jeudi 20 juillet 2017

Je suis qui je suis Prédication prononcée le 9 juin, au Temple de l'Étoile à Paris, par le Pasteur Louis Pernot pour les Confirmations

 

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Eglise protestante unie de l’étoile – 56 av. de la Grande Armée . 75017 Paris



Quand Moïse demande à Dieu qui il est, celui-ci répond par une affirmation qui a fait couler beaucoup d’encre : « Je suis celui qui suis », trois mots en hébreu qui recellent tout le mystére de la nature divine. Le hasard fait d’ailleurs que la référence de ce verset dans la Bible est Exode 3,14, or « 3,14 », c’est le nombre Pi, et comme Pi est la clé du calcul du cercle, Exode 3,14 est la clé de toute la Bible. Pourtant le sens de cette affirmation est bien mystérieux, déjà elle est traduite de bien des manières différents : « je suis qui je suis », ou « je suis qui je serai», ou « je suis l’être»...

Va te faire cuire un œuf
On peut en faire plusieures lectures. La première et la plus évidente, dont tous les professeurs de théologie disent qu’elle est fausse, est que Dieu répond à Moïse en quelque sorte : « je suis qui je suis... et va ta faire cuire un œuf ». Autrement dit : « Peu importe qui je suis, cela n’a pas d’importance, moi je te demande d’aller aider le peuple à se sortir de sa mauvaise situation, d’aller libérer tous ces gens qui souffrent. Mon nom, ou qui je suis on s’en fiche, ce qui compte, c’est l’action, de faire le bien ». Sans doute est-ce assez vrai, peu importe comment vous appelez Dieu, que ce soit l’Eternel, Allah, le grand architecte, ou l’esprit du monde, peu importe tant que votre croyance vous pousse à libérer, à aider, à accompagner, à annoncer la grâce, alors c’est bien. On pourrait même penser que d’une certaine manière, la théologie ne sert à rien, c’est de l’intellectualisme pur, on peut en faire par curiosité, mais ce n’est pas l’essentiel. Et même, prétendre « croire en Dieu », ou « ne pas croire en Dieu », finalement est-ce important tant qu’on aime son prochain qu’on est prêt à pardonner et à servir?

L’onto-théologie
A l’inverse, on peut faire une interprétation forte de notre verset, une interprétation ontologique, parce que le verbe « être », quand il est utilisé en hébreu l’est toujours au sens fort. Et on peut donc penser que ce n’est pas de la part de Dieu une fin de non recevoir, mais au contraire, une réponse : « je suis l’être » (comme l’a compris la traduction grèque des Septantes : « ego eimi o ôn »). Cela, c’est l’onto-théologie représentée en particulier par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Pour simplifier, l’idée, c’est que dans le monde, il y a des choses qui sont : ce bulletin est, moi je suis, or tout ce qui « est » participe à quelque chose de commun qui est l’être. Cet être, c’est ce qu’a en commun tout ce qui est. Mais qu’est-ce que l’être en tant qu’être ? Puis-je imaginer l’être pur sans quelque chose qui soit ? C’est la question de la métaphysique, ou de l’ontologie, et la théologie médiévale a dit que cet être auquel participe toute chose, c’est Dieu. Dieu est ainsi l’être en soi, ce qui est et ce qui fait être chaque chose, ce qui donne l’être à tout ce qui est. Plus près de nous, des théologiens modernes ont dit que Dieu était « la puissance d’être », ce qui pousse toute chose à être et à plus être, à mieux être.
Mais le livre de l’Exode voulait-il faire de l’ontologie ?

L’inaccompli hébraïque
Alors une autre lecture plus hébraïque est de se demander à quel temps il faut le traduire : Dieu dit-il : « je suis qui je suis », ou « je suis qui je serai ? ». C’est compliqué, parce qu’en Hébreu, il n’y a pas de temps comme en français, il y a juste un accompli pour les actions passées, et un inaccompli pour une action qui se prolonge dans le futur, qu’elle soit passée présente ou future. Donc le « Eheyé » hébreu  peut se traduire par « je suis », « j’étais », ou «je serai », et en fait c’est les trois à la fois. Dieu dit donc : « je suis celui qui était, qui est, et qui sera ». C’est ce qu’a compris l’Apocalyspe, qui appelle Dieu ainsi. L’idée est bonne : tout dans ce ce monde est passager, un jour n’était pas et un jour ne sera plus. Mais tout ne peut pas être passager, qu’est-ce qui est l’intemporel, ce qui demeure, la structure du monde, l’absolu, la transcendance ? C’est cet absolu que nous appelons Dieu. C’est d’ailleurs de là que vient le nom de YHWH (Yahweh, ou Yéhova) que les protestants ont eu l’idée de traduire par: «l’Eternel ». C’était une très bonne idée : Dieu, c’est l’intemporel par définition, ce qui est hors du temps, hors de tout processus de génèse et de corruption. Et croire en Dieu, c’est s’attacher à l’éternel, fonder sa vie sur l’intemporel, sur l’absolu et le transcendant.
Mais Dieu voulait-il jouer sur les temps avec Moïse ?

L’existentialisme
Et puis, il y a ceux qui donnent un sens plus faible au verbe «être », comme les existentialistes. Pour eux, il y a deux choses différentes : être et exister. Exister, c’est pour les choses, les objets, ce qui est matériel et visible. Et pour eux : Dieu n’existe pas, il est. Dieu, en effet, n’est pas un objet, pas une chose, il n’a pas d’existance comme vous ou moi ou quelque chose. Mais il est.

La théologie apophatique
Alors me direz-vous, il est quoi ? C’est une fausse question, il est, tout court, il est, sans «quoi». Je reconnais que c’est difficile à imaginer, voire même impossible.
Et peut-être est-ce là l’essentiel : Dieu, c’est difficile à penser, c’est compliqué, et dire brutalement : « je crois en Dieu », « Dieu existe », ou « Dieu n’existe pas » ne peut se faire qu’à partir d’images souvent enfantines et préconsues de Dieu. Donc finalement, ma première idée du « va te faire cuire un œuf » n’était pas si bête et mes professeurs avaient tort, d’une certaine façon, Dieu refuse de répondre : on ne peut pas donner un nom à Dieu, ni dire exactement ce qu’il est. Le nommer, c’est l’enfermer dans images humaines, or Dieu est ce qui dépasse tout, il est l’indiscible, l’au delà de tout, le « tout autre ». Pour les juifs, son nom est même imprononcable et inconnaissable. Dieu, c’est l’indiscible. Cette idée, c’est ce qu’on a appelé la « théologie apophatique », et elle a raison : dire quelque chose de Dieu, c’est forcément dire quelque chose de faux. L’important, c’est comment l’idée que l’on en a nous fait vivre, et ce qu’elle génère en nous d’amour, de générosité et d’action positive dans ce monde.
Donc Dieu est, parce qu’il y a du bien à accomplir dans ce monde, quand à dire ce qu’il est vraiment, je ne saurais le dire.
Et donc je me tais.



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