Petite histoire de la communion dans la main
Reportons-nous aux années 1970 et suivantes. Quelques mois auparavant, le nouveau Rituel de la messe a été promulgué par le pape Paul VI. Il est demandé à tous les prêtres de l’utiliser à l’exception des prêtres âgés qui célèbrent seul. L’ancien rituel dit « de saint Pie V » devient pratiquement interdit. Nous n’entrerons pas dans ce problème résolu par Benoit XVI.
En France, un vent de renouveau
liturgique souffle mais il va s’accompagner dans de nombreuses paroisses d’une
entreprise systématique de désacralisation de l’action liturgique et des
églises. « Mai 68 » s’impose ! On abandonne le latin et le chant
grégorien, les chorales qui le chantent disparaissent rapidement. Des curés
zélés vont vider les églises paroissiales de tout ce qui leur semble rappeler
un passé désormais révolu : on supprime les tables de communion, les
chemins de croix, les agenouillards, les bénitiers et la plupart des
statues ; clochette, encens et chasuble disparaissent…on supprime ou on
gomme tous les éléments symboliques de la liturgie ; cette tourmente
iconoclaste, méprisant tout ce qui concerne les traditions de l’Eglise
catholique et la « piété populaire », va profondément scandaliser les
fidèles. Mais on leur assure que c’est le « Concile » qui a exigé ces
réformes…Il n’est pas étonnant que de nombreux fidèles aient déserté ces
« lieux » banalisés et tristement défigurés !
Mais ces prêtres progressistes et hélas
mal formés en liturgie, ne vont pas s’arrêter là : non, c’est dépassé
de se mettre à genoux et de recevoir l’Eucharistie ainsi ; on va lancer
une nouvelle « mode » : recevoir la communion debout et dans la main.
Selon le principe bien connu « faites-le, on le fera », la mode se propage
rapidement d’autant qu’elle est souvent imposée sans ménagement ni explication,
si ce n’est par ces mots péremptoires : « C’est le Concile… ! ».
Précisons que cette manière de faire ne se trouve recommandée dans aucun texte du
« Concile » ni dans les lettres ou encycliques des pontifes romains
qui ont suivi. Redisons-le, la communion dans la main a été inventée et souvent
imposée par une large frange du clergé français à partir de 1965 environ et
elle s’est propagée peu à peu en France et hélas à l’étranger. Cela ne leur a
pas réussi… car c’est à cette sombre époque que des milliers de prêtres
séculiers et religieux ont abandonné leur sacerdoce. Et ce n’est pas un hasard
que le courant dit « traditionnaliste » est né en France à cette
époque en réaction à ces divers excès.
Par principe, la liturgie n’a jamais été
figée au cours de l’histoire, et ne doit pas l’être. Il n’y a aucune raison,
par principe à un développement ou à un changement des rites liturgiques pourvu
que cela soit fondé et proposé légitimement par l’Eglise. En particulier,
l’histoire nous apprend que les rites de communion ont évolué au cours du temps
selon les lieux et les coutumes locales. Il ne convient pas de taxer la
communion dans la main de pratique indigne en soi, puisque les sources
historiques nous enseignent qu’elle a été usitée dans l’Eglise jusqu’au IXe
siècle environ. Mais cet aspect historique n’est pas suffisant pour valider
la pratique actuelle de la communion dans la main : ce serait tomber dans
un « archéologisme » irréfléchi. Si elle a été abandonnée, ce n’est
pas sans raisons.
Depuis plus d’un millénaire, l’Eglise a
modifié sa façon de donner la communion, il y a là un fait objectif qui doit
faire réfléchir tout fidèle raisonnable. Notons que là où la communion est
donnée par intinction, aussi bien en Occident qu’en Orient, dès le VIIe siècle,
le pain consacré est donné dans la bouche. La communion dans la bouche est
posée en règle générale par le Concile de Rouen vers 878 : « Qu’on ne
pose pas l’Eucharistie dans les mains des laïcs ou des femmes, mais uniquement
dans leur bouche. » Aujourd’hui encore dans les Eglises orientales, le
rite met le pain et le vin consacrés directement dans la bouche du communiant.
Cette évolution dans la manière de recevoir
le saint Sacrement s’explique par le constat de certains abus et dangers de
profanation, mais surtout par la conscience d’un respect croissant pour ce
Sacrement : « Plus encore que la crainte d’abus éventuels, ce dut
être le respect croissant à l’égard du Sacrement qui conduisit à placer
l’hostie sur les lèvres » (Joseph-André Jungmann, Liturgia III, p. 314).
Il existe aujourd’hui un indult pour
communier dans la main, mais nous allons voir que l’esprit de cet indult est
celui d’une simple tolérance : ce n’est pas parce qu’une pratique est
tolérée qu’elle devient bonne et opportune. Il existe des raisons objectives,
fondées et toujours valables qui expliquent pourquoi depuis plus d’un
millénaire, l’Eglise a opté définitivement pour une certaine façon de donner la
communion, la sainte Eucharistie n’étant plus touchée que par les mains des
ministres consacrés. Examinons ces raisons.
1/ Assurer au mieux le respect du Saint
Sacrement. Les textes des Pères et des Conciles insistent très fortement sur la
nécessité de veiller à la moindre parcelle, d’éviter tous les sacrilèges
involontaires et plus encore volontaires. Or la remise de l’hostie dans la main
du fidèle multiplie à l‘évidence les risques de perte de fragments d’hostie.
Comme prêtre, nous avons tous été témoin, notamment avec les enfants, d’hostie
retrouvée dans les poches ou sous le banc. Le risque de sacrilège est
réel : « Des tamouls non baptisés communient à Lourdes. J’ai vu un
jour un homme mettre l’hostie dans sa poche. Il m’a dit ‘’ Je suis hindouiste,
mais je la prends pour l’amener à ma mère qui est malade, car c’est une
nourriture divine… » (Libération, 15 août 2009). Par ailleurs, le risque
de profanation volontaire est de plus en plus grand avec les vols d’hosties. Le
témoignage de Michaela qui a fait tout un parcours dans une secte satanique en
Italie est accablant : « Pour prouver ma bonne volonté, je devais
aller voler des hosties consacrées…j’allais communier et la plupart du temps,
le prêtre me mettait l’hostie dans la main comme s’il s’agissait d’une pièce de
juke-box…sans se soucier de ce que j’en faisais (…) pour les sectes sataniques,
la possibilité de recevoir la communion dans la main a vraiment représenté un
tournant capital (…) en Italie, l’innovation fut introduites dans les églises à
partir du 3 décembre 1989, et, à partir de cette date, le vol des hosties fut
un jeu d’enfant » (« J’ai quitté Satan » Editions Bénédictines
2009).
2/ Exprimer la présence réelle et la
révérence due au sacrement. Cette présence du plus sacré des Mystères, la
personne même de notre Seigneur Jésus-Christ, corps, sang, âme et divinité, est
bien exprimée symboliquement lorsque seuls les ministres sacrés, consacrés
par le sacrement de l’Ordre, touchent de leurs mains les saintes espèces :
l’évêque consacre très spécialement leurs mains par l’onction du saint chrême
dans le rite d’ordination. Cela souligne remarquablement la différence
entre le pain ordinaire, que tous ont l’habitude de toucher, et le pain
eucharistié, le pain sacré, que les ministres consacrés touchent seuls.
3/ Manifester symboliquement le
caractère « reçu » et non « dû » du sacrement :
« Il appartient à la forme essentielle du sacrement d’être reçu et que
personne ne puisse se le donner à soi-même » (J. Ratzinger, Eglise,
œcuménisme et politique, 1987). Ce caractère « reçu » est exprimé
fortement lorsque le sacrement est donné aux fidèles « comme à des enfants
nouveau-nés » (1 P 2, 2). Toujours dans le registre symbolique, cette
pratique souligne la différence essentielle entre le sacerdoce commun ou
baptismal, qui reçoit le sacrement, et le sacerdoce ministériel qui le donne.
Accepter de recevoir une nourriture dans la bouche est un témoignage de
confiance envers celui qui la donne. La tradition de la « bouchée
d’accueil » pratiquée aux Indes par l’hôte en est une illustration (Vie du
Mahatma Gandhi Louis Fisher Belfond 1983). De même, Jésus donnant la
« bouchée » à Judas (Jn 13, 26) comme marque ultime de confiance et
d’amitié.
4/ Actuellement, quelle est la loi qui
règle le rite de la communion dans la main et quel est l’esprit de cette
loi ? La règle découle de l’Instruction Memoriale Domini promulguée par la Congrégation pour le
Culte Divin, le 29 mai 1969. Ce texte fait l’historique du rite de communion
dans l’Eglise latine et énonce en conclusion les motifs de conserver l’usage
traditionnel de la communion dans la bouche : qu’il « possède une
tradition multiséculaire, très ancienne et vénérable » ; qu’il
« exprime la révérence des fidèles envers l’Eucharistie » ; qu’il ne
« blesse en rien la dignité de la personne de ceux qui s’approchent de ce
sacrement si élevé » ; qu’il est « propre à la préparation requise
pour recevoir le Corps du Seigneur de la façon la plus fructueuse
possible » ; que par lui « la sainte communion est administrée avec
la révérence, le décorum et la dignité qui lui sont dus » ; que par lui
est « évité tout danger de profanation des espèces eucharistiques :
que grâce à lui « on conserve avec diligence tout le soin constamment
recommandé par l’Eglise en ce qui concerne les fragments du pain consacré ».
La lettre de consultation des évêques
latins.
Le pape Paul VI exprime dans cette
lettre ses préoccupations à propos de ce nouvel usage. Les mots qu’il emploie
sont explicites : « vive appréhension », « sans avoir l’autorisation
requise », « des gens qui ne sont jamais satisfaits des lois de l’Eglise
». Comme l’écrit Mgr Bugnini : « Les modifications apportées par le
pape (à cette lettre) montrent avec quelle attention et quelle douloureuse
participation, il a suivi cette affaire. » De fait, une forte majorité
d’évêques va s’opposer au nouvel usage et Memoriale Domini écrit :
« En conséquence et à partir des réponses obtenues, il est évident qu’une
majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline
actuelle et que, si on la changeait, cela offenserait le sentiment et la
sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. » Et
l’Instruction conclut : « C’est pourquoi, compte tenu des remarques
et des conseils de ceux que l’Esprit-saint a constitués épiscopes pour
gouverner les Eglises, eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des
arguments invoqués, il n‘a pas paru opportun au Souverain Pontife de changer la
façon selon laquelle depuis longtemps est administrée la sainte communion aux fidèles.
»
Dan son bulletin officiel Notitiae, de
mars1999, cité dans la note 179 de Redemptionis sacramentum (25 mars 2004), la Congrégation pour le
Culte divin a rappelé une fois de plus la manière traditionnelle de
communier : « Que tout le monde se rappelle, en tout cas, que la
tradition séculaire est de recevoir l’hostie dans la bouche. »
La communion dans la main reste donc
aujourd’hui un simple « indult », une simple « concession », une
simple « permission ».
Car il s’agit « d’un usage, certes en soi non contraire à la doctrine mais
dans la pratique très discutable et dangereux ». Ainsi s’expriment plusieurs
textes « romains » récents. Nous devons avoir les idées claires sur
ce sujet : la communion dans la main et debout n’est qu’une tolérance
limitée, fruit d’abus graves à l’origine et qu’il faut travailler à faire
disparaitre progressivement. A ce propos, la responsabilité des fidèles
laïcs est immense : si les curés peuvent exposer les raison de préférer la
communion dans la bouche, ils ne peuvent l’imposer ; ce sont les fidèles
qui peuvent librement changer leur manière de recevoir la sainte communion en
revenant à la communion dans la bouche : « Faites-le, on le
ferra ! »
Enfin, en de nombreuses occasions, on a
pu vérifier que le pape Benoit XVI dans les grandes célébrations
internationales (comme à Lourdes en 2008), donnait toujours la communion aux
fidèles agenouillés et dans la bouche. L’exemple vient de haut !
« Par conséquent, il n’est pas licite de refuser la sainte Communion à un fidèle,
pour la simple raison, par exemple, qu’il désire recevoir l’Eucharistie à
genoux ou debout » (Redemptoris Sacramentum n° 91, 2004).
Par ailleurs, il est bon de rappeler que
ce même pape a demandé que les fidèles fassent un geste d’adoration (au moins
une inclination…) avant de recevoir le Corps du Christ selon la parole de saint
Augustin : « Adore d’abord Celui que tu vas recevoir : Il est
ton Seigneur et ton Dieu. »
Vous avez le droit de recevoir, en
France, la communion dans la main ; mais vous avez aussi le droit de
savoir d’où est venue cette pratique, quelle est sa valeur et ce qu’en pense le
Magistère de l’Eglise. Tirez-en les conclusions vous-même ! Aux dernières
nouvelles, le Cardinal Caffara, Archevêque de Bologne (Italie,) a interdit la
communion dans la main dans les trois églises principales de son diocèse, dont
la cathédrale.
Le 17/07/2014, par Pierre
louis | Église dans le monde
Père Jean-Régis Fropo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire