La grande figure de Moïse apparaît au chapitre 2 de l'Exode, où il est
question d'un enfant hébreu déposé à la naissance par sa mère dans un panier
flottant sur le Nil, pour le sauver d'un génocide perpétré contre les
nouveaux-nés israélites. En effet le roi d’Egypte hostile aux Hébreux a pris
cette mesure d’extermination de tous leurs nouveaux-nés. L'enfant abandonné
est toutefois recueilli par la fille du Pharaon, qui l'adopte et lui permet
de grandir à la cour royale.
Devenu adulte, son destin change le jour où il intervient en faveur d'un
ouvrier hébreu maltraité dont il tue le contremaître. Craignant d'être
poursuivi pour ce meurtre, Moïse s'enfuit dans le désert et se réfugie auprès
du peuple de Madian. Là, un bédouin nommé Jéthro l'emploie comme berger. Il
est alors témoin d'une apparition surnaturelle. Dieu se manifeste à travers
un buisson enflammé et lui confie la mission de délivrer le peuple israélite
de l'esclavage et de le conduire hors d'Egypte.
La Moïse sauvé
des eaux. Fresque de la synagogue
de Doura Europos, Syrie, IIIe siècle
(fr.wikipedia.org).
Moïse accepte de retourner auprès du Pharaon et négocie la libération du
peuple prisonnier. Les prodiges divins étant sa force de persuasion, il
n'obtient l'autorisation royale qu'au prix d'une succession de catastrophes
naturelles qui s'abattent sur tout le pays : eau changée en sang, grêle,
ulcères, peste du bétail, ténèbres, invasions de mouches, de moustiques, de
grenouilles et de sauterelles, puis finalement mort des premiers-nés
égyptiens. Seule cette dernière plaie parvient à faire plier le roi qui
accorde enfin la liberté au peuple d'Israël. Celui-ci se prépare à quitter le
pays et fête la première Pâque la veille de son départ.
Alors que la population affranchie est déjà en route vers la frontière, le
pharaon se ravise et lance sa cavalerie à la poursuite des fugitifs au moment
où ils s'apprêtent à traverser la mer Rouge. Par un miracle spectaculaire,
Moïse « ouvre la mer en deux » pour faire traverser le peuple, puis
la referme en noyant la cavalerie égyptienne (Ex. 2-15).
Ce récit épique n'a pas d'équivalent dans la mémoire et les archives
égyptiennes. On peut comprendre que les Egyptiens n'aient pas voulu garder le
souvenir de cet échec humiliant. La recherche d'éventuelles traces de cette
épopée en est d'autant plus difficile, et ses résultats ne tiennent qu’à
quelques points de comparaison culturels.
Moïse et les dix plaies d'Egypte
C'est dans le domaine de la linguistique que l'on trouve les premiers indices
significatifs sur le personnage de Moïse et les plaies d'Egypte. Le nom de
Moïse provient sans doute du terme égyptien mosé qui signifie
"enfant" ou "engendré", comme chez des personnages
historiques connus tels que Thoutmosé, Kamosé, Ramosé ou Ahmosé. L'emploi du
radical mosé sans paternité est en outre cohérent avec le contexte
d'une adoption. Ce prénom égyptien est d'ailleurs attesté sous le Nouvel
Empire.
Le
vocabulaire courant présente également des ressemblances frappantes entre les
langues hébraïque et égyptienne, certains termes étant même identiques. Au
début du XXème siècle, l'archéologue américain Melvin Kyle a établi une liste
de termes employés dans le Pentateuque ayant à n'en pas douter une origine
égyptienne [2][3] :
Désignation
|
Mot
commun égyptien / hébreu
|
Désignation
|
Mot
commun égyptien / hébreu
|
|
|
|
|
Tente
de branchages
|
Succoth
|
Rouge
|
Dam
|
Tente
de peaux
|
Ohel
|
Grenouille
|
Tsephardeim
|
Tour
|
Migdol
|
Pou
|
Kinnim
|
Maître,
seigneur
|
Adon
|
Mouche
|
'Arobh
|
Vizir
|
Ab
|
Ulcère
|
Shehin
|
Coffre,
berceau
|
Tba
(hébreu : têbâh)
|
Grêle
|
Baradh
|
Jonc
|
Kam
(hébreu : gomêh)
|
Sauterelle
|
'Arbeh
|
Vase
|
Sennu
(hébreu : sinsénet)
|
Ténèbres
|
Hoshekh
|
Grand
vase
|
Seri
(hébreu : sêr)
|
Roseau
|
Suph
|
Si l'existence de cette terminologie commune n'est pas le fruit du hasard,
elle doit être le fruit d'importants emprunts de vocabulaire dus à un contact
prolongé entre les deux cultures. On trouve également dans cette liste des
termes évoquant les fameuses plaies ou catrastrophes qui frappent l'Egypte
d'après le récit de l'Exode. Il est concevable que ces mots égyptiens soient
entrés dans la langue hébraïque à l'époque pharaonique.
La quête de témoignages historiques sur l'Exode fut
aussi celle d'évènements spectaculaires ou surnaturels. La série de miracles
accomplis devant le roi d'Egypte a été soumise à une interrogation d'ordre
scientifique, qui a occupé bien des érudits à la recherche d'explications
plus ou moins naturelles à ces phénomènes. Ainsi les géologues William Ryan
et Gilles Lericolais [4] ont récemment tenté d'associer les plaies bibliques avec
les conséquences écologiques d'un évènement historique connu : l'explosion de
l'île volcanique du Santorin. Cette catastrophe naturelle majeure se
produisit au nord de la Crête vers 1600 av. J.-C. [5], et affecta
tout le pourtour méditerranéen, provoquant des raz-de-marée et une série de
déséquilibres climatiques et environnementaux. Elle n'épargna pas le delta du
Nil, où des cendres et des scories de cette époque ont été retrouvés [6].
L'éruption du volcan
du mont St-Helens en 1980.
(nhoem.state.nh.us)
|
L'archipel du
Santorin .
(lettres-histoire.ac-rouen.fr)
|
D'après le modèle proposé par ces chercheurs, l'éruption
aurait formé une haute colonne de fumée, que des vents stratosphériques
auraient poussée vers l'Egypte. Les cendres et les scories acides seraient
retombées dans les eaux du Nil et les auraient teintées de rouge. Les nuages
denses auraient opacifié l'atmosphère, provoquant des chutes abondantes de
pluie et de grêle. Dans un pays sec, de soudaines précipitations favorisent
l'éclosion en très grand nombre de toutes sortes d'animaux nuisibles. Par
suite, l'apparition d'infections et d'épidémies mortelles est facilement
imaginable. Tous ces phénomènes forment un schéma évoquant les plaies
décrites dans le livre de l'Exode.
Un document égyptien, le papyrus médical de Londres,
donne une liste de maladies et de remèdes connus en Egypte vers 1350 av.
J.-C. [7]. Le biologiste italien Siro Trevisanato y relève une
pathologie causée par des eaux rouges brûlantes du Nil. Le remède associé
étant un composé alcalin, selon lui l'agent caustique devait être acide, ce
qui est concevable si le Nil avait reçu des cendres volcaniques modifiant
l'acidité et la couleur de ses eaux.
Le point faible de cette théorie est d'ordre
chronologique : l'explosion du volcan s'est produite vers 1600 av. J.-C.
alors que les dates habituellement proposées pour l'Exode sont d'au moins un
siècle plus tardives.
Le papyrus
médical de Londres.
(thebritishmuseum.ac.uk)
Le point du départ
Le texte biblique cite précisément le nom de
"Ramsès" comme lieu de départ du peuple d'Israël quittant l'Egypte
(Ex. 12, 27) :
"Les enfants d'Israël partirent de Ramsès pour Socoth, au nombre
d'environ six cent mille hommes de pieds sans compter les enfants".
La ville de Pi-Ramsès, aujourd'hui identifiée au site de
Qantir et anciennement capitale de l'Egypte sous les Ramsès, a donné
l'occasion à l'équipe de Manfred Bietak [8] de faire une découverte significative.
Vestiges de Tanis,
première candidate pour être
l'ancienne capitale de l'Egypte sous Ramsès II.
(institutoestudiosantiguoegipto.com)
|
Le site actuel de
Qantir,
nouveau lieu prosposé pour l'ancienne capitale.
(greatcommission.com)
|
Dans un quartier de la ville anciennement dédié aux
activités militaires, l'équipe autrichienne découvrit une série d'éléments
forts instructifs quant au fonctionnement de l'armée égyptienne. Il
s'agit d'un vaste complexe comprenant des installations à caractère militaire
et industriel, incluant les restes d'ateliers de fonderie équipés de tout le
matériel nécessaire : des fours, des creusets, des marteaux, des enclumes,
des scories, des armes et des outils divers ... Ces ateliers produisaient
manifestement des armes et des chars de combat. Juste à côté se trouvaient
également des bâtiments d'anciennes écuries, avec des rangées de chambres
munies d'anneaux de pierres servant à attacher les bêtes. L'ensemble
constituait un haras royal pouvant abriter au moins cinq cents chevaux, et
l'établissement était marqué du nom du roi Ramsès II.
La découverte de cet ancien complexe a incité Bietak à
faire un lien direct avec le récit biblique. Il rapprocha le site de
l'épisode dans lequel la cavalerie du Pharaon est lancée à la poursuite des
Hébreux partis en direction de la mer Rouge (Ex. 14, 6-7) :
"Il (le roi d'Egypte) fit atteler son char et
emmena son peuple avec lui. Il prit ainsi six cents chars d'élite et tous les
chars d'Egypte ; sur tous, il y avait une élite de guerriers."
Le point le plus convaincant est la capacité des écuries de Qantir, qui
correspond à peu près au nombre de chars égyptiens cités dans l'Ecriture. Si
c'est bien de là qu'est partie la cavalerie royale dont parle l'Exode, il est
permis de supposer qu'elle fut perdue en tentant de traverser un bras de mer.
Fouilles de Qantir
montrant les restes
des bâtiments militaires ramessides.
(greatcommission.com)
|
Cartouche au nom du
roi Ramsès II trouvé à Qantir.
(.meritneith.de)
|
Les premières étapes
L'itinéraire que suivirent les Israélites au départ de
Pi-Ramsès est détaillé dans le livre de l'Exode, où sont inscrits les noms
des premières étapes géographiques de la sortie d'Egypte. La direction
générale est certainement celle de l'est et du sud, qu'ils auraient prise
avant d'atteindre la mer. Il serait facile de reconstituer l'itinéraire exact
si la topographie et la toponymie de la région n'avaient pas changé. Mais
l'Ecriture dresse un tableau qui présente quelques difficultés
d'interprétation :
"Ils levèrent le camp de Socoth et vinrent camper à
Etham, à l'extrémité du désert" (Ex.
13, 20). "Yahvé parla à Moïse, en disant : parle aux enfants
d'Israël. Qu'ils changent de direction et campent devant Phihahiroth, entre
Magdalum et la mer, vis-à-vis de Béelséphon." (Ex. 14, 1-2).
Itinéraire
possible de la sortie d'Egypte.
(image réalisée à partir de : aquarius.geomar.de/omc)
Localiser précisément ces différentes étapes a posé bien
des problèmes aux chercheurs qui ont tenté de les identifier. Dès 1885, un
travail publié par l'égyptologue suisse Edouard Naville s'efforça d'associer
chaque étape de l'Exode à un site géographique connu dans les documents
anciens. Socoth serait Thukot, non du district égyptien de la région de
Pitom. Etham serait une déformation du mot égyptien hetem
(forteresse), dont nous savons que la frontière égyptienne était jalonnée.
Phihahiroth serait la transcription de Pi-Kerehet, un temple d'Osiris
implanté sur la côte sud-ouest du lac Timsah. Magdalum ou Migdol qui signifie
"tour" en hébreu et en égyptien, devait se trouver sur une colline,
ce lieu étant cité dans plusieurs papyrus. Beel-Séphon serait un temple au
nom de Baal, nommé Baal-Zapouna dans un papyrus et placé sur l'autre rive du
lac Timsah [9][10].
C'est par ces différents sites, plus ou moins bien
localisés aujourd'hui, que les Hébreux auraient suivi la direction de l'est
pour atteindre les lacs.
"Quand Pharaon laissa aller le peuple, Dieu ne le
conduisit point par le chemin des Philistins, bien que le plus court, de
crainte, disait Dieu, que le peuple ne se repentît en voyant la lutte et ne
retournât en Egypte. Et Dieu fit faire un détour au peuple par le chemin du
désert vers la mer Rouge" (Ex. 13,
17-18).
Le "chemin des Philistins" est sans doute
celui qui longeait simplement la région côtière de la Méditerranée,
étroitement surveillée par une chaîne de forts égyptiens qui constituait un
obstacle militaire. Si le pays de Canaan était à cette époque sous contrôle
égyptien, il est logique que les Hébreux aient pris la direction du sud pour
s'enfoncer dans le désert du Sinaï sans être inquiétés.
La traversée de la "mer des Roseaux"
Les traductions occidentales classiques de la Bible appellent "la mer
Rouge" celle franchie miraculeusement par les Hébreux. En fait
l'expression figurant dans le texte hébreu d'origine est yam-suph,
c'est-à-dire "la mer des Roseaux" et non pas "la mer
Rouge".
Aucune mer ne porte aujourd'hui le nom de mer des Roseaux. De nos jours la
branche nord-ouest de la mer Rouge, le golfe de Suez, se prolonge par le
canal contemporain qui la relie à la zone des lacs Amers, Timsah, Ballah et à
la mer Méditerranée. Aux temps bibliques, le profil de cette zone était
semble-t-il moins ensablé et le golfe de Suez s'avançait davantage vers le
nord.
On ignore le point exact du franchissement de la mer. Nous constatons
simplement qu'aujourd'hui les lacs Timsah et Amers sont effectivement
entourés de roseaux, alors que les rives du golfe de Suez ne le sont pas.
La
zone marécageuse des lacs amers.
(greatcommission.com)
Quant au miracle de l'ouverture de la mer proprement dit, peut-être est-il
simplement dû, comme le dit la Bible elle-même, à un vent particulièrement
fort qui aurait repoussé les eaux pendant la nuit (Ex. 14, 21-29). Selon
Edouard Naville, ce phénomène n'est pas invraisemblable pour un bras de mer
long et peu profond. Des voyageurs ont parfois observé en Egypte un retrait
momentané des eaux sous les effets combinés d'un vent puissant et de la
marée. Le récit spectaculaire perdrait ainsi une part de son caractère
surnaturel.
Références :
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