qu’Il nous fait. Celui qui demande une aumône doit adopter une attitude
différente de celui qui exige son dû. Une méditation qui n’est qu’une étude
détachée des vérités spirituelles ne signifie nullement que nous désirons
participer plus pleinement aux bienfaits spirituels qui sont les fruits de la
prière. Nous devons aborder la méditation en comprenant notre pauvreté
spirituelle, notre déficience totale en ces choses que nous cherchons, notre
néant aux yeux du Dieu infini. (Thomas Merton, , op . cit. pp. 96 & 97). Encore n’est-il traité que de la méditation. L’oraison
consiste non point à penser mais à aimer, et l’amour n’a point de
méthode ; chacun aime à sa manière et la meilleure manière d’aimer, c’est
d’aimer démesurément. (Théodore Ratisbonne, op. cit.
Lettre à Mère Marie-Paul, sans date)
*
* *
2°
Le Dieu des scientifiques et
philosophes
Livré à ses seules forces, à ses seules facultés
naturelles, l’homme peut comprendre ce qu’est la prière et comment elle se
développe. Scientifiques et philosophes en témoignent.
Dans sa forme la plus élevée, la prière
cesse d’être une pétition. L’homme expose au Maître de toutes choses qu’il
l’aime, qu’il le remercie de ses dons, qu’il est prêt à accomplir sa volonté
quelle qu’elle soit. La prière devient contemplation. Un vieux paysan était
assis seul dans le dernier banc de l’église vide. «
Q’attendez-vous ? » lui demanda-t-on. « Je le regarde »
répondit-il, « et il me regarde ». La valeur d’une technique se
mesure par ses résultats. Toute technique de la prière est bonne quand elle met
l’homme au contact de Dieu. (Alexis Carrel, op. cit. p. 10)
Ce que nous savons déjà de façon sûre, c’est que la
prière produit des effets tangibles. Quelque étrange que la chose puisse
paraître, nous devons considérer comme vrai que quiconque demande reçoit, et
qu’on ouvre à celui qui frappe. Les
effets de la prière ne sont pas une illusion. Il ne faut pas réduire le sens du
sacré à l’angoisse éprouvée par l’homme devant les danfers qui l’entourent et
le mystère de l’univers. Ni faire simplement de la prière une potion calmante,
un remède contre notre peur de la souffrance, de la maladie et de la mort. Quelle est donc la signification du sens du
sacré ? Et quelle place la nature elle-même assigne-t-elle à la prière das
notre vie ? (…) Pour quelle raison le sens du sacré joue-t-il un rôle
aussi important dans la réussite de la vie ?Par quel mécanisme la prière
agit-elle sur nous ? Ici nous quittons le domaine de l’observation pour
celui de l’hypothèse.mais l’hypothèse,même hasardeuse, est nécessaire au
progrès de la connaissance. (…) Ne nous est-il pas permis de croire que nous
sommes plongés dans un milieu spirituel dont nous ne pouvons davantage nous
passer que de l’univers matériel, c’est-à-dire de la terre et de l’air ?
Et ce milieu ne serait autre que l’être immanent dans tous les êtres et les
transcendant tous, que nous appelons Dieu. La prière pourrait donc être
considérée comme l’agent des relations naturelles entre la conscience et son
milieu propre. Comme une activité biologique dépendant de notre structure. En
d’autres termes, comme une fonction normale de notre corps et de notre esprit. (Ibid. pp.. 24 à 30) On
n’est pas loin de la doctrine consacrée par l’Eglise catholique : La structure de l’âme en état de grâce
explique théologiquement la naissance,les développements et le contenu de la
contemplation mystique. Celle-ci s’enracine dans l’organisme spirituel
communiqué par le baptême à tous les fidèles, en vue de les habiliter à vivre
d’une vie proprement divine. Grâce sanctifiante qui est non seulement une
réalité créée et permanente gransformant l’âme, mais une union immédiate et
onotologique à la substance même de l’essence divine ; Le Père, le Fils et
le Saint Esprit se communiquent à l’âme, pour être dès ici-bas, l’objet d’une
connaissance et d’un amour dont le réalisme se caractérise au mieux par
l’ « inchoatio vitae aeternae », anticipation mystérieuse de la
vision béatifique. (Charles Baumgartner, in article
sur La contemplation : conclusion générale, dans le Dictionnaire
de spiritualité, op.cit. p. 2191)
Davantage, l’homme peut de lui-même poser Dieu et la
relation à entretenir avec lui. Les méditations de Descartes certifient
l’existence des deux protagonistes : Dieu et le moi. Simone Weil approche
au plus près de la conception chrétienne sans s’y convertir explicitement.
Ne pas
exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est
contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut. La
grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il a un vide pour la recevoir,
et c’est elle qui fait ce vide. (…) Accepter un vide en soi-même, cela est
surnaturel. Où trouver l’énergie pour un acte sans contreparte ? L’énergie
doit venir d’ailleurs. (…) Il faut une représentation du monde où il y ait du
vide, afin que le monde ait besoin de Dieu. Cela suppose le mal. Aimer la
vérité signifie supporter le vide, et par suite accepter la mort. La vérité est
du côtéde la mort. L’homme n’échappe aux lois de ce monde que la durée d’un
éclair. Instants d’arrêt, de contemplation, d’intuition pure, de vide mental,
d’acceptation du vide moral. C’est par ces instants, qu’il est capable de
surnaturel. Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou
tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans
espérance. Mais il ne faut pas s’y jeter. (op. cit. pp. 12 & 13)
Il existe
une force « déifuge ». Sinon tout serait Dieu. Il a été donné à
l‘homme une divinité imaginaire pour qu’il puisse s’en dépouiller comme le
Christ de sa divinité réelle. (op.
cit. p. 37)
Il ne faut
avoir en vue dans la prière aucune chose particulière, à moins d’en avoir reçu
surnaturellement l’inspiration. carDieu est l’être universel. Certes il descend
dans le particulier. Il est descendu, il descend dans l’acte de la de la
cration ; de même dans l’Incarnation, l’Eucharistie, l’Inspiration, etc.
Mais c’est un mouvement descendant, jamais montant, un mouvement de Dieu, non
de nous. Nous ne pouvons opérer une telle liaison qu’autant que Dieu nous la
dicte. Notre rôle est d’être tournés vers l’universel. (…) Chaque créature
parvenue à l’obéissance parfaite constitue un mode singulier, unique,
irremplaçable de présence, de connaissance et d’opération de Dieu dans le
monde. (op. cit. pp. 54 & 55)
La
nécessité est essentiellement étrangère à l’imaginaire. Ce qui est réel dans la
perception et la distingue du rêve, ce n’est aps les sensation, c’est la nécessité
enveloppée dans ces sensations. « Pourquoi ces choses et non pas
d’autres ? – C’est ainsi. » Dans la vie spirituelle, l’illusion et la
vérité se distinguentde la même manière. Ce qui est réel dans la perception et
la distingue du rêve, ce n’est pas les sensations, c’est la nécessité. (…)
Comment distingue-t-on l’imaginaire du réel dans le domaine spirituel ? il
faut préférer l’enfer réel au paradis imaginaire. (…) L’humilité a pour objet
d’abolir l’imaginaire dans le progrès spirituel. Aucun inconvénient à se croire
beaucoup moins avancé qu’on n’est : la lumière n’en opère pas moins son
effet, dont la source n’est pas dans l’opinion. Beaucoup à se croire plus
avancé, car alors l’opinion a un effet. (…) Essayer d’aimer sans imaginer.
Aimer l’apparence nue et sans interprétation. Ce qu’on aime alors est vraiment
Dieu. (op. cit. pp. 60 & 61)
Parmi les
êtres humains, on ne reconnaît pleinement l’existence que de ceux qu’on aime.
L’esprit n’est forcé de croire à l’existence de rien (subjectivisme, idéalisme
absolu, solipsisme, scepticisme : voir les Upanishads, les taoïstes et
Platon, qui, tous, usent de cette attitude philosophique à titre de
purufication). C’est pourquoi le seul organe de contact avec l’existence est
l’acceptation, l'amour. C’est pourquoi beauté et réalité sont identiques. C’est
pourquoi la joie et le sentiment de réalité sont identiques. (op. cit. p. 73)
Jamais à l’époque contemporaine, la philosophie n’a
amené l’être humain aussi proche de la foi, mais elle ne produit pas la
contemplation et elle ne renseigne en rien sur le contenu de celle-ci.
Une théorie
de la contemplation, considérée comme union à Dieu, d’un point de vue purement
philosophique, ne peut être pleinement satisfaisante à la raison. Car comment
un homme peut-il arriver jusqu’à Dieu, si ce n’est en se dépassant
lui-même ? Cela est-il possible ? Et, si c’est possible, peut-on dire
que l’homme qui s’est dépassé est encore un homme et que Dieu, lorsqu’il est
atteint, est encore trascendant ? La raison reste déconcertée et c’est
normal. (René Arnou, in article sur La contemplation chez
les anciens, dans le Dictionnaire de spiritualité, op.cit. p. 1742)
La science la plus positive peut faire saisir en
quoi la contemplation met en œuvre les plus caractéristiques des facultés
humaines et assure le mieux la
compréhension par l’homme de sa situation cosmologique, voire cosmogonique.
Mais elle n’est pas, par elle-même, une contemplation, quoiqu’elle puisse aider
le contemplatif, hors sa contemplation, à situer ce dont il bénéficie. Quel est
l’environnement de la contemplation ? A quoi répond-elle dans la nature
humaine, dans la vie psychique ?
Généticien et chirurgien, Alexis Carrel affirme qu’il s’agit dans cette vie de développer notre
personnalité et atteindre les sommets de la vie – ce qui ne peut se faire qu’en
suivant les lois de la physiologie et celles de la morale. Et la connaissance
de l’esprit conduit à l’union de cet esprit avec celui de Dieu. L’esprit n’est
nullement limité au corps ; et la suprême aventure est précisément cette
libération du corps,même pendant la vie, pour atteindre le substratum du monde,
qui est à la fois intelligence et amour (…)
La vie de l’homme trouve son sens dans ses relations non seulement avec
les autres hommes, et avec la race, et avec le milieu cosmique, mais avec ce
substratum de tout ce qui existe, lequel, chose étrange, est capable de
s’intéresser à chacun de nous et de lui répondre. La prière et la grâce. (…).
Le sens de la vie nous est donné par l’existence de ce monde et par
l’expérience des mystiques. La vie est faite avant tout pour être vécue. En la
vivant pleinement, nous satisfaisons les intentions de l’Etre qui l’a créée.
(Alexis Carrel, op. cit.
pp. 148 & 149)
Ce n’est
pas la raison, mais le sentiment qui mène l’homme au sommet de sa destinée.
L’esprit s’élève par la souffrance et le désir plus que par
l’intelligence ; à un certain moment du voyage, il laisse derrière lui
l’intelligence, dont le poids est trop lourd. Il se réduit à l’essence de
l’âme, qui est amour. Seul, au milieu de cette nuit de la raison, il s’échappe
du temps et de l’espace : et, par un processus que les grands mystiques
eux-mêmes n’ont jamais été capables de décrire, il s’unit au substratum
ineffable de toutes choses. Peut-être cette union à Dieu est-elle le but secret
vers lequel tend l’individu dès l’instant où l’ovule fécondé comlmence sa
division et sa croissance dans la paroi de l’utérus maternel. L’évolution
spirituelle ne s’achève que chez très peu de gens, car elle demande un effort persistant
de volonté, un certain état des tissus, le sens de l’héroïsme, la purification
des sens et de l’intelligence, et d’autres conditions que nous connaissons
mal ; en particulier, cette condition psycho-physiologique que l’Eglise
appelle la Grâce. (Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de la vie, op.
cit. p. 92)
La
télépathie, la clairvoyance, nous montrent l’existence d’une certaine relation
de nous-mêms avec d’autres esprits et les objets du monde cosmique. Les
activités mentales sont probablement dûes à l’existence en dehors de nous
d’autres activités mentales que nous ne pouvons déceler, car elles n’ont pas le
moyen de se traduire à nos sens ; mais elles se manifestent directement à
notre esprit, sous forme d’intuition, de grâce de Dieu. Dans l’univers,il y a
parout une pensée analogue à la nôtre puisque nous pouvons la comprendre.
Intelligence immanente et transcendante, dont nous participons, à laquellenous
pouvons atteindre par certaines technique. La prière est une de ces techniques.
Dans caque chose, il y a cette pensée créatrice qui se manifeste par les lois
de la physique, par celles de la biologie, par notre activité esthétique,
intellectuelle et mystique.(Alexis Carrel, Jour après jour, op.cit. p. 158
Prêtre, religieux et scientifique, Pierre Teilhard
de Chardin affirme que : Si l’on
réfléchit à quelle condition peut émerger dans le cœur humain ce nouvel amour
universel, tant de fois rêvé en vain, mais cette fois enfin quittant es zones
de l’utopie pour s’affirmer possible et nécessaire, on s’aperçoit de
ceci : pour que les homme sur la Terre, sur toute la Terre, puissent
arrivr à s’aimer, il n’est pas suffisant que, les uns et les autres, ils se
reconnaissent les éléments d’un même quelque chose ; mais il faut
que, en se « planétisant », ils aient conscience dedevenir, sans se
confondre, un même quelqu’un. Car (et ceci est déjà en toutes lettres dans
l’Evangile) il n’y a d’amour total que du et dans le personnel.
Qu’est-ce à
dire que, en fin de compte, la planétisation de l’humanité suppose, pour
s’opérer correctemt, en plus de la Terre qui se reserre, e plus de la pensée
humaine qui s’organise et se condense, un troisième facteur
encore : je veux dire la montée sur notre horizon intérieur de quelque
centre cosmique psychique, de quelque pôle de conscience suprême, vers
lequel convergent toutes les consciences élémentaires du monde, et en qui elles
puissent s’aimer : la montée d’un Dieu. (Pierre Teilhard de Chardin, Hymne
de l’Univers op. cit. pp.94-95)
Seigneur,
c’est vous qui, par l’aiguillon imperceptible d’un charme sensible, avez
pénétré dans mon cœur pour faire écouler sa vie en Vous. Vous êtes descendu en
moi à la faveur d’une petite parcelle des Choses ; et puis, soudain, vous
vous êtes déployé, à mes yeux, comme l’Universelle Existence…
L’intuition
mystique fondamentale vient d’aboutir à la découverte d’une Unité supra-réelle,
diffuse dans l’immensité du Monde.
Dans le
milieu, à la fois divin et cosmique, où il n’avait d’abord aperçu qu’une
simplification, et comme une spiritualisation, de l’Espace, le Voyant, fidèle à
sa Lumière, voit se dessiner progressivement la Forme et les attributs d’un Elément
ultime, en qui toute chose trouve sa Consistance définitive.
Et alors il
commence à mesurer plus exactement les joies et l’urgence de la mystérieuse
Présence à laquelle il s’est abandonné.(Pierre Teilhard deChardin, ibid.op.
cit.p. 97)
Plaçant ces deux savants en exergue de ce qu’il
présenta à la fin des années 1970 comme la synthèse de ses recherches, Jean E.
Charon, physicien-théoricien, expose que
l’aboutissement du psychisme est donc un
état de l’Univers porté par un peuple d’électrons pensants ou éons, dont les
micro-univers possèderont une néguentropie qui sera allée continuellement tout
au long de la vie « pulsatile » de l’Univers de la Matière.
Peut-on
chercher à savoir, ou plutôt deviner, comment évoluera le psychisme universel
entre l’époque actuelle et l’état terminal de l’Univers ?Nous l’avons dit,
les électrons vont utiliser leurs propriétés « spiriuelels », qui
sont à base d Réflexion, Connaissance, Amour et Acte ; avec
comme »intention » d’accroître toujours plus leur néguentropie pour
prendre mieux « conscience » de l’Univers et mieux préciser l’obectif
final qu’ils souhaitent adopter.
(…)
L’objectif actuel de ces sociétés paraît bien être de chercher à coommuniquer
avec le milieu naturel extérieur, y compris les autres sociétés d’éons (…) afin
d’accroître toujours plus la néguentropie des participants à la société,
c’est-à-dire les éons. Ainsi, à travers des existences successives à
l’intérieur deces sociétés d’éons où ils ont été acceptés pour la durée d’une
vie, caque éon élève toujours un epu plus ses qualités spirituelles, son
Esprit. L’ascension spirituelle a lieu sur le plan collectif en même temps que
sur le plan individuel. Aucun « mélange » des qualités spirituelles
ne se produit au cours d’un tél échauffement général de l’Esprit dans le
monde ; chaque éon possède une histoire spirituelle personnelle, il
demeure « lui-même », avec son propre passé, sa propre mémoire,
différente de celle de son voisin. Et pourtant c’est toujours en unissant
toujours plus sa « personne » à la personne de l’autre que monte le
rythme d’acquisiyion de la néguentropie personnelle. C’est en devenant plus uni
que l’éon devient plus lui-même. Le peuple des éons apparaît comme ayant su
parfaitement réaliser cet objectif si recherché de « l’unité dans la
diversité ». (op. cit. pp.250-251)
J’ai expliqué la religion en termes de systèmes
présents dans tout cerveau humain et qui font toutes de sortes de choses
intéressantes et précieuses, sans être construits spécialement pour produire
des concepts et des comportements religieux. Il n’existe pas d’instinct
religieux, de penchant spécial de notre esprit, pas de disposition particulière
pour ces concepts, pas de centre de la religion dans le cerveau, et les
croyants ne sont pas différents des non-croyants en ce qui concerne leurs
fonctions cognitives essentielles. Même la foi et la croyance sont apparemment
de simples produits dérivés de la façon dont les concepts et inférences
fonctionnent pour la religion, comme ils fonctionnent dans d’autres domaines.
(…)
Ainsi avançons-nous dans la compréhension de la
religion à mesure que nos connaissances des processus cognitifs se développent,
mais aussi, àl’inverse à mesure que nous comprenonsmieux la propension humaine
à entretenir des pensées religieuses. Et nous apprendrons bien des choses sur
ces machines biologiques complexes que sont les cerveux en étudiant la façon
dont elles donnent une demeure et un nom à ces « riens aériens » dont
parlait Shakespeare. (Pascal Boyer, pp. 325-326 en conclusion)
*
* *
3°
L’expérience : Thérèse d’Avila… Ignace de Loyola…
Le Dieu des philosophes reste naturel, origine
plausible du créé, il offre en cadeau logique que l’humanité soit
l’aboutissement de son œuvre et qu’à la fin-même de celle-ci, il y ait comme
une communion cosmogonique. La contemplation chrétienne n’est pas visionnaire
d’une fresque, elle est relationnelle et personnelle. Il y a donc autre chose.
C’est bien d’autre chose qu’il s’agit.
Elle est un don, inreproductible. Elle est
probablement l’expérience – extraordinaire – d’une irruption de l’éternité, de
la totalité de l’être dans une conscience humaine qu’encagent le temps, la
physiologie. Elle fait à proprement parler se perdre vis-à-vis de lui-même
l’être humain qui en est gratifié, elle l’émancipe des conditionnements de sa
culture, des circonstances-même du moment où elle est donnée, et pourtant elle
n’ôte rien à la personnalité et aux constituants du contemplatif. L’homme
s’éprouve sans raison, sans motif comblé par une situation dont il sait
ineffablement l’origine, et c’est la prise de conscience de cette origine
divine du bonheur et de la plénitude dont il est saisi qui, précisément, le
transporte en action de grâces et le place vis-à-vis de son Créateur.
Cette forme de contemplation n’est pas assortie
d’une vision qui pourrait être mémorisée ou se décrire ni non plus d’une sorte
d’envoi en mission à titre de témoin ou d’acteur pourvu d’une expérience à
transmettre. Elle est une situation où l’âme se trouve soudainement
transportée. Cette âme sait où elle a été enlevée mais elle n’en sait ni la
manière ni le moment selon la pérégrination et le temps humain : c’est une
durée sans commencement et dont la fin n’est pas à redouter et ne sera pas
douloureuse, désappropriante ou mutilante. A cette âme, à cet homme, à cette
femme, peu importe qu’il n’y ait aucun repère humain. L’âme se trouve là où
elle ressent qu’elle est au mieux, que c’est bien là qu’elle doit éternellement
se trouver et que c’est sans doute de là qu’elle est venue. Elle est en Dieu et
elle se sent au centre de l’humanité, de l’univers, de l’Histoire ; elle
n’est ni subordonnée ni souveraine, elle est pleinement située, elle communie
et elle se vit comme éminemment active et féconde. Elle s’aperçoit qu’elle loue
le Créateur, qu’elle assemble en sa prière toutes les destinées de tous ses
compagnons et compagnes de vie et de nature, et elle se retrouve soudain où
elle était physiquement, l’instant d’avant, heureuse et reconnaissante de ce
qu’elle vient de vivre, de cette nouvelle certitude de son identité et de sa
nature spirituelles qui vient de lui être donnée. Pour la énième fois ou pour
la toute première, ce qui ne change à aucun degré l’expérience. Les sens
humains ont tous concouru à cette prise de conscience, au-delà de la
jouissance, au-delà du savoureux, au-delà de toute connaissance, ils ont été
accomplis davantage que subjugués. Avec
ou sans son corps, écrit l’Apôtre.
Ce passage de l’extraordinaire dans une vie humaine
peut se révéler fréquent. Sans qu’il soit l’objet d’une demande explicitement
formulé dans l’intime de l’âme s’en venant à la prière, il est certainement le
sceau suave, décisif et odorant que Dieu met non pour sceller une oraison, mais
pour y ouvrir.
Les écrits évangéliques et la transcription par de
nombreux saints de leur expérience en cette sorte-là de contemplation,
permettent de caractériser ce qu’il y a de totalisant et de soudain dans cette
grâce. Ils montrent surtout que la démarche scientifique, la quête
philosophique, toutes les doctrines de vie intérieure parviennent ou même
excellent à décrire la nécessité et le but de la contemplation mais échouent à
vivre la contemplation, à vivre de contemplation…
Deux fondateurs, en particulier, ont lié
l’institution ou la réforme de leur ordre religieux à une vocation toute
personnelle, celle de l’union à Dieu. En
sorte que, recevant l’expression de la volonté de Dieu quant à ce qu’ils
avaient à faire pour Sa gloire, ils en tirèrent – comme accessoirement –
matière à une expérience transmissible, et qu’ils enseigneront. Fondant ainsi
non seulement une institution mais une spiritualité.
J’ai aussi
compris du même Père Ignace qu’il vit lui-même dans la contemplation et qu’il
trouve Dieu chaque fois qu’il s’adonne
l’oraison ; et qu’on ne devait pas observer une règle et un ordre
déterminés, mais qu’on devait pratiquer l’oraison de diverses manières,
chercher Dieu par des méditations diverses. Si on commence à partir de la
dernière grâce reçue dans l’oraison, il n’a pas condamné cela, mais il a dit
que c’était le propre des débutants. Au début de sa conversion, le Père Ignace
était porté à parler avec des personnes spirituelles de ce qui lui était spirituellement
révélé. Ensuite, ce désir le quitta, et il s’engagea dans une autre voie en
sorte qu’il traitait seul à seul avec Dieu. (Jérôme Nadal, op.
cit. p. 68)
La manière
de lire l’Ecriture. Quelqu’un lisait l’Ecriture et nourrissait ses affections
par la seule considération de l’histoire, sans faire aucune recherche, mais en
contemplant, comme si elles étaient présentes, les choses qui sont écrites. Il
en tirait souvent des fruits qui n’étaient pas petits, surtout quand il
contemplait le Christ faisant des miracles pendant sa vie sur la terre. Cette
manière de faire est très simple, de telle sorte que, lorsque nous ne pouvons
pas facilement faire travailler notre intelligence, il soit possible d’y
recourir commodément même au temps de la maladie. (Jérôme Nadal, op.
cit. p. 69)
Quelqu’un,
alors qu’il avait été auparavant désolé, pendant toiute la journée du 18
Juillet 1557 et pendant les deux ou trois jours qui suivirent, ressentit une si
grande consolation et joie spirituelle ainsi que le sens de la Compagnie,
surtout de la fin de la Compagnie et de la substance même de l’Institut, qu’il
ne put exprimer ce qu’il ressentait, alors que des larmes le manifestaient. En
outre, il ne put ressentir aucune difficulté dans cette affaire, ni concevoir
le plus petit sentiment de crainte. En effet, s’il voulait fixer son esprit sur
les difficultés, les dangers et les craintes, rien de ces choses ne pouvait lui
venir à l’esprit, mais au contraire une luière et quelque chose de beau et de
suave. Et lui apparaissaient quelque chose comme un édifice de marbre très beau
et très blanc, dont on ne voyait nettement ni le début, ni la fin, ni la forme.
Mais il sentait dans son cœur que cette troisième chose était cachée avec le
Christ en Dieu, à qui soit une gloire infinie pour l’éternité. Le même reçut
pendant ces deux jours de grandes lumières,l’une sur les activités divines,
qu’il ne peut expliquer ; par cette lumière, cependant, il ressentit une
si grande confirmation sur ce sujet qu’il lui semblait que lui était ouvert le
don d’intelligence. De plus, il sait comment l’Eucharistie st à la fois
nourriture de l’âme et union des fidèles entre eux, etc. De plus encore, il eut
une connaissance plus claire de ses péchés, surtout en recevant une pénitence
pour ceux-ci, pénitence qui lui semblait très douce. Bref, c’était là une
grande et puissante lumière sur toutes choses. (Jérôme Nadal, op.
cit. p. 127)
C’est ce même homme qui rédige, bien plus impératif
et pratique qu’un traité, un manuel d’exercices, osant d’ailleurs les qualifier
de spirituels, et admettant par conséquent l’objectivité et l’autonomie d’une
forme ou d’un des aspects de la vie humaine. Le manuel s’adresse plus à un
accompagnant qu’à un retraitant, d’une manière analogue à la divine
institutions des sacrements qui dans l’Eglise sont administrés à des hommes par
des hommes, on « donne les Exercices », on les « reçoit ».
Et les conseils sont des plus concrets. Trois
manières de prier. Règles pour sentir et reconnaître les diverses motions qui
se produisent dans l’âme. Règles pour un plus grand discernement des esprits.
Règle pour la distrubution des aumônes. Règle pour aider à sentir et à juger
les scrupules. Règles pour avoir le sens vrai qui doit être le nôtre dans
l’Eglise militante. (Ignace de Loyola, Exercices spirituels op. cit. p. 230). La correspondance du directeur spirituel excelle à
définir ces motions et à indiquer l’usage à en faire, qu’on les éprouve
positivement ou qu’on en vive douloureusement le manque (Ignace de Loyola, Lettres, op. cit. p. 53). Il s’agit en principe de préparer et de disposer l’âme, pour écarter de soi tous les
attachements désordonnées, puis, quand on les a écartés, chercher et trouver la
volonté divine dans la disposition de sa vie, pour le bien de son âme, et
si la spiritualité ignatienne passe pour une école de discernement et de
liberté, pouvant rivaliser avec les « techniques » mentale et
spirituelles les plus courues de notre époque, il apparaît vite que l’essentiel
des recommandations est une invite, une aide à la contemplation. Deux facultés
sont mises en œuvre : nous nous
servons de l‘activté de l’intelligence pour penser et de celle de la volonté
pour aimer. Remarquons donc que l’activité de la volonté, lorsque nous nous
entretenons vocalement ou mentalement avec Dieu notre Seigneur ou avec ses
saints, exige de notre part un plus grand respect que lorsque nous nous servons
de l’intelligence pour comprendre. (Ignace de Loyola, Exercices spirituels op. cit. p. 15)
On notera
que, si l’on veut rester plus longtemps sur la Passion, il faut prendre dans
chaque contemplation moins de mystères : dans la première contemplation,
uniquement la Cène (…) et ainsi pour les autres contemplations et mystères.
Egalement, une fois terminée la Passion, prendre pendant un jour entier la
moitié de la Passion, le second jour l’autre moitié, et le troisième jour toute
la Passion. Au contraire, si l’on veut passer plus vite sur la Passion, prendre
la Cène, au matin le jardin, (…) De la sorte, en omettant les répétitions et
l’application des sens, faire chaque cinq exercices différents, avec un mystère
du Christ notre Seigneur en chacvun des exercices. Puis, ainsi achevée toute la
Passion, on peut faire un autre jour tout l’ensemble de la Passion, en un ou
plusieurs exercices, selon ce qui paraîtra pouvoir être profitable. (Ignace de Loyola, Exercices
spirituels op. cit. p. 114)
Pour le traducteur français et également fils de
saint Ignace, contempler n’est pas tant
de fixer l’imagination pour qu’elle ne trouble pas la prière que de nous en
servir pour passer du visible où s’exprime le mystère, à la réalité invisible.
(Ignace de Loyola, ibid.
op. cit. p. 43 – note 3). La
contemplation est à proprement dire un exercice. Ainsi de celle pour obtenir l’amour. Elle est exposée
comme une médication. L’amour est d’abord défini en remarques préalables. Puis
deux préambules sont indiqués, composition
du lieu. Demanderce ce que je veux. Suivent alors quatre points : 1° me remettre en mémoire… 2° regarder
comment Dieu… 3° considérer comment Dieu… 4° regarder comment tous les biens et
tous les dons (…) Puis terminer en réfléchissant en moi-même, comme il est
indiqué. Terminer par un colloque et un Pater noster. Le traducteur
ajoute en note. Le quatrième point de la
contemplation nous fait entrer dans la pleine familiarité divine : nous
trouvons Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu, unifiant ainsi notre
prière et notre action. (Ignace de Loyola, ibid. op. cit. pp. 127 à 130). La méthode ignatienne forme autant les formateurs
– généralement desreligieux jésuites – que les laïcs. Propre, particulièrement
dans notre époque, à structurer ceux qui veulent vivre chrétiennement sans
avoir cependant ressenti l’appel à un état de vie religieux ou à une vocation
sacerdotale, elle apprend ce que peut être dans la vie quotidienne la
contemplation, et elle fait passer de l’acquis à l’infus, en ce sens que
l’ « exercitant » a acquis un certain « flair » le
portant à reconnaître, ce qui en lui, vient de Dieu. Nous pouvons dès lors intégrer nos vœux les plus profonds : désirs
pur nous-mêmes et nos proches, souhaits pour la société et le monde où Fdieu
nous a placés, aspiration enfin vers Dieu. La spiritualité ignatienne nous
permet ainsi de progresser vers une unité plus profonde de la prière et de la
vie, de changer et de croître à la lumière de l’évangile et sous la direction
forte et créatrice de l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans l’existence de chaque
jour. (David
Lonsdale, op. cit. p. 203). C’est bien l’existence
réconciliée. (titre de Pierre-Jean Labarrière, op. cit.).
A tel point que les « Exercices » deviennent à leur tour la trame la
plus appropriée, la dialectique toujours retrouvée de toute retraite, de toute
lecture, de toute halte spirituelles, qu’ils sont vraiment une école de
contemplation (ce dont témoigne l’entier de l’œuvre de Jean Laplace, fêtant
en 2002 le jubilé de cinquante ans d’un ministère uniquement consacré à
« donner les Exercices »).
Car l’expérience ignatienne montre enfin que
le retraitant crée lui-même une ligne d’interprêtation qui lui est propre et
qui va constituer son originalité. (…) En même temps que le retraitant
s’approprie le texte de saint Ignace, en le reconstruisant dans son propre
cheminement, il fait apparaître, à travers les Exercices, des lignes de
croissance spirituelle, ou plutôt une ligne qui est la sienne, parmi d’autres
qui se dessinent mais sont spontanéament ou explicitement écartées. D’un stade
à l’autre, d’une méditation à l’autre, d’une motion à l’autre, le retraitant
retient une indication, une suggestion ; il garde du texte (sans que ce
soit l’objet d’un choix délibéré) ce qui lui révèle à lui-même sa tendance, sa
manière d’être, les conditions de sa réponse à la grâce. (Maurice Giuliani, op. cit.
p. 195).
Quelle avait été l’expérience initiale
d’Ignace ?
En ce temps-là, Dieu le traitait de la même manière
qu’un maître d’école traite un enfant,savoir : en l’enseignant. Etait-ce
bien à cause de sa rudesse et de son esprit grossier ou bien poarce qu’il
n’avait personne qui l’enseignât ou à cause de la ferme volonté que Dieu même lui
avait donnée pour le servir, - en tout cas il jugeait clairement, et toujours
il a jugé, que Dieu le traitait en effet de cette manière-là et, bien mieux,
s’il en doutait, il penserait offenser la Divine Majesté. On peut voir de tout
cela un témoignage dans les cinq points qui vont suivre.
Premier point. Il avait beaucoup de dévotion envers la Très
Sainte Trinité et chaque jour il faisait oraison aux trois Personnes, chacune
priuse à part. Ert comme il priait aussi la Très Sainte Trinité dans son ensemble
il lui venait une réflexion : comment ? Il faisait qutre oraisons à
la Trinité ? Mais cette réflexion lui donnait peu de souci ou même aucun,
tyelle une chose de peu d’importance. Et comme un jour il priait sur les
marches de ce même monastère (de Saint Dominique), récitant les heures de
Notre-Dame, son entendement se mit à s’élever, comme s’il voyait la Sainte
Trinité sous la figure de trois touches d’orgue – et cela avec tant de larmes
et tant de sanglots qu’il ne pouvait se mouvoir. Il prit part ce matin-là à une
procession qui sortait du monastère et il ne put retenir ses larmes jusqu’au
repas. Après avoir mangé, ilo ne pouvait plus parler d’autre chose que de la
Sainte Trinité, à l’aide de comparaisons nombreuses et très diverses et avec
beraucoup de joie et de consolation. Si bien que pendant touite sa vie, il lui
erst resté cette iompression de sentir une très grtande dévotion toutes les
fois qiu’il faisait son oraison à la
Très Sainte Trinité.
Second point. Une fois devint présente à son entendement, non
sans une grande joie spirituelle la manière dont Dieu avait créé le monde. Il
lui sembla voir une chose blanche d’où sortaient des rayons et avec laquelle
Dieu faisait de la lumière. Mais ces choses il ne savait pas les expliquer et
il ne se souvenait pas non plus tout à fait bien des connaissances spirituelles
qu’en ce temps-là Dieu imprimait dans son âme.
Troisième point. Toujours à Manrèse, où il se trouvait depuis une
année environ, après avoir commencé
d’être consolé par Dieu (…) et alors, comme il se trouvait dans cette
bourgade, à l’église du monastère, et qu’il entendait dire la messe, un jour,
il vit avec les yeux intérieurs, à l’élévation du Corpus Domini, certains
rayons blancs qui venaient d’en haut. Et quoiqu’il ne puisse bien expliquer,
après tant de tempps écoulé, cette vision, cependant, ce qu’il perçut avec
clarté dans son entendement, ce fut la manière dont se trouvait dans ce très
saint Sacrement, Jésus-Christ, notre Seigneur.
Quatrième point. A de nombreuses reprises et chaque fois pendant
longtemps, il vit avec les yeux intérieurs, tandis qu’il se tenait en oraison,
l’humanité du Christ. L’image qui lui apparaissait était comme un corps tout
blanc ni très grand ni très petit mais dont il ne distinguait pas les membrers.
Cela, il le vit à Manrèse beaucoup de fois : s’il disait vingt ou quarante
il n’oserait pas juger que ce serait faux. Une autre fois il le vcit en étant à
Jérusalem et une autre fois en allant à Padoue. Il vit également Notre-Dame
sous une forme analogue mais sans distinguer non plus de parties dans cette
forme. Toutes ces choses qu’il aperçut le raffermirent alors et lui donnèrent
une si grande confirmation dans la foi que souvfent il se dit, au fond de
soi : même s’il n’y avait pas l’écriture pour nous enseigner ces choses de
la foi, il se déciderait s’il le fallait, à mourir pour elles, et seulement à
cause de ce qu’il avait vu.
Cinquième point. (Ignace
de Loyola, Autobiographie op. cit. pp.73 à 75) L’illumination du Cardoner voir
notice sur Ignace de Loyola par SAVIN s.j..
L’expérience de Thérèse d’Avila se distingue à deux
points de vue de celle d’Ignace. Elle ne se situe pas à l’orée d’une
conversion, elle-même vécue relativement en début de vie, et elle porte à la
défiance, à la sollicitation du conseil de tiers, celle qui en bénéficie. Mais
elle a la même consonnance trinitaire que celle du fondateur des Jésuites, elle
témoigne aussi de ce qu’avait naguère enseigné un autre grand réformateur,
Bernard de Citeaux : Puisque ses voies sont aussi impénétrables, tu te demandes sans doute
comment j’ai savoir qu’il était présent (…). Dès qu’il est entré, il a réveillé
mon âme (…). Jamais il ne fit connaître son entrée par quelque indice ou par
quelque démarche qui frappât mes sens (…) Ce fut seulement par le mouvement du
cœur que je reconnus sa présence. (Bernard de Fontaines, cité par Jean Gouvernaire, op. cit. p. 23).
Je vois clairement que les Personnes sont
distinctes, comme je vis hier Votre Gtrâce et le Provincial quand vous parliez
ensemble, sauf que je n’en voie rien ; je n’entends rien non plus, comme
je l’ai dit à Votre Grâce, mais j’ai une extraordinaire certitude de cette
présence que les yeux de l’âme ne voient même pas, et si elle s’éloigne, j’ai
le sentiment de son absence. Comment, je l’ignore mais je sais fort bien que ce
n’est pas de l’imagination ; j’ai beau, plus tard, tout faire pour la
retrouver, çà m’est impossible, et pourtant j’ai essayé ; il en est de
même de tout ce que je dis ici, à ce que je sais, et cela dure depuis tant
d’années que je puis dire avec assurance ce que j’ai vu. (Thérèse
d’Avila, op. cit. pp. 864 & 865)
C’est d’abord en
réformatrice, en fondatrice, en responsable d’institutions que Thérèse d’Avila
enseigne ses filles. Mais elle produit son expérience personnelle ; en
somme, elle restaure la prière contemplative dans la vie monastique.
Ici
l’oraison est le principal exercice, et, comme je l’ai dit, il vous sera très
utile de chercher à comprendre comment, et avec quelle persvérance, vous devez
vous exercer à l’humilité, si nécessaire à toutes les personnes qui s’exercent
à l’oraison, dont elle est une partie importante. Comment celui qui est
vraiment pourra-t-il penser qu’il vaut bien ceux qui atteignent à la
contemplation ? Il admettra, oui, que Dieu l’y conduira dans sa bonté et
sa miséricorde ; mais je lui conseille, qu’il se mette toujours à la
dernière place, comme le Seigneur nous l’a enseigné par ses paroles et par ses
actes. Qu’il soit prêt, au cas où Dieu voudrait le conduite dans cette
voie ; sinon, voici en quoi l’humilité est utile : cette âme trouvera
sa joie à servir les servantes di Seigneur et à Le louer ; car alors
qu’elle mériterait d’être la servante du démon en enfer Sa Majesté l’a
introduite en leur compagnie.
(…)Dieu ne
nous conduit pas toutes par le même chemin, il se peut même, d’aventure, que
celui qui semble le plus soit le plus haut aqux yeux du Seigneur ; dans
cette maison, donc où toutes recherchent l’oraison, il ne s’ensuit pas que
toutes doivent être des contemplatives. C’est impossible, et celle qui ne l’est
pas sera au désespoir si elle ne comprend pas cette vérité : c’est là un
don deDieu ; et puisque ce n’est pas nécessaire à notre salut, et qu’Il ne
l’exige pas de nous par- dessus tout le reste, elle ne doit point imaginer
qu’on le demandera d’elle ; elle n’en sera pas moins parfaite, si elle
fait ce que j’ai dit ; son mérite en sera peut-être accru, car elle se
donnera plus de mal ; le Seigneur la traite en personne forte et réserve
les jouissances qu’elle n’a pas ici-bas pour les lui donner toutes ensemble.
Qu’elle ne flanche point, qu’elle n’abandonne pas l’oraison, qu’elle ne manque
pas de tout faire comme les autres, car le Seigneur vient parfois sur le tard,
il paie alors tout à la fois, et si bien, qu’il donne autant qu’aux autres en
de nombreuses années.
J’ai passé
plus de quatorze ans sans même pouvoir méditer autrement qu’avec un livre. Bien
des persnnes, sans doute, en sont là, d’autres ne parviennent même pas à
méditer une lecture, elles ne prient que vocalement. C’est le seul moyen de soutenir
leur attention. Il est des pensées si vives qu’elles ne peuvent se fixer,
toujours agitées, à tel point que si elles veulent s’arrêter sur Dieu, elles
s’égarent en mille sottises, scrupules et doutes. Je connais une bien vieille
personne, de fort bonne vie, pénitente, grande servante de Dieu, qui passe de
nombreuses heures depuis de longues années à prier vocalement ; quant à la
prière mentale, rien à faire ; au mieux a-t-elle réussi, peu à peu, à être
attentive à ses prières vocales. Ces personnes-là sont fort nombreuses, et si
elles sont humbles, je ne crois pas qu’elles soient à la fin les plus mal
partagées, leur lot vaut bien les plus vifs plaisirs, et il est souvent
plus sûr ; car nous ne savons pas si
les plaisirs viennent de Dieu ou du démon. S’ils ne viennent pas de Dieu, ils
nous exposent à de plus grands dangers, car le démon travaille à nous inspirer
de l’orgueil ; s’ils viennent de Dieu, il n’y a rien à craindre, ils
apportent avec eux l’humilité, comme je l’ai écrit très longument dans l’autre
livre. (Thérèse d’Avila, op. cit. pp. 418 & 419)
Le Seigneur
vous élève à la contemplation parfaite. Sa Majesté monre ainsi qu’elle entend
qui lui parle, et Sa Grandeur lui parle à son tour, en suspndant son
entendement et en arrêtant sa pensée ; Elle cueille, si on peut dire, les
mots sur ses lèvres, car malgré qu’on le veuille on ne peut plus parler, si ce
n’est avec beaucoup d’efforts. L’âme comprend que ce Maître Divin l’instruit
sans bruit de paroles, suspendant les puissances, qui feraient plus de mal que
de bien si elles agissaient. Lle jouit sans savoir comment elle jouit ;
embrasée d’amour, l’âme ne sait comment elle aime ; elle sait qu’elle
jouit dece qu’elle aime, et ne sait comment elle en jouit. Elle comprend bien
que cette jouissance est telle que l’entendement ne saurait la désirer, elle
l’enflamme d’amour sans qu’ellesache comment ; mais dès qu’elle peut
comprendre quelque chose, elle voit que ce bien-là ne peut se mériter sur terre même si on endurait toutes les
épreuves possibles à la fois. C’est un don du Maître de la terre et du ciel,
enfin, un don digne de Lui : voilà,mes filles, ce qu’est la contemplation
parfaite.
Vous
comprendrez maintenant en quoi elle diffère de l’oraison mentale, qui consiste
en ce que je vous ai dit : penser à ce que nous dfisons, le comprendre,
comprendre à qui nous parlons, et qui est celle qui oose ainsi parler à un si
grand Seigneur (…) Dans ces deux formes d’oraison nous pouvons quelque chose,
avec la grâce de Dieu. Dans la contemplation dont je viens de vous parler, nous
ne pouvons rien ; c’est Sa Majesté qui fait tout, c’est son œuvre, elle
surpasse notre nature. (Thérèse d’Avila, op. cit.
pp. 450 & 451)
Ce n’est pourtant qu’à soixante-sept ans que Thérèse
d’Avila a la vision et reçoit la grâce du mariage spirituel. D’une certaine
manière, l’expérience fondatrice est chez la Carmélite postérieure à tout son
itinéraire, qu’elle semble sceller et authentifier rétrospectivement, tandis
que celle d’Ignace lui avait été donnée en ouverture : jusqu’à la vingt-sixième
année de sa vie, il fut adonné aux vanités du monbde et principalement il se
délectait dans l’exercice des armes avec un grand et vain désir de gagner de
l’honneur. (Ignace de Loyola, Autobiographie
op. cit., p. 43).
Jean de la
Croix rompit l’hostie pour en
donner une partie à une autre sœur,Je pensai que ce n’était pas faute
d’hosties, mais pour me mortifier : je lui avaius dit beaucoup aimer les
grandes hosties, quoique sachant bien que le Seigneur est tout entier dans la
moindre parcelle. Sa Majesté me doit : « Ne crains rien, ma fille,
nul ne pourra te séparer de moi ». Il me fit entendre que cela n’importait
point.
Alors il m’apparut en vision imaginaire, ainsi qu’il
l’avait déjà fait, mais au plus profond de moi-même. Il me donna sa main droite,
et me dit : « regarde ce clou : c’est la marque que dès
aujourd’hui tu seras mon épouse. Jusqu’ici tu n’avais pas encore mértité de
l’être ; désormais tu veilleras sur mon honneur non seulement parce que je
suis ton Créateur et ton Roi, mais en tant que mon éposue véritable. Mon
honneur est tien, ton honneur est mien. «
Cette grâce agit si puissamment que je restai hors
de moi-même. J’étais comme égarée, je demandai au Seigneur de dilater bma
petitesse, ou de ne point mle faire une si immense faveur, ma faiblesse
naturelle ne pouvait la supporter. Je opassai cette journée dans l’enivrement.
Il en est résulté depuis de grands bienfaits, mais aussi un accroissement de
confusion et d’affliction, car je ne sers pas autant que je devrais le faire
après avoir reçu une si grande grâce.(Thérèse d’Avila, citée
par sa biographe Marcelle Auclair, op. cit.
pp. 207 & 208)
*
* *
4°
Limites de l’analogie entre
pulsions amoureuses humaines et contemplation
Thérèse d’Avila et Ignace de Loyola ne sont pas les
seuls à rendre compte d’un état mystique. Deux siècles auparavant, plusieurs
autres aspects du transport amoureux dans la contemplation, est donné par Richard Rolle de Hampole.
J’étais
assis dans une chapelle et tandis que j’éprouvais une joie intense dans la
douceur de la prière ou méditation, je sentis soudainement en moi une chaleur
inaccoutumée et joyeuse. Bien que d’abord je doutais d’où elle venait,
j’éprouvais assez longuement qu’elle n’était pas de la créature, mais du
Créateur, parce que plus fervente et plus joyeuse. Cette chaleur brûlante,
sensible et douce au-delà de toute expression brûla jusqu’à l’infusion et la perception d’un son céleste
ou spirituel qui avait quelque chose d’un cantique d’éternelle louange et de la
suavité d’une invisible mélodie que seul peut connaître et entendre celui qui
la perçoit – purifié qu’il doit être et séparé de cette terre ; elle me
submergea pendant un an, trois mois et quelques semaines… Ma pensée ne cessait
de se transformer en mélodie et c’était comme un merveilleux chant que j’avais
dans ma méditation et je disais mes prières et mes psaumes dans la même
musique. J’éclatais intérieurement en chantant ce chant dont j’ai précédemment
parlé, tant déferlait la suavité, mais secrètement devant mon Créateur. Ceux
qui me voyaient n’en savaient rien, car s’ils l’avaient su, ils m’auraient loué
au-delà de toute mesure et j’aurais ainsi perdu une partie de cette fleur si
belle. J’étais stupéfait d’avoir été amené à une telle joie, moi être de
l’exil, et parce que Dieu m’avait fait des dons que je n’étais même pas capable
de demander et dont je ne pensais pas qu’ils puissent être faits à quiconque,
même au plus saint en cette vie. C’est ce qui me fait penser que cela n’est
jamais accordé aux mérites, mais gratuitement à qui le Christ veut le donner.Je
crois pourtant que personne ne le recevra s’il n’aime spécialement le nom de
Jésus et aussi s’il ne l’honore si hautement que jamais il ne permette que ce
nom s’efface de sa mémoire, sauf durant le sommeil… (Richard Rolle de Hampole, chapitre
XV de l’Incendium amoris in
op. cit. pp. 572 à 590)
J’étais plus étonné que je ne saurais dire, quand je
sentis que mon cœur s’échauffait, de la manièredont cette ardeur avait jailli
dans mon âme, n’ayant pas l’expérience d’une consolation si inhabituelle ;
je tâtais souvent ma poitrine pour voir si cette chaleurne venait pas d’une
cause extérieure. Et quand j’eus réalisé que cet incendie d’amour flambait de
l’intérieur et non de mon corps et du désir dans lequel je me trouvais, qu’il
était en fait un don du Créateur, je me liquéfiai dans la joie et dans le
sentiment d’une plus grande dilection…Avant que cette chaleur consolante m’ait
envahi,pleine de douceur et dedévotion, ej n’aurais jamais pensé qu’une si
grande ardeur pût advenir à quelque vivant, exilé ici-bas, car elle enflammait
mon âmecomme si c’était le feu matériel qui brûlait. Ce n’était pas comme
certains disent que quelqu’un brûle de l’amour du Christ parce qu’ils le voient
saisi par le zèle du service de Dieu et le mépris du monde. C’était juste comme
si vous mettiez votre doigt dans le feu : on subit une brûlure sensible…
Qui donc vivant en ce corps mortel pourrait continuellement supporter cet
extrême degré de chaleur ? (Richard Rolle de Hampole, début de l’Incendium
amoris ibid.)
On peut donc penser que bien des types de
comparaisons et d’images, faisant appel à chacun des sens dans leur acception
habituelle, sont loisibles et n’épuisent pas le tout de l’expérience mystique.
Leur point commun reste l’analogie avec l’amour humain, et plus précisément
charnel, émotif, sensible, sensuel. Ce qui peut tromper. Les nonnettes de
l’Incarnation avaient grand besoin de sublimer ainsi leur conception de
l’amour. Elles avaient, au début, fort agacé la Madre par leurs ricanements
niais de filles mûres demeurées dans l’âge ingrat : « Je me rappelle
avoiur entendu un admirable sermon sur ces délectations de l’Epouse qui traite
avec Dieu ; il y eut tant de rires et ce que dit le prédicateur fut si mal
pris, parce qu’il parlait de l’amour, que j’en fus épouvantée. » (Thérèse
d’Avila, op. cit. p. p. 207
& 208).
La
philosophie est un effort de l’intelligence pour rendre compte d’autre chose
que d’elle-même. L’intelligence connaît-elle d’ailleurs ses limites ? Elle
ne peut ls connaître qu’en s’exerçant. Or la contemplation de l’Absolu a pour
effet, plus que tout autre, de paraluser l’homme et de lui rendre non seulement
inexplicable mais étranger le monde où il est condamné à vivre. Elle fait
osciller l’homme entre une ivresse mystique qui le rend incapable d’agir et un
fatalisme qui l’en dégoûte d’avance. L’ivresse mystique est un phénomène bien
connu qui s’empare de l’homme chaque fois que celui-ci pense avec assez de
force l’Absolu en dehors duquel rien n’existe. Ce n’est pas toujours de
l’Esprit pur qu’il s’agit ou du Dieu personnel. Au contraire, ilentre un
élément sensible – ne serait-ce que par allégorie – dans l’Absolu tel qu’il est
glorifié. Cette ivresse ne peut pas rester uniquement spirituelle – elle
devient facilement sensuelle ; elle aspire à travers un signe, un symbole,
à toucher une réalité plus proche que cet Absolu incomparable qui recule
àmesure qu’on voudrait se perdre en Lui. Aussi le glissement de la Vénus
céleste à la Vénus terrestre – inverse de celui que souhaitaient les
Platoniciens – s’est-il souvent produit dans l’histoire des philosophies et des
religions les plus éprises d’absolu. (Jean Grenier,
op.cit. pp. 71 & 72)
Le Cantique des Cantiques est considéré comme la
perle de l’Ancien Testament, sa dénomination est un superlatif voulu (le
commentaire le plus accessible demeure celui de Blaise Arminjon, op. cit.).
L’union de l’âme à Dieu, de l’Eglise au Christ a pour parabole le poème de la
chair, du désir, de ses supens et de ses satisfactions. Poser que Dieu est
personne impose la comparaison et donne la note. L’Islam est en cela semblable
au christianisme quand celui-ci s’approprie le texte attribué à Salomon.
Abu Nasr Abdallah b. Abi al-Sarraj al-Tusi, vivant
au IVèmesiècle de l’Hégire dit que l’état
d’amour divin apparaît chez le serviteur de Dieu lorsque celui-ci constate avec
ses yeux les bienfaits dont Dieu l’a comblé ; qu’il prenne conscience dans
son cœur de la proximité de Dieu, de l’intérêt qu’Il lui porte et de
laprotection dont Il le fait bénéficier. Cet amour apparaît également lorsque
le serviteur voit sa foi et par sa réelle conviction, l’attention et la
guidance dont Dieu a fait preuve à son égard ainsi que la valeur de l’amour de
Dieu pour lui ; aoors, à son tour, il aimera Dieu. Celui qui fut
surnommé « le paon des pauvres » distingue trois états dans l’amour (Joseph Elie Kahale, op.
cit.p. 17). Le premier état est celui de l’amour général qui naît de la grâce de
Dieu et de sa miséricorde envers le serviteur. Le deuxième état naît du sentiment
du cœur face à la richesse de Dieu, à sa majesté, à sa grandeur, à sa science
et à sa puissance. C’est amour est celui des serviteurs sincères et des soufis
accomplis. Le troisième état de l’amour est celui des sincères et des
gnostiques ; il naît de leur vision et de leur connaissance de l’amour
onotologique deDieu sans défaut ; alors ils l’aiment sans résistance. Son
cadet ‘Abd al-Rahman al-Sullami enseigne que l’amour divin est l’absence de distinction. L’amour est dit
« amour » parce qu’il efface toute trace et n’est relié à aucun état.
L’amoureux est celui dont l’essence est absorbée par l’amour divin et celui
dont les attirbuts sont anéanti. Lorsqu’il envahit par sa flamme l’être,
l’amour divin met celui-ci à nu, l’annéantit et le détourne de ce tout ce qui
n’est pas l’amant. L’amour divin rend l’amoureux muet, incapable d’informer les
autres de son état, ni de décrire son état. Notre contemporain, syrien
d’Alep, ‘Abd al-Qadir ‘Isa, énumère dix causes de l’amour, autant de signes de
l’amour et enfin, résumant l’enseignement des soufis, évoque dix rangs de
l’amour. (Ibid. pp. 19 & 25).
La mystique chrétienne, à peu près à la même époque,
au XIIème siècle aux Pays-Bas et en Brabant, ne s’exprime pas très
différemment.
. . . si vous croyez de tout votre cœur que je suis
aimée de Dieu et qu’il accomplit son œuvre en moi, secrète ou manifeste, et
qu’il y renouvelle les merveilles d’autrefois, vous devez reconnaître en toute
chose son opération, sans vous étonner que je sois pour les étrangers sujet d’étonnement
et d’épouvante. Ils ne peuvent vivre en effet dans le domaine de l’amour car
ils ne connaissent ni sa venue ni son déaprt. J’ai d’ailleurs pris très peu
part aux mœurs des hommes, dans le manger, le boire ou le sommeil, je ne me
suis ourvue ni d’habits, ni de couleurs, ni de parures à leur façon. Et de tout
ce qui peut réjouir un cœur humain, de ce qu’il peut recevoir ou prendre,
jamais je n’eus plaisir, mais seulement par brefs instants, de l’Amour qui
vainc toute chose.
Ma raison illuminée, qui dès la première révélation
de Dieu en elle-même a été mon guide, m’a montré ce qui manquait à ma
perfection comme à celle des autres ; cette raison illuminée depuis son
éveil m’a désigné une place, m’a conduite vers le lioeu où je dois jouir de mon
Bien-Aimé, selon la noblesse de mon dépassement, dans l’unité.
Ce lieu de l’amour, que la raison illuminée m’a
montré, est tellement au-dessus de toute pensée humaine que j’ai compris ne
plus devoir jamais goûter bonheur ni peine en chose grande ou petite, sinon seulement
en ceci : : que j’étais créature humaine et que j’éprouvais l’Amour –
que je l’éprouvais dans mon cœur en aimant, mais sans pouvoir l’atteindre en sa
Déité, sinon dans la privation de toute fruition.
Ce désir sans jouissance de la jouissance d’amour,
que l’amour m’a inspiré sans cesse, a été mon tourment et ma blessure, dans la
poitrine et dans le cœur, in armariolo et in antisma. Armariolo désigne
l’artère du cœur la plus intérieure, avec laquelle on aime, et l’antisma est le
plus intérieur des esprits par lesquels nous vivons, celui qui éprouve les plus
profondes passions.
J’ai pourtant vécu avec les hommes en toutes les
œuvres que je pouvais accomplir à leur service. Ils m’ont trouvée toujours
prête en leurs nécessités, mais je regrette qu’on ait rendu ceci public.
Vraiment, je fus avec eux en toute chose, deopuis que Dieu m’a fait goûter le
tout de l’Amour, j’ai ressenti aussi les besoins de chaque créature humaine,
selon son état. Avec sa Chariuté, j’ai senti et voué à chacun l’affection dont il
avait besoin. Avec sa Sagesse, j’ai éorouvé sa miséricorde et j’ai compris
combien il faut pardonner aux hommes,
comme ils tombent et se relèvent, comme Dieu donne et reprend, comme il
frappe et guérit et se donne lui-même en tout cela gratuitement. Avec sa
Sublimité, j’ai ressenti les fautes de tous ceux que j’ai entendu nommer ou que
j’ai vus. Et c’est pourquoi j’ai toujours porté depuis lors avec Dieu les
justes jugements, selon le fond de sa vérité, sur nous tous. Avec son Unité
dans l’Amour enfin, j’ai toujours éprouvé depuis lors la perte bienheureuse (de
moi-même) dans la fruition d’amour, ou la souffrance d’en être privée, et j’ai
connu les voies du juste amour, les œuvres qu’il accomplit en Dieu et dans les
hommes..
J’ai vécu selon tous ces états dans l’amour et j’ai
agi avec justice envers les hommes, si gravement qu’ils me fissent tort. Mais
si je possède toiut ceci dans l’amour par mon être éternel, je ne le possède
pas encore dans la fruition en mon être propre. Et je reste créature humaine, qui
doit souffruir en aimant avec le Christ jusqu’à la mort. Car celui qui vit dans
l’amour éprouvera le mépris des étrangers jusqu’à ce que la Charité, croissaqnt
en nous dans la plénitude de ses vertus, entre en la pure possession
d’ellee-même, et que l’homme soit enfin un avec l’Amour. (Hadewicjch - Lettres spirituelles in
op. cit pp. 213 à 216 - active littérairement 1220 à 1240
et attestée par Jan van Leeuwen, cuisinier de Groenendal, dirigé par Ruusbroec
au XIVème siècle)
La première manière est un désir actif de l’amour
qui doit régner dans le cœur longtemps avant de vaincre tout obstacle…
Une autre manière d’amour est en ceci parfois que
l’âme veut aimer de façon toute gratuite…
Pour la troisième manière d’aimer, l’âme de bonne
volonté y passe par de grandes peines, car elle veut à tout prix contenter
l’Amour et le satisfaire en tout honneur, en tout service, en toute obéissance
d’amour…
Dans la quatrième manière d’amour, Notre Seigneur
fait goûter à l’âme tour à tour de grands délices et de grandes peines…
Dans la cinquième manière, il arrive parfois que
l’amour s’élève dans l’âme en tempête, avec grand bruit et excès délicieux en
sorte que le cœur semble devoir se briser et l’âme sortir d’elle-même dans
l’acte de l’amour et de la fruition…
En la sixième manière, lors que la Fiancée de
Notre-Seigneur est plus haut et plus avant dans la piété, elle éprouve encore
une autre forme de l’amour avec connaissance plus intime et plus élevée. Elle
sent que l’amour a triomphé de ses défauts, qu’il domine ses sens, qu’il orne
sa nature, qu’il dilate et exalte son être. Elle est maîtresse d’elle-même à
présent et ne trouve plus de résistance…
L’âme bienheureuse connaît encore … La septième
étape est le condensé des six premières et leur maintien dans la stabilité d’une
vie accomplie. (Béatrice de Nazareth Sept degrés d’amour in op. cit. pp. 233 à 249 passim – cistercienne, née vers
1200 à Tirlemont, morte à Nazareth en Brabant en 1268 ) .
Ces degrés ou ces étapes dans l’amour divin sont
légitimement très voisines d’une « carte du tendre », en tout cas ils
rendent compte d’une communauté de vocabulaire que l’amant soit divin ou
humain. Ce que dans la bouche d’Osée, malheureux en amour, Dieu met de
prévenance, de tendresse et de passion pour une femme figurant le peuple
choisi, ce que la tradition reconnaît de divin dans les échanges du Cantique des cantiques, légitiment que
de l’érotisme à la mystique, il n’y ait, dans les mots, que peu ou pas de
différence. Pour que l’énumération des
qualités du corps féminin ne tombe ni dans le scabreux ni dans l’indécence
anatomique il faut bien qu’elle soit soutenue par une langue érotique d’une
exceptionnelle abondance métaphorique. Cette langue est une langue de
célébration et de cantique. Elle implique une attitude d’adoration. (…) Mais
l’idolâtrie païenne que voue Apollinaire au coprs de Lou ou de Madeleine est
tout imprégnée de poésie biblique, au moins dans son langage. (…) C’est parce
qu’il est nourri d’images que l’éternel dialogue de l’Epoux et de l’Epouse dans
ce qu’il a de plus intime atteint à une exceptionnelle ivresse de langage.
Cette ivresse revêt parfois un caractère authentiquement mystique, et
Apollinaire ne le dissimule pas, lorsqu’il chante : Et justement un ver
luisant palpite sous l’étoile nommée Lou et c’estde mon amour le corps
spisituel et terrestre et l’âme mystique et céleste, ou
lorsqu’il écrit : J’adore ta toison qui est le parfait triangle de la
Divinité, mais justement comme l’exprimele début de cette
suite de vers, c’est une conscience « adorante » qui s’y révèle
surtout. Quad Guillaume clame ailleurs avec un élan d’une extraordinaire
beauté : Je t’adore mon Lou et par moi tout t’adore, ou :
Mon Lou je veux te
reparler maintenant de l’Amour, il monte dans lon cœur comme le soleil sur le
jour, il est certain que son chant d’amour a la force jaillissante d’une
oraison. L’adoration n’est en fait ici que de ce don qu’Apollinaire possédait
au plus haut degré et qui devait lui valoir d’emblée l’admiration des
surréalistes : le don d’émerveillement. (Raymond Jean, op. cit.
pp. 124 & 125).
Réciproquement, dans son Carmel de Lisieux, Thérèse peut essayer d’expliquer que que
c’est qu’être attiré, ou, très précisément, « demander d’être
attiré » : « Qu’est-ce donc de demander d’être attiré,
sinon de s’unir d’une manière intime à l’objet qui captive le cœur ? (…)
Si le feu et le fer avaient la raison et que ce denier disait à l’autre :
Attire-moi, ne prouverait-il pas qu’il désire s’identifier au feu de manière
qu’il le pénètre et l’imbibe de sa brûlante substance et ne semble faire qu’un
avec lui ? » Ele conclut : « Mère bien aimée, voici ma
prière, je demande à Jésus de m’attirer dans ls flammes de son amour, de m’unir
si étroitement à Lui, qu’il vive et agisse en moi. » Au moment le plus
fort de son désir d’être unie, par Jésus lui-même, leplus étroitement à Lui,
Thérèse garde raison spirituelle ; elle ne parle pas de fusion ;
aucune trace chez elle du panthéisme où beaucoup d’âmes religieuses plongent.
(…) Les mystiques qui ont eu recours au Cantique des cantiques, qui est d’abord
un chant d’amour profane, ont employé avant Téhrèse cette même comparaison.
Pourquoi faudrait-il en rougir ? La littérature, y compris érotique, peut
nous aider à saisir ce qui se passe dans les profondeurs de la vie mystique,
dans ces cœurs d’amoureux comme Thérèse. Au point où elle en est arrivée, elle
dit clairement : « Je sens bien que je n’ai rien à craindre,
maintenant. » (…) On pourrait penser qu’il y a à craindre deceFeu qui va
vous emporter, craindre d’être totalement pris et saisi par lui ; le
mystique comme celui qui est possédé par l’amour physique, n’a plus aucune
crainte, au contraire. On l’a vu : sœur Geneviève (sa sœur Céline) dit de
Thérèse qu’elle est malade d’amour ; son autre sœur, Marie du Sacré Cœur, recevant
de Thérèse son texte du 8 Septembre1896, ne sait plus que dire pour exprimer,
le 17 Septebre, son sentiment après avoir lu ces « pages brûlantes d’amour
pour Jésus », « ces lignes qui ne sont pas de la terre mais un écho
du Cœur de Dieu ». Elle trouve alors cette comparaison qui semble chez
elle un sommet : « Voulez-vous que je vous dise ? Eh bien, vous
êtes possédée par le bon Dieu, mais possédée ce qui s’appelle… absolument,
comme les méchants le sont du vilain ! ». Puisque Marie parle du
diable, n’est-il pas permis de faire référence à l’amour humain qui a été créé
par Dieu même ? (Jean-François Six, op. cit. pp. 184 à 187 passim) . Le texte du 8 Septembre, initiant une retraite
privée de dix jours, dit ainsi : O
mon Bien-Aimé ! cette grâce n’était
que le prélude de grâces plus grandes dont tu voulais me combler, laise moi,
mon unique Amour, te les rappeler aujourd’hui … aujourd’hui, lesixième
anniversaire de notre union… Ah ! pardonne-moi Jésus, si je
déraisonne en voulant redire mes désirs,
mes espérances qui touchent à l’infini, pardodnne-moi et guéris mon âme
en lui donnant ce qu’elle espère ! ! ! (Thérèse de Lisieux par elle-même, prés. Jean-François Six, op.
cit. pp. 69-70).
L’amour dont est pénétrée Thérèse à Lisieux est bien
celui qui transperce Thérèse d’Avila. L’image est aussi crûe. Une autre
forme d’oraison fort fréquente est une sorte de blessure, l’âme croit sentir
comme une flèche s’enfoncer dans son cœur, ou en elle-même. Cela provoque une
grande douleur qui la fait gémir, mais elle est si savoureuse que l’âme
voudrait qu’elle ne cesse jamais. Cette douleur n’est pas perceptible aux sens,
ce n’est pas non plus une blessure matérielle, mais à l’intérieur de l’âme,
sans que se manifeste une douleur corporelle ; il est impossible de faire
comprendre cela autrement qu’à l’aide de comparaisons, toutes en l’occurrence,
sont grossières, mais je ne puis en parler autrement. C’est pourquoi ces
choses-là ne peuvent être écrites, ni dites, seuls ceux qui en ont l’expérience
sont aptes à les comprendre, je parle de l’ampleur de cette peine, car les
peines de l’esprit diffèrent totalement de celles d’ici-bas. J’en déduis que
les âmes souffrent beaucoup plus en enfer et au purgatoire que nous ne pouvons
l’imaginer d’après ces peines corporelles.
D’autres fois, cette blessure de l’amour semble
provenir du plus intime de l’âme ; les effets en sont grands ; quand
le Seigneur n’accorde pas cette faveur, il est inutile de la rechercher, pour
beaucoup qu’on fasse, comme il est inutile de la refuser quand Il veut bien nous
la donner. C’est comme un désir de Dieu si vif et si subtil qu’il est
inexprimable ; l’âme, se voyant ligotée, incapable de jouir de Dieu comme
elle le voudrait, est prise d’une haine violente pour le corps, il lui apparaît
comme un gros mur qui empêcherait son âme de jouir de ce qu’il lui semble déjà
connaître, et dont elle jouit intimement sans que le corps fasse obstacle. Elle
conçoit alors tout le mal que nous a fait le péché d’Adam, en nous privant de
cette liberté.
Cette oraison précéda les extases et les grands
transports dont j’ai parlé. J’ai oublié de dire que ces grands tranbsports ne
se terminent presque jamais sans une extase et de grandes douceurs prodiguées
par le Seigneur, il console l’âme, et l’encourage à vivre pour Lui.
Rien de ce qui vient d’être dit ne peut être le
fruit de l’imagination pour plusieurs raisons qu’il serait trop long
d’expliquer. Si c’est bon ou non, le Seigneur le sait. On ne peut manquer d’en
constater les effets et les profits qu’en tire l’âme, à ce que je crois. (Thérèse d’Avila, op. cit.
pp. 864 & 865)
La contre-épreuve est faite avec Friedrich
Nietzsche : comment à partir d’un même élément biblique et selon des
tempéraments de feu et de passion, deux
poétiques de la modernité aboutissent l’une à l’impasse et à la solitude,
l’autre à la communion amoureuse ? Chez
Nietzsche, la Bible est prétexte, au même titre que d’autres traditions
religieuses, à l’effusion d’une oarole toujours reprise, que la magie du verbe
vient sans cesse montrer. On ne sait ce qui séduit le plus, en ce monde aérien,
de la danse du sens ou des jeux de la langue, et sans doute est-ce la
composition dyonisiaque de cette double beauté. Mais (…) sous ces oripeaux, la
liberté s’anéantit en son impuissance, et Dieu n’est plus que l’ombre de l’Hébreu
Jésus. L’image voulue sans consistance s’offre à toute délesure, et le texte
destitué se livre à son inversion même, pour se trouver finalement
controuvé : on aura reconnu nos réflexions sur l’image de Jésus et la
rupture opérée entre l’sprit et la parole. Chez Téhrèse, l’Ecriture est le
signe, présent et agissant, du devenir spirituel (…) L’épreuve contre la foi et
l’approche de la mort conjoignnet plus que jamais l’esprit qui pâtit et les
mots révélés au point que Thérèse reprend, en son nom et comme son propre
testament, la prière sacerdotale de Jésus passant au Père. L’Esprit ne cesse de
donner la Parole dans l’histoire. (…)
L’amour
chez Frédéric Nietzsche reçoit le traitement de tout ce qui est chrétien :
il est moqué et trahi, rejeté et retourné, bref, transvalué comme toutes les
valeurs. Cette dénégation, courante, s’accompagne ici du refus plus foncier de
tout ce qui pourraiut affecter. Non que Nietzsche recule devant la souffrance,
il l’exalte au contraire, et parvient même à l’assimiler. Mais le retrait est
absolu dès lors qu’il s’agit de souffrir par et pour autrui. Ce qui nous semble
repoussé, et avec emphase, c’est la possibilité pour l’amour d’exister comme
passion, c’est-à-dire à la fois comme ce qui impose la douleur et peut la
convertir en joie. Car l’amour maîtrisé, l’amour du seul vouloir, l’amour qui
ne veut que soi-même, n’a pas, n’a plus, le cœur de vouloir le prochain pour
lui-même, et il ne peut même concevoir que cela soit humain. Le surhomme
accomplit la révolution solipsiste du devenir des meilleurs. Mais l’homme a
renoncé à vivre autrement qu’en survivant de ses désirs. L’enstase est entière,
envers et contre tous les courants fraternels.
Thérèse a
montré qu’il est possible de concevoir l’amour autrement qu’au rebours des
destinées humaines et comment l’engagement à l’égard de tous, du plus proche au
plus lointain, du plus grand au plus petit, conduit en définitive à l’oiverture
sans réserve à autrui comme à soi-même, en raison de la proximité du
Tout-Aimant. Ce que la mort ne défait pas, mais que l’amour appelle, c’est bien
ce repos de toute la puissance du cœur dans l’Amour qui l’attire, et c’est
finalement la fécondité qui est propre aux abandons sans retour. Thérèse se
sait voulue dans l’Amour, et jamais elle ne cèdera au vertige du doute, car
elle conçoit l’Amour comme extase et dépassement de tous les cœurs aimants. (Noëlle Hausman, op. cit.
pp. 188 à 191)
La
parenté de vocabulaire, parce qu’il semble bien qu’il n’y en est qu’un en
matière amoureuse, et croirait-on l’analogie de sensations, avec l’amour
humain, entre deux êtres humains, d’un être humain pour une personne humaine,
peuvent faire voir une similitude d’expérience. L’irruption ou la visitation de
Dieu dans une âme (Jean Gouvernaire, op. cit.),
soit pour la simple visite, soit pour la résolution complète d’une existence
qui s’en trouve en tout modifiée, trajectoire et consistance (le chemin de
Damas, le coup de foudre) auraient leur figure dans l’expérience amoureuse. Regard d’une infinie brièveté, mais qui fut
le grain de pollen minuscule, tout chargé de forces inconnues, d’où naquit mon
plus grand amour. (André Maurois, op. cit. p. 34)
. . . ce qui dans la consolation sans cause, vient
de Dieu seul n’est rien d’autre que ce mouvement, cet élan du désir, cette
ardeur de l’âme qui se hâte d’amour vers celui qui a creusé en elle ce vide,
laissant tout au fond, pour qu’elle en garde la nostalgie, l’empreinte discrète
de sa ressemblance. Un tel désir tire toute sa force de l’attirance de celui
qu’il espère. Ainsi, il n’appartient qu’à Dieu d’attirer en son amour, sans
initiative étrangère ; et rien ne saurait être mensonger dans ce qiui
conduitle désir fondamental de l’homme à son terme. (…) L’essentiel de la
consolation sans cause est donc l’élan de l’âme en l’amour, qui ne va point
sans une connaissance plus vive du Créateur et Seigneur ; amour et
connaissance où se réalise, s’épanouit et s’avive le désir qu’a fait lever
l’attraction divine de l’instant, sans recourir à l’initiative préalable du
sujet. (Jean Gouvernaire, op. cit. pp. 136 & 137)
Qu’Alissa
Buccolin fût jolie, c’est ce dont je ne savais m’apercevoir encore ;
j’étais requis et rtenu près d’elle par un charme autre que celui de la simple
beauté. Sas doute, elle ressemblait beaucoup à sa mère ; mais son regard
était d’expression si différent que je ne m’avisai de cetteressemblance que
plus tard. Je ne puis décrire un visage ; les traits m’échappent, et
jusqu’à la couleur des yeux ; je ne revois que l’expression presque triste
déjà de son sourire et que la ligne de sessourcils, si extraordinairement
relevés au-dessus des yeux, écartés de l’œil en grand cercle. Je n’ai vu les
pareils nulle part… si pourtant : dans une statuette florentine de
l’époque du Dante ; et je me figure volontiers que Béatrix enfant avait
dessourcils très largement arqués comme ceux-là. Ils donnaient au regard, à
tout l’être, une expression d’interrogation à la fois anxieuse et confiante, -
oui, d’interrogation passionnée. Tout, en elle, n’était que question et
qu’attente… Je vous dirai comment cette interrogation s’empara de moi, fit ma
vie. (André Gide, op. cit. p. 501 )
De même, la complaisance de l’âme arrêtée sur une
façon d’image intérieure de la divinité aurait sa ressemblance dans la
contemplation mutuelle de deux amants surtout si l’étreinte est plus mystique
et fusionnelle que physiquement accomplie. Les trois nuits que Tobie et Sara
donnent à la prière avant de consommer leur mariage ont des échos en
littérature. Et au cinéma : le dernier plan de L’éternel retour de Jean Cocteau.
Patrice et
Catherine étaient bien étendus l’un à côté de l’autre, vêtus et immobiles. La
porte n’était pas fermée. Mlle Agathe et M. Sénèque entrèrent dans la chambre,
en s’excusant à haute voix. Les jeunes gens ne bougèrent pas. On s’approcha, et
l’on vit qu’ils étaient évanouis.
Il fut très
difficile, lorsqu’on les eût réveillés, de savoir ce qui s’était passé. A la
fin de la journée, Catherine avait suivi Patrice dans sa chambre, et
ilss’étaient étendus l’un à côté de l’autre. Ils ne s’étaient point touchés.
Mais longuement ils étaient restés ainsi, immobiles, tremblant un peu, sans
même approcher leurs mains l’un de l’autre. Leurs yeux étaient fermés. Elle ne
savait rien du trouble qui l’avait envahie et qui la possédait, à se tenir
ainsi tout près de ce garçon qui ne voulait d’elle rien autre que sa présence.
Il ne savait même pas ce qu’il pouvait en attendre, et l luttait de toutes ses
forces contre le désir de s’approcher d’elle, de sentir sa chaleur, fût-ce à
travers ses vêtements, d’apaiser et de fondre sa propre fièvre. Il serait vain
de croire qu’il ne pensait point à davantage, mais il ne voulait pas céder.
Dans l’approche de deux corps vêtus, il y a quelque chose de magique et
d’inséparable des premiers moments de l’amour : la résistance, la tentation,
la honte, le regret, l’espoir se mêlent dans cette étreinte factice et
proviosire, où les obstacles légers symbolisent tant de barrières plus
irréductibles. Et comme elle était pure, elle ne devina point quand il bougea
un peu, et se détendit, qu’il avait atteint au plus fort de son désir, qu’il
l’avait prise en songe, et qu’il s’apaisait. Au-dessus d’eux-mêmes,
tournoyaient, en un nuage, leurs tentations, et ils fermaient les yeux, et ils
étaient rouges. Et si tendus étaient-ils pour s’approcher sans se toucher, pour
se fondre sans s’atteindre, plus séparés par ce peu d’air entre eux que par
l’épée de pureté de la légende, que soudain, au même instant, quelque chose se
rompit en eux-mêmes, et que, comme l’avait deviné le vieux fou, ils ne furent
plus présents.
Patrice
devait souvent songer que, vécût-il cent ans, et eût-il plus d’aventures que
l’homme aux mille et trois, jamais il n’atteindrait plus complètement la
réalisaton du rêve masculin qu’en ces minutes d’anéantissement total, cette
possession dans la pureté. (Robert Brasillach, op. cit. p. 379)
Or, cette
nuit-là, ils ne firent pas l’amour. Elle resta pourtant chez lui, ils
couchèrent pourtant dans le lit en forme de navire, nus l’un et l’autre,enlacés
l’un àl’autre,mais au moment où Laurent la vit, étendue près de lui, confiante
et consentante, une sorte de respect l’envahit, il n’avait jamais rien éprouvé
de tel, il était ébloui par la nudité limpide de Tina et par ce que cette
nudité provoquait en lui, il avait envie d’elle, mais une vie en quelque sorte
immatérielle, ou il se sentait indigne de la toucher. Les yeux grands ouverts,
elle le regardait aussi, qui se penchait au-dessus d’elle, et elle ressentait
le même respect pour ce corps qu’elle allait recevoir, et il se penchait
lentement, nu et doré, il se penchait elle, elle aussi nue et dorée, l’été
encore proche dont ils conservaient le charme, et il la regardait dans les yeux
et il lui souriait et il se penchait toujours et il s’étendait sur elle, se
posait doucement sur elle, et tous les deux, ils laissaient le respect les
submerger, ils ne s’étonnaient mêmepas, elle était prête à le rcevoir, il était
prêt à venir en elle, ls ne bougeaient ni l’un ni l’autre, ils se savaent à la
mesure l’un de l’autre, ils n’avaient pas besoin de le vérifier, le contact de
la peau leur suffisait, et ils lisaient dans le regard l’un de l’autre le désir
et l’ultra-désir, lisaient que ce n’était pas la peine et aussi lapromesse
qu’il y aurait tant de nuits et tant de jours où ils le feraient, il devenait
elle, elle devenait lui, elle ouvrait les bras, il ouvrait les bras le long des
siens, ils se crucifiaient, mais au-delà d’eux-mêmes, croisaient l’ineffable de
leurs sens, ils ne bougeaient toujours pas, puis il renversa la tête, ses yeux
se voilèrent, et sa bouche s’ouvrit, et ses reins frissonnèrent, il aurait
voulu que cela ne lui fût pas possible, il avait honte, et elle le sentit se
répandre sur elle, fougueux et violent malgré lui, il voulu lui lâcher les
mains, se détacher d’elle, mais elle l’en empêcha, et elle le regardait en
souriant, sereine et consolante, il avait froid et tremblait sur elle, elle le
regardait toujours, lui souriait toujours, et elle lui lâcha enfin les mains et
elle referma les bras autour de lui et elle effaça la honte, et il la regarda
de nouveau, presque méprisant, mais pour lui, et elle le savait, pas pour elle,
surtout pas pour elle qui, à présent, bougeait sans hâte et le berçait du
mouvement de son corps. (Alexandre Kalda, op. cit. pp. 123-124) . Publié dès son adolescence, l’auteur à l’érotisme
brûlant et cosmogonique, est devenu moine bénédictin.
Cette
rêverie avait quelque chose de lent et
de solennel. Sa lenteur la faisait aller au même rythme que le temps réel.
Quant à sa solennité, lle tenait à la nature des sentiments d’Alexandre.
Respect et vénération ! Il imaginait, étendue à ses côtés, la plus sacrée
des créatures la Bacchante qui avait
dansé dans le ruisseau lors de leur première rencontre, la déesse qui s’était
échappée des colonnes du temps le soir de la réception. Il gardait encore un
peu de la chaleur de leur étreinte. Dans ses veines courait le feu qu’ils
avaient ensemble allumé, comme dux bâtons que l’on frotte pour en faire
jaillirl’étincelle. Ce pouvoir de deux corps d’engendrer l’extase l’avait
ébloui. Ce qu’il avait cru ne pouvoir obtenir que de la seule méditation, il
venait de le cueillir grâce au plus profond des sentiments humains.Parfait
amour, qui vous transporte dans des contrées où le temps ne court plus !
Alexandre
ne se sentait plus écartelé. Son triomphe lui avait fait recouvrer son unité… « Triomphe ? » Oui,
triomphe, car aux yeux des hommes, sa victoire était totale. « L’amour
partagé, c’est le bonheur ! » avait-il entendu dire un jour par sa
mère, une nature sensible, qui était morte sans avoir connu le bonheur. C’était
d’elle qu’il avait hérité la passion de l’absolu, la nostalgie du nombre
parfait. Et maintenant c’était l’âme de sa mère disparaue qui se réjouissait au
tréfonds de son être. Une bizarrerie du hasard avait comblé les désirs des deux
générations – deux seulement ? La grâce était parfaite. Divine ! Oui,
son bonheur était d’origine divine, et il s’agissait bien d’une grâce. Il ne
l’avait ni préparé ni mérité. Tout au contraire, il avait fait tout son
possible pour le détournr, aveuglé qu’il était par des « idées ».
Les
idées ! Ce sont elles qui rendent l’homme indifférent à la jouissance que
sait goûter le plus insignifiant des insectes. Elles encore qui refoulent,
étouffent le désir primitif. En se faisant leur champion, Alexandre avait
sacrifié son bonheur, prêt à donner sa vie pour elles… O folie ! La
sagesse humaine ne peut donc égaler l’instinct de l’insecte ? … Alexandre
avait la vision de papillons et d’oiseaux se pourchassant en plein ciel ;
des serpents sifflaient, inextricablement enchevêtrés ; des hommes et des
femmes en transe parcouraient les flancs du Kithairon aux cris d’Evohé
Evan !… (Pandélis Prévélakis, op. cit.
pp. 132-133)
Ces analogies sont brèves, car elles mettent en
regard la reproduction littéraire d’une mémoire ou d’une imagination. La
contemplation parfaite n’a ni image, ni vis-à-vis qu’on puisse appréhender par
les sens, elle est être et état à la fois, inépuisable dans l’instant et
employant toutes les facultés du contemplant dans une concentration qui met sans
doute en jeu d’autres facultés dont lui-même n’a pas d’habitude l’usage. Et si
l’amour humain peut « faire penser » à l’amour divin, d’autant que
celui-ci dans la Bible comme dans les écrits mystiques est exprimé avec les
mêmes mots, pour l’un comme pour l’autre, une
lecture « naturaliste » soutenue serait bien difficile, (préface d’Henri de Lubac à Blaise
Arminjon, op. cit.) et l’expérience du
couple humain, à longueur d’existence ou dans l’un de ses paroxysmes qu’est
l’étreinte, montre la finitude et l’inassouvissement résiduel d’une
« lecture » qui ne serait qu’ainsi.
Les
écrivains qui ont le mieux parlé de l’amour ignoraient l’amour. Les amants
fameux étaient séarés, et ils nt laissé comme témoignages des ettres brûlantes
ou une légende tragique. Aussi l’amour est tenu pour une chimère, ou, plutôt,
pour ne aspiration qu’il est imprudent de contenter.
Si dans le
mariage, une seule fois, la présence, l’intimité, les années n’ont pas éteint
l’amour, c’est qu’il existe vraiment sur terre. Je pense que plus d’une fois
l’amour fit le bonheur de deux êtres qui ont vécu longtemps endemble sous
lemême toit. Et,même, il n’y a as d’autre amour. Il est de susbtance
inaltérable ; ou bien on s’est mépris
à l’origine. L’amour est, par son essence, unique, constant,
indéfectible. Ce sont les hommes qui le trahissent. L’amour persiste dans le
mariage, à condition d’être romanesque ; c’est-à-dire, à condition
d’incarner l’émotion première, l’étonnement que vous réserve toujours un être à
votre convenance.
Chacun se
modifie sous l’influence de la vie, et nous devons sans cesse adapter notre
vision à un objet changeant.Parfois, c’est par un long chemin à travers la vie
que nous rejoignons notre rêve. Deux amoureux se connaissent toujours
mutuellement et par une qui pénètre profondément en soi pour atteindre
l’autre.Mais tous deux sont des êtres vivants, inachevés, inexplorés, infinis.
Aussi, l’amour peut durer ; il s’instruit sans cesse.Il faut beaucoup
d’années pour apprendre certains mots d’amour. (…)
Qu’est-ce
que l’amour ? Presque rien… un rien de plus vivant dans une femme… un air
de surprise… une joie dans les yeux, que l’on discerne à peine, mais qui sont
inimitables. (Jean Chardonne, op. cit. pp.
36 à 39)
Qu’est-ce
que l’amour ? C’est ce que personne ne sait ; mais qu’est-ce que
personne ? C’est chacun de nous dans le secret de sa vie engloutie.
L’amour s’adresse en nous au plus intime, à ce qui dans le plus intime de nous,
est sans visage, sans forme et sans nom : personne. (…) On le donne pour
savoir ce que c’est. (Christian Bobin, op. cit. pp. 77 & 104)
La contemplation produit l’union à Dieu ; ni
doute ou approximation, ni paroxysme, indépendante de toute durée, totalement
livrée au partenaire, elle est
certitude. L’amour humain, étreinte d’âme et de corps, peut en être un
pressentiment. L’unicité du vocabulaire montre en tout cas qu’il s’agit bien de
cette même hantise humaine d’approcher la totalité de l’être, mais seul le
spirituel y fait accéder parce que dans son ordre englobant tous les autres,
l’objet divin a toute puissance d’attraction, d’épanouissement et de
surpassement de l’homme en l’épousant et le suscitant parfaitement : en le
créant. Mais surtout parce que la contemplation annéantit jusqu’à la racine le
dualisme et tout ce qui dans l’étreinte et dans la communion de deux personnes
humaines reste possession et repli sur soi. Seule
l’ingénuité du cœur permet au désir qui rencontre son objet de ne pas
l’enfermer dans sa possession. La vérité de la prière, comme celle de l’amour,
est au prix de cet incessant dépassement de soi, au prix d’une ignorance de soi
qui laisse Dieu exister au centre de notre être. Voulant aimer, je crois
atteindre l’amour parce que j’en fais les œuvres. Il me faudrait reconnaître
que l’amour n’opère en moi que si, dans ces œuvres, j’en reconnais la source.
La prière vraie est cette remontée perpétuelle à la source pour laisser en nous
s’écouler l’abondance des eaux. (Jean LAPLACE - La prière,
désir et rencontre op. cit. pp. 136-137)
*
* *
5°
Absolu et contemplation
La vraie
mémoire est celle du cœur, parce qu’elle émane d’une relation de qualité au
cosmos. (…) Etre relié dans la qualité au Cosmos pour mettre fin à notre chaos
intérieur. Retour aux sources de l’Univers pour faire renaître en nous
l’ordre : un ordre non suspect parce qu’inspiré par un Tout, vibrant de
cohérence. ( Daniel Pons, op. cit.
pp. 76 & 77)
L’esprit
tendant vers l’Unité, il convient de se demander si cette Unité n’est qu’une
forme vide, une simple catégorie de l’esprit, ou si elle estsatisfaite par un
objet. Bien entendu ce ne peut pas être un objet comme les autres ; tous
les malentendus viennent de là. Comment veut-on qu’une réalité spirituelle soit
de même ordre qu’une réalité matérielle ? A toute force, la Réalité que
nous cherchcons ne peut être que l’inverse desréalités qui nous sont
données.Les principales erreurs de la philosophie ont consisté à objectiver des
pensées et à les traiter comme si elles étaient des sensations, mais plus
vraies que ces dernières ; or les pensées sont d’un autre ordre, elles
sont même, en tant que pensées, des propriétés du sujet, non des extraits ou
des abstraits (nominalisme) et non plus
des réalités pareilles à des objets.
Seules
quelques époques ont probablement connu la vraie nature de l’esprit. Le vrai
spiritualisme est comme la vraie morale et l’art vrai : il ne parle jamais
de lui-même ; il s’éprouve par ses effets, il se vérifie à ses
conséquences ( op. cit.
p. 36)
L’Absolu
nous paraît donc bien nommé parce qu’il a un nom négatif : ce qui est délié,
ce qui est délivré. Nous pouvons y atteindre, mais seulement dans un état
d’exception et nous ne pouvons le connaître que par une négation. De là sans
doute que les monismes les plus approfondis se présentent comme des
non-dualismes. (Jean Grenier, op.
cit. p. 44)
Le transport en un
autre état ou en d’autres dimensions ou en une forme dans laquelle
l’intégralité du monde est intériorisée et comprise d’un seul trait, en un
unique mouvement qui n’est cependant pas un mouvement mais une situation a pu
faire croire que l’expérience bouddhique est le pendant de ce que vit le
chrétien dans la contemplation parfaite, qu’il n’est donc d’une seule sorte
d’extase, qu’une seule connaissance de la totalité. Ce serait se méprendre, pas
tant sur l’expérience dans son déroulement et dans la mesure où elle requiert
l’être entier du contemplant ou de l’exercitant, que sur la totalité qu’il
appréhende. Dans l’extase orientale, c’est la confusion entre le plein et le
néant qui s’opère, certes sans que soit commise l’erreur de Narcisse qu’aspire
son reflet (Louis Lavelle, L’erreur de Narcisse, op. cit.). Le mystique de Dieu ne cherche pas un état, il ne
va vers aucune appropriation, il est saisi et possédé par Qui est sa fin et Qui
l’accomplit. Le vide est un manque qui dessine déjà la silhouette de Celui qui
vient, la nuit appelle la lumière, devient la lumière – selon le chemin de
Thérèse de Lisieux et de Jean de la Croix – parce qu’il y a deux personnes en
jeu, la divine autant que l’humaine. Siddharta n’apprend à Govinda que le monde
encore et sans doute un peu l’amour, mais d’un homme fût-il sage. Ce n’est pas
la fascination du néant ou une réflexion qui s’abîme et perd sa distinction en
s’absorbant dans l’un ou l’autre des éléments (Gaston Bachelard, op.
cit.), mais une attraction personnelle
et caractérisée, l’activité et la participation humaines portée à leur acmée.
Et ce n’est pas non plus l’extase par le truchement d’un autre qui n’est
cependant pas lui-même l’objet. L’anticipation, ans la contemplation parfaite, du
Corps mystique et de la vie éternelle en Dieu ne sont ni une dissolution ni une
déperdition, alors que toutes limites et toutes contraintes sont annéanties,
rien n’est davantage précis et nécessaire.
Analyser le
monde, l’expliquer, le mépriser, cela peut être l’affaire des grands penseurs.
Mais pour moi il n’y a qu’une chose qui importe, c’est de pouvoir l’aimer, de
ne pas le mépriser, de ne le point haïr tout ne ne me haïssant pas moi-même, de
pouvoir unir dans mon amour, dans mon admiration et dans mon respect, tous les
êtres de la terre sans m’en exclure.
- Je
comprends, fit Govinda. Mais c’est justement ce que le Sublime appelait un
leurre. Il proclame la bienveillance, la tolérance, la pitié, la patience, mais
point l’amour ; il nous défendait d’attacher nos cœurs à tout ce qui est
terrestre. (…) Attiré par l’amour, il s’nclina encore une fois, profondément,
devant Siddharta qui demeurait assis, immobile.
-
Siddharta, dit-il, nous sommes tous deux des vieillards. Il est peu probable
que nous nous revoyions jamais sous une forme humaine. Je vois, très cher ami,
que tu as trouvé la paix et je confesse que, moi, je ne l’ai pas trouvée.
Dis-moi, ô
Vénérable, encore un mot, quelque chose que je puisse emporter, que je puisse
comprendre ! Donne-moi cela pour la route que j’ai encore à parcourir.
Elle est souvent bien pénible, ma route, bien sombre ô Siddharta !
Siddharta
se taisait, le regardant avec son sourire toujours égal, toujours tranquille.
Govinda, le cœur plein d’angoisse et de désir, regardaut fixement Siddharta, et
dans ses yeux se lisaient la souffrance, l’éternelle et vaine recherche.
Siddharta
vit cela et sourit.
-
Penche-toi vers moi, lui dit-il tout bas à l’oreille. Penche-toi encore
davantage. Comme cela, encore plus près ! Tout près ! Embrasse-moi
sur le front, Govinda !
Govinda
s’étonna ; mais attiré par l’amour et par une sorte de pressentiment il
obéit à ces paroles, s’inclina vers lui et toucha son front de ses lèvres. Il
se produisit alors en lui une chose singulière. Tandis que ses pensées
s’attardaient encore aux étranges paroles de Siddharta, qu’il s’efforçait
encore et non sans que son esprit protestât, à s’abstraire du temps par la
pensée, à se représenter leNirvana et le Sansara comme ne faisant qu’un, tandis
que l’immense amour et la vénération qu’il éprouvait pour l’ami étaient encore
aux prises avec cette sorte de dédain que lui avaient inspiré ses paroles, il
lui arriva ceci :
Le visage
de son ami Siddharta disparaît à ses regards ; mais à sa place il vit
d’autres visages, une multitude de visages, descentaines, des milliers ;
ils passaient comme les ondes d’un fleuve, s’évanouissaient, réapparaissaient
tous en même temps, se modifiaient, se renouvelaient sans cesse et tous ces
visages étaient pourtant Siddharta. Il vit celui d’un poisson, d’une carpe,
dont la bouche ouverte exprimait l’infinie douleur d’un poisson mourrant, dont
les yeux s’éteignaient… Il vit le visage rouge et ridé d’un nouveau-né, sur le
point de pleurer… Il vit celui d’un meurtrier, il vit comme il plongeait un couteau
dans le corps d’un homme… Il vit, au même instant, ce meurtrier s’agenouiller
avec ses entraves et le bourreau lui trancher la tête d’un seul coup de son
glaive… Il vit des corps d’hommes et de femmes nus dans les positions et les
luttes de l’amour le plus effréné… Il vit des cadavres allongés, rigides,
froids, vidés… Il vit des têtes d’animaux, de sangliers, de crocodiles,
d’éléphants, de taureaux, d’oiseaux… Il vit des dieux : Krischna, Agni… Il
vit toutes ces figures et tous ces corps unis de mille façons les uns aux
autres, chacun d’eux venant en aide à l’autre, l’aimant, le haïssant, le
détruisant, procréant de nouveau ; dans chacun se mpanifestaient la
volonté de mourir, l’aveu passionnément douloureux de sa fragilité et malgré
cela aucun d’eux ne mourait ; mais se transformait, renaissait toujours,
prenait toujours un nouvel aspect sans que pourtant entre la première et la
seconde forme se pût mettre un espace de temps… Et toutes ces formes, tous ces
visages reposaient, s’écoulaient, procréaient, flottaient, se fondaient
ensemble ; au-dessus d’eux planait quelque chose de mince, d’irréel,
semblable à une feuille de verre ou de glace, sorte de peau transparente,
valve, moule ou masque liquide, et ce masque souriait, ce masque c’était la figure
souriante de Siddharta, que lui, Govinda, venait juste à ce moment de toucher
de ses lèvres. Et c’est ainsi que Govinda vit ce sourire du masque, ce sourire
de l’Unité du flot des figures, ce sourire de la simultanéité, au-dessus des
milliers de naissances et de décès. Le sourire de Siddharta ressemblait
exactement au sourire calme, délicat, impnénétrable, peut-être un peu
débonnaire et un peu moqueur de Gotama ; c’était le sourire des mille
petites rides de Bouddha, tel que lui-même l’avait si souvent contemplé avec
respect. C’était bien ainsi, Govinda le savait, que souriaient les Etres
parfaits.
Ayant perdu
toute notion du temps, ne sachant plus si cette vision avait duré une seconde
ou un siècle, ne sachant plus s’il y avait au monde un Siddharta et un Govinda,
si le Moi et le Toi existaient ; le cœur comme transpercé d’une flèche
divine et saignant d’une douce blessure, l’âme fondue dans un charme indicible,
Govinda demeura encore un instant penché sur le visage impassible de Siddharta,
qu’il venait de baiser et qui avait été le théâtre de toutes
cestransformations, de tout le Devenir, de tout l’être. Ce visage n’avait point
changé après que les mille petits sillons creusés par les rides se furent
refermés. Il avait repris son sourire immuable, discret et doux, peut-être très
débonnaire, peut-être railleur, exactement semblavble à celui de l’Etre
parfait. (Hermann Hesse, Siddharta, op. cit. pp. 194 à
199)
L’inconnu
n’est pas synonyme d’inconnaissable, et si nous nous dirigeons sans
complaisance vers les pôles les plus avancés de la recherche (matière-esprit)
en excluant tout dogme, nous débouchons inéluctablement sur des dynamismes
organisateurs et régénérateurs, en notre propre intériorité. Chacun de nous
s’est posé inconsciemment un masque pour se protéger de l’inconnu. Or, le
propre du travail intérieur est de gommer ce mlasque avec patience et
persévérance, car il se reconstitue inlassablement. Tant qu’il n’aura pas
reconnu son esclavage imposé par les hôtes invisibles (pensées négatives,
désirs insatisfaits, angoisses, peurs, etc.)qui envahissent son personne
habituel et gouvernenet toutes sesréactions, l’homme ne pourra faire allégeance
à l’Etre qui habite son ultime profondeur et attend son
« retournement », c’est-à-dire son Eveil. (Jeanne Guesné, op. cit.
pp. 200 à 202)
En
affrontant le bouddhisme comme l’une des grandes forces spirituelles qui se
disputent l’âme humaine, celui qui veut porter un jugement chrétien a
d’ailleurs conscience de le traiter avec plus de sérieux et de respect que
celui qui se contenterait de le situer comme un moment dans le devenir de
l’esprit ou de s’en faire un spectacle, fût-ce le plus beau des spectacles.. En
quoi, il rejoint l’attitude bouddhisante, - mais en l’inversant. Car à cette
solution du problème humain, à cette idée de la délivrance, à cette
spiritualité, dans ce qu’elles ont de spécifique, et de quelque forme qu’elles
se revêtent, il ne peut qu’opposer un refus. (…) Le bouddhisme n’est pas un jeu
sans portée, ni une erreur superficielle.Il comporte un aspect « hautement
mystique ». Disons davantage, il est une sorte de mysticisme pur.Il a
« une mystique parfaitement développée, mais n’a pas de théologie ».
Il n’en a pas et ne peut en avoir, parce que son mysticisme, leplus
« pur » et le plus conséquent peut-être qui soit, ne laisse aucune
place au Dieu Vivant. Il ne faut pas nous le dissimuler, cet athéisme est la
raison profonde pour laquelle un Schopenhauer, lui-même si peu véritablement
ascte, si peu mystique, s’était pris d’un tel enthousiasme pour certains penseurs
de l’Inde, en particulier pour le Bouddha : il voulait par là faire échec
au « théisme absurde et révoltant » de la Bible, à cette
« idolâtrie » qui,selon lui, ne suppose pas forcément desstatues de
bois, de pierre, de métal, ou des agrégats de notions abstraites, mais qui
existe « dès qu’on se trouve en présence d’un Etre personnel auquel on
sacrifie, qu’on invoque, qu’on remercie ». (Henri de Lubac, La
rencontre du bouddhisme… op. cit. pp. 278 & 279)
Tout se
joue entre l’identité-parité affirmée d’un homme avec Dieu, et la simple
ressemblance. (…) dans le texte biblique, la ressemblance fonctionne
manifestement comme une « diminution » de l’image, un correctif qui
lui est apporté. Ce mot de ressemblance exclut la parité. L’homme a un modèle
idéal, Dieu, vers lequel il est attiré ou comme « aimanté »
(théotropisme). Et en lui ilporte l’empreinte ou la forme de celui qui l’a
façonné, Dieu (théomorphisme). C’est tout – et certes ce n’est pas rien… A côté
de cela, il est bien dit que l’homme ne peut égaler Dieu. Il ne peut que lui
ressembler. ( Michel Théron, op. cit. p. 119)
Là est le point de rencontre entre le moine et le
lama (Robert
Le Gall & Lama Jigmé Rimpoche –Le moine et le lama op. cit.),
dialogue réduisant en partie l’objection d’Henri de Lubac.
. . . la pratique spirituelle s’accomplit par
référence à ces déités, à ces manifestations symboliques de l’Eveil qui sont
utilisées comme supports de méditation. Ces méditations sur les déités, qui
incluent des rituels de prières et d’invocation, utilisent des mantras
ainsi que des visualisations. Lesdéîtés sont l’expression de la compassion de
Bouddha et représentent des mpoyens particulièrement puissants pour nous relier
à la dimension du dharmakaya, qui constitue la vérité ultime, et
l’expérimenter en notre propre esprit. A travers une manifestation formelle,
nous pouvons ainsi accéder à l’état ultime.
Donc, pour revenir à la question de Dieu, nous la
considérons comme relevant de la vérité ultime, laquelle ne peut qu’échapper à
une véritable appréhension par la raison humaine. Cela n’empêche nullement
d’essayer de tendre vers la réalisation de cette vérité, quel que soit le nom
qu’on lui donne, à travers notamment des représentations et des supports,
expression de la grâce de l’Eveil. (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit. p. 100 )
Et le sage de l’Inde médiévale est autant capable de
la nommer que le soufi, de la personnaliser que le chrétien.
Tu es
incréé, incompréhensible, sans support,
On ne te
connaît ni limites ni rives,
Tu es
inaccssible au monde et aux Véda,
Tu
transcendes l’univers entier,
Toi qui
n’as de demeure, ni village, ni maison,
Comment
louerai-je tes qualités ?
En Lui,
ni forme, ni distinction, ni qualités, ni parure,
Ce Prince
est sans dynastie !
Il n’est
ni jeune homme, ni veillard, ni enfant,
Et Il est
à Lui-même son propre sauveur.
Dit
Kabîr : réfléchissez-y,
que nul
ne lui résiste,
servez-le
tout votre cœur et de toutes vos forces,
car Râm
est présent dans tous vos membres. (Kabir, op. cit. XCVII p.168 )
La Mort,
pour moi, s’est changée en Râm,
La
souffrance s’est évanouie, j’ai trouvé paix et joie,
Mes
ennemis se sont changés en amis,
Les
impies sont devenus des hommes justes et bienveillants,
Toute
adversité m’est apparue comme une bonne fortune,
Et j’ai
trouvé la paix, quand j’ai connu Govinda !
Mon corps
était le lieu de mille fantasmes,
Qui se
sont changés en Joie parfaite :
Quiconque
reconnaît en soi-même le Soi
Echappe à
la maladie et à tous lesmaux de l’âme et du corps.
Mon
esprit s’est « converti », et il a revêtu l’éternité,
Et j’ai
reçu l’intelligence à l’heure où, vivant, suis mort !
Dit
Kabîr, je suis entré dans la Joie parfaite,
Je n’ai
plus de craintes et n’en inspire plus aux autres. (Kabir, op. cit. CX p.186)
Lorsque l’ignorance relative à l‘esprit dans son état
et son fonctionnement ordinaires (avec le jeu des huit consciences, qui sont
comme huit facettes de l’illusion) est dissipée, son essence est révélée. Il
resplendit alors comme conscience primordiale, sagesse innée, connaissance
intégrale. De même, quand la confusion a disparu s’élève spontanément la nature
de ce qu’on appelle les cinq sagesses (qui sont comme les faces d’un prsime de
cristal réfractant la même lumière) et des trois corps de l’Eveil. Il y a donc
cessation de la conscience sur un mode fragmentaire et épanouissement de la
sagesse intégrale, qui est connaissance directe et inentravée. Les deux termes
de la transformation, cessation et épanouissement, sont synonymes de
« libération », d’ »Eveil », ou encore de « bouddhéité ». (Lama
Jigmé Rimpoche, op. cit. .p. 143)
Parler de dissolution relève d’une mauvaise
compréhension. Quand nous parlons de l’Eveil total, nous faisons référence à la
réalisation de la vacuité.La signiifcation profonde est la suivante :
l’esprit est alors libre d’élaboration conceptuelle ainsi que de la moindre
distraction, de la moindre perturbation, de la plus infime trace karmique. Il
n’existe plus en lui la moindretrace d’obscurcissement. L’esprit est totalement
éveillé, illuminé. Il expérimente sa nature essentielle, sa nature ultime,
synonyme de totale ouverture et de totaleclarté. C’est ce que nous appelons
également le nirvana. Nous disons alors qu’il n’y a plus de
« soi », qui, en l’occurrence, est synonyme d’ego. Mais cette
disparition de l’ego, qui est produit de l’ignorance, ne supprime pas l’esprit
lui-même ! C’est le fonctionnement illusoire de l’esprit qui s’est
dissipé. (…) Dans l’état ordinaire, nous somes sous l’influence de la saisie
égotique, nous déchffrons le monde et notre expérience à travers les concepts
produits par notre conscience duelle. Nous sommes dans la vérité
conventionnelle ou relative, et nous pouvons certes, dans ce cadre, discerner
et identifier de manière valide la nature de nos perceptions, apprécier et
distinguer ce que sont les qualités et les défauts, etc. Cependant, lors que
nous parlons de l’état de parfaite clarté de l’esprit, au-delà des concepts et
libre de toute saisie, nous visons la vérité absolue, que nous n’expérimentons
pas à l’heure actuelle et que nous ne connaissons que par inférence. La nature
et les qualités de l’Eveil sont décrites avec les concepts qui nous sont
accessibles, mais ce dont il s’agit vraiment, nous ne pouvons réellement
l’appréhender. C’est pourquoi l’enseignement recourt souvent aux images et aux
métaphores qui ont l’avantage de pointer cette « réalité » non
perceptible sans la figer. Mais nous ne ferons l’expérience complète et directe
de la vérité absolue qu’au jour de l’Eveil.
(Lama Jigmé
Rimpoche, op. cit. pp. 191.192 )
Lorsque les voiles de l’esprit ont disparu, la
conscience expérimente sa vraie nature, la dimension de vacuité et de sagesse
de l’esprit. Lorsque l’esprit atteint l’Eveil, il s’établit dans la dimension
du dharmakaya (…) Dans cette hypothèse, je suis toujours sous la même
apparence physique, car mon corps, lui, ne s’est pas transformé (…). Maintenant
quand un Bouddha meurt, l’enveloppe physique se désagrège, tout comme la nôtre,
mais l'’sprit, lui, demeure dans une dimension parfaite et limpide, symbolisée
dans la tradition par le bleu de l’espace, parfaitement clair et sans limites,
qui se réfère à l’essence de vacuité de l'esprit. Mais cette vacuité n’est pas
un vide, elle a pour nature propre la sagesse. On pourrait dire que cette
vacuité « pleine de sagesse » contient toutes les qualités infinies
inhérentes à l’esprit pur. Depuis cette dimension ultime et totalement pure, le
Bouddha a la capacité de se manifester à nouveau sous de multiples formes, et
œuvre continuellement par le corps, la parole et l’esprit au bien des êtres (…)
Lorqu’un être atteint à la réalisation suprême à
l’état de Bouddha, sa « personnalité » se trouve portée à son point
d’excellence, c’est-à-dire qu’elle s’exprime en relation avec toutes les
qualités infinies de l’Eveil telles que l’omniscience, l’amour compatissant, le
pouvoir de « donner refuge » aux êtres et de déployer une activité
éveillée sans limites. La personnalité est disponible pour être utilisée comme
un médium de l’activité des Bouddhas, comme le moyen d’expression de leur
compassion illimitée envers tous lesêtres. Quand on dit que la personne est
illuminée, on veut signifier par là qu’elle n’a pas de réalité intrinsèque,
d’existence autonome, mais, une fois libéré du carcan de l’ego, des
conditionnements karmiques et des fonctionnements émotionnels ordinaires,
l’être éveillé agit de manière illimitée et spontanée pour venir en aide aux
êtres sensibles. Alors les qualités de sa « personnalité » deviennent
des qualités éveillées qui rayonnent pour le bien des êtres. La connaissance de
la sagesse qui m’appartient en propre et par laquelle je réalise mon propre
bienfait est alors parachevée, et je puis ensuite agir, manifester une activité
en accord avec les souhaits spirituels qui m’ont guidé et accompagné tout au
long du chemin. Ainsi, chaque Bouddha se différencie des autres par un type
d’activité, un type de manifestation qui lui est propre, fruit du cheminement
spirituel particulier qu’il a entrepris et mené à bien. Cela signifie que tout
au long de mon parcours spirituel, j’ai mis en œuvre des efforts, desactions,
des souhaits altruistes. Ayant atteint l’Eveil, je déploie naturellement,
continuellement et sans effort une activité bienfaisante qui s’étend à tous les
êtres, qui est dans la continuité de mes souhaits antérieurs, qui est
l’expression dorénavant spontanée et infinie de ces souhaits. (Lama
Jigmé Rimpoche, op. cit. pp. 193-194 )
Plus nous percevons clairement les fonctionnements
et conditionnements de notre esprit, plus nous sommes à même d’adopter une
attitude juste et bénéfique dans nos actes, dans toutes les situations que nous
rencontrons au quotidien. (Lama Jigmé Rimpoche, op. cit.p. 65). Mais comment s’accomplit ce parcours, comment
atteint-on ces stades du perfectionnement de soi ? Le chrétien semble
répondre plus aisément. Ne rien ometttre de ce qui développe en lui la
perfection humaine. La grâce a besoin de l’effort de l’homme pour conduire
celui-ci au-delà des capacités de sa nature (…) Par rapport à cette perfection
que l’homme laissé à lui-même enviusage, la sainteté est d’un autrre ordre.
Elle en est l’accomplissement inattendu et gratuit. Pour mettre en œuvre son
désir de perfection, le chrétien apprend à tout recevoir de Dieu. (…) Ainsi,
selon l’Evangile, l’ascèse met le cœur dans la vérité, l’allégresse et l’amour
(…) L’équilibre, qui à travers ces pratiques, s’instaure, n’est pas celui d’un
homme rendu léger par la fuite de ce qui l’encombre ou l’alourdit, mais celui
d’un être saisi par l’amour et pour qui rien en lui ne doit échapper au désir
de l’Esprit. (Jean Laplace, La vie consacrée, une existence
transfigurée, op. cit. 88). De
là à chercher un maître, une école, un cadre, un lieu, il suffira d’un appel.
*
* *
6°
Vie monastique et contemplation
Ecoute, mon fils, les préceptes du maître et tends
l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’exhortation d’un père si bon et
mets-là en pratique, afin de revenir par le labeur de l’obéissance à celui dont
t’avait détourné la lâcheté de la désobéissance.
A toi, qui que tu sois, s’adresse à présent ma
parole, à toi qui renonces à tes volontés et prends les armes très puissantes
et glorieuses de l’obéissance pour combattre au service du Seigneur Christ, le
vrai roi. (…)
Toi donc, qui que tu sois, qui te hâtes vers la
patrie céleste, accomplis avec l’aide du Christ cette petite règle élémentaire
que nous avons écrite, et alors seulement aux sommets plus élevés de doctrine
et de vertus que nous venons d’évoquer, la protection de Dieu te fera parvenir.
Amen. (Règle de saint Benoît, op. cit. son commencement et sa fin)
S’il est des personnalités particulièrement fortes
et particulièrement douées comme celles de Thérèse d’Avila et d’Ignace de
Loyola, pour s’accordent ainsi sur la manière de contempler et sur ce en quoi
consiste la contemplation, il reste à montrer que l’expérience est commune,
qu’elle est même répandue en sorte qu’elle est la vie spirituelle la plus
quotidienne. Sans doute, est-ce la règle de saint Benoît qui structure le plus
précisément les états de vie religieuse et précise l’éducation et le comportement
de l’âme auxquels parvenir. Sa disposition, d’emblée originale et qui l’est
plus encore quinze cents après qu’elle ait été pour la première fois mise en
pratique et formulée, est l’obéissance. Par lui-même, ce vœu produit l’humilité
foncière de celui qui l’a prononcé – a été admis à le faire – et donne de
discerner en tout le principe de toute vie humaine : la volonté divine.
Il y a cependant des règles, ou plutôt des vertus à
cultiver. Le priant, le contemplant, le suppliant est tout à la fois libre et
humble. Et ce sont d’abord les gens du dehors qui – paradoxalement - disent la
règle.
Il faut
agir de telle sorte que le choix soit dicté par notre nature. Nous devons
tendre à l’indifférence par une nature qui a été choisie. Le choix nous
apparaît donc comme la plus dérisoire des choses si nous considérons ce qui est
à choisir, et la plus importante si nous considérons celui qui choisit. (…) Les
philosophes qui ont le plus adopté un système théocentrique sont aussi ceux qui
ont leplus grand relief à la valeur du choix. (…) Dans l’ordre religieux, les
esprits qui ont le plus combattu en faveur de la toute-puissance divine sont
aussi ceux qui ont le plus demandé à l’initiative indiviiduelle (Jean Grenier, op. cit. pp. 99 &
101).
Ce qui nous
arrive à chaque moment par l’ordre deDieu est ce qu’il y a de plus saint, de
meilleur et de plus divin pour nous. Toute notre science consiste à connaître
cet ordre au moment présent. (…) L’ordre de Dieu ou sa divine volonté est la
vie de l’âme sous quelque apparence que l’âme se l’applique ou la reçoive.
Quelque rapport que cette divine volonté ait à l’esprit, elle nourrit l’âme et
la fait croître toujours par ce qu’il y a de meilleur. (Jean-Pierre de Caussade, op. cit.
p. 72)
Ainsi entendue et expérimentée, la contemplation
infuse est légitimement dite parfaite, elle résoud – dès ici-bas – ce dilemme
de la créature à qui est promise la divinité du seul Créateur, parce qu’elle
est rencontre amoureuse, point de départ d’une vie nouvelle, constamment
attirée. Qu’elle soit donnée à l’homme, que celui-ci en soit capable est en soi
extraordinaire, et que l’extraordinaire se vérifie pousse résolument à
l’optimisme. La foi n’a plus d’excuse quand elle est défaillante puisqu’elle
est toujours susceptible d’être sensiblement confortée par une connaissance
acquise de tout ce que, sans Dieu, nous ne saurions ni envisager ni anticiper.
La contemplation parfaite est bien ce sens de la vue qui vient à la foi, elle
est la seule situation dans laquelle l’homme peut continuer d’espérer et
d’attendre ce qu’il lui est pourtant donné de voir, dès à présent. La
contemplation est possible quand deux piliers sont fondés dans une âme :
l’obéissance facteur d’humilité et de discernement, et aussi l’espérance
précise de la résurrection. Le contemplant est un ressuscité en puissance, et
ne recevoir que d’un Autre cet avant-goût suppose que chez l’être humain ainsi
favorisé, ne sévissent plus aucun orgueil, aucune tentation de s’approprier la
cause de cette expérience et de cette espérance. C’est la résurrection qui
tranche le problème autrement insoluble de la parité homme/Dieu. Et c’est la
contemplation qui en donne d’avance la consistance.
Quel est le milieu le plus porteur et
constituant ?
Le monastère est une école où l’on apprend à adorer
Dieu ; cette école a un maître et n’en a qu’un : N.B. Père a prononcé
son nom quand il a parlé de « la voie des commandements de Dieu ». Le
maître, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque c’est par son Verbe que Dieu
nous dit toutes choses. Saint Augustin a relevé maintes fois la nécessité du
maître intérieur dans l’ordre des deux connaissances, naturelle et
surnaturelle. L’enseignement extérieur ne fournit jamais la lumière ni
l’impression intellectuelles ; toute sa fonction se borne à donner l’éveil
et l’exemple, à analyser, à évoquer le lien inaperçu qui existe entre les
principes et les conclusions ; en dehors de Dieu, il n’y a vraiment que
des moniteurs. Quand l’Ecriture, ou les Pères, ou l’Eglise nous parlent, c’est
toujours l’enseignement de Dieu : « doctrina ejus ».
Il n’y a point de silence pour le Verbe, et la vie
monastique nous est décrite comme une attention et une docilité constantes à
cette voix qui jamais ne se tait. C’est surtout dans les monastères que Dieu se
plaît à communiquer de sa pensée, de sesdesseins, de sa beauté. « Maria
sedens secus pedes Domini audiebat verbum illius ». Chaque matin, avant de
communier à la chair et au sang du Seigneur, nous lui disons : « Fac
me tuis semper inhaerere mandatis et a te numquam séparari permittas ».
Cette persévérance dans la doctrine durera jusqu’à la mort : Dieu n’est
pas de ceux qu’on abandonne, lorsqu’on a fait connaissance avec lui ; elle
ira même au-delà, s’il est vrai que la forme la plus achevée du magistère de
Dieu se trouve dans la vision intuitive. (Dom Paul Delaatte,op. cit. pp.
26-27)
C’est apparemment en revenir à traiter de la
contemplation acquise. Pas seulement.
Si, en marge de la cité chrétienne sécularisée, se
dresse le monachisme, son rôle est justement d’être mesure maximale, le sel du
Royaume, afin de révéler à sa lumière la signification méta-historique de
l’existence historique. Dans les temps anciens, la foule venait contempler un
instant les stylites et emportait dans son âme cette vision grandiose pour
mesurer à son élévation sa propre existence. Ceux qui quittent lemonde s’y
retrouvent sous une autre forme, et il faut entendre leur message, y trouver la
mesure spirituelle de toute vie.
La science des ascètes expérimente sur la
distinction paulinienne entre le sôma, corporété innocente en soi, car
naturelle et la sarx, caranalité peccamineuse qui, de l’usage normal des
biens terrestres, entraîne vers leur jouissance anti-naturelle. L’importance de
la leçon ascétique est dans l’accent sur la totalité de l’être humain participant
à sa pneumatisation. La transformation du corps, de son élément somatique,
amorcée chez les saints, le démontre au moyen des phénomènes bien connus de
lévitation, de luminescence et de pouvoir thaumaturgique.Pendant la vie
terrestre, ce n'est point l’âmeseule, mais aussi le corps, lustré par les
larmes de pénitente et rendu aérien, allégé qui est immergé dans le « feu
de la divinité » Saint Syméon, Hymnes de l’Eros divin.
L’ascèse monastique, quand elle est bien épurée et
centrée sur l’unique de l’amour, trace une règle de conduite égale pour les
moines et pour la vie du monde et dans le monde ; intériorisée, elle
révèle son secret le plus précieux. « Ceux qui vivent dans lemonde, bien
que mariés, doivent pour tout le reste ressembler aux moines » Saint Jean
Chrysostome Homélie sur l’épître aux Hébreux. La racine de toute existence est l’amour de Dieu
« qu’il faut aimer comme on aime sa fiancée ». Le primat de
l’intellection-vision ou le primat de l’amour, cette question ne se pose pas en
Orient. On ne peut ni connaître Dieu sans l’aimer, ni l’aimer sans le
connaître. Toute connaissance est caritative, intuition secrète dotée des
propriétés cognitives, charismes de l’Esprit. Penser Dieu et l’aimer est un
même acte d’union mystique.L’état du couple édénique uni à Dieu oar la grâce
organique reste normatif. Par appropriation-participation, l’amour humain
« mémorise » la philanthropie divine et ne s’apaise qu’en Dieu. C’est
l’éros ascendant aimanté par l’éros cricifié et immolé.Le philtron,
nom enchanteur que donne à l’amour Nicolas Cabasilas La vie en
Jésus Christ, tendu vers un
au-delà de lui-même par l’épectase (saint Grégoire de Nysse), tout
oblation et offrande, cet amour humain de Dieu est ma réponse à l’appel,
lamontée vers l’Aimé : « Parfaite est l’âme dont la puissance
s’incline entièrement vers Dieu » (saint Maxime).
C’est
face à ce mystère tout illuminé de la lumière du Christ qu’on comprend le mot
si profond de Péguy : « Il faut se faire violence pour ne pas
croire » (Paul Evdokimov, op. cit. pp. 232 à 238)
Le monachisme bénédictin, s’il garde pour
l’essentiel le secret de la relation du moine avec Dieu, expose très en
évidence les moyens mis en œuvre.
Le bien moral, au-delà des biens immédiats qui nous
sollicitent, peut être perçu dans un premier temps comme une exigence qui
n’attire pas trop, mais, en définitive, tout l’effort ou la pédagogie des
moralistes consiste à faire voir la voie morale comme un itinéraire vers le
bien et, de manière ultime, vers le plus grand bien, qui est la béatitude.
Tous les efforts spirituels tendent vers ce bien
ultime auquel on consent d’avance. C’est donc le bien qui est premier et qui
attire. C’est en vue de ce bien que nous ordonnons ensuite toute notre vie, ce
qui nous amèn à rejeter ce qui nous éloignerait de lui, et donc à renoncer à
des choses qui nous apparaissent alors comme négatives, comme mauvaises, comme
« mal ». Ainsi, le mal est toujours relatif au bien. C’est parce
qu’on perçoit un bien que l’on choisit, qu’on discerne ce qui est mal et qu’on
le rejette. (…)
Après des siècles de jansénisme ou de relents de
jansénisme, la vie morale est constamment à replacer dans l’axe du bien, et du
bien le meilleur, qui est la béatitude. La béatitude est le fait de vivre de la
vie même de Dieu. (Dom Robert Le Gall, Le
moine et le lama, op. cit. . pp. 298-299)
Cette contemplation du sens de l’impermanence est
essentielle à notre évolution. Elle entraîne la prise de conscience que rien
n’est acquis, stable, définitif, et qu’il ne sert à rien de remettre à plus
tard l‘accomplissement spirituel. C’est à travers la compréhension – au sens
fort – de l’impermanence de toutes choses que nous tournons notre esprit vers
la libération, que nous ressentons la nécessité et l’urgence detrouver les
moyens, pour nous-mêmes et pour les autres, de nous dégager de l’emprise de
l’ignorance et de libérer le potentiel de notre esprit. Ainsi nous ne
gaspillerons pas le temps de notre vie, mais consacrerons nos efforts à
l’essentiel. (Dom Robert Le Gall, Le
moine et le lama, op. cit. . p. 114)
De tous les chemins parcourus par le moine en deçà
de la clôture, la prière des Psaumes est la plus ressassée et intériorisée.
Devenir vivante psalmodie. A force de reprendre les
chants royaux de la Cité du Dieu vivant, nous sommes de plus en plus évangélisés ;
les psaumes nous font entendre de l’intérieur la parole de Jésus dans
l’Evangile : « Le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » Mt.
XII 28 ou « Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » Lc XVII 21.
Les psaumes qui commencent par une bétatitude, nous donnent l’intelligence des
Béatitudes et nous font comprendre que le Royaume des Cieux est à nous, si nous
suivons notre Roi dans la pauvreté du cœur et la persécution pour la justice,
si présentes dans notre psalmodie.
Nous sommes marqués par l’empreinte journalière des
psaumes : ils s’impriment en notre être tout entier, yeux, oreilles,
bouche, imagination, sensibilisation, intelligence et mémoire ; leurs mots
se gravent jusqu’en notre subsconscient. Dans Les Frères Karamazov, Dostoiewski a écrit ces
lignes suggestives :
« Il y a un remarquable tableau du peintre
Kramskoï, intitulé le Contemplateur. C’est l’hiver, dans la forêt ;
sur la route se tient un pasyan en houppelande déchiquetée et en bittes de
tille, qui paraît réfkécir ; en réalité, il ne pense pas, il
« contemple » quelque chose. Si on le heurtait, il tressaillirait et
vous regarderait commeau sortir du sommeil, mais sans comprendre. A vrai dire,
il se remettrait aussitôt ; mais qu’on lui demande à quoi il songeait, spurement
il ne se rappellerait rien, tout en s’incorporant l’impression sous laquelle il
se trouvait durant sa contemplation. Ces impressions lui sont chères et elles
s’accumulent en lui, imperceptiblement, à son insu, sans qu’il sache à quelle
fin. Un jour, peut-être, après les avoir emmagasinées durant des années, il
quittera tout et s’en ira à Jérusalem faire son salut. » (Gallimard La Pleïade . 1952 pp. 137-138)
Quand une impression a commencé de nous
pénétrer – il y faut le plus souvent des années -, alors les psaumes deviennent
l’expression privilégiée, non seulement de notre prière, mais de notre
vie entière. Impression, expression aboutissent à la confession de la
Trinité, le « Gloire au Père… », qui est le dernier mot de chaque
psaume, celui qui nous replonge dans notre baptême. « Au moment où le
chantre commence le Gloria, écrit saint Benoît quand il organise l’office
divin, tous se lèveront de leurs sièges par honneur et révérence envers la
Sainte Trinité » RB IX 7 (Dom
Robert Le Gall, La saveur des psaumes op. cit. p. 55 )
Mais qu’est-ce que les Psaumes ? Réponse du
moine bénédictin. Les chants de l’Epoux et de l’Epouse. (Dom
Robert Le Gall, La saveur des psaumes. op. cit. p. 30)
Le Psautier a été créé par Dieu même pour être à
jamais le formulaire authentique de la prière. C’est avec ces pensées-là, avec
ces accents-là que Dieu a voulu être loué et honoré. Les psaumes traduisent les
sentiments les plus profonds, les plus variés, les plus délicats du cœur de
l’homme, et répondent à tous ses besoins. Ils ont servi aux justes de l’Ancien
Testament, ils ont servi aux Apôtres et aux saints de tous les âges. Mais ils
ont erré sur d’autres lèvres encore : ils ont été dits et redits par
Notre-Dame et par le Seigneur.Dans les pélerinages à Jérusalem, le Seigneur et sa
Mère et saint Joseph chantaient les psaumes graduels. Certains auteurs ont
pensé que le Seigneur récitait le Psautier chaque jour et qu’l n’avait fait,
pendant la Passion, que poursuivre sa prière, lorsqu’il dit, élevé en
croix : « Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me », et
encore : « In manus tuas commendo spiritum meum. » (Dom Paul Delatte, op. cit. p. 210)
Et réponse du philosophe de religion protestante. Le
texte de chacun est susceptible d’une analyse structurale, littéraire qui en
restitue le mouvement et expose en quoi le récitant est mû par ce qu’il
s’approprie, par exemple celui du psaume XXII, dont les témoins entendent le
Christ en croix en murmurer le début
. . . . il n’est donné aucun tableau clinique :
cette dimension du souffrir ne se révèle qu’au suppliant qui place sa détresse
devant Dieu.Pour lui, souffrir devant Dieu, c’est souffrir desa main, c’est se
poser en victime blessée par Dieu. Un des procédés littéraires mis au service
de cette universalisation et de cette radicalisation consiste dans le recours
délibéré à des métaphores qui, en quelque sorte, désingularisent la souffrance
tout en en marquant le tour paroxystique. Puisant dans le bestiaire de la
férocité, le poète évoque directement la virulence spirituelle de la souffrance
radicale. (…) La seconde procédure pétique concerne la composition du
poème ; elle touche plus encore que la précédente à la textualisation du
psaume. Le psaumepropose dans sa rédaction finale – et peut-être dans ses
formes littéraires les plus anciennes – l’énigme d’un renversement en apparence
soudain et non justifié de la plainte à la louange. C’est ce retournement qu’il
faudra transposer plus loin du plan structural au plan spirituel, voire
théologique. (…) une analyse littéraire ne prend en compte que les traits
repérables au niveau du texte mui-même, et donc ignore l’événement
extra-textuel en quoi aurait consisté une parole oraculaire effectivement
prononcée dans un lieu de culte. (…) Si l’on tient l’absence de la parole
oraculaire pour un trait de textualité, cette absence est alors à rapprocher
des procédures de désingularisation des expressions de la souffrance. De même
que le « je » poétique est ouvert à quiconque dit « je »,
le renversement textuel est offert à tout suppliant invité à parcourir le
chemin de la plainte à la louange. C’est ainsi que le renversement poétiquement
signifié devient lui aussi paradigmatique. Dès lors la tâche de l’analyse
littéraire est de montrer par quels artifices il est construit dans et par le
texte. C’est alors la dynamique entière du texte qui est à considérer d’un
point de vue en quelque sorte dramaturgique.
Comme tous les exégètes l’ont noté, le renversement
est d’une certaine façon anticipé dans la formulation paradoxale de la
plainte : d’un côté, la plainte voisine à l’accusation ; de l’autre,
elle reste enveloppée dqns une invocation et maintenue dans l’espace de la
prière, en tant qu’adressée à Dieu. Le paradoxe s’aiguise dans ce qu’on a pu
appeler « adrsse questionnante ». C’est en demandant « pourquoi ? »
que l’Urleiden de l’être abandonné par Dieu est adressé à Dieu. (Paul
Ricoeur – op. cit. pp. 286-287)
Pas seulement les textes millénaires, mais la
manière de les chanter. Le grégorien – en soi - est décisif pour exprimer cette
prière, la faire vivre par ceux-mêmes qui le produisent.
Ce sont ces petites antiennes qui constituent, avec
la psalmodie qu’elles sont chargées d’accompagner, l’armature même de l’Office
liturgique. Plusieurs versets de psaumes,avec, au début et à la fin, une
antienne, voilà toute la psalmodie, tout le fond de l’Office. On pourrait même
dire que l’Office est fait en grande partie de psalmodie, car les grandes
pièces, telles que Répons de Matines, Graduels, Alleluias, ne sont souvent que
de la psalùmodie amplifiée et ornée. Ce n’est pas là, c’est trop clair, tout le
répertoire grégorien ; c’en est du moins la substance, et nous pouvons y
chercher, sans crainte de nous tromper, quelque chose de ce que visaient les
vieux compositeurs.
Ces petites antiennes, pour être simples, sont-elles
inexpressives ? Non certes ! Elles expriment à merveille un état
d’âme, une attitude d’âme polutôt. Les plus grandes pièces : Graduels,
Alleluias, Offertoires, répons de l’office, accusent davantage, et d’ailleurs
merveilleusement, tel ou tel sentiment. Au fond, pourtant, c’est partout la
même attitude d’âme ;partout ce même sentiment de révérence et d’adoration
de la créature devant son Créateur, d’humilité, de confiance absolue, de
tendresse profonde, de filial, joyeux et total abandon, en un mot, de
« foi », au sens plein et ancien du mot, c’est-à-dire d’adhésion
active, de cœur et de volonté – toutes choses, semble-t-il, qui ne demandent
pas spécialement à être tonitruées ou déclamées, qui réclament bien plutôt une
immense réserve et une parfaite discrétion.
Si l’on voulait caractériser d’un mot le chant
grégorien, il faudrait dire qu’il est avant tout intérieur et, si l’on me
permet ce éologisme, « intériorisant » :sa vertu propre estde
nous rentrer au dedans de nous, non pour nous analyser, mais pour y trouver
Celui qui y habite, pour parler, converser, vivre avec Lui dans l’intime cœur à
cœur.
Telle est la conclusion à laquelle il est difficile,
semble-t-il, d’échapper quand on vit en pérpétuel contact avec les saintes
cantilènes. Telle est celle aussi à laquelle aboutit fatalement l’étude
attentive et désintéressée de la question. Car il y a ici beaucoup plus qu’une
opinion personnelle ; il y a, à la base de la discussion, des principes
absolument objectifs qui s’imposent avec toute l’évidence des faits. J’en
citerai quatre principaux :
1° L’objet du chant grégorien, qui est uniquement la
prière ;
2° Sa technique modale et rythmique ;
3° Ses procédés de composition ;
4° Les nuances des manuscrits.
. . . l’objet propre du chant grégorien,composé
uniquement pour traduire la prière, c’est-à-dire les relations intimes, d’ordre
tout spirituel, entre l’âme baptisée et Dieu. (…) Si, par la langue dans
laquelle il s’exprime, il appartient matériellement à la musique, il dépasse
infiniment par sa fin la musique. C’est à Dieu seul qu’il s’adresse, et non aux
fidèles, sinon secondairement et comme par surcroît. Il n’est donc pas un
article de concert, même spirituel ; il n’a pas sa fin en lui-même, il
stessentiellement en fonction d’autre chose, qui lui donne sa raison d’être. Il
faut de toute nécessité aller jusqu’à la moëlle, jusqu’à la substance même qui
est la prière, c’est-à-dire le commerce intime de l’âme avec Dieu. (…) Le chant
grégorien lui aussi est un consacré. Il n’existe que pour Dieu, pour L’adorer,
Le remercier, et Lui apporter tout l’amour de l’humanité rachetée. Il ne vise
aucunement à produire un effet, à attirer les regards sur soi, à plaire ;
il n’a qu’un but : »servir », se faire oublier pour conduire les
âmes à Dieu. En lui se vérifie magnifiquement le joli mot de saint
Jean-Baptiste : Illum opportet crescere, me autem minui. (…)
Nos mélodies grégoriennes (…) expriment à merveille,
non pas seulement ce que nous disons à Dieu, mais aussi et peut-être surtout ce
que nous sommes devant Lui, notre attitude d’âme. Or S. Benoît résume toute
cette attitude en un mot, commeil ramène toute sa spiritualité à une seule
vertu compréhensive : l’humilité, laquelle est chez lui le fruit d’un
double regard, regard de Dieu sur nous, et de nous vers Dieu, cette disposition
foncière d’humilité profonde, d’adoration, d’action de grâces, de louange, de
confiance absolue aussi, d’inaltérable paix et d’amour ; et c’est
précisément cela même qui fait le fond, la principale beauté et toute
l’efficacité de la prière chantée de l’Eglise. (…)
Paix, douceur, ce sont les mots auxquels il faut
toujours revenir quand on parle de l’art grégorien, amour surtout. S’il est en
effet une chose qui e dégage de l’étude de nos mélodies traditionnelles, c’est
qu’elles sont vraiment baignées de tendresse ; quel que soit le sentiment
qu’elles traduisent, c’est toujours une atmosphère d’amour, mais d’amour vrai
et profond ; elles sont essentiellement de la charité. C’est vraiment
l’esprit de l’Eglise tout entier qui est en elles. Plenitudo legis dilectio.
On peut dire d’elles ce qu’on a
dit, je crois, des fresques de l’Angelico, qu’elles ont été écrites à genoux.
(…)
Ainsi, l’art grégorien est beaucoup que de la
musique, beaucoupplus même qu’une prière ; parce qu’il est la prière de
l’Eglise, il est surtout un esprit, une spiritualité, celle-là même que le
Seigneur nous apprenait quand Il définissait les conditons vraies et les
qualités de la prière : In spiritu et veritate oportet adorare… nam et
pater tales quaerit qui adorent eum. Ce que Dieu veut, quand nous prions, ce
n’est ps de l’éclat extérieur, ce n’est même pas une certaine exaltation
sentimentale ; ce qu’Il veut, c’est cette prière intime, qui part de l’âme
et monte à Lui tout seul. « In spiritu et veritate oportet adorare ».
(Dom Joseph Gajard, op.
cit. pp. 9 à 13)
La messe de l’aurore – Offertoire « Deus
enim »
(…) regardez : une mélodie puissante, large,
ramassée :peu de mouvement ; on y procède, pour ainsi dire, par
masses. L’ambitus estrestreint à l’extrême, il ne va gure que du sol au
do ; le ré n’est touché qu’une fois, et le fa lui-même, en deors d’une
demi-cadence peu importante, n’apparaît jamais que comme note de passage, sauf
tout à la fin, où il joue un rôle un peu plus accusé. De longues tenues sur do,
qui se reniuvellent sans cesse, et toutes aboutissant à la tonique sol,
Techniquement, c’est aussi dépouillé que possible.
Et pourtant quelle vie, quelle force d’affirmation,
quelle admiration latente, et quel sens de la Majesté divine ! Peut-être y
a-t-il quelque difficulté à les traduire dans l’exécution, à raison même de la
simplicité des moyens employés. Une seule manière d’y réussir :le
« rythme ». J’entends par là le grand rythme : cette pousséede
vie qui circule à travers tous les éléments de la pièce, les saisit, les informe,
les organise, les ordonne et les anime, pour les fondre en défnitive dans une
large et chaude synthèse, toue vibrante de la vie même de celui qui l’a conçue.
Chantez donc avec toute votre âme ; ne
juxtaposez pas ni n’émiettez ces longs neumes ; n’alourdissez pas ni ne
matérialisez ces tenues sans fin où le compositeur a mis tant de son âme ;
qu’à travers tous ces mélismes circule, pour les relier, la sève vivifiante de
la ligne intensive, étroitement calquée sur les courbes mélodiques ; retenez
quelque peu chaque cadence, et repartez aussitôt après, avec l’élan qui suit,
en cescendo vers les strophicus sur do, atteints eux-mêmes en douceur, selon la
règle habituelle, et vous verrez comment tout s’illumine ! (Dom Joseph Gajard, op. cit. pp. 60 & 61)
*
* *
7°
Le recours à un tiers vérificateur ou accompagnateur
Toutes
les sagesses impliquent un enseignant, un maître qui, bien davantage qu’une
institution, fondent une maïeutique. La littérature est de plus en plus riche
en modèles de relation entre un initié et un disciple (notamment Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund ;
Patrick Kearney, op.
cit. ; dans les deux fictions, la relation est celle d’un moine avec son
novice) . Et il y a aussi,
transposition subtile de cette relation, la dialectique masculin-féminin, plus
seulement entre l’âme et son créateur, mais entre deux personnalités
d’équivalente densité spirituelle (Benoît et Scolastique, Thérèse d’Avila et
Jean de la Croix, François de Salles et Jeanne de Chantal, Charles de Foucauld
et Anne de Bondy sans entrer dans l’histoire confinant au modèle, d’Abélard et
d’Héloïse). Mais, dans la mystique chrétienne, la relation, si pédagogique
qu’elle puisse paraître avec parfois son appel à l’obéissance et à une réelle
docilité, n’est à terme qu’accompagnement, et cela jusqu’à un certain seuil,
seulement. Le directeur spirituel s’efface devant l’unique Maître. Car la
contemplation est autant possession qu’enseignement, Dieu s’enseigne Lui-même à
son peuple, à sa créature. C’est sans doute dans la relation dirigé/directeur
que se mesure le mieux l’improviste de Dieu et la logique de l’extraordinaire
dans une vie humaine.
C’est l’une des plus grandes mystiques de l’histoire
humaine qui témoigne le mieux de cette nécessité de l’accompagnement, à
proportion-même de l’extraordinaire du reçu, du vécu.
Relation IV – Séville, 1576 – Jésus
Cette religieuse prit l’habit il y a quarante ans,
et, dès la première année, elle se mit à méditer sur les mystères de la Passion
de Notre Seigneur et sur ses péchés, sans songer jamais à quoi que ce soit de
surnaturel : elle ne considérait que les créatures, ou les choses qui
l’éclairaient sur la brièveté de tout au monde ; elle consacrait à cela
certains moments de la journée sans qu’il lui vînt à l’esprit de désirer mieux,
jugeant qu’elle ne méritait même pas de penser à Dieu. Elle vécut ainsi près de
vingt-deyux ans dans une grande sécheresse, lisant aussi de bons livres. Il y a
environ dix-huit ans qu’elle entreprit de s’occuper du premiuer monastère de
Déchaussées qu’elle fonda à Avila, et trois ans auparavant, elle avait commencé
à sentir qu’on lui parlait intérieurement, à avoir quelques visions et à
recevoir des révélations. Non qu’elle ait vu quelque chose, jamais elle n’a
rien vu avec les yeux du corps, il s’agissait d’une représentation rapide comme
l’éclair ; mais cela se gravait en elle aussi profondément et produisait
d’aussi grands effets, plus grands mêmes, que si elle avait vu ces choses des
yeux du corps. Extrêmement craintive, il lui arrivait, même en plein jour, de
ne pas oser rester seule. Et comme malgré ses efforts elle ne pouvait éviter
ces visions, elle vivait dans une extrême affliction, et craignait que ce fut
un leurre du démon. Elle entra en rapports avec des personnes spirituelles de
la Compagnie de Jésus : le Père Araoz, général de 1562 à 1565, François de
Borgia, Gilles Gonzalès, Baltazar Alvarez, Salazar de Cuenca, Santander de
Ségovie, Ordonez d’Avila. Quand elle
allait dans ces différentes localités, elle cherchait à voir ceux d’entre eux
qui étaient les plus estimés.
Elle eut de fréquents rapports avec Fr. Pierre
d’Alcantara, qui prit chaleureusement son parti. En ce temps-là, poendant six
ans, on la mit à l’épreuve, elle vécut dans les larmes et l’affliction ;
plus on l’éprouvait, plus elle avait de visions, de fréquents ravissements
pendant l’oraison, et même en dehors de l’oraison. On priait beaucoup pour
elle, on disait des messes pour que Dieu la conduise par une autre voie, car
lorsqu’elle n’était pas en oraison, elle avaiut grand-peur, bien qu’on puisse
voir en elle de grands progrès dans tout ce qui regardait le service de Dieu,
sans nulle vaine gloire ni orgueil ; elle fuyait plutôt ceux qui étaient
au courant de tout ce qui lui arrivait ; il lui coûtait plus d’en parler
que s’il se fut agi de péchés ; elle croyait qu’on rirait d’elle et qu’on
y verrait des idées de femmelette.
Il y a près de treize ans, l’évêque de Salamanque
passa par là, il était Inquisiteur à Tolède, ce me semble, et il l’avait été
ici. Elle chercha à lui parler pour mieux se rassurer, et lui rendit compte de
tout. Il lui dit que rien de cela ne concernait son office, puisque tout ce
qu’elle voyait et entendait la confirmait de plus en plus dans la foi
ncatholique, qu’elle y avait été et y demeurait toujours solidement ancrée,
animée de l’immense désir de l’honneur de Dieu et du bien des âmes, prête à se
laisser tuer plusieurs fois pour en sauver une. Il la vit si affligée qu’il lui
conseilla d’envoyer au Maître d’Avila, qui était encore en vie, une longue
relation de tout ; c’était un homme fort versé dans l’oraison, et la
répoonse qu’il lui ferait devrait l’apaiser. Elle suivit ce conseil, et ce
qu’il lui écrivit la rassura beaucoup. Cette relation fut telle que tous les
hommes doctes qui l’ont vue, et qui étaient mes confesseurs, disaient qu’elle
était un guide fort efficace dans les choses spirituelles, ils lui ont donné
l’ordre de la recopier et d’en faire, pour ses filles, car elle était prieure,
un autre petit livre où elle leur donnerait quelques conseils. Malgré tout
cela, par moments, elle n’était pas sans crainte, il lui semblait que des gens
d’une haute spiritualité pouvaient être leyrrés tout comme elle, et elle
voulait s’entretenir avec de grands théologiens, même peu portés à
l’oraison ; elle voulait surtout savoir si tout ce qui se passait en elle
était conforme à la Sainte Ecriture. Elle se consolait parfois en songeant que
même si elle méritait d’être dans l’illusion, pour ses péchés, Dieu ne
permettrait pas que tant de bonnes gens qui souhaitaient l’éclairer soient
induites en erreur.
Dans cette intention elle commença à s’entretenir de
tout cela avec les pères de Saint-Dominique : Vincent
Baron à Tolède, Dominique Banez à Valladolid et elle a toujours recours à lui
par lettres, quand quelque chose de nouveau se présente. Chaves, confesseur de
Philippe II, Pierre Ibanez à Avila, Garcia de Toledo, Barthelemy de Medina dont elle savait qu’il avait entendu parler de ces
choses et préjugeait mal d’elle ; elle pensa donc que s’il y avait leurre,
il le lui dirait mieux qu’un autre ; celaz se passait il y a un peu plus
de deux ans ; elle chercha à se confesser à lui, lui fit un long récit de
tout pendant son séjour là-bas, et lui montra ce qu’elle avait écrit, pour
qu’il la connaisse mieux. Il la rassura autant et même mieux que tous les
autres et devint son grand ami. (Thérèse
d’Avila, op. cit. pp.853 à 855)
C’est sans doute par ce rôle de l’accompagnateur que
religion et psychiâtrie – aujourd’hui - se rejoignent le plus
pratiquement et peuvent, le cas échéant, collaborer :
Un directeur spirituel n’est pas un psychanalyste.
Il doit s’en tenir à la mission que Dieu lui a confiée, et éviter deux graves
erreurs. La première serait de devenir psychothéraoeute amateur : il ne
doit pas s’intéresser directement aux impulsions inconscientes et aux problèmes
émotionnels, tout en les connaissant suffisamment pour déceler leur présence.
Il doit respecter profondément la nature inconsciente et instinctive de
l’homme, en évitant que ses conseils ne renforcent les tendances infantiles
autoritaires de son pénitent, en n’étant ni trop facile ni trou coulant, et en
n’approuvant pas tous ses caprices, quelle que soit leur extravagance.
Le directeur doit comprendre ensuite que les
problèmes psychologiques sont des réalités, et que, lorsqu’il se trouve en face
d’eux, ils dépassent sa compétence. Au lieu d’être de ceux qui se moquent de la
psychiatrie par principe, et prétendent que l’ascétisme résout tous les
problèmes émotionnels, le directeur doit savoir quand il faut adresser un pénitent
au psychitare pour un traitement approprié. Il ne doit pas essayer de
« guérir » un névorsé en bluffant, en affectant l’optimisme, ou en
moins en lae brusquant.
Nous avons vu rapidement quelques-uns des avantages
et des problèmes de la direction spirituelle. Fatalement un tel exposé manque
de perspective ; il donne l’impression qu’il y a toujours d’importantes
questions à débattre entre le pénitent et le directeur, et que celui-ci doit
être perpétuellement sur ses gardes pour ne pas être rompé – comme si chacune
de leurs entrevues était un combat entre la lumière et les ténèbres.
Or ce n’est pas absolument pas le cas. A partir du
moment où le directeur et son pénitent se connaissent, leurs entrevues
continuent, paisiblement et sans incidents, de mois en mois et d’année en
année. Les grands problèmes sont rares, les difficultés aussi. Lorsqu’il s’en
présente, on les traite avec calme et simplicité, sans beaucoup s’en troubler.
Il peut y avoir ses moments de tension, des moments difficiles, mais ils passent.
On est tenté de penser que tout est trop monotone, trop calme, trop sûr ;
on se demande si la direction n’est pas une perte de temps, qui ne représente
guère plus qu’une conversation amicale sur les événements contemporains
ordinaires.
Si nous sommes sages, malgré cela, nous comprendrons
que c’est précisément en cela que réside la plus grande valeur de la direction.
Une vie qui est paisible, presque banale dans sa simplicité, serait peut-être
très différente sans ces entretiens amicaux qui engendrent la paix et
maintiennent les choses sur la voie du calme. Combien de vocations seraient
plus assurées si tous les religieux pouvaient voguer sur ces eaux tranquilles
et sereines ?(Thomas Merton, op. cit. pp. 57 à 60)
On m’a
souvent demandé quelle était ma méthode psychothérapeutique ou
analytique : je ne peux donner de réponse univoque. La thérapie est
différente dans chaque cas. Quand un médecin me dit qu’il « obéit »
strictement à telle ou telle « méthode », je doute de ses résultats
thérapeutiques. Das la littérature il est tellement souvent question des
résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui
imposer des directives, alors que c’est en lui que defaçon naturelle doivent
croître les forces de guérison. La psychothérapie et les analyses sont aussi
diverses que les individus. Je traite chaque malade aussi individuellement
qu’il m’est possible, car la solution du problème est toujours personnelle. On
ne peut établir des règles générales que cum grano salis, avec la réserve nécessaire.
Une vérité psychologique n’est valable que si l’on peut l’inverser. Une
solution qui, pour moi, n’entrerait pas en ligne de compte peut être justement
la vraie pour un autre.
Naturellement,
il faut qu’un médecin connaisse les prétendues « méthodes ». Mais il
doit bien se garder de se fixer sur une voie déterminée, routinière. Il ne faut
utiliser qu’avec beaucoup de prudence les hypothèses théoriques. Peut-être
sont-elles valables aujourd’hui, demain ce pourront en être d’autres. Dans mes
analyses, elles ne jouent aucun rôle. C’est précisément avec intention que
j’évite d’être systématique. A mes yeux, confronté à l’individu il n’y a que la
compréhension individuelle. Chaque malade exige qu’on emploie un langage
différent. Ainsi pourrait-on m’entendre, dans une analyse, employer un langage
adllérien, dans un autre un langage freudien.
Le fait
décisif c’est que, en tant qu’être humain, je me trouve en face d’un autre être
humain. L’analyse est un dialogue qui a besoin de deux partenaires. L’analyste
et le malade se trouvent face à face, les yeux dans les yeux. Le médecin a
quelque chose à dire, mais le malade aussi.
Dans la
psychothérapie, comme l’essentiel n’est pas « d’appliquer une
méthode », la formation psychiatrique seule est insuffisante. J’ai dû
moi-même travailler encore longtemps après être devenu psychiâtre avant de
posséder l’armature nécessaire à la psychothérapie. En 1909, déjà, je m’aperçus
que je ne pouvais traiter les psychoses latentes sans comprendre leur
symbolique. C’est alors que je me mis à étudier la mythologie.
Quand il
s’agit de malades cultivés et intelligents, les seules connaissances techniques
du psychiâtre ne suffisent pas. Libéré de toutes les présuppositions
théoriques, il lui faut comprendre ce qui en réalité agite le malade, sinon il
suscite des résistances superflues. Car il n’est nullement question de
confirmer une théorie, mais bien de faire en sorte que le malade se comprenne
lui-même en tant qu’individu. Or, cela n’est pas possible si l’on n’établit pas
de comparaisons avec les idées collectives dont le médecin devrait être
instruit. Une simple formation médicale n’y suffit pas, car l’horizon de l’âme
humaine s’étend bien au-delà des seules perspectives en honneur dans le cabinet
de consultation du médecin.
L’âme est beaucoup
plus compliquée et inaccessible que le corps. Elle est, pourrait-on dire, cette
moitié du monde qui n’existe que dans la mesure où l’on en prend conscience.
Aussi, l’âme est-elle non seulement un problème personnel, mais un problème du
monde entier et c’est à ce monde entier que le psychiâtre a affaire.(Car Gustav Jung, op. cit. pp. 158-159)
Il est
extrêmement rare que quelqu’un puisse avancer vers la libération en comptant
sur ses seules ressources personnelles. Le Bouddha s’est éveillé par lui-même,
mais c’était le Bouddha. Seuls des êtres d’exception ont la faculté de se
livrer à une investigation intérieure suffisamment profonde pour mettre au jour
l‘essence de leur esprit. La quasi-totalité des êtres n’ont pas cette capacité.
L’exemple et les conseils de maîtres éveillés leur sont indispensables pour
parvenir au terme du chemin. Même si le maître n’est pas complètement libéré,
il doit au moins avoir parcouru une partie de la voie, être à même de guider
les autres et de les mener dans la bonne direction.
Au cours
d’une même vie ou au cours de plusieurs vies, nous pouvons rencontrer des
guides de différents niveaux d’expérience et de réalisation. En effet,
généralement, lorsqu’on parle de « maître spirituel », on ne fait pas
allusion seulement aux grands maîtres réalisés. On désigne en fait l’ensemble
de tous ceux qui ont acquis une expérience suffisamment stable de la voie, à
travers leur pratique, ainsi qu’une réelle compréhension des enseignements. Ils
sont ates à guider les autres jusqu’à un certain point du chemin, et à
transmettre à leur tour les instructions spirituelles qu’ils ont reçues et
mises en pratique. Ces lamas enseignent tout en continuant d’approfondir leur
propre chemin spirituel. (Lama Jigmé RIMPOCHE op.cit.p. 294)
Le Jésuite en est d’accord. . . . la formation
religieuse. Elle ne se fait pas d’abord dans des conférences ou des lectures,
mais dans un contact de personne à personne, où la qualiuté du raapport joue un
rôle fondamental. Que chacun se remémore le temps de sa formation ! Bien
des points expliqués dans les débuts n’ont pas été saisis alors. Si au jour
voulu, ils ont apporté la lumière dont nous avions besoin pour résoudre les
difficultés de l’existence, c’est qu’à ce moment ils ont réveillé en nous le
souvenir de celui qui nous les donna et dont la personnaliutré leur
communiquait chaleur et vie. Après coup, nous découvrons que ce jour-là, nous
fûmes en présence, non seulement d’un professeur, d’un savant ou d’un
spirituel, mais d’un vrai maître.
De tels maîtres sont les vrais éducateurs de la foi.
Leur rareté vient du difficile équilibre qu’eux-mêmes doivent réaliser dans
leur être profond entre les éléments qui constituent une personnalité
spirituelle. Trois ordres sont ici en présence : celui de la connaissance,
celui de l’expérience humaine, celui de la grâce. Leur mise en place selon leur
valeur relative assure seule l’équilibre dont nous parlons.
Aucun prétexte de sainteté iou de savoir-faire ne
légitime d’abord l’ignorance des lois psychologiques les plus fondamentales ou
la négligence des études qui de nos jours se sont développées en ce domaine.
Mais il serait dangereux de s’estimer capable d’aider les autres dans leur
développement humain et spirituel en raison des années d’études passées dans
des instituts spécialisés. Toute la science du monde est, par elle-même,
incapable d’établir un vrai rapport humain.
Pour que celui-ci se noue, elle doit être dépassée,
un engagement personnel doit être accepté où tour à tour chacun donne et reçoit
avec les risques que comportent de tels échanges. C’est une aventure où les
connaissances acquises permettent d’avancer avec plus de certitude et de
prudence, mais où personne n’échappe à la nécessité de se livrer lui-même au
moment voulu sans réserve et sans arrière-pensée.
Enfin cette relation personnelle ne doit pas se
fermer sur elle. Son but n’est pas seulement de situer les êtres les uns par
rapport aux autres dans une plus grande liberté, mais de les soumettre au
mouvement du Saint-Esprit, pour le plus grand service de l’Eglise. (Jean
Laplace, La femme et la vie consacrée op. cit. pp. 258
& 259)
Pathétique accompagnement de celui qui vit
l’essentiel par un autre que son rôle
dépasse. Le plus prenant est sans doute
d’aider celui qui arrive au seuil et à l’instant de la définitive
contemplation. Dans ce champ de l’expérience humaine, comprendre c’est avant
tout accepter d’être avec. La relation élaborée dans cette part d’histoire
commune qui peut se constituer avec la personne en fin de vie, représente la
modalité d’émergence d’un sens intime souvent peu communicable. Il relève d’un
« savoir » intérieur.(Dr. Michèle-H. Salamagne & Emmanuel
Hirsch, op. cit. p. 81 Le devoir de
non-indifférence)[1]
*
* *
8°
Créativité et contemplation
L’inspiration, « l’intuition créatrice »,
en ce qu’elles tirent de l’homme, pas uniquement de l’artiste, ce qui semblait
ne pas y être ou n’y être qu’à l’état latent, s’apparenteraient à la
contemplation. Ce serait une activité du même ordre, saisissant complètement le
sujet qui a conscience à la fois de sa dépendance pour ce qui vient de son
tréfonds, en quoi il sait n’être pas démiurge, et de ce qu’a de nécessaire le
filtre que constitue sa propre personnalité avec ses acquis, sa formation, son
savoir et même les circonstances du moment modelant autant l’œuvre en train de
se concevoir puis de se réaliser que lui-même en proie à ce travail jouxtant la
création.
L’art chez les anciens avait pour condition la
simplicité. Le vrai, le beau et le bien ne peuvent être que simples. L’artiste
véritable est celui qui traduit le mieux dans le monde extérieur,
c’est-à-direde la manière la plus simple, l’idéal qu’il porte dans la
simplicité de son intelligence. Plus une intelligence est pure et haute, plus
elle conçoit la vérité d’une façon simple et une… L’art n’est pas destiné à
encombrer l’intelligence humaine d’une multiplicité qui ne lui appartient
pas ; il doit tendre au contraire à relever lemonde des sens jusqu’à y
faire pénétrer un certain reflet de la simplicité etde l’unité du monde spirituel.
L’art doit tendre à la perfection de l’individu humain et non pas à son
abaissement ; s’il s’adresse aux sens en provoquant des impressions et des
émotions qui leur appartiennent, ce n’est que pour éveiller en quelque sorte la
pensée de l’homme, pour l’aider à s’affranchir et à s’élever au-dessus du monde
visible et sensuel par une sorte d’échelle habilement ménagée, d’après les lois
posées par Dieu lui-même. (Dom Mocquereau cité par Dom Gajard, op.cit.p. 7)
L’observation clinique des créateurs et l’étude des
comptes rendus introspectifs d’expériences faites au cours de l’activité
créatrice font penser que nous assistons là au déplacement de l’investissement
de certaines fonctions du Moi. C’est ainsi qu’on distingue fréquemment, dans la
création, la phase d’insporation et la phase d’élaboration. La
phased’inspiration est caractérisée par la facilité avec laquelle sont reçues
les pulsions du çà ou leurs plus proches dérivés. On pourrait dire que, dans
une certaine mesure, les énergies du contre-investissement sont retirées pour
s’ajouter à la vitesse, à la puissance ou àl’intensité avec lesquelles se
forment des pensées préconscientes. Au cours de la phase d’élaboration, la
barrière du contre-investissement peut se renforcer, le travail progresse
lentement, l’investissement s’oriente vers d’autres fonctions du Moi, telle
l’épreuve de réalité, la formulation ou d’autres objets de communication.
L’alternance des deux phases peut être rapide, osciller ou se répartir sur de
longues périodes. (…)
On parvient également à un sentiment de soulagement
et de décharge, semblable à celui que produit le fantasme, par la résolution
d’un problème, lorsqu’une poartie de la délibération préconscxiente esr
parvenue à une conclusion consciente satisfaisante. La satisfaction indicutable
qui accompagne habituellement la résolution d’un problème est généralement
décrite comme un sentiment gratifiant de maîtrise, de triomphe dû à
desréalisations reliées aux intérêts du Moi, à des sentiments d’amour-propre
réduisant la tension intrapsychique entre le Surmoi et le Moi, par exemple,
etc. Il serait également utile de considérer que la résolution des problèmes –
dans toutes les aires de la créativité – peut amener le plaisir par la décharge
de l’énergie neutre utilisée dans la quête de la pensée créatrice Cette
constatation n’a rien de nouveau, ni en psychanalyse, ni en psychologie. On s’y
réfère souvent comme à un plaisir fonctionnel. (…) L’élaboration de cette
théorie paraissait conduire à une meilleure compréhension de l’expérience esthétique. (Ernst
Kris in recueil de textes La sublimation . Les sentiers de la création op.
cit. pp. 190 à 193)
Ce n’est pas pour autant la contemplation puisque la
rencontre ne s’opère qu’entre un sujet conscient et un objet mis au jour, une
œuvre. Dans la contemplation, c’est le sujet humain qui se sait de Dieu, se
reçoit comme l’œuvre de Dieu, et qui en Lui et par Celui-ci vit son complet,
total, éternel et personnel accomplissement, comble de la nécessité et de la
liberté. Le mode d’exister – La différence christique
Ce qui a surgi, à la pointe de l’épreuve, c’est une
neuve possibilité de vivre, d’être au monde, à soi-même, à autrui.
Et elle se tient par elle-même : c’est-à-dire
qu’elle a sa consistance propre, sans qu’il soit besoin de la référer à un système
religieux ou philosophique, pas même à l’Evangile ! La référence est
possible, bien sûr ; et féconde. Mais dans la situation où nous sommes,
elle risque de ramener au schéma d’application : des idées, desrègles, une
organisation régissant la vie ; alors que le rapport d’inspiration est
différent : la vie trouve elle-même son chemin, pourvu que sa source soit
« l’eau vive ». Pousser à fond, en ce moment-ci, l’effet d’un tel
rapport, c’est mettre en liberté – et donc finalement, par effet deretour, exiger
bien plus de force et de rigueur en tout ce qui nommera
« l’Evangile » et nommera à partir de lui.
Il suffit que s’exerce ce que nous nommerons ici la
différence christique : c’est-à-dire, en tout, visiblement ou secrètement,
ce passage de la mort à la vie, cet avènement d’humanité qui descend au fond
et ne laisse derrière lui aucune complicité avec la tristesse essentielle.
Cette différence joue d’abord dans l’avènement même
de l’homme.Par-delà toute essence ou nature : cet homme, qui advient. Et
elle jouera ensuite partout, de façon toujours imprévisible.
Ainsi le déploiement se fait dans une ambiance
quasi-philosophique : comme si l’homme retrouvait puissance de se créer.
Et il la retrouve en effet ! Mais par cette dépendance (cette obéissance)
qui est l’opposé même de la servitude : car c’est l’écoûte d’une parole
qui donne enfin d’être à soi-même, par le don qu’on reçoit et qu’on donne.
Oui, nourris de cette nourriture, s’en aller sur les
chemins et inventer la vie. (Maurice
Bellet, op. cit. pp. 56-57)
La toute primordiale pensée écoute. Car elle habite
la parole, au-delà en deçà des mots, dans toute l’ampleur du corps parlant.
Elle est en ce don de parole, qui est la co-présence, l’accueil et le don du
visage et de la voix, où naît la puissance même de dire je. La communion
humaine précède toute pensée en la pensée même. Hors de là, il n’y a que
ténèbres, l’impénétrable abîme du Seul – ou l’agonie du Vide.
Ni la puissance solaire de la raison, ni sa perte
dans l’humiliation où elle avoue ses conditions ; ni, pas davantage,
l’abaissement d’une obéissance (de foi, disent-ils) qui serait démission,
croyance entêtée ou anxieuse.
Ailleurs, ailleurs est l’heureuse naissance de la
pensée ! Dans cet habitat de la parole qui devient poème aux lèvres
humaines, chant partagé, donation du chemin et de la demeure. Exaltation du
corps ! De ce corps de vie, qui est l’esprit même, dans sa manifestation,
prenant durée et déjà, pourtant, sur le versant d’éternité.
Poésie, aurore qui précède tout raisonnement et
toute sagesse : c’est donation de la lumière.
Là se donne et s’entend la parole qui est la pure
venue à parole ; là s’entend l’homme dont témoigne l’heureuse annonce. La
puissance de cette parole, c’est que l’écoute, la critique, la création font
un : un seul acte qui brise le cercle de fer. (Maurice
Bellet, op. cit. p. 85)
Ce que donne à réfléchir la psychologie cognitive la
plus récente. Comment est mise en œuvre, suscité la capacité de dépasser
l’habituel ou d’utiliser le connu pour accueillir et s’approprier l’inconnu, le
résoudre.
L’effet de fixation peut être illustré par un
problème bien connu et qui a fait l’objet d’études à la fois anciennes et
récentes : le problème des 9 points.
Ce problème est difficile pour quiconque le
rencontre pour lapremière fois. Pendant très longtemps, toutes les solutions
qui sont tentées se limitent àl’intérieur du carré. Il est impossible, ce
faisant, d’aboutir à une solution satisfaisante.il fautpour cela sortir du
carré. Certains sujets ne dépassent jamais les limites du carré. Ceux qui y
parviennent mettent très longtemps à le faire et ensuite continunt tous leurs
essais en débordant la figure. Il y a une différence manifest entre ces deux
phases de la recherche, qui se traduit souvent par la reconnaissance explicite,
de la part du sujet, du fait qu’il n’avait pas envisagé cette possibilité
auparavant. (…)
Le cœur de la question est de savoir s’il faut ou
non invoquer des processus différnts pour expliquer ce qui se passe au début du
problème quand le sujet cherche une solution à l’intérieur du carré et ce qui
se passe à la fin quand il déborde les limites du carré. (…)
Si les essais infructueux s’expliquent par la
fixation et si la découverte de lasolution résulte d’une restructuration
perceptive, alors donner l’information adéquate devrait supprimer la difficulté
du problème : indiquer au sujet qu’il faut dépasser les limites du carré
devrait supprimer la fixation et la solution devrait être pratiquement
immédiate. L’expérience montre qu’en fait de nombreux essais restent nécessaires
pour parvenir à la solution. (Jean-François
Richard, op. cit. )
. . . réserver le terme de représentations aux constructions
circonstancielles et celui de connaissances aux constructions stables. Nous
n’utilisons pas l’expression, « représentations des connaissances ».
Ell a un sens précis en informatique : elle signifie un moyen d’exprimer
les connaissances sous une forme exécutable par une machine. Mais ce sens n’est
pas du tout pertinent en psychologie, sauf lorsqu’il s’agit de simuler l’organisation
des connaissances en mémoire.
Du point de vue du fonctionnement cognitif, la
différence entre connaissances et représentations est que les connaissances ont
besoin d’être activées pour être efficientes, alors que les représentations
constituent le contenu de la mémoire opérationnelle, à savoir les informations
stockées en mémoire de travail et les informations actives de la mémoire à long
terme. Les informations en mémoire opérationnelle sont celles qui sont
disponibles pour les tâches et les traitements afférents : elles sont
maintenues actives pendant la durée d’accomplissement de la tâche.
Les connaissances, en revanche, sont stockées en
mémoire à long terme. Toutes les informations en mémoire à long terme ne sont
pas disponibles : une faible partie de celles-ci seulement le sont, celles
qui ont un nivau d’activation suffisant ou qui font l’objet d’une recherche en
mémoire couronnée de succès. (Jean-François
Richard, op. cit. p. 11 )
Cela revient à dire que face à un nouveau problème
on commence par rechercher s’il y a
d’autres situations dans lesquelles on a une procédure pour répondre au même
type de questions ou pour réaliser le même objectif et à rechercher ensuite si
les conditions de la nouvelle situation sont telles que la procédure est
applicable. (…)
On remarquera que les conditions de déclenchement de
l’analogie sont les mêmes que celles que nous supposons être celles de
l’application des connaissances aux situations dans les situations
d’exécution ; la mise en œuvre des procédures est faite par un processus
d’apariement des caractéristiques de la situation avec le but, d’une part, de
prérequis de l’application de la procédure d’autre part.
Le transfert analogique présente les conditions
habituelles d’application des schémas de connaissances aux situations
concrètes : la mise en œuvre des procédures est très rapide, comme c’est
le cas pour tous les processus qui reposent sur l’apariement.
Le transfert analogique peut évidemment conduire à
des erreurs, car des situations peuvent s’apparier à des schémas de
connaissances sur l’action,alors qu’elles ne possèdent pas les propriétés
intrinsèques qui légitiment les procédures. Mais ces erreurs sont le prix à
payer pour une mise en œuvre rapide. C’est une condition de l’acquisition des
habiletés cognitives. (Jean-François Richard, op. cit.
. pp.
156-157 )
On observe en général très peu de transfert entre
les problèmes qui sont véritablement isomorphes, si ces problèmes se
ressemblent peu par les traits de surface.
Il faut des conditions tout à fait particulières
pour que le sujet soit amené à remarquer que le problème qu’il est en train de
résoudre présente la même structure relationnelle qu’un problème connu :
par exemple, informer le sujet que le premier problème peut l’aider à résoudre
le second ou encore lui faire résoudre une série de problèmes isomorphes.
En revanche, on observe des effets de transfert
analogique apparemment incoercibles entre des situations qui sont de structure
complètement différente, mais qui ont beaucoup de traits particuliers communs. (Jean-François
Richard, op. cit. pp. 155-156 )
*
* *
9°
Contemplation, vision, connaissance
Au bout de cette quête ressort une unanimitié
profonde : l’homme ne peut se passer d’union à Dieu, la vie éternelle peut
recevoir son anticipation ici-bas, l’amour est la faculté par laquelle nous
acceptons la réalité et il est le fruit de la grâce de Dieu et de la volonté
humaine. Participation au milieu divin, la contemplation caractérise le milieu
humain porté à sa perfection. Mais il existe deux sortes de témoignages, ceux
qui discernent la possibilité, la nécessité, les contours de
l’expérience ; philosophes ou scientifiques, ils ne parviennent pas à y
entrer tout simplement parce qu’il leur manque la révélation qu’amour, absolu,
vérité et tous les noms que donne à l’inaccessible le désir humain de
comprendre la vie et de transcender des limites trop quotidiennement
ressenties, sont en réalité une personne. La contemplation est au-delà du
dialogue mais elle est faite d’un duel, d’une rencontre, elle est une union. Le
témoignage des saints, des mystiques de tous les temps et de toutes les
religions tranche sur les dissertations des précédents, parce qu’il expose
l’intérieur de l’expérience et qu’il est même capable d’enseigner, d’assurer le
chemin qui y mène, d’identifier ce qui est cause et contenu. Etat de grâce,
exceptionnalité d’un moment, tout est plat qu’on observe du dehors. Se vivant
et se recevant soudainement accueillie et rencontrée par Dieu, l’âme la plus
simple laisse loin les esprits les plus déductifs, les analystes les plus
cohérents et audacieux : elle connaît, ce qui est bien autre que savoir.
Le vrai objet de la contemplation mystique, son but
propre est la sainteté cachée de Dieu, sa gloire infinie et sans forme, d’où
procède sa voix et sa parole. (le
hassidisme médiéval selon Gershom G. SCHOLEM, op. cit. p. 130 )
Lui reconnu, il n’y a plus rien à chercher. En son
Fils, le Père nous a tout donné. Cependant, il nous reste tout à découvrir. Par
lui, nous entrons dans un dialogue d’amour et une poursuite incessante. C’est
la suprême révélation, celle de Dieu, en tant que source et terme, dans son
Fils par qui il se donnelui-même par
l’Esprit qui nous conduit dans ces profondeurs. (Jean
Laplace, Discernement pour temps de crise, l’épître de Jean,
op. cit. p. 161)
La forme de vision que Votre Grâce m’a demandé de
lui expliquer est de celles où on ne voit rien, ni intérieuyrement, ni
extérieurement, car elle n’est pas imaginaire ; mais sans rien voir, l’âme
comprend qui est là, et de quel côté, Il est représenté plus clairement que si
elle le voyait, sauf qu’on ne lui représente rien en particulier ; elle
est comme quelqu’un qui sent une personne auporès d’elle, dans
l’obscurité ; sans la voir, elle a la certiutude qu’elle est là ;
cette comparaison est toutefois insuffisante, car celle qui est dans
l’obscurité comprend d’une manière ou d’une autre que la personne est là, soit
qu’elle entende du bruit, soit qu’elle ait vu la personne avant, ou qu’elle la
connaisse déjà ; rien ne pareil ici, mais sans paroles extérieures ni
intérieures, l’âme comprend avec une extrême clarté qui est là, et de quel
côté, et en même temps ce qu’Il veut lui signifier. Par quel moyen le
comprend-elle , ou comment, elle ne le sait point ; mais il en est
ainsi ; tant que cela se prolonge, elle ne peut l’ignorer ; et quand
cela se dissipe, elle a beau vouloir l’imaginer à nouveau, elle n’y parvient
pas, elle voit que c’est de l’imagination, et pas une présence, cette présence
ne dépend pas d’elle, comme c’est le cas pour toutes les choses surnaturelles.
C’est pourquoi celle à qui Dieu fait cette faveur se méprise, elle voit que
c’est un don, elle ne peut ni faire ni défaire ; elle se retrouve avec une
humilité accrue et l’amour de toujours servir ce Seigneur si puissant qu’il est
capable de réaliser ce que nous sommes encore incapables de comprendre
ici-bas ; car pour savant qu’on soit, il est des choses qu’on ne peut
saisir. Béni soit Celui qui les donne. Amen, à jamais. (Thérèse d’Avila, op. cit. p. 859)
C’est la définition même de la « théologie
apophatique. La connaissance de Dieu est d’autant plus riche qu’elle est faite
de la négation de toute détermination particulière. Les théologiens de l’Eglise
d’Orient insistent particuylièrempent sur cette connaissance par inconnaissance. » Quelle est donc la vraie nature de la contemplation ?
C’est avant tout une expérience surnaturelle de Dieu. Cette expérience est un
don gratuit de Dieu, plus particulièrement que toutes les autres grâces qu’exige
notre santictification. L’expoérience mystique est essentiellement la
participation plus ou moins consciente de notre âme et de ses facultés à la
vie, à la connaissance et à l’amour de Dieu lui-même. Cette participation n’est
ontologiquement possible que par la grâce sanctifiante qui surajoute à notre
nature un « être » nouveau capable de produire des actes qui le
dépassent entièrement.
De façon plus particulière, l’expérience mystique
est provoquée directement par les inspirations spéciales du Saint-Esprit
substantiellement présent dans l’âme par la grâce. Ces inspirations permettent
à l’âme de « voir » et d’apprécier, de façon absolument neuve et
imprévue, la pleine réalité des vérités que renferment les exposés
intellectuels sur Dieu, qu’elle n’avait jusqu’alors pas « goûtée ».
Mais, surtout, elles nous permettent de comprendre profondément notre union
avec Dieu par la grâxce. L’expérience contemplative, au sens strict du terme,
erst toujours celle de Dieu conçu non comme une abstraction, comme un Etre lointain
et étranger à nous, mais intimement et profondément présent à l’âme dans sa
Réalité et son Etre infinis. Ce n’est plus le Dieu des philosophes qu’on
connaît de cette façon. C’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et le
Saint-Esprit nous révèle, au fond de nos cœurs, qu’Il est notre Père et que,
nous autres, nous sommes ses fils. (Thomas Merton, La
montée vers la lumière, op. cit. p.16)
Dieu,
personne ne l’a jamais vu (évangile selon Jean IV 12) La
contemplation introduit à l’espérance, la vision prête à illusion, ainsi que
Thérèse d’Avila en eut la très durable et mouvementée épreuve. La tentation de la raison est de conclure de
l’impossibilité de voir Dieu à l’inexistence de Dieu. (Jean-Claude Barreau, op. cit.
p. 116) L’expérience spirituelle, celle
de toute la Bible, celle de Paul (2ème
Co. VII) montre le contraire et que nous
marchons par la foi, non par la vue. La promesse n’a de sens que par l’absence
de vision. Que si on voit ce qui nous est promis, qui nous attend et qu’on
attend, on cesse de l’espérer. Du futur on ne sait rien, c’est la seule raison
qui pousse à le désirer. La liturgie de la messe dit tout aussi
admirablement : En cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets…
Il n’est bonheur que parce que promis. Valorisé par notre attente. C’est le
désir de sens qui est le sens, il n’y en a pas d’autre. (Michel Théron, op.
cit.p. 254). Mais aucune promesse ne
satisferait par avance aucun désir s’il n’y avait la foi en une personne,
précisément celle qui promet… Le chrétien n’attend donc ni un paradis, ni des
biens même spirituels, ni quoi que ce soit, il attend une personne, Dieu
lui-même qui s’est déjà manifesté : précisément en attestant et en
promettant, et qui reviendra. C’est l’expérience de la contemplation qui permet
de conclure avec assurance la demande finale de la créature au Créateur : Celui qui atteste cela, dit : Oui, je
viens bientôt – Amen ! Viens, Seigneur, Seigneur Jésus ! (apocalypse
de Jean XXII
20-21)
Dieu, s’il existe, n’est pas dans l’avenir, il
vient ; il n’est pas dans les dimensions de l’espace et du temps, mais
« au-delà » deces dimensions, dans l’Eternité non spatiale et
atemporelle. Si l’être humain rejoint Dieu, c’est évidemment au-delà de lamort.
Cependant la divinité ne saurait être absente de l’Espace Temps. Un Dieu
d’origine et de fin, semblable au « démiurge » de Platon ou au
« grand architecte » de Voltaire ne nous intéresserait pas. L’une des
caractéristiqus de Dieu c’est l’immanence. or, qui dit immanence, dit présence
en toutes choses. Mais cette immanence ne saurait êtreséparée de la
transcendance qui signifie le contraire (aucune chose n’enferme Dieu) et
condamne l’idolâtrie (adorer les choses). L’homme rejoint aussi Dieu dans le
quotidien de sa vie, mais dans cet espace-temps-là il ne le « voit »
pas. (Jean-Claude Barreau, op. cit.
p. 117)
Ainsi la contemplation n’est pas un moment de la vie
humaine, ou le résultat de l’application d’une faculté humaine, elle est la
vie-même. Elle atteste autant du fonctionnement de notre intellect, de notre
esprit, que de l’acmée de la connaissance qui est d’aimer d’amour.
On constate que les milieux organiques et
cognitifs sont bien coextensifs. On constate aussi que la fermeture du
système ouvert devient, à ce niveau où la représentation n’existe pas encore,
de plus en plus improbable au fur et à mesure que croissent les probabilités
d’occurrence et les besoins nouveaux. Pourtant cette fermeture fait l’objet
d’une quête permanente, que le développement de la pensée abstraite rend
accessible grâce à une extension indéfinie du milieu. Nous savons en effet que
la fonction cognitive réside dans le développement d’organes de régulation
entre le sujet et le milieu, en ce qui concerne les échanges et le comportement
et, en ce sens, elle prolonge l’organisation viotale et en assure l’équilibre,
c’est-à-dire le pouvoir d’intégration de plus en plus indépendant de
l’expérience, parallèlement à l’extension des possibilités. (…) Les conservations organiques et
préopératoires qui conditionnent la fermeture et l’équilibre d’un système ne
sont qu’apparentes, alors que les conservations opératoires sont à la
fois rigoureuses et nécessaires.
Autrement dit, la lutte contre l’irréversibilité, le
hasard et la délitescence des informations se réalise avec une efficacité de plus
en plus grande depuis la phase élémentaire, qui est celle d’une extension
horizontale, en passant par celle des régfulations de régulations qui est
caractérisée par une superposition verticale des réglages toujours plus fins,
jusqu’à atteindre le groupe de quaternalité qui fait transiter l’action
rétroactive des feed-backs à l’opération inverse.
Par là s’éclaire l’unité fonctionnelle de la vie
sous tous ses aspects, sans omettre le social grâce auquel la phylogenèse se
contracte dans la pensée individuelle.
Nous pouvons maintenant aborder la question
essentielle, qui est de savoir si les fonctions cognitives constituent un
organe spécialisé de la régulation des échanges avec l’extérieur.
Cette question revient à considérer les relations
entre la vie et la vérité. Si le vrai n’est pas une copie du réel, il n’est
autre chose qu’une organisation du réel.Mais par qui cette organisation
est-elle réalisée ? Si c’est par un sujet transcendental, aucune relation
intrinsèque n’est concevable entre vie et vérité.
Si, au contraire, on veut bien admettre que la vie
est une organisation ouverte qui tend à s’équilibrer et donc à se dépasser, et
si, d’autre part, on admet que ces dépassements impliquent une activité
proprement cognitive, alors il suffira d’attaquer la vérité du point de vue de
sa construction qui est dépassement par reconstructions convergentes, pour
parvenir à une réconciliation fondamentale entre vie et vérité, organisme et
pensée. (Jean
Piaget selon son présentateur et biographe André Nicolas, op. cit. pp. 190 à
192)
L’illumination de l’intelligence, les connaissances
qui en découlent ne font qu’un avec cet événement intérieur, où, précisément,
la très sainte Trinité se donne à connaître. La certitude de la réconciliation
est, elle aussi, étroitement liée à la vision. On ne peut les en arracher, sans
détruire l’expérience elle-même. Car, sans « intelligences »
nouvelles et pénétrantes sur la relation
des Personnes et l’essence divines, l’amour, qui s’enflammait de cette
connaissance, retomberait faute d’objet. De même, si un doute subsiste à
l’égard de la réconciliation, il coupe net l’élan de l’amour, car il ne reste alors qu’à se tenir à
distance. Une différence toutefois : les intelligences portant à l’amour
sont au coeur même de la visite divine, tandis que le sentiment de
réconciliation est plutôt le corollaire de l’intimité qui s’y manifeste. (Jean
Gouvernaire, op. cit. p. 120)
Ainsi, ma vie a de plus en plus de sens et elle est
de plus en plus intense. C’est sans doute le signe d’une vie réussie lorsque
arrivé à cinquante, soixante, a fortiori quatre-vingt ans, on pressent que tout
ce que nous avons vécu a un sens, et que ce sens progressif nous amène vers
l’accomplissement total de notre aventure terrestre. (…) Le sens de la vie
humaine est toujours une question de foi, pas seulement de foi religieuse, mais
de foi humaine tout simplement. Quand je n’ai plus foi en moi ni en les autres,
à ce moment-là je suis comme privé de sens. L’homme est un être que la foi fait
vivre. (Dom Amédée Hallier, op. cit. p. 93)
Ainsi commence toute prière chrétienne, qiuand elle
devient peu à peu la prière de Jésus en nous. Mesurant toute la distance qui
nous sépare de Dieu et prenant confiance en celui qui nous rejoint jusque dans
notre enbfer, elle s’élance d’un bond jusqu’au terme. Elle demande que nous
aussi nous soyons transfigurés avec lui dans la gloire, devenus en lui une même
image du Père, qui réfléchit la lumière que nous en recevons. Qu’en lui nous
ayons gloire, vie et connaissance. (Jean Laplace, De la
lumière à l’amour, op. cit. p. 226)
La contemplation infuse a son support :
l’Ecriture. Et qui a mieux écrit, été davantage inspiré que le disciple que
Jésus aimait ?
Le livre achevé, il reste tout à dire ou à
recommencer. Jamlais nous n’avons fini d’entrer dans ce monde que Jean nous a
ouvert. C’est celui de Dieu et il est infini. Chaque génération le reprend et,
chaque fois, y trouve une nourriture nouvelle et adaptée. Son enseignement est
toujours actuel.
Au débvut de l’évangile, il y avait un prologue.
Nous pouvons le reprendre après notre longue méditation : il prend une
résonnance nouvelle. Chaque mot a une saveur inépuisable. Les derniers mots que
nous venons de lire sont pour nous tout autre chose que la fin d’une histoire.
Ils sont un épilogue, correspondant au prologuie, c’est-à-dire qu’ils nous
conduisent à un au-delà de l’existence présente.Sans nier celle-ci, ils en
décèlent le sens invisible et ont en nous une portée universelle. Ils nous
apprennent que nos moindres actes, nos moindres gestes, les plus petits
événements, vécus dans la foi en Jésus, ont un retentissement insoupçonné. Il
en est du livre de Jean comme de toute œuvre de génie. Elle conduit à un
au-delà d’elle-même. Elle nous fait descendre dans une région en core
inexplorée de nous. Quand nous cessons de la regarder, quand la dernière page
est tournée ou que le rideau se baisse, nous ne sommes plus les mêmes. Nous
avons envie de vivre, mais autrement.
Un autre est entré en nous. Un peu à la manière de
Jean, nous nous sommes arrêtés pour écouter les paroles de Jésus et entendre
battre son cœur. Nous nous sentons de moins en moins dignes de lui, aspirant
cependant à le connaître davantage. Nous le découvrons, à travers ses gestes
humains, dans l’unité de sa personne divine. Elle n’est pas d’un temps, mais de
toujours, donc d’aujourd’hui. Elle ne nous invite pas à la reconstitution de
ses actes passés, mais à la reconnaître vivante en cette courte vie qui est la
nôtre, étendant ses limites aux dimensions de la sienne. Surtout elle nous apprend
qu’une seule chose compte : aimer, mais, en nous le révélant, elle ne nous
permet pas de nous arrêter à une quelconque man ifestation de sa réalité.
L’amour singulier, vécu en Jésus, nous entraîne au-delà de tout. Il remonte à
la source et ne cesse d’en redescendre, inondant l’univers.
C’est pourquoi il ne faut jamais fermer le livre.
(…) Nous n’avons jamais fini. L’important est de reprendre sans hâte. Ce n’est
pas un savoir que nous chertchons. Ce n’est même pas une œuvre littéraire que
nous savourons. Au-delà des mots, au-delà des récits, c’est la Personne vivante
de Jésus-Christ qui se révèle, Jésus-Christ que nous apprenons par cœur et qui
n’a jamais fini de se dire à nous, et, par nous, si Dieu veut, au monde entier. (Jean
Laplace, De la lumière à l’amour, retraite avec saint Jean
op. cit. pp. 267 à 269, conclusives)
Bertrand Fessard de Foucault, diplomate (Mai 2002)
Orientation bibliographique
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Septembre 1965 . 1123 pages) sous la direction d’André Ravier et préfacé par Henri de Lubac
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présentant une enquête historique de la Bible à nos jours, et une enquête
doctrinale synthétisant les écoles carmélitaine, dominicaine, ignatienne,
bénédictine et sulpicienne et distinguant – le volume date de 1949-1953 –
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de Brouwer coll. Christus. Juin 1991 . 154 pages – préface de Henri de Lubac))
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Dr. Michèle-H. Salamagne & Emmanuel Hirsch – Accompagner
jusqu’au bout de la vie (Cerf.
Novembre 1992 . 145 pages) p.
81 (Le devoir de non-indifférence)
Léa Schaya – L’homme et l’absolu (Dervy .
Juillet 1998 . 181 pages)
Anne-Marie Schimmel – Le soufisme ou les
dimensions mystiques de l’Islam
Gershom G. Scholem Major trends in Jewish Mysticism, trad. Française 1950 Les grands
courants de la mystique juive
G.A. Simon, La règle de saint Benoît commentée
pour les oblats et les amis des monastères (Ed. de Fontenelle Abbaye
Saint Wandrille . 1931 – 4ème éd. 1982 . 527 pages)
Jean-François Six, Lumière de la nuit, les 18 derniers mois de Thérèse de
Lisieux (Seuil . Septembre 1995 . 272 pages) & Thérèse de Lisieux par elle-même . *** L’épreuve et la
grâce Tous ses écrits
de Pâques 1896 (5 Avril) à sa mort (30 Septembre 1897) (Grasset
. Desclée de Brouwer . Juillet 1997 . 395 pages)
Pierre Teilhard de Chardin, notamment : - Le milieu
divin (Seuil . 4ème trim. 1957 & pour Œuvres
Septembre 1965 . 202 pages) - L’avenir de l’homme (ibid. 2ème
trim. 1959 & Juillet 1965 . 403 pages) - Hymne de l’Univers (Seuil . Mai 1961. 173 pages)
Michel Théron, Les deux visages de Dieu .une
lecture agnostique du Credo (Albin Michel . Août 2001 . 280 pages)
Victor de la Vierge, Le mouvement d’abandon (multigraphié . 1960)
Jacques Vigne, Le mariage intérieur en Orient et en Occident (Albin
Michel . 520 pages)
Simone Weil, notamment – La pesanteur et la grâce (Plon . 1948 . 210 page)
Maurice Zundel, notamment – Recherche de la personne (Desclée
de Brouwer . Janvier 1990 . 285 pages)
voir aussi
ici nos notices :
Alexis
Carrel et les miracles de Lourdes – Dépression et mystique – Autobiographie et
phénomènes mystiques
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