Prier…[1] ce psaume qui ouvrait
les exercices spirituels, quand JL me les donna – en « trente jours »
– pour la première fois, aventure qui n’eut pas les lendemains humainement
désirés mais qui certainement m’a structuré parce qu’elle a répondu du passé et
m’a désarmé enfin pour l’avenir … moment qui a plus de force aujourd’hui en moi
que dans le temps où je le vivais, puissance du souvenir (je compte y réfléchir
pour le « sexe ») bien plus grande que l’envie, le projet ou toute
projection. La projection, l’anticipation, l’espérance sont d’une certaines
manières vides et inexpressives de nous, elles sont attente et disponibilité,
elles ne sont qu’elles-mêmes et leur mouvement. La mémoire est un socle, une
raison inépuisable, la preuve même et de l’existence humaine et de la
sollicitude de Dieu qui nous a permis d’arriver où nous sommes quand nous
regardons cette grande vallée qu’est la mémoire. Oui, j’ai aimé ce psaume 135, de la plus
grande justesse psychologique. Etre connu… dans la Bible, c’est l’évocation de
l’intimité sexuelle qui accomplit l’ultime chemin possible physiquement, mais
dans la prière et le psaume, ce n’est plus soi qui avance et pénètre et va
connaître – l’autre croit-on, soi au vrai – c’est Dieu qui nous rassemble, nous
anticipe. Dieu nous aime, pas tant parce qu’Il nous a créés que parce qu’Il
nous projette sauvés, avec Lui et pleinement consentant. Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais ! Un suivi… selon le psaume : tu sais
quand je m’asseois, quand je me lève. Soit !
mais une connaissance bien plus profonde et sûre : tu pénètres mes
pensées, tu me devances et me poursuis. Que je marche ou me repose, tu le vois,
tou mes chemins te sont familiers. Avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres,
déjà, Seigneur, tu le sais. Ce dialogue
permanent avec nous-mêmes, cette fuite ou ce passage des mots, des pensées, des
sentiments en nous, ce flux anodin ou terrible, celui de la tentation, celui de
la prière et de l’action de grâces spontanées sont connus en nous par Dieu, possédés
de Lui. – Assis sur notre lit, venant de lui apporter sa tasse de thé, bref
échange avec ma chère femme, ce jeune moine qui… ce prêtre et pasteur confirmé
en marche vers Rome… ce jeune moine en marche vers quoi… une énième fuite comme
si le monastère l‘avait déjà été pour une vie antérieure… Narcisse et Goldmund (Herman HESSE, le novice qui s’en va et
à une ou deux étapes, toute la suite de leur vie, son maître le poursuit et
cherche à le rattraper, rejoindre). Quand on donne sa vie, à Dieu, et par le truchement
d’une institution, l’Eglise… Edith continue : on peut bien la reprendre… non,
ce n’est ce que je veux dire (je ne dis pas que la reprendre, c’est se trahir
soi-même), ce que je veux dire c’est que le novice, le jeune prêtre font
confiance à l’Eglise, et que les cas se multiplient où l’Eglise dans ses
institutions, son fonctionnement, ses hommes et femmes ne sait pas, ne sait
plus former celles et ceux qui se donnent à elle, de confiance. Je vois aussi,
revenu à cet instant où je lis les textes de maintenant, que l’orgueil équivaut
aussitôt à l’imprudence. Surtout. Mon jeune frère moine et le curé de Megève, sûrs
d’eux, je le suppose, ont d’abord été imprudents. Mais Dieu au Paradis at-t-Il
lui-même été prudent de laisser à eux-mêmes, certes avec une tâche, une
mission, Adam et Eve, et la beauté-bonté-magnificence du couple n’a-t-elle pas
été, en elle-même, cause de perte. Et pourtant avant qu’un mot ne parvienne
à mes lèvres, déjà, Seigneur, tu le sais… Malheureux êtes-vous scribes et pharisiens
hypocrites, parce que vous purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette,
mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance ! Pharisien
aveugle, purifie d’abord l’intérieur de la coupe, afin que l’extérieur aussi
devienne pur. Sens de la vie, les vies
religieuses, sacerdotales apparemment vides, les vies à élaborer une œuvre ou
une carrière, apparemment pleines. Combien j’ai aimé cette confidence de Benoît
XVI, besoin du seul tête-à-tête avec Dieu, la retombée évidente de l’exemple
ainsi donné n’étant pas première pour lui ni dans son dessein, ni dans ce qu’il
a compris du dessein divin sur lui, alors même qu’il était pontife suprême. La garde du cœur (je ne me
souviens plus de l’auteur : Madeleine CHAPSAL ?) contre l’orgueil et
l’imprudence : la justice, la miséricorde et la fidélité. Jésus dit,
avec tranquillité et sévérité. Si ma vie était à refaire, j’aurai accentué ma confiance en Dieu au
lieu de progressivement passer de la demande à l’errance, puis à une attente me
faisant toucher à tout sans rien cribler, sans discernement. Mais précisément,
il m’est donné de la vivre maintenant et pour de bon – cette vie, cette
résolution rétrospective – quoique tant de rencontres et de beautés de toute
sorte, images de la Beauté divine, rachètent peut-être un peu ma dissipation…
Augustin, femme ou maîtresse, enfant-même auxquels il fut infidèle, tous traits
de sa vie que je ne connais pas mais qui me furent rappelés avec justesse… les
saints et le fumier dont ils peuvent surgir… Paul-même et la profusion sentimentale
et affective dont le fondateur donne envers ses ouailles plus de témoignages
que presque l’ensemble des saints dont j’ai entendu parler. A l’image du
Christ, comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’au bout. L’amour des autres, la profusion pour
celles/ceux qu’on aime, creuset et vérité de l’amour professé envers Dieu. L’amour
de Dieu nous vient de Lui, l’amour des autres est ce que nous Lui rendons, Lui
montrant humblement mais vraiment que – oui – nous sommes à sa
ressemblance : ayant pour vous une telle affection, nous voudrions
vous donner non seulement l’Evangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes, car
vous nous êtes devenus très chers. Avec « ma »
troupe scoute, j’ai vécu et éprouvé cela, chacun et tous. Et, chers frères qui
avez reçu vocation religieuse, sacerdotale, entendez : pour nous
confier l’Evangile, Dieu nous a mis à l’épreuve ; de même aujourd’hui, il
continue de mettre notre cœur à l’épreuve, si bien que nous parlons pour plaire
non pas aux hommes mais à Dieu.
Frappé
hier soir par un commentaire [2] que donne Denis
PODALYDES, sociétaire de la Comédie-Française regardant une photo de Gérarld
THOMASSIN dans le premier venu,
un film (2008) de Jacques DILLON. L’acteur, aujourd’hui inculpé de meurtre
(assassinat d’une postière pour lui piquer sa caisse…) fut « découvert »
par DOILLON à la DASS à ses seize ans et remporta aussitôt (1991) le César du « meilleur
jeune espoir masculin ». Autant j’ai vu et situe PODALYDES, sa technique
telle qu’on le croit totalement naturel, et totalement le personnage qu’il joue
au point de ne pas imaginer qu’il en joue un autre, et ainsi de suite, tout en
nous le faisant comprendre parfaitement, tandis que de THOMASSIN, je n’ai aucun
souvenir. « La belle g… » faisant tout pour le cinéma ? DELON
aussi, qui – selon ce que j’ai compris de l’ « affaire Markovic» a du
sang sur les mains, rien que la manière dont il joue dans la piscine, tourné exactement au moment du meurtre du jeune
(et beau) yougoslave, le confirmerait… PODALYDES observe et donne les deux
portraits, en antithèse, s’éclairant l’un
l’autre, le sien et celui du prodige. J’ai
toujours été très sensible au destin fragile des acteurs, quand ils ont
commencé tôt dans ke cinéma, sans aucune formation. J’ai connu des acteurs de
ma génération qui ont disparu assez vite. A l‘époque, je m’étonnais que ce métier
qui, pour moi, justifiait tout, lestait l’existence, ne pèse pas du même poids
pour eux. Je me suis souvent demandé si ce n’était pas lié au fait d’avoir étédoué
trop tôt, choisi trop tôt, avant toute formation. Moi, je me sentais parfois
trop formé, presque calibré, mais c’est comme si l’absence d’école les livrait
complètement à eux-mêmes, alors que le métier d’acteur devrait nous arracher à
nos démons, du moins nous aider à les tenir à distance. Quand on a eu une
formation, çà structure. On a la conscience de pratiqer un métier, qui vous met
à distance de ce que vous faites. On travaille avec son corps, sa voix, son
regard. Si le métier ne crée pas une distance de soi à soi, l’acteur ne peut
jamais se débarrasser de son outil, il se met à tout confondre. Des comédiens
comme Thomassin s’en prennent parfois violemment à l’instrument qu’ils sont devenus.
Plus ils sont beaux (POLYDALES est laid,
au sens convenu du terme…) et plus ils se détestent (Lucifer) ; plus ils sont recherchés par les producteurs, les
réalisateurs, plus ils ont tendance à montrer de l’indifférence. Certains se
sont mis complètement en marge, ou ont arrêté. Son visage qui ne regarde pas l’objectif,
qui ne trahit rien, marque une forme d’indifférence vis-à-vis de celui qui
prend la photo, en contre-plongée, et probablement vis-à-vis de ce qu’il est en
train de faire. Il fait sans faire. Il produit un effet considérable sans se
donner la peine d’en produire, alors que moi je faisais 12 000 effets et
je n’en produisais aucun. Je le vois comme un double inversé … J’avais l’impression
que pour exister à l’écran il fallait que je me démène comme un dingue, que je
m’agite, que je fasse le clown, alors que des acteurs comme Thomassin, il leur
suffisait d’apparaître.
Je
n’ai pas été formé par des institutions, mais par des gens, mes parents et de
grands, d’immenses mentors devenus mes amis, mes accompagnants de toute ma vie
et de celle à venir. Les institutions, je les voulais et les veux mieux qu’elles
ne sont, telles qu’elles devraient et surtout peuvent être… Mon cher Frère
Claude, moine de Sainte-Anne de Kergonan, éducation à l’otsreïculture puis par
correspondance au dessin, avant d’entrer… en même temps qu’un futur archevêque…
lui qui resta « convers » pendant tout son itinéraire… beau et attirant, simple et éclatant de
sourire, mis en tentation et envie de femmes par des pélerinages, des autocars,
des promiscuités, des dévotions au coude à coude, eut le génie vis-à-vis de
lui-même d’abord de l’humilité en reconnaissant sa dette de formation envers
son monastère – nous n’avons pas été
formés pour cela – puis de l’imagination
spirituelle, du sens spirituel : une âme d’enfant recevant en épouse
Marie, Anne la grand-mère du Christ, une foule de saintes, une polygamie de l’amour.
Ainsi ne succomba-t-il à aucune de ses assaillantes, de ses tentations de chair
et d’os. Ainsi put-il passer de la détestation de tel de ses frères en vie monastique
à un vrai amour, qui le fit d’ailleurs être compris en retour et aimé de son
ennemi, se magnifiant l’un l’autre comme si l’éternité donnait déjà sa semence,
grâce monastique sans estampillage… , ainsi put-il demeurer où il était entré
alors qu’il se pensait appelé ailleurs et même à fonder. L’aumônier de son
dernier hôpital me le commenta, décisivement : il se savait aimé. C’est le secret de Dieu que de « fonctionner »
ainsi avec nous. Spontanément, l’Abbé survenant quelques instants après son
dernier souffle : quel mystère ! Le mystère du mal – dans l’Histoire, vg. notre lâcheté innommable
vis-à-vis du sanglant Syrien, nous refaisant le coup de la guerre d’Espagne et
des non-interventions, et dans les vies humaines, les assassinats, y compris de
soi-même, le légionnaire, son congélateur et sa corde – combien nous tentons,
en vain de le sonder et comprendre. Je préfère de plus en plus, et sans
doute ai-je toujours été ainsi (visité si souvent par le pire en imagination du
virtuel, du possible, du fou), je préfère méditer, voir le mystère du bien, du
beau, du cohérent. Je crois que nous sommes tous appelés à être ce mystère les
uns pour les autres, à le vivre. Etre appelés à la vie divine, c’est
probablement être sujets de ce mystère, la grâce de Dieu : opérationnelle.
Amen.
[1] - 1ère lettre de Paul aux Thessaloniciens II 1 à 8 ;
psaume CXXXIX ; évangile selon saint Matthieu XXIII 23 à 26
[2] - Le Monde daté du samedi 24 Août 2013, p. 8 du suppl. Culture & Idées
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