Catholicisme
Béatifier Pascal ? Quand un pape jésuite réhabilite l'avocat du jansénisme
Dans un
entretien au quotidien italien La Repubblica, le pape François a dit
sa « conviction personnelle positive » en faveur d'une béatification du
philosophe et mathématicien Blaise Pascal. Pour Xavier Patier, auteur de Blaise
Pascal, la nuit de l’extase (Cerf), cette prise de position est capitale.
Le pape François a exprimé à Eugenio Scalfari, le fondateur de La
Repubblica, son désir que Pascal soit béatifié. Que
pensez-vous de cette idée ?C'est une déclaration capitale et une formidable nouvelle. Une grande joie ! Blaise Pascal est un saint pour l'âge numérique. Il a inventé la machine à calculer et créé la première start-up (dans les services de transport urbain), en avance sur son temps. Et en même temps, il a vécu une relation profonde avec le Christ, dont il a témoigné avec des mots inédits qui ont converti des générations de chrétiens : il était en avance ici aussi. Il a renoncé à tout et il n'a renoncé à rien : il a prouvé que la conversion était tout sauf une émasculation intellectuelle. Les Provinciales [ouvrage de 1657 qui dénonçait la casuistique jésuite, accusée d’autoriser le laxisme en matière de morale, mis à l’index par le pape] ont été écrites après la nuit de feu, cette nuit d'extase qui marque sa conversion.
Les jansénistes contre les jésuites, c'était, d'une certaine
manière, la France insoumise contre la France En Marche.
Cette prise de position marque-t-elle l’effacement de la querelle
entre jansénistes et jésuites ? Quatre siècles plus tard, leurs
divergences n’ont-elles plus lieu d’être ?La querelle entre les janséniste et les jésuites, ou plutôt entre Port-Royal [l’abbaye de Port-Royal des Champs était le cœur du jansénisme au XVIIIe siècle, ndlr] et la Sorbonne, même si elle avait des fondements théologiques sérieux, fut avant tout un conflit politique, voire une querelle d'égo qui a mal tourné. Ces Messieurs n'aimaient pas le pouvoir et ils narguaient l'État. C'était insupportable à Louis XIV. Les jansénistes contre les jésuites, c'était, d'une certaine manière, la France insoumise contre la France En Marche, les grands transgresseurs contre les grands obéisseurs, les inadaptés contre les sur-adaptés. Pascal a attaqué la compagnie, mais il n'a jamais eu un mot contre Ignace de Loyola. Aujourd'hui, la querelle théologique est oubliée : il reste le radicalisme auquel nous sommes appelés, le « Seigneur, je vous donne tout » de Pascal. Tout le monde y vient.
Faut-il y voir une réhabilitation du jansénisme, ou du moins la minoration d'une influence décriée par l'Église de l'époque ?
S'agissant du jansénisme, la querelle a eu ceci de particulier que ses adeptes n'ont cessé de répéter qu'il ne divergeaient pas de la doctrine de l’Église. Selon eux, Jansénius n'avait rien dit de neuf par rapport à saint Augustin, et si Port-Royal était hérétique, c'est que saint Augustin l'était aussi. Quand les adeptes ont été invités à signer un texte réfutant les « cinq propositions », ceux qui l'ont fait ont ajouté que, de toute façon, ces propositions ne figuraient pas dans la doctrine de Jansénius, ce qui a ouvert une nouvelle polémique. Dès le XVIIe siècle, on a publié des « Pensées catholiques » de Pascal, censément expurgées de phrases jugées jansénistes, mais l'exercice n'est pas probant. Pascal est un chrétien absolu, intransigeant, mais sans désaccord théologique avec l'enseignement de l'Église, et qui revendique sa fidélité doctrinale.
Pascal n'a pas seulement aimé la pauvreté : il a aimé
les pauvres !
En quoi l’idéal chrétien de Pascal mérite-t-il d’être montré en
exemple ?L'idéal chrétien de Pascal est un exemple pour notre temps parce qu'il montre qu'un être avide, surdoué, ombrageux, ambitieux, peut découvrir un jour que la foi est une affaire d'amour. Du jour où Blaise Pascal a accepté de se laisser aimer, précisément dans la nuit du 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demi du soir jusques à environ minuit et demi », il est devenu un saint.
Que dire de l'évolution du rapport à la pauvreté de Pascal ? Est-ce cet élément qui a pu parler tout spécialement au pape ?
Blaise Pascal a aimé le luxe et la vie mondaine. Et puis il s'est épris de la pauvreté après 1654, en expliquant simplement qu'il aimait désormais la pauvreté « parce que Jésus l'avait aimée ». Il n'a pas donné d'autre explication. Le phénomène des salons a tourné au père du Désert. Mais il n'a pas seulement aimé la pauvreté : il a aimé les pauvres ! Lui qui avait affirmé que Dieu est un cercle dont le centre est partout a fini sa vie dans les périphéries. Les périphéries : c'est là, sans doute, que le pape François l'a retrouvé.
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