LE MONDE CULTURE ET IDEES | 05.02.2015 à 11h12 • Mis à
jour le 05.02.2015 à 11h47 | Propos recueillis par
Sophie Gherardi
Angelika
Neuwirth, professeure de littérature arabe à la Freie Universität de Berlin et
directrice du projet Corpus Coranicum, est une spécialiste mondialement
reconnue des études coraniques.
N’avez-vous pas l’impression qu’il est plus
facile de dialoguer avec les penseurs musulmans du IXe siècle
qu’avec ceux d’aujourd’hui ?
Le Prophète et ses compagnons pensaient que leur message valait pour le
monde entier. Aujourd’hui il ne semble plus s’adresser qu’au monde musulman, et
c’est dommage. Mais balayons devant notre porte, nous autres Européens. Pourquoi
avons-nous exclu l’islam de la famille ? Si le judaïsme appartient à notre
culture, alors l’islam aussi. On parle de tradition
« judéo-chrétienne », mais c’est une notion artificielle, qui a
peut-être à voir avec un sentiment de culpabilité après la Shoah. Simplement,
il est plus facile d’intégrer un judaïsme familier que le vaste islam qu’on a
préféré tenir à distance. Nous avons trop longtemps négligé le travail
intellectuel sur le Coran et l’islam.
Vous animez à Berlin un ambitieux programme de
recherche international appelé Corpus Coranicum, comment fonctionne-t-il ?
Après les attentats du 11-Septembre, l’Europe a en quelque sorte redécouvert
l’islam. Des fonds ont été dégagés pour créer un important projet de recherche,
sous l’égide de l’Académie des sciences de Berlin-Brandebourg. Avec les
chercheurs Michael Marx et Nicolai Sinai, nous avons eu l’idée de réunir les
trois branches des sciences du Coran. La première branche est l’étude des
manuscrits. La deuxième branche s’intéresse aux références de l’Antiquité
tardive [les deux siècles qui précédèrent la chute de l’Empire romain, en
476] : nous avons rassemblé une base de textes hébreux, araméens,
grecs, éthiopiens qui forment le contexte théologique et exégétique dans lequel
est apparu le Coran. La troisième branche consiste à commenter les sourates en
cherchant à relier le texte coranique aux débats de son temps. On découvre
ainsi que si le Coran insiste sur la miséricorde, la charité, l’attention
portée aux faibles, c’est pour contrer la tradition très ancrée de l’excès
héroïque, excès de dépenses et excès de cruauté. L’époque valorise l’émotion,
de même que l’image de soi. Il faut s’occuper de sa santé spirituelle.
Vos travaux sur le Coran vous font dire que le
livre saint de l’islam est « un enfant de l’Antiquité tardive ». La
notion n’est pas seulement chronologique ?
Non, bien sûr. L’Antiquité tardive est un moment très particulier où chaque
religion revisite sa propre tradition pour la transformer. Le judaïsme et le
christianisme naissant étaient jumeaux et n’ont développé des identités
distinctes qu’au fil de longs débats. L’islam a très tôt été considéré comme
« autre » : par les chrétiens, pour des raisons politiques liées
aux conquêtes musulmanes, et par les musulmans eux-mêmes, qui proclamaient la
nouveauté absolue du Coran. Cette idée, fausse selon moi, a conditionné notre
regard.Aujourd’hui, nous replaçons le Coran dans son temps. Au moment de l’émergence du Coran, au VIIe siècle, il y avait déjà une longue tradition de transmission orale des histoires bibliques. Les récits, bien connus, intéressaient moins que les interprétations. Il ne s’agissait pas de renouveler l’intrigue pour divertir un public, mais de reformuler certains épisodes à l’usage de la communauté naissante. La grande question qui se posait aux premiers adeptes mecquois de Muhammad (Mahomet) était de savoir comment préserver la foi face aux persécutions. La Bible leur fournissait des exempla qui les aidaient à tenir malgré l’oppression.
On assiste à la construction d’une identité séparée dans un milieu décadent, celui des villes d’Arabie à l’époque, un peu comme Moïse en Egypte. Muhammad reprend les phrases de Moïse aux israélites pour s’adresser aux siens. Il faut bien se rendre compte que Muhammad devait s’occuper de sa communauté, pour une raison simple : si ses disciples n’avaient pas accepté ce qu’il leur disait, ils ne l’auraient pas transmis.
- Sophie Gherardi
Vos réactions (11) Réagir
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Philibert Delorme 09/02/2015 - 14h44
@ Najib suite Il est incontestable que la civilisation Arabe, au temps de
l'Andalous ait été brillante et raffinée, Je me permets de vous signaler qu'à
présent, dans le petit Israël, il est édité davantage de livres que dans
l'ensemble du monde Arabe. On est loin de Tolède !
Philibert Delorme 09/02/2015 - 14h37
@Najib, vous dites que c'est en se frottant aux sociétés musulmanes que
l'occident en a profité et est devenu ce qu'il est aujourd'hui, d'accord avec
vous, du temps de l'Andalous, la civilisation arabe était cultivée et raffinée,
faisait progresser les mathématiques, l'astronomie, la philosophie, la
médecine, la gastronomie, le mode de vie. Mais, depuis ce temps, l'occident a
évolué, lui.....
JM 06/02/2015 - 15h19
"On parle de tradition « judéo-chrétienne », mais c’est une notion
artificielle, qui a peut-être à voir avec un sentiment de culpabilité après la
Shoah." Ben voyons,ceci est sidérant. Oui nous sommes de culture
judéo-chrétienne, grecque et latine: c'est l'Histoire qui le prouve. On se
demande ce que vient faire la Shoah là-dedans ! C'est peut-être Madame qui est
allemande qui culpabilise...Par ailleurs je ne vois pas en quoi l'islam ferait
partie de l'Occident ?
Najib 06/02/2015 - 16h38
Je pense que les Égyptiens, Turques, et proche-orientaux ayant fait partie
du monde hellénique peuvent revendiquer l'héritage Grecque au mois autant que
les Européens de l'Ouest. Je dirais la même chose de l’héritage romain (Saint
Augustin qui est un des fondateur de l'église catholique était Berber nord
africain, ...). Comme dit David Groeber c'est en se mettant à ressembler de
plus en plus aux musulmans que les royaumes barbares d Europe du moyen age sont
devenu l'occident d'aujourd'hui.
Najib 06/02/2015 - 16h38
Je pense que les Égyptiens, Turques, et proche-orientaux ayant fait partie
du monde hellénique peuvent revendiquer l'héritage Grecque au mois autant que
les Européens de l'Ouest. Je dirais la même chose de l’héritage romain (Saint
Augustin qui est un des fondateur de l'église catholique était Berber nord
africain, ...). Comme dit David Groeber c'est en se mettant à ressembler de
plus en plus aux musulmans que les royaumes barbares d Europe du moyen age sont
devenu l'occident d'aujourd'hui.
Najib 06/02/2015 - 17h12
L’intérêt pour la philosophie Grecque, pour les sciences, pour le commerce
(qui a permis l’avènement de la bourgeoisie en Europe), pour les lois. Tout ça
était largement répandu dans le monde musulman du 9eme au 15eme siècle. Et ça
c'est rependu en Europe après la renaissance (qui a commencé en Espagne
musulmane). Il y a avait à l'époque plus de livres dans la seule ville de
Toléde que dans toute l'Europe du nord.
Vincent CABANEL 06/02/2015 - 13h02
Bonjour Votre interview est trop courte et laisse le lecteur sur sa faim. Il
faudrait permettre à l'auteur de développer cette piste ! On a même
l'impression que la fin de l'article est bâclée et mal retranscrite. Aucune
mention des communautés juives et chrétiennes en Arabie de cette époque. Quid
des églises nestoriennes ? Dommage, mais approfondissez SVP. C'est "Le
Monde" que diable, pas France Soir
Ni Ko 06/02/2015 - 12h43
Et si le véritable travail consistait plutôt à dissoudre toutes ses
croyances religieuses d'un autre âge (qui ne reposent sur rien de concret) ?
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