« Le Christ a souffert comme personne »
ARTICLE | 31/03/2015 | Famille Chrétienne
Numéro 1942 | Par Luc Adrian
L’habitude de voir des crucifix ferait presque oublier le drame de la Croix.
Le Dr
François Giraud en rappelle la
réalité clinique insoutenable d’après ce qu’en dit le Linceul.
Qu’est-ce
qui vous a poussé à travailler sur la réalité humaine de la Passion ?
La Passion
est souvent abordée d’un point de vue religieux, historique, médical ou
technique… Mais l’aspect humain de ce drame est facilement négligé. Peut-être
sommes-nous tellement familiarisés avec les crucifix que ceux-ci ont perdu une
grande partie de leur pouvoir évocateur ? J’ai donc tenté de comprendre, à
partir des
leçons du Linceul, ce que Jésus a humainement senti dans son corps,
en me concentrant sur trois aspects de la Passion : la flagellation, la
crucifixion et l’agonie. C’est une expérience difficile, car la barbarie de cet
enchaînement de supplices met à mal les âmes sensibles.
Cela
commence donc par la flagellation ?
Pilate
essaie piteusement d’arracher Jésus à la sentence de mort en concédant une
flagellation. Il y en a trois sortes : la fustigation avec des roseaux (que subira
saint Paul) ; la flagellation à mort ; et la flagellation « courante », soit
comme châtiment, soit comme préambule à la crucifixion… Le fouet utilisé à cet
effet est le flagrum romain, dont les extrémités des
lanières sont garnies de petites boules de plomb.
Combien
de temps a-t-elle duré ?
Une bonne
dizaine de minutes. On a relevé sur le Linceul entre cent et cent vingt
impacts. Comme les traces semblent montrer qu’il y avait probablement deux
lanières par fouet, la victime a donc reçu cinquante-cinq coups de fouet en dix
minutes, soit cinq à six coups par minute : à peu près un toutes les dix
secondes.
Comment
« encaisser » cela ?
L’énergie
encaissée par Jésus serait de l’ordre de 4 000 joules, celle d’un automobiliste
roulant à 90 km/h
et faisant de cinq à six tonneaux… La flagellation est un traumatisme majeur
qui laisse la victime assommée, car elle vient de recevoir deux fois par minute
une énergie suffisante pour la mettre KO à chaque fois.
Jésus est
donc déjà physiquement anéanti ?
Oui. Il est en
état de choc, à la limite de pouvoir marcher. C’est probablement pendant les
dix à quinze minutes de la triste mascarade du couronnement d’épines qu’Il a pu
récupérer un peu, Lui permettant de reparaître, pitoyable mais debout, aux
côtés de Pilate. Les peintures montrant l’Ecce Homo sont d’aimables plaisanteries à côté
de la pauvre loque humaine que nous montre Mel Gibson dans son film La
Passion du Christ, seule représentation à peu près crédible de
cet effroyable châtiment.
Sans
parler des traumatismes internes ?
Ils sont
bien plus redoutables. Les poumons et le cœur ont été fortement contusionnés ;
il y a un épanchement liquidien dans la plèvre et dans le péricarde : en clair,
tous les mouvements respiratoires et les battements cardiaques sont très
douloureux et insuffisamment efficaces. Les reins sont commotionnés, entraînant
l’organisme de Jésus dans une acidose aux conséquences rapidement mortelles. En
bref, il est déjà moribond. Les heures qui lui restent à vivre se comptent sur
les doigts d’une main.
Il perd
du sang ?
Énormément !
En plus de l’hémorragie des plaies de la flagellation, il y a celle du
couronnement d’épines – le scalp saigne toujours beaucoup. Et celle, moins
visible mais tout aussi redoutable, des cent dix hématomes. On peut estimer la
perte à près de deux litres de sang (nous n’en avons que cinq). Une telle
spoliation sanguine aussi rapide rend improbable la possibilité de franchir les
500 à 700 mètres
qui séparent la forteresse Antonia, où a eu lieu la flagellation, du Golgotha.
Cette hémorragie est incompatible avec l’effort de porter la poutre
transversale, le « patibulum », au minimum 20 kg, sur une telle
distance. Il a fallu, pour arriver au Calvaire, que Simon de Cyrène aidât
Jésus, pourtant solide charpentier de 33 ans, encore en parfaite condition
physique il y a seulement deux heures…
Comment
parvient-Il au Golgotha ?
Complètement
épuisé. Il tient difficilement debout. Compte tenu de la foule, de sa fatigue
extrême, de ses chutes, le trajet a certainement duré une demi-heure au moins,
pendant laquelle les plaies ont continué de saigner, la plèvre et le péricarde
de se remplir de sérosité, les reins de compléter leur obstruction.
Là, les
soldats Le dépouillent de ses vêtements ?
On a tous du
mal à arracher un pansement quand on s’est fait un bobo qui a saigné… Or Jésus
a été flagellé très sévèrement il y a environ deux heures, il lui manque 880
cm² de peau et de muscles sur le corps, on lui a remis sa tunique et son
manteau qui ont d’autant mieux adhéré aux plaies que le bois de la croix
appuyait dessus. Et tout cela a eu le temps de sécher… Imaginez la douleur de
l’arrachement !
Vient
maintenant la crucifixion elle-même.
Le condamné
est couché à plat dos, jambes légèrement fléchies, solidement maintenu car,
même épuisé, il va se débattre sous l’intensité de la torture. Les Évangiles ne
mentionnent aucun mouvement de Jésus, soit parce qu’il n’y en a pas eu, soit
parce qu’il n’y en a pas eu plus que pour les autres exécutions.
Où
va-t-Il être crucifié ?
Pas dans les
paumes, car elles se déchirent, mais dans le poignet. Or l’espace de Destot qui
sépare les os du poignet – chacun d’eux s’appuie sur son voisin – permet tout
au plus de glisser une aiguille de 3 mm. L’introduction en force d’un objet de
facture grossière, non poli, de 7 à 8 mm de diamètre, va donc faire exploser
les structures du carpe ! La très forte mise en tension des ligaments
articulaires avec la déchirure inévitable de ceux qui se trouvaient directement
sur le passage du clou, la dislo-cation des articulations et le rabotage des
surfaces articulaires, causent une douleur abominable.
Comment
a-t-on pu imaginer un tel supplice ?
Sciemment.
Et le premier individu qui a eu l’idée de clouer un de ses semblables sur un
morceau de bois est un vrai sadique !
De plus,
l’agonie était longue ?
Très longue
– elle durait couramment vingt-quatre heures. Pour Jésus, vu l’état de son
délabrement, nous savons que cela ne durera « que » trois heures… Cicéron a dit
de la crucifixion que c’est « le plus cruel et le plus horrible des
supplices ». Quatre grandes causes de douleurs prédominent : les douleurs
de la fixation, l’étouffement, la soif et les crampes incessantes.
Les
douleurs de la fixation ?
Le volume du
bois de la croix donne l’illusion que le corps du crucifié fait « masse » avec
lui, un peu comme s’il y était collé. Apparence trompeuse : le corps est
suspendu par quatre clous plantés dans les articulations des poignets et des
pieds, et c’est tout ! Imaginez qu’on plante une fourche (ses dents ont à peu
près le même diamètre que les clous de la crucifixion) dans chaque poignet, une
troisième embroche les deux pieds, et on lève brutalement tout cela à bout de
bras… La douleur provoquée par la présence intra-articulaire des clous est
presque inimaginable à notre époque.
Il n’est
plus suspendu qu’aux clous ?
Jésus
mesurait environ 1,80 m – voire plus – et pesait 80 kg. Quand, sur sa croix, Il
est à bout de force, Il laisse pendre tout son poids aux clous des poignets,
mais alors la douleur de dislocation est intolérable car la force de traction
sur chaque clou est de 80 kg. Et, malheureusement, la position bras étirés vers
le haut bloque la cage thoracique en inspiration forcée. En moins d’une petite
minute, le sang manque d’oxygène, le gaz carbonique s’est accumulé, et le
supplicié est en asphyxie. S’Il ne peut vider ses poumons pour pouvoir les
remplir ensuite d’air frais, Il va mourir étouffé.
Comment
respire-t-Il alors ?
Il y a une
seule solution : pousser fermement sur les clous des pieds tout en tirant sur
ceux des poignets, mais tous ces points sont déjà tellement douloureux ! Il
peut s’élever ainsi d’une quinzaine de centimètres, vider en partie ses poumons
et les remplir plusieurs fois de suite, mais l’effort physique est intense et
ne peut être maintenu ; Il va donc s’affaisser à nouveau, tout son poids tirant
sur les clous des poignets, et le manège va recommencer ainsi une à deux fois
par minute jusqu’à la mort.
Et Jésus
crie : « J’ai soif » !
L’accumulation
de gaz carbonique dans le sang d’une part, les contractions musculaires quasi
permanentes pour tenter de respirer d’autre part, entraînent une transpiration
intense. Elle provoque une déshydratation qui vient s’ajouter à celle de
l’hémorragie.
Il en
résulte une soif ardente, des muqueuses ORL complètement desséchées, donnant
l’impression d’avoir du papier de verre dans le fond de la gorge. La soif sur
la croix devait être atroce, car elle s’accroissait en permanence de minute en
minute, et rien ne pouvait la soulager.
Vous
évoquez aussi les crampes ?
Tout le
monde ou presque connaît la douleur d’une crampe due à l’acide lactique et qui
ne dure que quelques secondes. Alors, il n’est pas difficile d’imaginer la
torture provoquée par des crampes généralisées des bras et des jambes pendant
trois heures. Ces crampes, en maintenant une certaine perfusion cérébrale,
prolongent la durée du martyre…
Sur sa
croix, le Supplicié est littéralement raide comme s’Il était sculpté dans un
morceau de bois ; et quand Il sera descendu de sa croix, tout à l’heure, et mis
dans le Linceul, le corps de Jésus gardera la position qu’Il avait au moment de
la mort.
Or Jésus
ne souffrait pas seulement dans son corps…
En effet.
Mais nous ne savons rien des tourments qui ont torturé son âme et son esprit,
depuis la sueur de sang au jardin des Oliviers jusqu’au dernier cri : « Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » Alors, par respect pour tant
de souffrances acceptées pour le rachat de nos péchés, j’ai rayé de mon
vocabulaire l’expression « péché mignon ». Aucun péché n’est « mignon » :
chacun a rajouté une goutte d’horreur à l’océan des douleurs de la Passion. Le
Christ a souffert comme aucun homme n’a souffert.
Luc Adrian
Pour aller
plus loin : La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien,
par le Dr Pierre Barbet.
Le site du
Dr François Giraud sur ce sujet : http://gira.cadouarn.pagesperso-orange.fr/index.htm
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